Définition
Somme annuelle non imposable versée aux députés pour compenser les frais divers qu'ils engagent dans l'exercice de leur fonction.
Désignée autrefois en tant qu'« allocation pour frais de représentation »1.
L'allocation annuelle de dépenses est régie par les articles 10 et 11 de la Loi sur les conditions de travail et le régime de retraite des membres de l'Assemblée nationale (c. C-52.1). Pour des informations plus précises sur les sommes actuellement versées, voir la section « Indemnités et allocations » du site de l'Assemblée nationale.
Par ailleurs, les allocations doivent être distinguées des indemnités parlementaires, qui consistent en la rémunération du député.
Historique
Jusqu'au milieu du XXe siècle, les députés touchent une indemnité sessionnelle imposable et une allocation non imposable pour leurs déplacements. En 1946, Maurice Duplessis dénonce vigoureusement l'imposition fédérale de l'indemnité parlementaire. Selon lui, « les montants que reçoivent les députés et les ministres doivent être considérés comme des indemnités et non pas comme des traitements ou des salaires. Ils ne devraient pas être taxables2 ». Pour remédier à la situation, il suggère de réduire l'indemnité imposable et d'augmenter en contrepartie l'allocation non imposable. L'indemnité sessionnelle est fixée à 3000 $ et l'allocation annuelle à 1000 $ afin de couvrir les « frais de déplacement, dépenses de bureau et tous déboursés inhérents aux fonctions de conseiller législatif et de député3 ».
En 1953, Duplessis fait monter l'allocation de dépenses à 2000 $ et l'indemnité sessionnelle à 4000 $4. Il doit désormais tenir compte de la Loi concernant les impôts sur le revenu, sanctionnée par la Chambre des communes en 1948, en vertu de laquelle la partie de l'allocation qui excède la moitié du montant versé à titre d'indemnité est imposable5. Dès lors, les montants des allocations parlementaires sont révisés en fonction de l'indemnité, de manière à ce que la somme des allocations n'excède pas la moitié de l'indemnité. Cette disposition est toujours en vigueur aujourd'hui.
En 1961, le gouvernement de Jean Lesage hausse l'allocation annuelle à 3300 $ et l'indemnité sessionnelle à 6700 $, pour « porter leur rémunération à 10 000 $ »6. À cette époque, l'allocation de dépenses est en effet considérée comme un complément indissociable de l'indemnité pour calculer la rémunération globale des députés.
En 1963, le gouvernement alloue un montant distinct aux députés et aux conseillers législatifs pour couvrir leurs frais de déplacement, dépenses de bureau et autres déboursés inhérents à leur fonction. L'allocation des premiers est augmentée à 5000 $ et celle des seconds est réduite à 2000 $7. Lesage justifie cette disparité en soutenant que « les obligations des conseillers législatifs sont beaucoup moindres que celles des députés8 ». Ces rectifications lui semblent « une urgente nécessité ». En s'appuyant sur trois cas réels, il expose les dépenses incombant aux élus. En matière de frais de représentation, il déclare qu'un député doit dépenser environ 1000 $ par année pour couvrir « les frais de téléphone, télégrammes, poste, œuvres locales, cadeaux, fleurs », etc., et qu'un supplément est parfois requis pour les vêtements du député et parfois pour ceux de sa femme. En 1965, Lesage hausse de nouveau l'allocation de dépenses à 6000 $9. Les députés accueillent favorablement toutes ces initiatives.
En 1971, le gouvernement de Robert Bourassa majore l'allocation de dépenses à 7000 $10. Celle-ci est cette fois uniquement vouée aux « frais de représentation », puisque d'autres enveloppes couvrent désormais les frais de déplacement, de bureau de circonscription et d'hébergement dans la capitale. La loi, applicable dès le 1er janvier 1971, prévoit une indexation automatique de l'allocation de dépenses de l'ordre de 2 % le 1er janvier 1972. Le gouvernement souhaite ainsi accorder aux députés « le même pouvoir d'achat qu'ils avaient en 1965, lors du dernier ajustement11 ». Conformément à l'indexation prévue, l'allocation de dépenses est établie à 7140 $ en 1972.
Le caractère « suspect » de l'allocation de dépenses
En 1974, l'allocation de dépenses est rétablie à 7000 $12. Cette décision fait suite aux recommandations d'un comité extraparlementaire chargé d'examiner les indemnités et allocations des parlementaires du Québec. Celui-ci note que certains députés préconisent une augmentation de l'allocation, mais que « dans le public, on critique souvent qu'une somme aussi considérable soit automatiquement exempte d'impôt [...] et on souligne que généralement, les exemptions d'impôt ne sont accordées que pour des frais réels, sur production de pièces justificatives13 ». Le comité recommande que l'allocation demeure inchangée.
Ainsi, comparativement « à l'indemnité taxable, elle se trouvera [...] à diminuer proportionnellement par suite de l'augmentation du coût de la vie ». On applique ces recommandations et on ne prévoit pas d'indexation de cette allocation. Il s'agit de la seule allocation à rester inscrite dans la loi, puisque les autres (transport, hébergement, bureau de circonscription, etc.) acquièrent un statut réglementaire et sont placées sous la responsabilité de la Commission de régie interne.
L'allocation de dépenses est gelée jusqu'en 1978. Sous le gouvernement de René Lévesque, on procède à un rattrapage salarial des députés. Au cours des débats à l'Assemblée nationale, Jean-Noël Lavoie rappelle que l'allocation non imposable « avait sa raison d'être dans le passé [...] alors que le salaire des députés était minable14 » et qu'une hausse a été écartée en 1974 « parce qu'elle a un côté odieux, surtout qu'il n'y a pas de pièces justificatives ». Lavoie admet cependant « que le député la dépense facilement ». Le leader du gouvernement Claude Charron reconnaît, de son côté, « le caractère un peu suspect qui entoure toujours ces sommes, du fait que les députés ne doivent pas présenter de reçus », mais estime qu'une augmentation de 500 $ « n'est pas un luxe »15. L'allocation de dépenses est conséquemment fixée à 7500 $16.
Vers une indexation de l'allocation de dépenses
En 1979, alors que s'amorce un processus de réforme parlementaire, certains élus se montrent « prêts à se contenter d'une augmentation modeste de leur salaire pourvu qu'on hausse sensiblement le montant de l'allocation ». Selon eux, une partie de cette somme sert à compenser les frais qui surpassent les budgets prévus par les autres allocations, telles des dépenses de bureau ou de déplacements supplémentaires.
Mais de l'avis de tous, l'essentiel des $7 500 sert surtout à payer les nombreux « cadeaux » que se doit de faire un bon député s'il veut garder la faveur de ses électeurs. Ça va du $50 qu'il doit souscrire pour les noces d'or de M. et Mme X au carnet de billets pour le tirage au profit d'une bonne œuvre qu'il peut difficilement refuser d'acheter, en passant par les méchouis à $100 le couple, les cadeaux aux duchesses du carnaval, etc17.
S'ajoutent les repas pris dans les restaurants de la capitale, les vêtements, « l'apéritif, la bouteille de vin, quand ce n'est pas le repas complet, qu'il faut offrir aux visiteurs du comté » qui viennent manger au restaurant du parlement, les frais de déplacement du secrétaire de circonscription, la publicité dans la presse locale et pour certains, les services supplémentaires requis en raison de contraintes de temps (frais de garde, entretien de la résidence, etc.)18. Le président de l'Assemblée soutient qu'« il faut vraiment être près de ses sous pour ne pas dépenser l'allocation non imposable durant l'année19 ». La situation diffère cependant d'un député à l'autre, car « tous ne dépensent pas autant et [...] certains peuvent considérer l'essentiel de leur allocation comme étant un salaire20 ».
À l'automne 1982, le gouvernement propose que l'allocation de dépenses de 7500 $ soit indexée annuellement au coût de la vie à compter du 1er janvier 198421. Le leader du gouvernement Jean-François Bertrand soutient que l'allocation paraît « élevée aux yeux du profane, mais quiconque a observé de plus près les obligations des parlementaires sait qu'elle ne couvre qu'une partie des obligations de représentation attachées à la fonction de député22 ». La nouvelle Loi sur les conditions de travail et le régime de pension des membres de l'Assemblée nationale instaure le principe de l'indexation de l'allocation. À compter du 1er janvier 1984, le montant initial de 7500 $ suit « le taux d'augmentation de l'indice des prix à la consommation pour le Canada déterminé par Statistique Canada23 ».
Les raisons qui justifiaient le gel de l'allocation annuelle semblent alors oubliées. Conformément aux nouvelles dispositions législatives, cette somme augmente progressivement dès 1984. Sa désignation officielle change également, passant d'« allocation pour frais de représentation » à « allocation de dépenses ».
La reconnaissance de l'allocation de dépenses
En 1987, le Bureau de l'Assemblée nationale forme un comité d'étude extraparlementaire pour évaluer la rémunération globale des députés. Dans son rapport présenté le 20 octobre 1987, le comité déplore que l'indemnité et l'allocation de dépenses soient confondues et que cette dernière soit parfois considérée « comme une seconde source de revenus devant être additionnée avec les indemnités parlementaires24 ». Le comité soutient que ses travaux révèlent « hors de tout doute » que le montant alloué, alors de 8844 $, « ne semble pas [...] exagéré ». Plus encore :
Le comité a pris acte de la pratique instaurée, depuis plusieurs années maintenant, en ce qui concerne les allocations de dépenses. Il reconnait la nécessité d'une telle allocation parfaitement justifiée, selon lui, par la nature du travail parlementaire. Celui-ci en effet est largement tourné vers l'exercice de relations publiques nombreuses, variées et souvent fort onéreuses tant pour le parlementaire que pour son conjoint tenu, très souvent, de collaborer activement aux activités sociales inhérentes à cette fonction.
Ainsi, le comité recommande que « soit maintenu intégralement le principe du versement d'une allocation forfaitaire annuelle de dépenses non imposable aux députés » et que « le niveau où se situe présentement l'allocation de dépense constitue dès maintenant un minimum incompressible ».
Par ailleurs, le comité recommande, au nom de la « souplesse » et de « l'équité », de confier « la responsabilité de l'établissement et de la détermination du montant annuel de l'allocation de dépenses » au Bureau de l'Assemblée nationale. L'idée est soumise au Conseil exécutif le 9 décembre 1987. Les ministres se questionnent à savoir si cette modification est sage ; « ils craignent que [...] le Bureau de l'Assemblée nationale ne se montre trop généreux25 ». Ils conviennent plutôt que l'allocation de dépenses demeure fixée dans la loi. Cette décision est saluée par l'opposition, qui souligne que la délégation de cette responsabilité à une instance interne « n'aurait pas offert cette même garantie de transparence » et que le maintien de l'allocation dans la loi « permettra d'avoir des discussions et des débats adultes, responsables, mûrs, de gens qui sont conscients de ce qu'ils font et qui n'ont pas peur de l'affirmer ouvertement aux contribuables26 ».
Il faut près de quinze ans pour qu'un autre comité, chargé d'évaluer les conditions de travail et le régime de retraite des députés en 2000, aborde de nouveau la question de l'allocation de dépenses. Ce comité se limite très succinctement à réaffirmer la nécessité de son maintien27.
La remise en question de l'allocation de dépenses
Treize ans plus tard, en 2013, un comité consultatif indépendant en arrive à une conclusion différente. Il constate en effet que le Québec est la dernière province à maintenir l'allocation non imposable et que seuls les Territoires du Nord-Ouest, le Yukon et le Nunavut ont conservé cette disposition. Tout en reconnaissant la nécessité de compenser les dépenses engagées par le député dans l'exercice de sa fonction, le comité souligne le caractère problématique de l'allocation de dépenses, notamment en matière de privilège fiscal et de transparence. Il propose d'adopter la même orientation que dans les autres provinces canadiennes, soit de majorer l'allocation pour tenir compte de la ponction fiscale et de l'intégrer à l'indemnité parlementaire de base28. En juillet 2014, aucune suite n'avait été donnée au rapport de ce comité.
Depuis 1984, l'allocation de dépenses non imposable profite d'une indexation annuelle systématique et ininterrompue. Au 1er janvier 2014, elle s'élevait à 16 226 $.
Pour des informations plus précises sur les sommes actuellement versées, voir la section « Indemnités et allocations » du site de l'Assemblée nationale.
Pour citer cet article
« Allocation de dépenses », Encyclopédie du parlementarisme québécois, Assemblée nationale du Québec, 7 août 2014.