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« Affaire Hart »

Définition

Controverse politique causée par les deux expulsions d'Ezekiel Hart, élu de confession juive, votées par la Chambre d'assemblée du Bas-Canada en 1808 et en 1809.

Historique

Défait aux élections générales de 1804, Hart est élu lors d'une partielle tenue le 11 avril 1807 dans la circonscription de Trois-Rivières. Il prête serment à Québec le 29 janvier 1808, jour de l'ouverture de la session parlementaire.

Au Parlement, Hart et Louis-Charles Foucher - l'autre député de Trois-Rivières, circonscription qui compte alors deux représentants - sont considérés comme étant favorables au Parti des bureaucrates par les députés du Parti canadien. Afin de préserver leur majorité, ceux-ci refusent d'admettre Hart en Chambre sous prétexte qu'il aurait prêté serment de façon irrégulière. Pour comprendre de quoi il s'agit, l'historien Denis Vaugeois, tirant parti des sources limitées sur les débats parlementaires de l'époque, parvient à décrire ainsi la situation :

Hart doit se présenter à l'assermentation. Bien résolu et fidèle à ses convictions, il prête serment. Michel Amable Berthelot d'Artigny se charge d'en informer la Chambre. Un député non identifié s'inquiète de la manière dont le représentant du comté de Trois-Rivières a prêté serment. Berthelot précise alors que « Mr Hart avait prêté les serments sur la Bible et la tête recouverte ». Le député Louis Turgeon ajoute que le serment a été prêté de la « manière désignée » par le député Berthelot, ce qui ne nous apprend pas grand-chose. [...]

Le lundi 1er février, Berthelot apporte une précision : « Ezechiel Hart, écuier, avait prêté le serment et non les serments ». Jonathan Sewell, secondé par le juge Amable De Bonne, présente une motion selon laquelle Hart « n'a pas pris le serment en la coutume ordinaire » avec les conséquences que l'on devine1.

En résumé, selon Vaugeois, Hart aurait mis une main sur sa tête et remplacé le mot « chrétien » par le mot « juif » en prêtant serment2. Durant les débats qui s'ensuivent, Hart proteste et la Chambre lui demande (1er février) de suivre la démarche pour prêter serment adéquatement. Le 9 février, un des candidats défaits par Hart, Thomas Coffin, fait présenter une pétition à la Chambre offrant de siéger lui-même à la place de Hart, puisqu'il ne semble pas pouvoir prêter serment selon les exigences de la loi. Puis, le 12, une requête de Hart est lue en Chambre disant qu'il consent à prêter de nouveau serment dans les règles, et demandant à y être admis. Il comparaît à la barre en affirmant ce qui suit, selon certaines sources :

Mr Speaker, I neither required nor did I wish to take oath in the form it was administered. [...] I took it in the words of the Act of the 31st of His Majesty and in a manner binding on my conscience. I profess the religion of my father; a religion tolerated by my King and Country and not forbidden by the Constitutional Act. Mr Speaker, I think I have a right to take my seat in this Honourable House, and I am now ready to do my duty therein, and I wish to have the opportunity of returning the obligations I have to those who elected me. I have no further observations to make3.

Finalement, le 20 février, une majorité vote en faveur de son expulsion pour avoir « prêté le serment selon la manière coutumière propre aux personnes » de sa confession4.

Vaugeois précise que les parlementaires canadiens et ceux associés au parti des bureaucrates ne font pas bloc sur la question. D'ailleurs, selon lui, la religion de Hart semble davantage un prétexte chez les premiers pour bloquer un adversaire politique sympathique au Parti des bureaucrates. L'« affaire Hart » s'inscrit aussi dans le contexte où la majorité canadienne cherche à exclure de la Chambre deux autres de ses adversaires qui, pour leur part, ont le statut de « députés-juges », soit Foucher et Pierre-Amable de Bonne5.

Le gouverneur James Henry Craig déclenche une nouvelle élection générale prévue le 27 avril 1808. Hart, réélu, prête cette fois serment « selon la manière chrétienne », mais le débat sur son admission reprend dès l'ouverture du Parlement, le 10 avril 1809. Neuf jours plus tard, la Chambre adopte une résolution affirmant qu'il s'agit de la même personne déjà chassée « comme professant la Religion Judaïque », et lui refuse le droit de siéger par résolution le 5 mai suivant6 .

Devant cette question complexe, le gouverneur Craig demande en juin l'avis de Londres. En septembre 1809, le secrétaire d'État aux Colonies, Lord Castlereagh, répond en confirmant qu'un élu de confession juive ne peut siéger au Parlement. Soulignons par ailleurs qu'à la même époque, et ce, jusqu'en 1829, les catholiques ne peuvent pas non plus siéger à Westminster.

Or, quand cette décision parvient dans la colonie, Hart n'est déjà plus député; en effet, Craig a dissous le Parlement le 15 mai précédent, et annoncé la tenue d'une nouvelle élection générale. Cette fois, Hart ne se présente pas.

En 1831, le Parlement du Bas-Canada légifère pour lever l'obstacle qui a empêché Hart de siéger. L'« Acte pour déclarer que les personnes qui professent le judaïsme ont le bénéfice de tous droits et privilèges des autres sujets de Sa Majesté en cette province » entre officiellement en vigueur le 5 juin 1832.

En Grande-Bretagne, l'élection de Lionel de Rothschild en 1847 pose le même problème que le cas Hart sur la prestation du serment pour un élu de confession juive. Après plusieurs tentatives infructueuses, une mesure semblable à la loi du Bas-Canada est finalement adoptée et sanctionnée en 18587.

Pour citer cet article

« Affaire Hart », Encyclopédie du parlementarisme québécois, Assemblée nationale du Québec, 23 février 2024.

Faites-nous part de vos commentaires à : encyclopedie@assnat.qc.ca

Pour en savoir plus

Vaugeois, Denis. « L'affaire Hart (1807-1811) », Bulletin de l'Amicale des anciens parlementaires du Québec, vol. 9, no 2, automne 2008, p. 23-30.

Notes

1 

Denis Vaugeois, « L'affaire Hart (1807-1811), Bulletin de l'Amicale, vol. 9, no 2, automne 2008, p. 25.

2 

D. Vaugeois, « Hart, Ezechiel », Dictionnaire biographique du Canada (en ligne), consulté le 2 mai 2023. L'article 29 de l'Acte constitutionnel de 1791 décrit comment les élus doivent prêter serment :

XXIX. Aucun Membre ne siégera ou votera jusqu'à ce qu'il ait pris le suivant

Pourvu toujours, et il est statué par la dite Autorité, Qu'il ne sera permis à aucun Membre, soit du Conseil Législatif ou de l'Assemblée, dans l'une ou l'autre des dites Provinces, d'y siéger ou d'y voter, jusqu'à ce qu'il ait prête et souscrit le Serment suivant, soit devant le Gouverneur ou le Lieutenant-Gouverneur de telle Province, ou la Personne qui y aura l'administration du Gouvernement, ou devant quelque personne ou personnes autorisées par le dit Gouverneur ou le Lieutenant-Gouverneur, ou autre personne comme ci-dessus, d'administrer tel serment, et qu'il sera administre en langue Anglaise ou Française, comme le cas le requiérera.

Serment

Je, ____, promets sincèrement et Jure, que je serai fidèle et porterai vraie Fidélité à Sa Majesté le Roi George comme légal Souverain du Royaume de la Grande Bretagne et de ces Provinces dépendantes et appartenantes au dit Royaume; et que je le défendrai de tout mon pouvoir contre toutes Conspirations, et Attentats Perfides quelconques qui seront faits contre sa Personne, sa Couronne et sa Dignité; et que je ferai tous mes efforts pour découvrir et faire connoitre à sa Majesté, ses Héritiers ou Successeurs, toutes Trahisons, Conspirations et Attentats Perfides que je saurai être trames contre lui, ou aucun d'eux : Et je Jure tout ceci sans aucun équivoque, subterfuge mentale ou restriction secrète, et renonçant à tous Pardons et Dispensations d'aucune Personne ou pouvoir quelconque à ce contraire. Ainsi DIEU me soit en Aide.

3 

D. Vaugeois, « L'affaire... », op. cit., p. 27.

4 

Assemblée nationale du Québec, Chronologie parlementaire depuis 1764 (1807-1809), 2 mai 2023; D. Vaugeois, « Hart, Ezechiel », op. cit., consulté le 2 mai 2023.

5 

Les députés-juges sont finalement déclarés inaptes à être élus, à siéger ou à voter le 21 mars 1811. 51 Geo. III, c. 4.

6 

D. Vaugeois, « Hart, Ezechiel », op. cit., consulté le 2 mai 2023; Assemblée nationale du Québec, Chronologie parlementaire depuis 1764 (1807-1809), consulté le 2 mai 2023.

7 

21 & 22 Vict. c. 49 (R.-U.), sanctionné le 23 juillet 1858.