(Quinze heures vingt-et-une minutes)
M. Bouazzi : Bien, bonjour.
On va donc réagir à chaud sur le projet de loi qui vient d'être déposé. Trois
points, rapidement. Le premier touche à la vente du privé au privé. On en avait
parlé ce matin, c'était une crainte. Il y a d'ailleurs une... un article qui
est abrogé, on voudrait attirer votre attention, c'est l'article 71.1 de
la Régie de l'énergie, qui dit que «la fourniture d'électricité est destinée
exclusivement à la satisfaction des besoins des marchés québécois». Cet
article-là saute, on ne comprend pas très bien pourquoi. Il est possible que l'interprétation,
c'est que des compagnies comme TES Canada soient, donc, dans la capacité de
produire de l'énergie qui va servir à quelque chose qui sera exporté à l'étranger.
On sait, évidemment, que TES est en train de créer... TES Monde est en train de
créer un gaz méthanier en Allemagne, que le gaz naturel coûte 15 fois plus
cher en Allemagne qu'ici, en Amérique du Nord. Il va falloir explorer tout ça,
mais on ne comprend pas pourquoi est-ce que, tout d'un coup, la satisfaction
des besoins des marchés québécois devrait sauter dans la production
énergétique.
Le fait aussi que, maintenant, ça soit
deux entités privées différentes qui vendent les unes aux autres, et, enfin, on
a toujours un désaccord sur la notion d'«adjacent», étant donné que, dans le
cas de TES Canada, on ne considère pas que Saint-Tite ou Sainte-Thècle, c'est
adjacent à Shawinigan et qu'ils ont le droit d'explorer 200 kilomètres
carrés d'énergie, de gisements éoliens publics.
Je rappelle encore une fois que le risque
numéro un identifié par Hydro-Québec dans son plan d'action, c'est l'accès à la
main-d'œuvre. Évidemment, permettre du privé au privé, bien, ça va prendre une
partie de la main-d'oeuvre et mettre à risque ce plan d'action qui est pourtant
essentiel dans la réussite des choses.
Rapidement, les deux autres points. Il y a
toute la question de la tarification modulaire. Il y a un vrai débat à avoir.
Nous, on est très heureux d'enfin pouvoir l'avoir, à Québec solidaire. Comme
vous le savez, il y a des inégalités dans l'accès à l'énergie, il y a des personnes
qui vivent dans des passoires énergétiques, qui, eux, pour arriver aux 20 degrés
dont ils ont besoin à la maison, bien, ce 20 degrés-là, leur coûte plus
cher que d'autres. De l'autre côté, évidemment, il y a d'autres besoins qui
sont moins importants que de se chauffer l'hiver, chauffer un jacuzzi en plein
hiver ou chauffer une piscine. Donc, il y a... il y a une conversation à avoir
sur comment est-ce qu'on va moduler tout ça.
Et enfin, évidemment, ça, c'est une
spécialité du ministre de l'Économie, il se donne beaucoup de prérogatives, il
y a toute une planification de la consommation d'énergie au Québec qui devient,
évidemment, sa responsabilité. Nous, on ne comprend pas pourquoi est-ce qu'il n'y
a pas cette proposition-là déjà sur la table pour qu'on puisse parler du projet
de loi en fonction aussi de ce que ce gouvernement-là envisage. Ça fait six ans
qu'il est au pouvoir, on ne comprend pas trop la logique de se dire, bien, dans
un an et demi ou un an, de ce qu'on a compris du ministre, vous aurez une
planification, pour l'instant, donnez-moi juste tous les pouvoirs pour pouvoir
le faire. Voilà.
Journaliste : Juste pour
préciser, sur ce dernier point, donc, vous auriez voulu que le plan de gestion
énergétique du gouvernement soit enchâssé dans la loi?
M. Bouazzi : Non.
Journaliste : Les objectifs
du gouvernement...
M. Bouazzi : Bien, je pense
que... Je veux dire, rien n'empêche le ministre de nous dire «voici notre
plan», sans que ça soit dans la loi, là. Je veux dire, Hydro-Québec n'avait pas
l'obligation de nous donner un plan d'action. D'ailleurs, le plan d'action, en
tant que tel, ce n'est pas enchâssé dans la loi, contrairement au plan
stratégique, et ils nous ont donné un plan d'action jusqu'à 2035, voire 2050,
pour pouvoir avoir une conversation éclairée.
Là, la conversation... Vous savez, un
jour, il nous dit : On ne veut pas de... on ne veut que du privé dans l'éolienne.
Tout d'un coup, Hydro-Québec fait l'inverse. Hydro-Québec nous dit, en fait, la
semaine dernière, qu'ils ont des craintes face au fait que le privé puisse
vendre au privé parce que ça met à risque leur plan. Il y a quand même ça dans
le projet. Il faudrait... S'ils ont deux visions différentes, entre M. Sabia
et M. Fitzgibbon, ça serait bien d'au moins les avoir toutes les deux sur la
table pour pouvoir trancher dans le débat public.
Journaliste : Sur le principe
de la tarification modulaire, êtes-vous d'accord avec l'idée de... de moduler
les tarifs d'électricité pour tant les commerces que les... que les individus?
M. Bouazzi : Oui, oui, il y a
un vrai débat à avoir. Ce n'est pas... ce n'est pas des questions simples, je
vous avouerais, parce que, nous, ce qu'on veut, c'est que les personnes qui
sont dans la classe moyenne et puis évidemment dans le bas de l'échelle, toutes
celles qui ont du mal à se chauffer de l'hiver, toutes celles qui chauffent
l'extérieur parce qu'elles sont locatrices, et que les propriétaires ne font
pas les travaux pour isoler, celles qui n'ont pas accès à un bon système de
chauffage, tout ça, là, je veux dire, évidemment, il ne faudrait pas que ce
soit eux qui trinquent si les tarifs augmentent, par rapport à d'autres besoins
qui sont beaucoup moins essentiels et qui pourraient effectivement coûter plus
cher. À ce stade, on comprend que c'est au niveau du choix et puis des
propositions et on pense ça va être très, très sain comme conversation. Ce
n'est pas une conversation simple, moi, je vous le dis.
Journaliste : Comment vous
interprétez la façon dont le projet de loi est écrit? C'est-à-dire que le
ministre, en gros, se donne une porte... en fait, ouvre une porte pour que la
régie elle-même ait des réflexions sur la... la modulation tarifaire. Est-ce
que le ministre se démet de ses... de ses fonctions comme ministre? Est-ce
qu'il aurait dû trancher, selon vous, sur... là-dessus?
M. Bouazzi : Bien, on
pense... Ça fait très longtemps qu'on demande un débat. Déjà, on va être
obligés d'avoir enfin ce débat-là. Encore une fois, là, vous savez quand on
nous dit : On découvre qu'on va manquer d'électricité. Je vous dirais,
deux points, là.
D'abord, ça fait quand même longtemps
qu'on sait qu'il va falloir que l'économie soit carboneutre. Pour n'importe qui
qui s'intéresse à la question climatique, c'était zéro sur le radar. 50 %
de l'énergie qu'on consomme, c'est de l'énergie fossile, on la passe
électrique, on va manquer d'électricité, c'était écrit dans le ciel si on s'y
intéressait. Bon. Ils ne s'y sont pas intéressés pendant des années. Une fois qu'ils
sont intéressés, ça serait bien qu'ils nous donnent c'est quoi leur... leur
vision.
Et puis, en fonction de ça, il y a quelque
chose de frappant, là. Ce matin, je vous ai dit qu'une des questions, c'était
le 75 % qui sert à décarboner versus le 25 % qui sert à créer de
l'économie, que Fitzgibbon s'est empressé de donner à des multinationales qui
n'étaient pas là. Aujourd'hui, si vous écoutez le point de presse qu'il a
donné, dans les questions en anglais, il était sûr de lui en disant que
40 % de l'énergie qu'Hydro-Québec allait créer servait à décarboner. Je ne
sais pas si vous vous rendez compte des chiffres dont on parle, là. C'est
40 % de 200 térawattheures, là. Ce n'est pas possible que le ministre
de l'Économie ne sache pas quel pourcentage Hydro-Québec avait prévu pour
décarboner, d'autant plus qu'il revoit ça à la baisse, c'est très, très
inquiétant. Moi, je... je vois qu'il accorde beaucoup plus d'importance,
effectivement, à toutes sortes de deal où les multinationales vont faire de
l'argent avec l'énergie qu'à décarboner; ce qui devrait être une obsession,
sachant toute la catastrophe climatique qui nous attend.
Journaliste : Juste revenir
sur la question que j'ai posée avant parce que ce n'était pas trop clair dans
ma tête. On comprend que le ministre veut partir un débat qui va se conclure
pendant la campagne électorale de 2026. En 2026, Québec solidaire, qu'est ce
que vous allez proposer? Est-ce que vous allez proposer une tarification
modulaire? Est-ce que vous allez proposer une hausse des tarifs? Qu'est-ce que
vous...
M. Bouazzi : Je vais... je
vais vous décevoir, évidemment, je ne suis pas capable de vous dire ce qu'on va
proposer en 2026. Par contre, ce que je peux vous dire, c'est qu'il y a une
analyse de classe à faire. La dernière fois qu'il voulait augmenter de
3 %, 5 %, 2 %, où on a eu un débat, la société civile est venue
au complet pour dire : Donner à la régie la possibilité de le faire. Les
seuls qui n'étaient pas d'accord, c'était le ministre et Hydro-Québec. À un moment,
je pense qu'il faut écouter aussi les gens. Il y a un espace démocratique, la
régie en fait partie, les joueurs sont là : l'industrie, les représentants
des... des citoyens, des consommateurs, les PME, Hydro-Québec, le gouvernement,
tout le monde est autour de la table, ça fait que c'est une bonne manière aussi
d'imaginer.
Là où le bât blesse, là, c'est que, par
exemple, il nous dit : Je vais créer un fonds qui ne sera pas... Donc, ce
n'est... ce n'est pas la responsabilité d'Hydro-Québec, là, ça sera le
gouvernement qui va créer un fonds qui ne va pas lier au fait qu'on bloque les
augmentations à 3 % pour les citoyens. Mais, ce fonds-là, il n'est pas
dans le projet de loi actuellement. Ce genre d'approche fait en sorte que ce
n'est pas les plus pauvres qui vont payer pour la transition énergétique. Ça
fait qu'a priori, on va voir les débats, mais a priori, on est plutôt pour,
parce que la richesse commune, bien, les grandes entreprises y participent,
les... c'est progressif, les personnes qui gagnent plus d'argent y participent
plus que les autres. Donc, c'est un mécanisme qui peut effectivement corriger
des inégalités plutôt qu'augmenter le prix de l'électricité pour les citoyennes
et citoyens. Le problème, c'est qu'il nous dit : Je le fais jusqu'au jour
des élections. Et puis, ensuite, ce n'est pas dans la loi et puis n'importe qui
pourra... pourra l'enlever. Donc, ce n'est pas... ce n'est pas... Disons que,
comme la vision doit aller jusqu'à 2050, faire des plans comme ça sur deux ans
et demi, ce n'est pas sérieux. Mais on va avoir la... le débat pour voir si on
devrait ou pas l'enchâsser mieux dans le projet de loi. On va faire notre
travail législatif avec énormément de rigueur.
Journaliste : Merci.
M. Bouazzi : Merci beaucoup.
(Fin à 15 h 32)