(Treize heures six minutes)
La Modératrice
: Merci
d'être présents à ce point de presse concernant la déréglementation des frais
de scolarité pour les étudiants étrangers. Prendront la parole ce matin le porte-parole
en matière d'éducation supérieure pour la troisième opposition, Gabriel
Nadeau-Dubois ainsi que le porte-parole en matière d'éducation supérieure de la
deuxième opposition, Sylvain Roy, la présidente de l'association générale des
étudiants de l'UQTR, Mme Trottier-Lacombe ainsi que le président de l'Union
étudiante du Québec, M. Guillaume Lecorps.
M. Nadeau-Dubois : Merci.
Bonjour. Ce matin, je suis entouré de représentants et de représentantes
d'associations étudiantes de partout au Québec qui représentent ensemble plus
de 120 000 étudiants et étudiantes. On est ici pour demander au
gouvernement de la Coalition avenir Québec de décréter un moratoire sur
l'implantation de sa déréglementation des frais de scolarité pour les étudiants
et les étudiantes de l'étranger.
C'est une déréglementation qui a été
d'abord implantée par le Parti libéral il y a maintenant plusieurs années dans
six programmes initialement, mais qui va s'étendre dès l'automne à l'ensemble
des programmes du Québec. C'est une décision libérale, donc, qui suit la même
logique que l'augmentation des frais de scolarité de 2012, celle du
désinvestissement de l'État dans les universités du Québec.
Il faut rappeler déjà qu'il y a
30 000 étudiants et étudiantes de l'étranger sur le territoire
québécois et que ces gens-là ensemble investissent près de 1 milliard de
dollars par année dans l'économie du Québec. C'est des étudiants et des
étudiantes qui paient déjà beaucoup plus cher que les étudiants et étudiantes
du Québec : on parle de 15 000 $ à 17 000 $ par année
selon les programmes.
Sauf qu'en permettant aux universités de
faire exploser ces frais de scolarité là, le gouvernement va provoquer une
vague sans précédent de compétition féroce entre les universités au Québec. Les
étudiants, étudiantes de l'étranger vont devenir des vaches à lait, et les
universités vont se lancer les unes contre les autres dans une féroce
compétition pour attirer non pas les meilleurs étudiants mais les étudiants les
plus riches. Et on sait déjà qui va gagner dans cette course effrénée : ce
sont les universités anglophones, surtout McGill, en fait.
Les universités francophones, à Montréal
et en région, vont écoper, surtout celles de région. Pourquoi? Parce que cette
ruée vers l'or, elle est biaisée d'avance. La vérité, c'est qu'au niveau
international les diplômes québécois en français sont déjà parmi les plus chers
au monde, pendant que les diplômes dans les universités anglophones au Québec
sont, eux, parmi les moins chers au monde dans le milieu anglophone. Donc, qui
va remporter la mise si on déréglemente et on permet aux universités de charger
ce qu'elles veulent? Qui va empocher le pactole? Bien, poser la question, c'est
y répondre.
Je veux être clair. La déréglementation des
frais de scolarité pour les étudiants de l'étranger, c'est un cadeau en or pour
McGill, c'est une très mauvaise nouvelle pour les universités francophones,
surtout celles de région. Pour un gouvernement qui se prétend nationaliste,
c'est une contradiction flagrante. Et, au lieu, donc, de pallier au
sous-financement chronique des universités au Québec, le ministre Roberge est
en train de créer un système universitaire à deux vitesses au Québec. Et, au
lieu de continuer de défendre une décision prise par les libéraux, il devrait
l'annuler.
On est même en droit de se demander aujourd'hui
si le gouvernement n'est pas en train de lancer un ballon d'essai pour une
éventuelle modulation des frais de scolarité pour les étudiants et étudiantes
du Québec. On sait d'ailleurs que c'est un des projets soutenus depuis
longtemps par Youri Chassin, son adjoint parlementaire, sur le dossier de
l'enseignement supérieur.
M. Roy
: Merci,
Gabriel. Écoutez, quel est l'enjeu ici, hein? C'est un enjeu extrêmement
important pour la pérennité de la qualité de l'enseignement au niveau
universitaire au Québec, quand on regarde le standard, le double standard qui
pourrait arriver avec la déréglementation. C'est-à-dire que les universités des
régions, comme Gabriel a dit, peuvent écoper parce que leur niveau
d'attractivité pour les étudiants étrangers ne peut pas compétitionner les
universités urbaines. Et la tentation, pour les universités francophones, de
s'orienter vers une offre de programmes anglophones pour aller chercher une
clientèle rentable va être prégnante pour aller chercher du financement.
Donc, première des choses, les universités
des régions vont écoper parce que la clientèle mondiale anglophone, qui est
extrêmement riche, va aller vers les régions urbaines. Deuxième chose, les
programmes francophones, même au niveau des universités urbaines, peuvent
écoper parce que la tentation va être grande d'orienter le budget de
développement de programmes de qualité vers des programmes anglophones, pour
satisfaire une clientèle qui est extrêmement riche.
Une idée, comme ça : si les
universités veulent aller chercher du financement, pourquoi ne pas aller, je
dirais, rechercher des brevets qu'elles ont développés et qu'elles laissent
aller dans le privé? Donc, si les universités veulent avoir des sources de
revenus, il faudrait peut-être réfléchir aussi à ne pas laisser aller des
possibilités financières extraordinaires via les innovations technologiques ou
de toutes sortes qui sont créées dans les universités avec l'argent de l'État,
il faut le dire, mais qui, si souvent, vont être récupérées par le privé et
vont assurer une profitabilité pour le privé.
Donc, nous, on demande un moratoire sur la
déréglementation. On ne veut pas une université à deux vitesses, comme le
système de santé, et on veut qu'il y ait une réflexion de faite sur le
refinancement des universités. Parce que le réseau — prenons le réseau
des universités du Québec — ça a été le fer de lance de la
modernisation de la société québécoise. L'accès à l'éducation, c'est ça qui
nous a sortis de la «grande noirceur». Et là on veut retourner où? Vers une
gentrification de l'accès à l'éducation et une paupérisation des programmes des
universités des régions et des programmes francophones versus les programmes
anglophones? C'est inacceptable, et nous, on demande un moratoire sur la
déréglementation. Merci.
Mme Trottier-Lacombe (Amélie) :
Bonjour à tous. Mon nom est Amélie Trottier-Lacombe. Je suis la présidente de
l'Association générale des étudiants de l'Université du Québec à
Trois-Rivières. L'AGE UQTR représente près de 10 500 étudiants sur le
campus de Trois-Rivières et est le plus grand rassemblement de jeunes de la
Mauricie—Centre-du-Québec.
Aujourd'hui, nous venons à l'Assemblée
nationale avec l'appui de 18 associations représentant un peu plus de
260 000 étudiants d'un peu partout au Québec afin d'interpeller le ministre,
M. Jean-François Roberge, concernant la déréglementation des droits de
scolarité des étudiants internationaux prévue pour l'automne 2019. Nous
croyons que la position du ministre Roberge sur cette question est improvisée
et ne tient pas compte des impacts à moyen et à long terme de cette mesure sur
les universités francophones, et plus particulièrement sur celles des régions.
Pour vous citer un exemple, étant donné
que la déréglementation favorisera à coup sûr les universités anglophones,
est-ce que les administrations universitaires seront tentées d'ouvrir les programmes
exclusivement en anglais afin de recruter plus d'étudiants internationaux? Ou
encore est-ce que cette mesure fera en sorte que les universités seraient
encore plus dépendantes des étudiants internationaux? Ne faudrait-il pas, pour
le ministre Roberge, d'avoir le portrait global de la situation avant d'aller
de l'avant? C'est pour ces raisons que nous demandons au ministre Roberge de
prendre un certain recul, et qu'il prenne de la hauteur par rapport à ce sujet.
Si la CAQ se dit le parti des régions, son
ministre, en l'occurrence, M. Roberge, doit, sans plus attendre, imposer un
moratoire et commander une étude sur l'impact de la déréglementation pour les universités
de région. Je vous remercie.
M.
Lecorps (Guillaume) : Bonjour à toutes et à tous, Guillaume
Lecorps, président de l'Union étudiante du Québec. Depuis l'annonce du gouvernement
libéral, donc, l'ancien gouvernement, de la déréglementation des frais de
scolarité des étudiantes et des étudiants internationaux, en mai 2018, le pouls
qu'on récolte à l'échelle de la province, auprès de nos 88 000 membres
et au sein des associations également avec lesquelles on travaille, il est
clair... il y a des inquiétudes majeures, autant au niveau des institutions universitaires
en région que réellement les étudiantes et les étudiants qui paieront les frais
de cette augmentation drastique ou de la possibilité pour les universités,
donc, de décréter un libre marché pour les frais de scolarité des étudiants
internationaux.
L'Union
étudiante du Québec, donc, on représente plusieurs étudiants et étudiantes de
différentes institutions à travers la province, et c'est pour rapporter leur
pouls qu'on est présents aujourd'hui, et pour rappeler, là, que cette mesure
libérale là, qui sera mise en branle à l'automne mais qui commence déjà à
engendrer une course vers l'effectif étudiant international, au moment où on se
parle, de la part des universités, cette mesure-là, donc, elle est très néfaste
pour nos universités et pour notre système, notamment en région, et on va
faire, en fait, des étudiants internationaux des vaches à lait pour les universités,
spécifiquement anglophones, spécifiquement en grands centres. Et ce qu'on voit,
en fait, c'est le gouvernement libéral qui a concédé et qui a fait des beaux
yeux à McGill, qui demandait la déréglementation depuis belle lurette.
On est présentement
dans une situation où le gouvernement de la Coalition avenir Québec se refuse
d'agir sur cette mesure-là et se refuse d'être réellement ce qu'il prétend, c'est-à-dire
le parti des régions, et de mettre sur pied un moratoire pour justement qu'on
s'assure d'enrayer les effets néfastes ou plutôt de les prévenir de cette
déréglementation-là. Et il semble qu'il y a là un paradoxe qui est assez
frappant et qui peut assez facilement être écarté avec un moratoire ou, comme
le disait ma collègue de Trois-Rivières, une prise d'une certaine hauteur pour
s'assurer de mettre en place des mesures optimales qui correspondent aux
besoins des universités en région, mais également de la population étudiante de
ces régions-là.
On est présentement dans une situation également
où la Coalition avenir Québec, donc, a la chance de réparer des erreurs
majeures qui ont été faites par le gouvernement libéral avant elle et d'enrayer
les incitatifs qui vont être, dans quelques semaines, quelques mois, mises en
place pour nos universités francophones de devenir bilingues. Donc, M. Dubois
y faisait allusion tout à l'heure, on est dans une situation, mondialement
parlant, où les diplômes francophones sont plus élevés que la moyenne, alors
que les diplômes anglophones sont moins élevés, et donc, dans ce scénario-là,
il est évident que des universités qui sont présentement francophones vont être
tentées d'offrir des programmes notamment en anglais pour s'ouvrir à davantage
de financement à même la poche des étudiantes et des étudiants internationaux
qui, rappelons-le, à l'heure où on se parle, paient déjà de cinq à six fois plus
cher que des étudiants québécois pour le même niveau d'éducation.
Donc, évidemment, de notre côté, c'est une
situation qui est intenable, c'est une situation également qui nous semble
intenable de la part du parti qui se dit le parti des régions, et c'est
impératif de voir un moratoire être mis en place de façon très rapide sur la
question de la déréglementation des frais de scolarité des étudiants
internationaux. Merci.
La Modératrice
: Merci,
M. Lecorps. Merci, tout le monde, merci.
(Fin à 13 h 17)