(Douze heures une minute)
La Modératrice : Donc,
bonjour et bienvenue à ce point de presse de Québec solidaire. Prendra la
parole, Christine Labrie, députée de Sherbrooke et porte-parole de Québec
solidaire, Françoise David, ancienne porte-parole de Québec solidaire et
députée de Gouin, Mme Monique Toutant, membre de l'association de la défense
des droits sociaux du Québec métropolitain. On souligne aussi la présence des
groupes qui sont avec nous, le Front commun des personnes assistées du Québec,
Ma Place au travail et le SFPQ. Merci d'être là avec nous aujourd'hui. Mme
Labrie.
Mme Labrie : Merci, Camille.
Bonjour, tout le monde. Demain va s'entamer l'étude détaillée du projet de loi
n° 71 qui vient réformer l'aide sociale, une réforme qui a été annoncée
comme étant à coût nul par la ministre Rouleau. Malheureusement, on ne peut pas
lutter contre la pauvreté à coût nul, puis ce qui était très clair au terme des
consultations, ce que tout le monde est venu nous dire, c'est à quel point la
pauvreté elle-même devient un obstacle à la réinsertion et au retour sur le
marché du travail. C'est un cercle vicieux qu'il faut briser. Moi, ce que j'ai
entendu, c'est une succession de groupes qui venaient plaider pour
l'élargissement de l'accès au revenu de base et pour qu'on reconnaisse les
réalités de vie des personnes qui sont dans des situations de précarité.
Donc, on a des demandes très claires à
formuler à la ministre Rouleau aujourd'hui. On lui demande de venir protéger
les personnes qui ont actuellement la reconnaissance d'une contrainte à
l'emploi. Je pense, par exemple aux personnes qui ont un enfant en bas âge, aux
proches aidants, aux personnes victimes de violence conjugale. Donc, ce sont
des personnes qui, en ce moment, dans le projet de loi, perdent la
reconnaissance d'une contrainte temporaire à l'emploi, alors que ces personnes-là,
réalistement, ne sont pas en mesure de travailler.
On lui demande également de se ranger
derrière le consensus qui se dégage pour l'élargissement du programme de revenu
de base. C'est un programme qui a fait ses preuves pour sortir les gens de la
pauvreté, qui permet aux gens d'être traités de manière plus humaine, plus
digne, qui leur permet notamment de garder des revenus de travail quand ils
sont en mesure de recommencer à travailler, notamment à temps partiel.
Donc, c'est ce qu'on lui demande
aujourd'hui. On espère qu'elle pourra avoir l'appui du ministre des Finances
parce que ça ne sera pas possible d'atteindre son objectif de diminuer la
pauvreté sans avoir des investissements pour y arriver.
Donc, voilà, je cède la parole à mes
collègues.
Mme Toutant (Monique) : Alors,
bonjour, tout le monde. Je m'appelle Monique Toutant. Je suis militante à
l'Association pour la défense des droits sociaux, Québec métropolitain. À
l'association, on trouve ça terrible que la ministre des Finances fasse sa
réforme sur le dos des personnes de 55 ans et plus et des familles
monoparentales. La contrainte sévère à l'emploi disparaîtra progressivement
pour ces deux groupes. C'est ça qui fait... qui lui fait permettre de faire ces
annonces. La ministre voit des colonnes de chiffres, mais nous, on voit que des
personnes... qui vont perdre de l'argent sur des prestations déjà trop basses.
Je vais vous lire ici un témoignage d'une
personne qui milite à l'association avec moi, puis qu'elle, elle a vécu cette
contrainte temporaire. Je travaillais dans une usine de couture jusqu'à ce
qu'il y ait un licenciement massif. Je voulais continuer de travailler mais en
raison de mes blessures et de mon âge, c'était difficile de trouver un nouvel
emploi. En 2013, je pensais recevoir la prestation de contrainte sévère à l'âge
de 55 ans. Cependant, la ministre de l'Emploi et de la Solidarité de
l'époque, Mme Agnès Maltais, a décidé de repousser la contrainte de
55 ans à 58 ans, une décision bien... basée sur les préjugés. J'ai donc
eu le petit chèque pour trois ans supplémentaires. Ce changement m'a poussé
dans une pauvreté plus extrême pendant trois ans pour rien. La ministre.... Les
ministres... Voyons! Excusez-moi. Pour les ministres, attendre 3 ans, ce
n'est rien. Moi, je devais... je devais courir après les spéciaux pour manger.
Si je n'avais pas eu un logement social, j'aurais été dans la rue. La ministre
considère uniquement les problèmes de santé comme étant une justification
pour... voyons, pour ne pas avoir d'emploi. C'est faux. En plus, il faut de
plus en plus être diplômé, et, si tu ne comprends pas les nouvelles
technologies, bien, alors tu peux oublier tout ça. C'est écœurant de voir
qu'ils financent leur réforme comme ça. C'est ça que... ce qu'elle a vécu,
elle.
En ce moment, le... du Front commun des
personnes assistées sociales du Québec sont mobilisés devant l'Assemblée
nationale et partout à travers le Québec. On ne demande pas le ciel, juste
pouvoir couvrir ses besoins essentiels. Le gouvernement du Québec devrait au
moins donner la mesure du panier de consommation à toutes les personnes
assistées sociales.
Mme David (Françoise) : Bonjour.
Si je suis ici aujourd'hui, c'est comme une femme, une militante qui a passé
40 ans de sa vie, donc ça fait un bout, à se battre contre les multiples
réformes à la sécurité du revenu, parce qu'il y en a eu plusieurs à partir des
années 80. Le constat que je fais, et pour moi, il est clair, c'est que de
réforme en réforme ont appauvri les personnes assistées sociales.
Il y a eu parfois des façons, et la
ministre Rouleau le dit en ce moment, d'humaniser certains aspects de la
réforme, je veux bien, mais concrètement, là, à la base, on a appauvri des
gens, on a enlevé des prestations, par exemple, à une certaine époque, pour des
gens qui attendaient des programmes puis qui n'avaient pas de place sur les
programmes, ça fait que là on a enlevé 50 $, alors que ces gens-là
l'avaient avant.
Là, on veut couper maintenant des gens qui
ont la fameuse prestation temporaire à l'emploi pour les personnes de
58 ans et plus et pour les mères de jeunes enfants. Il n'y a aucun
argumentaire pour expliquer ça, sauf faire une réforme à coût nul. Alors, on va
permettre à des personnes nouvellement prestataires qui reviennent à l'aide
sociale pour la deuxième fois d'avoir accès à un programme qui s'appelle
Objectif Emploi, où on peut avoir de l'aide pour retourner à l'emploi.
D'ailleurs, si on refuse, on est pénalisé, c'est-à-dire qu'on perd une partie
de notre prestation de base. Mais pour rouvrir ce programme, on coupe des gens.
Mais là, moi, je veux juste dire que,
40 ans plus tard, on est devant une situation qui n'a plus aucun sens,
aucun sens. Soyons clairs, ça ne sera pas long de vous l'expliquer : une
personne assistée sociale qui a le revenu le plus bas, là, parce qu'elle n'est
pas dans un programme, parce qu'elle n'a pas de contraintes sévères à l'emploi,
etc., elle a, si on compte sa prestation de base plus remboursement TPS, plus
crédit de solidarité, 937 $ par mois. C'est ça, là, le montant. Il y a
125 000 personnes au Québec qui ont ce montant-là. Vous savez combien
ça coûte un logement maintenant. 937 $, je ne suis même pas sûre que
quelqu'un peut trouver juste un logement avec juste une chambre, quel que soit
l'endroit au Québec. Alors, vous faites comment après, le reste du mois, pour
payer votre nourriture, votre habillement, votre transport, qui sont des
besoins considérés comme des besoins de base? Vous ne pouvez pas. Et là on
s'étonne qu'un certain nombre de personnes se retrouvent à la rue. L'itinérance
augmente. Et, de l'aveu même des groupes qui s'occupent des personnes
itinérantes, il n'y a pas que des personnes qui ont des problèmes de santé
physique, de santé mentale, il y a maintenant des personnes qui ne peuvent tout
simplement plus se loger.
Alors là, on a le choix : ou bien on
continue dans cette direction, et mon opinion, c'est qu'on est très, très loin
de respecter la dignité des personnes les plus pauvres du Québec et on crée un
fossé grandissant entre personnes très riches parce qu'il y en a et personnes
très, très pauvres, ou alors on prend le taureau par les cornes. Le
gouvernement du Québec, quand il a un projet en tête, là, il le sait où aller
chercher l'argent. J'ai deux ou trois suggestions à lui faire d'ailleurs.
Et oui, on peut améliorer
substantiellement la vie quotidienne des plus pauvres. C'est le pacte moral
qu'on s'était donné avec la Révolution tranquille : avoir un Québec plus
éduqué, avec une meilleure santé et plus égalitaire. Je considère que le pacte
moral, il est maintenant brisé.
La Modératrice : On va passer
à la période de questions. Merci de vous nommer, c'est à qui s'adresse votre
question.
Journaliste : Oui. Bonjour,
Isabelle Porter, du Devoir. Ce qu'on comprend de la réforme, dans le
fond, c'est que les coupes, là, pour les contraintes temporaires à l'emploi
vont permettre de financer des nouvelles ressources pour davantage prendre en
compte les aspects psychosociaux qui freinent l'accessibilité à l'emploi, là,
de certaines personnes sur l'aide sociale. La logique, c'est de dire :
Bien, si on veut davantage tenir compte des psychosociaux, il faut qu'on coupe
ailleurs. Qu'est-ce qui devrait être priorisé? La prise en compte des aspects
psychosociaux ou les catégories de contraintes temporaires? J'espère que vous
me suivez, là. Parce que c'est un peu ça la question qui est posée. Puis je
voudrais souligner que, quand même, en commission parlementaire, il y a des
groupes comme les carrefours jeunesse-emploi qui ont donné leur appui à cette
optique-là. Donc, qu'est-ce que vous diriez, par exemple, au Carrefour qui, lui,
souhaite qu'on reconnaisse davantage la dimension psychosociale?
Mme Labrie : Tout le monde
souhaite qu'on reconnaisse davantage les contraintes de nature psychosociale ou
environnementale, j'irais même jusqu'à dire des personnes qui sont en situation
de précarité, là. Ça, là, il y a... je suis 100 % d'accord avec ça, moi
aussi, c'est justement le point le plus positif de ce projet de loi là. Donc,
on l'accueille positivement. Il faut le faire. Mais, j'aurais le goût de vous
dire, être victime de violence conjugale ou être parent d'un enfant handicapé
ou être victime du fait qu'il n'y a pas de place en service de garde puis s'être
appauvri jusqu'au point d'être sur l'aide sociale parce qu'on a un enfant d'âge
préscolaire puis qu'on n'a pas de place en service de garde, pour moi, c'est
une contrainte psychosociale, O.K.? Donc, on n'a pas à choisir entre ces deux
choses-là. On a une situation dans laquelle, au Québec, il y a des gens qui
sont dans des situations de précarité financière. Et là tous les gouvernements
successifs, depuis des décennies, depuis que ça existe, ce filet social là, ont
toujours voulu les ramener sur le marché du travail et... et en disant... c'est
ça qui allait les sortir de la pauvreté, finalement.
Moi, ce que j'ai vu pendant les auditions
de ce projet de loi là, c'est une série d'acteurs venir nous dire que ce n'est
pas possible, de les sortir de la pauvreté, parce qu'ils sont trop pauvres. À
un certain point, le niveau de pauvreté dans laquelle on place ces gens-là
devient un empêchement de retourner sur le marché du travail. Quand vous n'avez
tellement pas d'argent après avoir payé votre loyer, là, que vous devez
traverser la ville des fois à pied, parce que vous n'êtes pas capable de payer
l'autobus, pour aller chercher votre panier d'aide alimentaire, là, ça se peut,
que vous n'ayez pas le temps de chercher une job, ou d'occuper un emploi, ou
même de participer au programme de réinsertion en emploi. C'est ça, la réalité.
Donc, ce qu'on dit à la ministre, c'est,
si elle veut sortir les gens de la pauvreté, et je la crois qu'elle veut le
faire, si elle veut même leur permettre de retourner travailler, et c'est ce
que les gens veulent réussir à faire aussi, qu'elle les laisse respirer et
sortir la tête de l'eau en s'assurant que ces gens-là ne sont pas en mode
survie. Et les choix qu'elle fait en ce moment, même si elle vient... elle va
faciliter les choses en reconnaissant une contrainte psychosociale pour
certaines personnes, ces gens-là, la prestation qu'il va avoir... qu'ils vont
recevoir, là, va quand même les placer dans une précarité extrême, qui est un
cercle vicieux, qui ne les aidera pas à sortir de la pauvreté.
Journaliste : Bien, juste...
Mme Labrie : C'est une longue
réponse, là, mais c'est parce que c'est quand même complexe.
Journaliste : Non, mais c'est
ça, c'est technique, mais juste une précision. Si j'ai bien compris, dans le
fond, la ministre, elle s'est... pour les différentes causes de contraintes
temporaires, elle s'était engagée à ce que toutes les contraintes temporaires,
la plupart d'entre elles, elles soient redonnées via un règlement, qui va être
publié plus tard. Mais il y a deux catégories pour lesquelles elle ne garantit
pas que ça va être donné ultérieurement, c'est les personnes de 58 et plus puis
les gens qui ont des enfants, les parents monoparentaux. En quoi est-ce que le
fait d'avoir 58 ans et plus est une contrainte temporaire à l'emploi?
Mme Labrie : Vous posez une
bonne question, mais le fait est que, statistiquement, là, on les connaît, là,
les personnes qui sont sur l'aide sociale actuellement, puis, quand ils sont
sur l'aide sociale encore à cet âge-là, leur situation personnelle fait qu'ils
sont beaucoup plus éloignés, là, du marché du travail que n'importe quelle
autre personne qui a 58 ans puis qui n'est pas sur l'aide sociale. Donc,
quand la ministre dit : Avoir 58 ans, en soi, ce n'est pas une
contrainte à travailler, c'est vrai pour quelqu'un qui n'a pas été plongé dans
un état de précarité extrême, comme la personne qui se retrouve sur l'aide
sociale. Donc, c'est ça, la situation dans laquelle on se trouve, là. On a ces
gens-là qui, en ce moment, sont prestataires et sont plongés dans une précarité
extrême qui est... ce n'est pas vrai qu'ils sont en mesure de retourner
travailler, là, en ce moment. Donc, elle va leur enlever la reconnaissance
d'une contrainte temporaire qu'ils avaient jusqu'à ce que la loi entre
éventuellement en vigueur. Ces gens-là ne vont pas être plus capables d'aller
travailler qu'avant, là. C'est ça, la situation.
Journaliste : O.K. Merci.
Mme Toutant (Monique) : Est-ce
que je peux juste... une petite affaire?
Mme Labrie : Oui, allez-y.
Bien sûr, allez-y, oui.
Mme Toutant (Monique) : Bien,
c'est que ce qui arrive aussi, c'est que les personnes qui ont 58 ans,
souvent, parfois, à la longue, à force d'avoir essayé de survivre, tombent
malades puis sont... ont des maladies, ont des problématiques, puis c'est...
souvent ils... c'est des personnes qui se retrouvent aussi avec aucun médecin.
Bon, on le sait, qu'il y a beaucoup de personnes qui sont patients orphelins.
Ces personnes-là vont se retrouver avec des problématiques d'essayer d'avoir
une contrainte temporaire parce qu'ils n'auront pas de médecin de famille ou
des choses comme ça.
Mme Labrie : Ce que vous
venez de dire, c'est très important, puis je vais insister là-dessus, là. Il y
a des gens qui développent des problèmes de santé physique ou mentale des
conséquences de la pauvreté dans laquelle on les a plongés. On a quelqu'un qui
est venu témoigner de ça en commission parlementaire l'autre jour, à quel point
c'est... c'est ça qui avait causé un trauma tellement grand dans sa vie,
finalement, que c'était pire que la violence conjugale qu'elle avait fuie.
L'effet sur son corps, elle avait développé des problèmes neurologiques à force
de vivre dans une extrême précarité comme ça, en mode survie, et ça, ça
l'empêchait d'occuper un emploi de manière durable. C'est ça, la situation
qu'on vit en ce moment. Et c'est pour ça qu'on lui demande de briser le cercle
vicieux de la pauvreté qui est entretenu, là, gouvernement après gouvernement,
peu importe le parti politique.
Journaliste : Je ne connais
pas les technicalités comme Isabelle, Mme Labrie, mais quand vous parlez de
réforme à coût nul dans le contexte où le gouvernement parle de redressement
budgétaire, êtes-vous capable quand même de chiffrer vos demandes pour ceci?
Mme Labrie : On n'a pas
chiffré la demande, mais il y a une chose qui est certaine, c'est que ça a
aussi un coût social très très, très important de maintenir les gens dans une
pauvreté extrême. Françoise David a fait référence à l'itinérance, ça a un coût
social majeur, là, la crise de l'itinérance. En ce moment, on le vit partout à
travers le Québec. Mes collègues ont proposé un sommet pour discuter de la
situation à Montréal. Mais ce n'est pas seulement à Montréal qu'il y a
d'itinérance, c'est rendu partout à travers le Québec, même dans des milieux
très ruraux, pas seulement dans les centres urbains, même les plus petits.
Donc, ça, c'est une conséquence sociale importante qui représente des coûts
aussi pour la société. On ne parle même pas des coûts sur le système de santé,
de tous les gens qu'on perd dans le système d'éducation, parce que ces
enfants-là sont dans un milieu familial trop précaire, ça nuit à leur réussite
scolaire.
Ça fait que les coûts sociaux de maintenir
des gens dans la pauvreté, ils sont énormes, et on paie très cher le fait
d'essayer d'économiser sur l'aide qu'on leur apporte pendant qu'ils sont dans
une situation de précarité. Moi, je suis convaincue que, si on l'essayait, pour
la première fois depuis l'histoire de l'existence de ce programme-là, de donner
un montant aux personnes qui sont dans une situation de vulnérabilité, qui leur
permet de sortir la tête de l'eau, ils resteraient bien moins longtemps sur
l'aide sociale. Puis ils pourraient retrouver une façon de retourner sur le
marché du travail, par exemple.
Journaliste : C'est quoi, ce
montant-là? Mme David parlait de 937 $ en 2024. Là où on est avec
l'inflation, c'est quoi, un montant acceptable?
Mme Labrie : Bien, ici, il a
été nommé la mesure du panier de consommation. En fait, ce que ça coûte vivre,
c'est ce qu'il faudrait viser comme prestations pour s'assurer que les
personnes qu'on aide, qui sont dans les derniers retranchements de notre filet
social, ne sont pas constamment en mode survie. C'est une job à temps plein,
être pauvre, là. C'est ça que c'est dans la vie en ce moment, là ces gens-là,
ils n'ont pas les moyens d'avoir une voiture. Ils sont là à essayer de se
débrouiller avec le transport en commun pour aller dans la banque alimentaire
au bout de la ville puis, des fois, ça ne arche pas. Moi, j'en ai fait du
bénévolat dans la banque alimentaire chez nous, à Moisson Estrie. J'ai vu des
gens ne pas prendre des légumes qui étaient trop lourds. Les patates, c'était
trop lourd, parce qu'ils revenaient à pied, puis qu'il y avait des kilomètres à
faire. C'est ça, la situation de précarité que les gens vivent en ce moment.
Mme David (Françoise) : J'aimerais
ajouter quelque chose, parce que, bon, j'ai publié... enfin, ce n'est pas moi
qui ai publié, un journal a publié, il y a deux jours, un texte que j'avais
écrit. J'ai beaucoup travaillé à la préparation de ce texte-là et je suis allée
un peu dans les chiffres, effectivement. Il y a juste à lire les mémoires
présentés il y a deux semaines, là, par toutes sortes de groupes, pour avoir
des chiffres intéressants, entre autres, et ça corrobore ce que Mme Labrie
vient de dire, la Direction de la santé publique du Québec estime que le quart
des coûts relatifs à la santé des Québécoises et des Québécois ont un lien avec
la pauvreté, le quart des coûts. Mais ça, on le sait, pour les personnes comme
plusieurs ici, comme moi aussi, à une certaine période, qui ont travaillé dans
des quartiers pauvres, des quartiers défavorisés, il n'y avait qu'à voir les
gens avec qui on travaillait pour comprendre à quel point leur santé était
effectivement précaire à cause de la pauvreté.
Par exemple, comment l'anxiété joue un
rôle tellement important chez, par exemple, beaucoup de femmes que je
rencontrais et pour qui la question existentielle était : Comment je vais
nourrir mes enfants? Ça, ça finissait par créer de tels problèmes que toutes
ces femmes-là se faisaient prescrire des médicaments pour pouvoir dormir ou des
antidépresseurs. Ça coûte aussi de l'argent à l'État. Tu sais, si on veut
vraiment se poser des questions en termes économiques, là, la pauvreté, ça
coûte cher à l'État, mais pas à cause des montants... en fait, oui, à cause des
montants qu'on donne ou à cause de ce qu'on ne donne pas, à cause de ce qu'on
ne permet pas aux gens. La mesure du panier de consommation, c'est-à-dire les
demandes des groupes, là, c'est 24 000 $ par année. C'est ce que
Statistique Canada estime, pour le Québec, devoir verser à une personne seule,
juste là, pas pour faire des folies, là, logement, alimentation, vêtements,
transport. C'est tout, 24 000, bon.
Est-ce que, du jour au lendemain, le
gouvernement du Québec va aller là? Vous savez, nous savons que non. Est-ce
qu'il pourrait, par contre, agir en faisant un pas important dès cette année,
prochain budget, mettons? Je ne sais pas, moi, je fais une hypothèse. La seule augmentation
de 200 $ des prestations de base coûterait autour de 400 millions par
année. Ce n'est pas mon calcul, là. C'est le calcul de gens spécialisés dans
ces questions-là. Alors, la question qui tue : Est-ce que ça vaut la peine
que l'État québécois débourse 400 millions de dollars additionnels à
la lutte à la pauvreté? Moi, je ne représente que moi ici, là, moi, je
dis : Oui. Oui, oui, oui. Pourquoi? Parce qu'on va éviter plein de
problèmes que Christine Labrie vient de mentionner et que Monique a mentionnés
aussi. Et savez-vous quoi? Parce que l'État québécois a les moyens de le faire.
On ne se rappellera pas tout ce qu'on paie comme État québécois, là, dans la
dernière année, là, puis il y a un petit peu d'argent qu'on a l'impression qui
est jeté par les fenêtres, là. 400 millions, là, juste ça, là, comme un
commencement, là, pour aider des gens, juste, tu sais, à mettre la tête en
dehors de l'eau. Moi, je ne trouve pas que c'est si cher payé, opinion très
personnelle, mais que je vais défendre jusqu'à ma mort.
Journaliste : Moi, je dirais
peut-être un complément. Juste une clarification par rapport à vos
revendications, puis je voudrais revenir sur ce que vous venez de dire après.
Tout à l'heure, vous avez parlé d'élargir l'accès au revenu de base, mais vous
avez aussi parlé d'annuler la coupe dans les contraintes temporaires à
l'emploi. C'est parce que si on élargit le revenu de base jusqu'au bout, à la
limite, il n'y en a plus de gens, là, qui ont des contraintes temporaires à
l'emploi. Donc, c'est quoi exactement... qu'est-ce que vous demandez? Est-ce
que vous demandez l'élargissement du revenu de base à tout le monde ou est-ce
que vous demandez, dans un premier temps, qu'on annule la coupe, là, dans la
contrainte temporaire à l'emploi?
Mme Labrie : C'est une
excellente question. Moi, ce que j'ai entendu en commission parlementaire,
c'est énormément de groupes qui demandaient l'élargissement à tout le monde,
effectivement, de l'accès au revenu de base. Ça fait une couple d'années que je
suis ici. J'ai des attentes modérées par rapport à notre capacité d'aller
chercher ce gain-là, quoique je le souhaite et que je pense que c'est ce qui
est le plus souhaitable.
Journaliste : Donc, la
demande précise, c'est...
Mme Labrie : Bien, on demande
effectivement de sécuriser, là, la reconnaissance d'une contrainte pour les
personnes que j'ai mentionnée plus tôt. Et puis tout élargissement au programme
de revenu de base est le bienvenu. Dans un monde idéal, on élargit à tous, mais
tout élargissement et toute accélération, je dirais, de l'accès au programme de
revenu de base va être la bienvenue également.
Journaliste : Puis je reviens
avec l'intervention de Mme David, je ne sais pas si vous avez vu ça
passer, mais il y a une analyse qui est sortie de l'observatoire sur les
inégalités qui montre que, pour ce qui est du soutien donné aux personnes
seules, le Québec et le Canada se classent moins bien que la moyenne des pays
de l'OCDE. Donc, finalement, les personnes qui ont des enfants qui sont sur
l'aide sociale s'en tirent relativement bien, mais les personnes seules écopent
davantage. Est-ce que vous pensez que, dans un éventuel réinvestissement en
aide sociale, on devrait prioriser les personnes seules?
Mme David (Françoise) : Moi,
je pense qu'il faut regarder quel est le revenu de base pour les personnes
seules. Quel est le revenu de base? Ça, honnêtement, je vais vous le dire, je
ne l'ai pas fait pour les familles. Je laisse aux spécialistes, ici, il y en a
pas mal, de la question, le soin de voir comment tout ça peut se harnacher,
s'harmoniser. Mais la seule chose que je peux dire, que je sais, puis celle-là,
je la sais, là, c'est qu'il y a 125 000 personnes à l'aide sociale en
ce moment qui ont 937 $ par mois, 937 $ par mois pour vivre. Ça, je
sais ça. Et je sais que c'est inadmissible.
Journaliste : Ça, c'est les
personnes seules.
Mme David (Françoise) : Oui.
Journaliste
: Merci.
Mme Labrie : Je pense
que Marylin, malgré le travail, vous complétez...
Mme Dion (Marylin) : Oui.
Bien, en fait, je voulais simplement dire que bien, on le sait, les faits sont
là, il manque 34 000 places et plus en garderies, en services de
garde éducatifs à l'enfance. Présentement, les parents qui n'ont pas de places
en services de garde éducatifs se retrouvent sans aucun recours financier. Leur
dernier recours, c'est l'aide sociale. Et puis là, de penser qu'avec un enfant
qui est avec nous, on va se priver du 161 $ d'allocation supplémentaire,
ce qui est un maigre revenu pour s'occuper d'un enfant, on s'entend, pendant un
mois, là, ce supplément-là, pour nous, c'est comme... Non seulement c'est...
Non seulement c'est déplorable qu'il n'y ait pas de soutien financier plus
significatif pour ces familles-là, mais de penser qu'en plus on va couper pour
eux, c'est un non-sens, et on espère vraiment que ce sera reconsidéré parce
qu'il faut aider ces familles-là. Ce n'est pas de leur faute si un manque
d'investissement dans les services de garde éducatifs à l'enfance fait en sorte
qu'ils ne trouvent pas de place en garderie, finalement. Merci.
La Modératrice : Merci, tout
le monde.
(Fin à 12 h 26)