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Point de presse de Mme Christine Labrie, porte-parole du deuxième groupe d’opposition en matière de solidarité sociale et d’action communautaire

Version finale

Wednesday, October 23, 2024, 12 h

Hall principal de l'hôtel du Parlement, hôtel du Parlement

(Douze heures une minute)

La Modératrice : Donc, bonjour et bienvenue à ce point de presse de Québec solidaire. Prendra la parole, Christine Labrie, députée de Sherbrooke et porte-parole de Québec solidaire, Françoise David, ancienne porte-parole de Québec solidaire et députée de Gouin, Mme Monique Toutant, membre de l'association de la défense des droits sociaux du Québec métropolitain. On souligne aussi la présence des groupes qui sont avec nous, le Front commun des personnes assistées du Québec, Ma Place au travail et le SFPQ. Merci d'être là avec nous aujourd'hui. Mme Labrie.

Mme Labrie : Merci, Camille. Bonjour, tout le monde. Demain va s'entamer l'étude détaillée du projet de loi n° 71 qui vient réformer l'aide sociale, une réforme qui a été annoncée comme étant à coût nul par la ministre Rouleau. Malheureusement, on ne peut pas lutter contre la pauvreté à coût nul, puis ce qui était très clair au terme des consultations, ce que tout le monde est venu nous dire, c'est à quel point la pauvreté elle-même devient un obstacle à la réinsertion et au retour sur le marché du travail. C'est un cercle vicieux qu'il faut briser. Moi, ce que j'ai entendu, c'est une succession de groupes qui venaient plaider pour l'élargissement de l'accès au revenu de base et pour qu'on reconnaisse les réalités de vie des personnes qui sont dans des situations de précarité.

Donc, on a des demandes très claires à formuler à la ministre Rouleau aujourd'hui. On lui demande de venir protéger les personnes qui ont actuellement la reconnaissance d'une contrainte à l'emploi. Je pense, par exemple aux personnes qui ont un enfant en bas âge, aux proches aidants, aux personnes victimes de violence conjugale. Donc, ce sont des personnes qui, en ce moment, dans le projet de loi, perdent la reconnaissance d'une contrainte temporaire à l'emploi, alors que ces personnes-là, réalistement, ne sont pas en mesure de travailler.

On lui demande également de se ranger derrière le consensus qui se dégage pour l'élargissement du programme de revenu de base. C'est un programme qui a fait ses preuves pour sortir les gens de la pauvreté, qui permet aux gens d'être traités de manière plus humaine, plus digne, qui leur permet notamment de garder des revenus de travail quand ils sont en mesure de recommencer à travailler, notamment à temps partiel.

Donc, c'est ce qu'on lui demande aujourd'hui. On espère qu'elle pourra avoir l'appui du ministre des Finances parce que ça ne sera pas possible d'atteindre son objectif de diminuer la pauvreté sans avoir des investissements pour y arriver.

Donc, voilà, je cède la parole à mes collègues.

Mme Toutant (Monique) : Alors, bonjour, tout le monde. Je m'appelle Monique Toutant. Je suis militante à l'Association pour la défense des droits sociaux, Québec métropolitain. À l'association, on trouve ça terrible que la ministre des Finances fasse sa réforme sur le dos des personnes de 55 ans et plus et des familles monoparentales. La contrainte sévère à l'emploi disparaîtra progressivement pour ces deux groupes. C'est ça qui fait... qui lui fait permettre de faire ces annonces. La ministre voit des colonnes de chiffres, mais nous, on voit que des personnes... qui vont perdre de l'argent sur des prestations déjà trop basses.

Je vais vous lire ici un témoignage d'une personne qui milite à l'association avec moi, puis qu'elle, elle a vécu cette contrainte temporaire. Je travaillais dans une usine de couture jusqu'à ce qu'il y ait un licenciement massif. Je voulais continuer de travailler mais en raison de mes blessures et de mon âge, c'était difficile de trouver un nouvel emploi. En 2013, je pensais recevoir la prestation de contrainte sévère à l'âge de 55 ans. Cependant, la ministre de l'Emploi et de la Solidarité de l'époque, Mme Agnès Maltais, a décidé de repousser la contrainte de 55 ans à 58 ans, une décision bien... basée sur les préjugés. J'ai donc eu le petit chèque pour trois ans supplémentaires. Ce changement m'a poussé dans une pauvreté plus extrême pendant trois ans pour rien. La ministre.... Les ministres... Voyons! Excusez-moi. Pour les ministres, attendre 3 ans, ce n'est rien. Moi, je devais... je devais courir après les spéciaux pour manger. Si je n'avais pas eu un logement social, j'aurais été dans la rue. La ministre considère uniquement les problèmes de santé comme étant une justification pour... voyons, pour ne pas avoir d'emploi. C'est faux. En plus, il faut de plus en plus être diplômé, et, si tu ne comprends pas les nouvelles technologies, bien, alors tu peux oublier tout ça. C'est écœurant de voir qu'ils financent leur réforme comme ça. C'est ça que... ce qu'elle a vécu, elle.

En ce moment, le... du Front commun des personnes assistées sociales du Québec sont mobilisés devant l'Assemblée nationale et partout à travers le Québec. On ne demande pas le ciel, juste pouvoir couvrir ses besoins essentiels. Le gouvernement du Québec devrait au moins donner la mesure du panier de consommation à toutes les personnes assistées sociales.

Mme David (Françoise) : Bonjour. Si je suis ici aujourd'hui, c'est comme une femme, une militante qui a passé 40 ans de sa vie, donc ça fait un bout, à se battre contre les multiples réformes à la sécurité du revenu, parce qu'il y en a eu plusieurs à partir des années 80. Le constat que je fais, et pour moi, il est clair, c'est que de réforme en réforme ont appauvri les personnes assistées sociales.

Il y a eu parfois des façons, et la ministre Rouleau le dit en ce moment, d'humaniser certains aspects de la réforme, je veux bien, mais concrètement, là, à la base, on a appauvri des gens, on a enlevé des prestations, par exemple, à une certaine époque, pour des gens qui attendaient des programmes puis qui n'avaient pas de place sur les programmes, ça fait que là on a enlevé 50 $, alors que ces gens-là l'avaient avant.

Là, on veut couper maintenant des gens qui ont la fameuse prestation temporaire à l'emploi pour les personnes de 58 ans et plus et pour les mères de jeunes enfants. Il n'y a aucun argumentaire pour expliquer ça, sauf faire une réforme à coût nul. Alors, on va permettre à des personnes nouvellement prestataires qui reviennent à l'aide sociale pour la deuxième fois d'avoir accès à un programme qui s'appelle Objectif Emploi, où on peut avoir de l'aide pour retourner à l'emploi. D'ailleurs, si on refuse, on est pénalisé, c'est-à-dire qu'on perd une partie de notre prestation de base. Mais pour rouvrir ce programme, on coupe des gens.

Mais là, moi, je veux juste dire que, 40 ans plus tard, on est devant une situation qui n'a plus aucun sens, aucun sens. Soyons clairs, ça ne sera pas long de vous l'expliquer : une personne assistée sociale qui a le revenu le plus bas, là, parce qu'elle n'est pas dans un programme, parce qu'elle n'a pas de contraintes sévères à l'emploi, etc., elle a, si on compte sa prestation de base plus remboursement TPS, plus crédit de solidarité, 937 $ par mois. C'est ça, là, le montant. Il y a 125 000 personnes au Québec qui ont ce montant-là. Vous savez combien ça coûte un logement maintenant. 937 $, je ne suis même pas sûre que quelqu'un peut trouver juste un logement avec juste une chambre, quel que soit l'endroit au Québec. Alors, vous faites comment après, le reste du mois, pour payer votre nourriture, votre habillement, votre transport, qui sont des besoins considérés comme des besoins de base? Vous ne pouvez pas. Et là on s'étonne qu'un certain nombre de personnes se retrouvent à la rue. L'itinérance augmente. Et, de l'aveu même des groupes qui s'occupent des personnes itinérantes, il n'y a pas que des personnes qui ont des problèmes de santé physique, de santé mentale, il y a maintenant des personnes qui ne peuvent tout simplement plus se loger.

Alors là, on a le choix : ou bien on continue dans cette direction, et mon opinion, c'est qu'on est très, très loin de respecter la dignité des personnes les plus pauvres du Québec et on crée un fossé grandissant entre personnes très riches parce qu'il y en a et personnes très, très pauvres, ou alors on prend le taureau par les cornes. Le gouvernement du Québec, quand il a un projet en tête, là, il le sait où aller chercher l'argent. J'ai deux ou trois suggestions à lui faire d'ailleurs.

Et oui, on peut améliorer substantiellement la vie quotidienne des plus pauvres. C'est le pacte moral qu'on s'était donné avec la Révolution tranquille : avoir un Québec plus éduqué, avec une meilleure santé et plus égalitaire. Je considère que le pacte moral, il est maintenant brisé.

La Modératrice : On va passer à la période de questions. Merci de vous nommer, c'est à qui s'adresse votre question.

Journaliste : Oui. Bonjour, Isabelle Porter, du Devoir. Ce qu'on comprend de la réforme, dans le fond, c'est que les coupes, là, pour les contraintes temporaires à l'emploi vont permettre de financer des nouvelles ressources pour davantage prendre en compte les aspects psychosociaux qui freinent l'accessibilité à l'emploi, là, de certaines personnes sur l'aide sociale. La logique, c'est de dire : Bien, si on veut davantage tenir compte des psychosociaux, il faut qu'on coupe ailleurs. Qu'est-ce qui devrait être priorisé? La prise en compte des aspects psychosociaux ou les catégories de contraintes temporaires? J'espère que vous me suivez, là. Parce que c'est un peu ça la question qui est posée. Puis je voudrais souligner que, quand même, en commission parlementaire, il y a des groupes comme les carrefours jeunesse-emploi qui ont donné leur appui à cette optique-là. Donc, qu'est-ce que vous diriez, par exemple, au Carrefour qui, lui, souhaite qu'on reconnaisse davantage la dimension psychosociale?

Mme Labrie : Tout le monde souhaite qu'on reconnaisse davantage les contraintes de nature psychosociale ou environnementale, j'irais même jusqu'à dire des personnes qui sont en situation de précarité, là. Ça, là, il y a... je suis 100 % d'accord avec ça, moi aussi, c'est justement le point le plus positif de ce projet de loi là. Donc, on l'accueille positivement. Il faut le faire. Mais, j'aurais le goût de vous dire, être victime de violence conjugale ou être parent d'un enfant handicapé ou être victime du fait qu'il n'y a pas de place en service de garde puis s'être appauvri jusqu'au point d'être sur l'aide sociale parce qu'on a un enfant d'âge préscolaire puis qu'on n'a pas de place en service de garde, pour moi, c'est une contrainte psychosociale, O.K.? Donc, on n'a pas à choisir entre ces deux choses-là. On a une situation dans laquelle, au Québec, il y a des gens qui sont dans des situations de précarité financière. Et là tous les gouvernements successifs, depuis des décennies, depuis que ça existe, ce filet social là, ont toujours voulu les ramener sur le marché du travail et... et en disant... c'est ça qui allait les sortir de la pauvreté, finalement.

Moi, ce que j'ai vu pendant les auditions de ce projet de loi là, c'est une série d'acteurs venir nous dire que ce n'est pas possible, de les sortir de la pauvreté, parce qu'ils sont trop pauvres. À un certain point, le niveau de pauvreté dans laquelle on place ces gens-là devient un empêchement de retourner sur le marché du travail. Quand vous n'avez tellement pas d'argent après avoir payé votre loyer, là, que vous devez traverser la ville des fois à pied, parce que vous n'êtes pas capable de payer l'autobus, pour aller chercher votre panier d'aide alimentaire, là, ça se peut, que vous n'ayez pas le temps de chercher une job, ou d'occuper un emploi, ou même de participer au programme de réinsertion en emploi. C'est ça, la réalité.

Donc, ce qu'on dit à la ministre, c'est, si elle veut sortir les gens de la pauvreté, et je la crois qu'elle veut le faire, si elle veut même leur permettre de retourner travailler, et c'est ce que les gens veulent réussir à faire aussi, qu'elle les laisse respirer et sortir la tête de l'eau en s'assurant que ces gens-là ne sont pas en mode survie. Et les choix qu'elle fait en ce moment, même si elle vient... elle va faciliter les choses en reconnaissant une contrainte psychosociale pour certaines personnes, ces gens-là, la prestation qu'il va avoir... qu'ils vont recevoir, là, va quand même les placer dans une précarité extrême, qui est un cercle vicieux, qui ne les aidera pas à sortir de la pauvreté.

Journaliste : Bien, juste...

Mme Labrie : C'est une longue réponse, là, mais c'est parce que c'est quand même complexe.

Journaliste : Non, mais c'est ça, c'est technique, mais juste une précision. Si j'ai bien compris, dans le fond, la ministre, elle s'est... pour les différentes causes de contraintes temporaires, elle s'était engagée à ce que toutes les contraintes temporaires, la plupart d'entre elles, elles soient redonnées via un règlement, qui va être publié plus tard. Mais il y a deux catégories pour lesquelles elle ne garantit pas que ça va être donné ultérieurement, c'est les personnes de 58 et plus puis les gens qui ont des enfants, les parents monoparentaux. En quoi est-ce que le fait d'avoir 58 ans et plus est une contrainte temporaire à l'emploi?

Mme Labrie : Vous posez une bonne question, mais le fait est que, statistiquement, là, on les connaît, là, les personnes qui sont sur l'aide sociale actuellement, puis, quand ils sont sur l'aide sociale encore à cet âge-là, leur situation personnelle fait qu'ils sont beaucoup plus éloignés, là, du marché du travail que n'importe quelle autre personne qui a 58 ans puis qui n'est pas sur l'aide sociale. Donc, quand la ministre dit : Avoir 58 ans, en soi, ce n'est pas une contrainte à travailler, c'est vrai pour quelqu'un qui n'a pas été plongé dans un état de précarité extrême, comme la personne qui se retrouve sur l'aide sociale. Donc, c'est ça, la situation dans laquelle on se trouve, là. On a ces gens-là qui, en ce moment, sont prestataires et sont plongés dans une précarité extrême qui est... ce n'est pas vrai qu'ils sont en mesure de retourner travailler, là, en ce moment. Donc, elle va leur enlever la reconnaissance d'une contrainte temporaire qu'ils avaient jusqu'à ce que la loi entre éventuellement en vigueur. Ces gens-là ne vont pas être plus capables d'aller travailler qu'avant, là. C'est ça, la situation.

Journaliste : O.K. Merci.

Mme Toutant (Monique) : Est-ce que je peux juste... une petite affaire?

Mme Labrie : Oui, allez-y. Bien sûr, allez-y, oui.

Mme Toutant (Monique) :  Bien, c'est que ce qui arrive aussi, c'est que les personnes qui ont 58 ans, souvent, parfois, à la longue, à force d'avoir essayé de survivre, tombent malades puis sont... ont des maladies, ont des problématiques, puis c'est... souvent ils... c'est des personnes qui se retrouvent aussi avec aucun médecin. Bon, on le sait, qu'il y a beaucoup de personnes qui sont patients orphelins. Ces personnes-là vont se retrouver avec des problématiques d'essayer d'avoir une contrainte temporaire parce qu'ils n'auront pas de médecin de famille ou des choses comme ça.

Mme Labrie : Ce que vous venez de dire, c'est très important, puis je vais insister là-dessus, là. Il y a des gens qui développent des problèmes de santé physique ou mentale des conséquences de la pauvreté dans laquelle on les a plongés. On a quelqu'un qui est venu témoigner de ça en commission parlementaire l'autre jour, à quel point c'est... c'est ça qui avait causé un trauma tellement grand dans sa vie, finalement, que c'était pire que la violence conjugale qu'elle avait fuie. L'effet sur son corps, elle avait développé des problèmes neurologiques à force de vivre dans une extrême précarité comme ça, en mode survie, et ça, ça l'empêchait d'occuper un emploi de manière durable. C'est ça, la situation qu'on vit en ce moment. Et c'est pour ça qu'on lui demande de briser le cercle vicieux de la pauvreté qui est entretenu, là, gouvernement après gouvernement, peu importe le parti politique.

Journaliste : Je ne connais pas les technicalités comme Isabelle, Mme Labrie, mais quand vous parlez de réforme à coût nul dans le contexte où le gouvernement parle de redressement budgétaire, êtes-vous capable quand même de chiffrer vos demandes pour ceci?

Mme Labrie : On n'a pas chiffré la demande, mais il y a une chose qui est certaine, c'est que ça a aussi un coût social très très, très important de maintenir les gens dans une pauvreté extrême. Françoise David a fait référence à l'itinérance, ça a un coût social majeur, là, la crise de l'itinérance. En ce moment, on le vit partout à travers le Québec. Mes collègues ont proposé un sommet pour discuter de la situation à Montréal. Mais ce n'est pas seulement à Montréal qu'il y a d'itinérance, c'est rendu partout à travers le Québec, même dans des milieux très ruraux, pas seulement dans les centres urbains, même les plus petits. Donc, ça, c'est une conséquence sociale importante qui représente des coûts aussi pour la société. On ne parle même pas des coûts sur le système de santé, de tous les gens qu'on perd dans le système d'éducation, parce que ces enfants-là sont dans un milieu familial trop précaire, ça nuit à leur réussite scolaire.

Ça fait que les coûts sociaux de maintenir des gens dans la pauvreté, ils sont énormes, et on paie très cher le fait d'essayer d'économiser sur l'aide qu'on leur apporte pendant qu'ils sont dans une situation de précarité. Moi, je suis convaincue que, si on l'essayait, pour la première fois depuis l'histoire de l'existence de ce programme-là, de donner un montant aux personnes qui sont dans une situation de vulnérabilité, qui leur permet de sortir la tête de l'eau, ils resteraient bien moins longtemps sur l'aide sociale. Puis ils pourraient retrouver une façon de retourner sur le marché du travail, par exemple.

Journaliste : C'est quoi, ce montant-là? Mme David parlait de 937 $ en 2024. Là où on est avec l'inflation, c'est quoi, un montant acceptable?

Mme Labrie : Bien, ici, il a été nommé la mesure du panier de consommation. En fait, ce que ça coûte vivre, c'est ce qu'il faudrait viser comme prestations pour s'assurer que les personnes qu'on aide, qui sont dans les derniers retranchements de notre filet social, ne sont pas constamment en mode survie. C'est une job à temps plein, être pauvre, là. C'est ça que c'est dans la vie en ce moment, là ces gens-là, ils n'ont pas les moyens d'avoir une voiture. Ils sont là à essayer de se débrouiller avec le transport en commun pour aller dans la banque alimentaire au bout de la ville puis, des fois, ça ne arche pas. Moi, j'en ai fait du bénévolat dans la banque alimentaire chez nous, à Moisson Estrie. J'ai vu des gens ne pas prendre des légumes qui étaient trop lourds. Les patates, c'était trop lourd, parce qu'ils revenaient à pied, puis qu'il y avait des kilomètres à faire. C'est ça, la situation de précarité que les gens vivent en ce moment.

Mme David (Françoise) : J'aimerais ajouter quelque chose, parce que, bon, j'ai publié... enfin, ce n'est pas moi qui ai publié, un journal a publié, il y a deux jours, un texte que j'avais écrit. J'ai beaucoup travaillé à la préparation de ce texte-là et je suis allée un peu dans les chiffres, effectivement. Il y a juste à lire les mémoires présentés il y a deux semaines, là, par toutes sortes de groupes, pour avoir des chiffres intéressants, entre autres, et ça corrobore ce que Mme Labrie vient de dire, la Direction de la santé publique du Québec estime que le quart des coûts relatifs à la santé des Québécoises et des Québécois ont un lien avec la pauvreté, le quart des coûts. Mais ça, on le sait, pour les personnes comme plusieurs ici, comme moi aussi, à une certaine période, qui ont travaillé dans des quartiers pauvres, des quartiers défavorisés, il n'y avait qu'à voir les gens avec qui on travaillait pour comprendre à quel point leur santé était effectivement précaire à cause de la pauvreté.

Par exemple, comment l'anxiété joue un rôle tellement important chez, par exemple, beaucoup de femmes que je rencontrais et pour qui la question existentielle était : Comment je vais nourrir mes enfants? Ça, ça finissait par créer de tels problèmes que toutes ces femmes-là se faisaient prescrire des médicaments pour pouvoir dormir ou des antidépresseurs. Ça coûte aussi de l'argent à l'État. Tu sais, si on veut vraiment se poser des questions en termes économiques, là, la pauvreté, ça coûte cher à l'État, mais pas à cause des montants... en fait, oui, à cause des montants qu'on donne ou à cause de ce qu'on ne donne pas, à cause de ce qu'on ne permet pas aux gens. La mesure du panier de consommation, c'est-à-dire les demandes des groupes, là, c'est 24 000 $ par année. C'est ce que Statistique Canada estime, pour le Québec, devoir verser à une personne seule, juste là, pas pour faire des folies, là, logement, alimentation, vêtements, transport. C'est tout, 24 000, bon.

Est-ce que, du jour au lendemain, le gouvernement du Québec va aller là? Vous savez, nous savons que non. Est-ce qu'il pourrait, par contre, agir en faisant un pas important dès cette année, prochain budget, mettons? Je ne sais pas, moi, je fais une hypothèse. La seule augmentation de 200 $ des prestations de base coûterait autour de 400 millions par année. Ce n'est pas mon calcul, là. C'est le calcul de gens spécialisés dans ces questions-là. Alors, la question qui tue : Est-ce que ça vaut la peine que l'État québécois débourse 400 millions de dollars additionnels à la lutte à la pauvreté? Moi, je ne représente que moi ici, là, moi, je dis : Oui. Oui, oui, oui. Pourquoi? Parce qu'on va éviter plein de problèmes que Christine Labrie vient de mentionner et que Monique a mentionnés aussi. Et savez-vous quoi? Parce que l'État québécois a les moyens de le faire. On ne se rappellera pas tout ce qu'on paie comme État québécois, là, dans la dernière année, là, puis il y a un petit peu d'argent qu'on a l'impression qui est jeté par les fenêtres, là. 400 millions, là, juste ça, là, comme un commencement, là, pour aider des gens, juste, tu sais, à mettre la tête en dehors de l'eau. Moi, je ne trouve pas que c'est si cher payé, opinion très personnelle, mais que je vais défendre jusqu'à ma mort.

Journaliste : Moi, je dirais peut-être un complément. Juste une clarification par rapport à vos revendications, puis je voudrais revenir sur ce que vous venez de dire après. Tout à l'heure, vous avez parlé d'élargir l'accès au revenu de base, mais vous avez aussi parlé d'annuler la coupe dans les contraintes temporaires à l'emploi. C'est parce que si on élargit le revenu de base jusqu'au bout, à la limite, il n'y en a plus de gens, là, qui ont des contraintes temporaires à l'emploi. Donc, c'est quoi exactement... qu'est-ce que vous demandez? Est-ce que vous demandez l'élargissement du revenu de base à tout le monde ou est-ce que vous demandez, dans un premier temps, qu'on annule la coupe, là, dans la contrainte temporaire à l'emploi?

Mme Labrie : C'est une excellente question. Moi, ce que j'ai entendu en commission parlementaire, c'est énormément de groupes qui demandaient l'élargissement à tout le monde, effectivement, de l'accès au revenu de base. Ça fait une couple d'années que je suis ici. J'ai des attentes modérées par rapport à notre capacité d'aller chercher ce gain-là, quoique je le souhaite et que je pense que c'est ce qui est le plus souhaitable.

Journaliste : Donc, la demande précise, c'est...

Mme Labrie : Bien, on demande effectivement de sécuriser, là, la reconnaissance d'une contrainte pour les personnes que j'ai mentionnée plus tôt. Et puis tout élargissement au programme de revenu de base est le bienvenu. Dans un monde idéal, on élargit à tous, mais tout élargissement et toute accélération, je dirais, de l'accès au programme de revenu de base va être la bienvenue également.

Journaliste : Puis je reviens avec l'intervention de Mme David, je ne sais pas si vous avez vu ça passer, mais il y a une analyse qui est sortie de l'observatoire sur les inégalités qui montre que, pour ce qui est du soutien donné aux personnes seules, le Québec et le Canada se classent moins bien que la moyenne des pays de l'OCDE. Donc, finalement, les personnes qui ont des enfants qui sont sur l'aide sociale s'en tirent relativement bien, mais les personnes seules écopent davantage. Est-ce que vous pensez que, dans un éventuel réinvestissement en aide sociale, on devrait prioriser les personnes seules?

Mme David (Françoise) : Moi, je pense qu'il faut regarder quel est le revenu de base pour les personnes seules. Quel est le revenu de base? Ça, honnêtement, je vais vous le dire, je ne l'ai pas fait pour les familles. Je laisse aux spécialistes, ici, il y en a pas mal, de la question, le soin de voir comment tout ça peut se harnacher, s'harmoniser. Mais la seule chose que je peux dire, que je sais, puis celle-là, je la sais, là, c'est qu'il y a 125 000 personnes à l'aide sociale en ce moment qui ont 937 $ par mois, 937 $ par mois pour vivre. Ça, je sais ça. Et je sais que c'est inadmissible.

Journaliste : Ça, c'est les personnes seules.

Mme David (Françoise) : Oui.

Journaliste : Merci.

Mme Labrie : Je pense que Marylin, malgré le travail, vous complétez...

Mme Dion (Marylin) : Oui. Bien, en fait, je voulais simplement dire que bien, on le sait, les faits sont là, il manque 34 000 places et plus en garderies, en services de garde éducatifs à l'enfance. Présentement, les parents qui n'ont pas de places en services de garde éducatifs se retrouvent sans aucun recours financier. Leur dernier recours, c'est l'aide sociale. Et puis là, de penser qu'avec un enfant qui est avec nous, on va se priver du 161 $ d'allocation supplémentaire, ce qui est un maigre revenu pour s'occuper d'un enfant, on s'entend, pendant un mois, là, ce supplément-là, pour nous, c'est comme... Non seulement c'est... Non seulement c'est déplorable qu'il n'y ait pas de soutien financier plus significatif pour ces familles-là, mais de penser qu'en plus on va couper pour eux, c'est un non-sens, et on espère vraiment que ce sera reconsidéré parce qu'il faut aider ces familles-là. Ce n'est pas de leur faute si un manque d'investissement dans les services de garde éducatifs à l'enfance fait en sorte qu'ils ne trouvent pas de place en garderie, finalement. Merci.

La Modératrice : Merci, tout le monde.

(Fin à 12 h 26)

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