(Quinze heures seize minutes)
M. Jolin-Barrette : Bonjour
à tous, à Mme la sous-ministre associée. Alors, c'est toujours un plaisir de
vous retrouver. La semaine dernière, nous avons présenté un plan d'action
concertée émanant de la Table Justice-Québec, qui regroupe les différents
acteurs du milieu de la justice afin de réduire les délais en matière
criminelle et pénale. Au cours des derniers mois, la situation des délais s'est
malheureusement aggravée jusqu'à devenir critique dans plusieurs dossiers.
Certaines causes ont même dû être abandonnées en raison des délais
déraisonnables. Nous le réitérons, derrière chacune des causes, il y a une personne
victime qui n'a pu témoigner, qui a l'impression qu'elle a dénoncé en vain et
dont la confiance envers le système de justice s'effrite. C'est intolérable, et
nous en convenons tous. Aucun acteur du système de justice ne peut se résoudre
à accepter cela, et nous sommes tous mobilisés pour redresser la situation.
Lorsqu'un citoyen a le courage de
dénoncer, il faut qu'en retour le système de justice soit en mesure de rendre
un jugement. Les Québécoises et les Québécois sont en droit de s'attendre à une
justice qui est accessible, qui est performante et surtout qui est humaine.
Nous avons déposé cet après-midi le projet de loi no 54 donnant suite à la
Table Justice-Québec en vue de réduire les délais en matière criminelle et
pénale et visant à rendre l'administration de la justice plus performante. Avec
le dépôt de ce projet de loi, nous venons, comme nous nous étions engagés, à
répondre à l'action numéro 12 de notre plan. Le projet de loi vient ainsi
soutenir la mise en œuvre de trois actions phares émanant de la Table
Justice-Québec, soit l'action numéro sept, l'ajout de pouvoirs aux juges de
paix magistrats, permettant de libérer du temps aux juges en chambre criminelle
et pénale afin d'entendre plus de procès criminels et davantage de requêtes;
l'action numéro huit, soit la tenue de comparution et d'enquête sur mise en
liberté par les juges de paix magistrats, et ce, à distance sept jours sur
sept; et l'action numéro neuf, l'allègement du régime de preuve et
modernisation des procédures pour économiser du temps d'audience et éviter des
déplacements à la cour aux différents témoins.
Rappelons que l'octroi de nouveaux
pouvoirs aux juges de paix magistrats leur permettrait de présider des
comparutions et des enquêtes sur mise en liberté, des tâches normalement
réservées aux juges de la Cour du Québec. Ainsi, la mesure a le potentiel de
libérer l'équivalent de 15 à 20 juges en chambre criminelle et pénale afin
que ceux-ci puissent se consacrer davantage de leur temps à entendre des procès
et des requêtes complexes.
Il serait par ailleurs désormais possible,
pour les juges de paix magistrats, de tenir les comparutions et les enquêtes
sur mise en liberté par visioconférence, et ce, sept jours sur sept. Cela
permettra notamment d'éviter qu'un procès ne soit interrompu parce que la
comparution ou l'enquête sur mise en liberté doit être tenue dans un délai
précis. Les journées d'audience pourraient ainsi gagner en prévisibilité.
Nous venons également alléger le régime de
preuve pour économiser du temps d'audience et éviter des déplacements à la cour
aux témoins. Actuellement, les règles de preuve sont tellement strictes que,
pour un constat d'infraction au Code de la sécurité routière, par exemple,
elles obligent le juge à faire venir un témoin à la cour pour lire le document
qui présente la preuve, et ce, même si le contrevenant ne se présente pas à son
audience. Le temps requis pour entendre ce témoignage et le déplacement du
témoin pourraient facilement être évités en rendant tout simplement ce type de
document admissible à la cour. Grâce aux modifications que nous proposons, les
dossiers pourraient cheminer plus rapidement et plus efficacement. Nous venons
aussi moderniser les procédures afin que davantage de dossiers puissent être
traités par les juges de paix fonctionnaires, libérant ainsi du temps aux juges
de paix magistrats.
Le projet de loi prévoit, par ailleurs,
d'autres mesures visant à rendre le système de justice plus efficace. Nous...
notamment, à l'ajout de sept postes de juge à la Cour supérieure afin
d'améliorer l'accès à la justice en région, où la majorité des postes
additionnels seront situés.
Il est également prévu d'optimiser la
procédure de confiscation de biens provenant d'activités illégales. Nous
proposons ainsi de simplifier les processus de confiscation de biens issus de
la criminalité en évitant la judiciarisation de nombreux dossiers, en
facilitant notamment la preuve en matière de confiscation civile et en créant
un régime de confiscation administrative, comme dans les autres États fédérés
du Canada.
En terminant, je tiens à remercier une
fois de plus les différents acteurs du milieu de la justice avec qui nous avons
travaillé dans les derniers mois pour élaborer des mesures concrètes et
durables pour réduire les délais en matière criminelle et pénale. Nous avons un
plan défini, nous ramons tous dans la même direction, et nos objectifs sont
clairs, et nous n'avons pas une minute à perdre. Lundi dernier, je me suis
engagé à déposer rapidement un projet de loi pour soutenir la mise en œuvre du
plan d'action. Aujourd'hui, je réponds à cet engagement. Plus vite ce projet de
loi cheminera et plus vite les résultats pourront se faire sentir au bénéfice
des personnes victimes et des citoyens. Car, finalement, c'est pour eux que
nous travaillons tous et ce sont leurs besoins et leurs intérêts qui doivent
primer dans toutes nos décisions et dans toutes nos actions. Je vous remercie
pour votre attention.
Le Modérateur : C'est la
période de questions. On va commencer pas Fanny La Presse... «Fanny La Presse»,
Fanny Lévesque, La Presse, excusez-moi.
Journaliste : Bonjour à vous
tous. Juste, d'abord... bon, on n'est pas tous familiers avec le monde
judiciaire, là, mais donc si vous pouviez nous expliquer vraiment quelles
tâches de plus les juges de paix magistrats vont pouvoir faire puis qu'est-ce
qu'ils faisaient auparavant. À quel point ça fait une différence, finalement?
M. Jolin-Barrette : Oui, mais
ça fait une grosse différence, ce qu'on propose dans le cadre du projet de loi,
qui découle de la Table justice. Dans le fond, les juges de paix magistrats,
c'est un poste de juge qui a été créé au tournant des années 2000,
principalement pour entendre les... supposons, les mandats de perquisition, les
mandats d'arrestation et, supposons, le pénal statutaire, donc les constats
d'infraction pénaux, donc toutes les infractions pénales aux lois qui existent,
mais qui n'est pas du criminel. Donc, principalement, les juges de paix
magistrats avaient certains pouvoirs qui étaient notamment concurrents avec les
juges de la Cour de Québec, mais ils n'avaient pas tous les pouvoirs. Là, ce
qu'on fait, c'est qu'on vient modifier l'annexe cinq de la Loi sur les
tribunaux judiciaires, justement, pour leur confier certaines responsabilités
supplémentaires, donc les comparutions, les enquêtes sur mise en liberté.
Pourquoi c'est important de leur transférer ça? C'est que les comparutions
doivent être faites dans un délai de 24 heures à partir du moment de
l'arrestation du contrevenant. Donc, il n'a pas le choix de comparaître devant
un juge à l'intérieur de 24 heures. Actuellement, ce n'était pas possible
de le faire pour le juge de paix magistrat parce qu'il n'avait pas la
discrétion pour le remettre en liberté si la couronne n'était pas en accord
avec la mise en liberté de l'individu.
L'autre point important, c'est l'enquête
sur mise en liberté. Ça, c'est les juges de la Cour du Québec qui le faisaient.
Elle doit être faite dans les 72 heures. Donc, à partir du moment, si la
personne est restée détenue. il doit... il doit... l'accusé doit avoir son
enquête sur mise en liberté dans les 72 heures. Donc ça faisait en sorte
notamment qu'en région, particulièrement, le juge qui présidait un procès,
supposons, qui était déjà fixé, ou deux ou trois procès, parce que ça arrive
que les juges ont plus qu'un procès sur le rôle fixé par jour. Mais lorsqu'il y
avait un détenu qui arrivait, puisqu'il devait comparaître, parfois il devait
suspendre l'audition pour donner priorité à la comparution ou à l'enquête sur mise
en liberté. Donc, ce qu'on cherche à faire, c'est un effet de cascade pour que
les juges qui ont le plus de pouvoir, les juges de la Cour du Québec, bien, ils
puissent utiliser leurs compétences et leur champ d'expertise sur les dossiers
les plus complexes, donc les procès, les requêtes chartes, supposons, les
requêtes complexes, et de faire en sorte que les dossiers de comparution
d'enquêtes sur mise en liberté soient traités maintenant par les juges de paix
magistrats, et certaines infractions qui étaient traitées par les juges de paix
magistrats qui n'avaient pas nécessairement besoin d'une discrétion judiciaire,
on va les envoyer aux juges de paix fonctionnaires lorsque c'est une infraction
de responsabilité absolue. Donc, c'est un effet de cascade. Mais en faisant ça,
en libérant les juges de paix fonctionnaires, en leur attribuant des nouveaux
pouvoirs et en déchargeant les juges de la Cour du Québec, on calcule que s'ils
sont utilisés d'une façon optimale, ça va sauver du temps de juge, ça va sauver
15 à 20 juges de la Cour du Québec qui vont pouvoir se consacrer aux
procès puis aux dossiers de fond.
Journaliste : Ça, c'est en
tant que temps?
M. Jolin-Barrette : Mais dans
le fond...
Journaliste : Pourquoi? Pour
calculer...
M. Jolin-Barrette : C'est ça.
Journaliste : O.K.
M. Jolin-Barrette : Mais,
exemple, de la façon que c'est calculé par année, un juge, supposons, le temps
passé en comparutions puis en enquêtes sur mise en liberté, si vous preniez un
juge à temps plein par année, c'est l'équivalent de 15 à 20 juges qui font
ça, qui... Et en fait, leurs tâches sont à travers les procès. Ils ont des
journées qu'ils sont aux comparutions, et des journées qu'ils sont en enquêtes
sur mise en liberté. Mais là, en sortant ces éléments- là de leurs tâches, mais
ça vient libérer l'équivalent de 15 à 20 juges de la Cour du Québec. Donc,
vous comprendrez que ça va avoir un effet sur les délais et notamment sur la
disponibilité des procès. Parce qu'un des enjeux qu'on a vécu, supposons, l'an
dernier, à cause du changement de ratio, c'est souvent le DPCP, lorsqu'il se
présentait à la Cour, la Cour n'offrait pas de date de cour en raison du
changement de ratio. Donc, désormais, en libérant des juges de la Cour du
Québec qui étaient assignés par la Cour aux enquêtes sur mise en liberté ou aux
comparutions, bien, ça va leur permettre d'avoir davantage de plages horaires
pour les procès, le tout sous réserve de la... de l'assignation qui est
élaborée par la direction de la Cour. Nous, ce qu'on met en place aujourd'hui,
c'est les outils pour que le juge en chef puisse les assigner. Ce n'est pas le
ministre de la Justice qui assigne les juges.
Journaliste : Puis, est-ce
que vous avez... Bon, là, c'est documenté beaucoup, là, les délais. Vous voyez
les arrêts de procédure, tout ça. Est-ce que vous vous êtes fixé certains
objectifs en termes de réduction de délais?
M. Jolin-Barrette : Oui. Dans
le fond, quand j'ai signé l'entente avec l'ancienne direction de la Cour du
Québec, notre objectif, c'est arriver pour qu'on ait un système en équilibre,
pour respecter les délais 18-30 mois, 18 mois à la chambre... à la
Cour du Québec, puis 30 mois à la Cour supérieure. Grosso modo, là, c'est
de viser une cible de 212 jours de délai, avoir un taux de fermeture, puis
ça, c'est l'élément le plus important le taux de fermeture de dossier de 1,1.
Actuellement, on est en dessous de 1,0 puis, dans certains districts
judiciaires comme Montréal, on est vraiment plus bas. Ça veut dire que par année,
vous fermez plus de dossiers que vous en ouvrez. Donc, pour éviter qu'il y ait
un inventaire de dossiers et que ça fasse en sorte que ça allonge les délais.
Parce que, lorsque vous avez un inventaire, bien, c'est les dossiers les plus
anciens qui sont traités, mais donc vous êtes à risque de défoncer le
18 mois ou défoncer le 30 mois. Donc avec un taux de fermeture de
1,1, on va réussir à ramener le tout puis avoir des délais à l'intérieur du
18-30 mois, puis notre cible pour 18-30 mois, c'est 87,7 % des dossiers
qui doivent procéder à l'intérieur de ces délais-là. Vous allez me dire :
Pourquoi il y a 12,3 % qui ne sont pas à 100 %? Mais c'est parce
qu'il y a des délais qui sont l'apanage de la défense. Donc parfois, il y a des
remises qui sont faites, puis la défense accepte de ne pas invoquer le délai.
Journaliste : C'est quoi la
situation en ce moment? Combien de dossiers sont enfermés entre 18 et
30 mois?
M. Jolin-Barrette : Le nombre
de dossiers, on est à 78 % à peu près.
Journaliste : Merci.
Le Modérateur : Raymond
Filion, TVA.
M. Jolin-Barrette : Et
peut-être juste en complément, si vous permettez. Dans le fond, on s'est donné
l'objectif en contrepartie de la nomination des 14 nouveaux juges du
Québec, dans le fond, pour le 31 janvier 2025, la Cour a l'obligation
d'atteindre ce type de performance là. Dans le fond, ils ont changé le ratio.
Nous, on s'est assis avec eux, on leur a dit : On va trouver une solution,
on vous rajouter des ressources, mais vous devez avoir une performance associée
au système de justice. Donc, on s'est fixé des cibles, un ensemble et les
outils pour l'atteindre, puis les conclusions de la Table justice, puis
notamment en modifiant ce qu'on fait aujourd'hui dans le projet de loi, mais ça
va permettre de donner les outils à la Cour pour pouvoir atteindre ces
objectifs-là.
Le Modérateur : Raymond
Filion...
M. Jolin-Barrette : Bonjour.
Journaliste : Sur un autre
sujet, celui de l'IVAC.
M. Jolin-Barrette : Oui.
Journaliste : Vous avez
certainement entendu parler de cette sortie publique de victimes, aujourd'hui,
d'actes criminels, notamment la mère de Romy et Norah Carpentier, là, qui
dénoncent votre réforme de 2021. Qu'est-ce que vous leur répondez? Ils disent
que, sous peu, ils seront privés de prestations.
M. Jolin-Barrette : Oui.
Bien, le cas de Mme Lemieux, je suis extrêmement empathique, puis, ce qu'elle a
vécu, c'est horrible. Donc, je ne peux pas commenter le cas particulier de Mme
Lemieux.
Sur la question de l'IVAC, par contre,
dans le fond, il y a le double de personnes victimes qui sont indemnisées
maintenant. Avant, on avait des infractions qui n'étaient pas admissibles,
puis, exemple, leurre d'enfant, exemple, exploitation sexuelle, violences
subies pendant l'enfance, c'étaient des crimes qui n'étaient pas couverts par
l'IVAC. Donc, avec les nouveaux crimes qu'on a mis sur la liste... bien, dans
le fond, on a aboli la liste, puis tous les crimes contre la personne
maintenant sont couverts, c'est 4 000 personnes de plus qui ont été
indemnisées par le nouveau régime d'indemnisation de l'IVAC.
On se retrouve dans une situation où les
infractions qui étaient commises à l'étranger n'étaient pas couvertes. Vous
vous souviendrez qu'il y a quelques années il y avait une Québécoise qui était
décédée dans le sud, ses enfants n'avaient pas été indemnisés. Même chose
également, la notion de victime a été élargie. Il y a des personnes qui
n'auraient pas été indemnisées, qui sont indemnisées, qui sont considérées
comme personnes victimes aujourd'hui. Donc, on a doublé le nombre de personnes
admises et on se retrouve aussi où on a aboli le délai de prescription en
matière de violences sexuelles, violences conjugales, violences subies pendant
l'enfance. Et on a mis également dans le projet de loi une disposition qui fait
en sorte que même si vous aviez été refusé à l'IVAC en matière de crime sexuel,
supposons, en raison du délai, à l'époque, c'était un an ou deux ans, bien,
maintenant, les gens peuvent refaire une demande pour les trois prochaines
années. Puis on a plusieurs centaines de personnes également qui ont été
indemnisées.
Puis, lorsque vous regardez les chiffres
qui étaient investis à l'époque, on dépensait, en 2018, quand le gouvernement
est arrivé, de la CAQ, 120 millions pour le régime de l'IVAC, on est
passés à 320 millions l'an passé. Donc, en argent net, c'est
200 millions de plus qui sont investis.
Journaliste : Mais
certaines... certains proches de victimes disent : C'est un non-sens, si
j'avais été accidenté de la route et gravement blessé, je serais indemnisé à
vie, alors pourquoi, la perte d'un être cher, on n'est pas indemnisé à vie? Je
comprends que vous avez élargi le système, mais entre-temps, ils... ces
personnes-là dénoncent ce qu'ils considèrent comme un non-sens.
M. Jolin-Barrette : Oui.
Bien, vous savez, on ne choisit pas d'être une victime d'infraction criminelle.
Puis, à l'époque où on a adopté la réforme, il y a bientôt trois ans, on a eu
beaucoup de discussions relativement à pourquoi est-ce qu'on fait ces choix-là.
On a fait le choix d'élargir le nombre de personnes victimes admissibles. Puis
vous vous souvenez, à l'époque, il y avait énormément de reportages de
personnes qui se faisaient dire : Bien non, vous n'êtes pas considérée comme
une victime. Donc, maintenant, le soutien psychologique est là, le soutien
financier est là également, la durée dans le temps aussi, notamment par rapport
au soutien psychologique, a été augmentée.
La question qui se pose, à savoir pourquoi
ce n'est pas la même chose que la Société d'assurance automobile du Québec, la
Société automobile du Québec, c'est un régime d'assurance, l'IVAC n'est pas un
régime d'assurance. Donc, on est l'État fédéré, au Québec, à travers le Canada,
qui investit le plus en matière d'indemnisation des victimes d'actes criminels.
Quand vous réunissez les neuf autres entités fédérées au Canada, le Québec
donne plus que tous les autres États fédérés réunis ensemble.
Donc, on ne choisit pas d'être victime
d'infraction criminelle, mais nous, le choix qu'on a fait, c'est de bien
accompagner les personnes victimes. Donc, oui, il y a fin des rentes viagères,
donc comme c'était le cas à l'époque, mais cependant, on couvre beaucoup plus
de personnes, puis les montants attribués sont beaucoup plus importants. Donc,
le double de personne, on est passés à 31 000 personnes indemnisées
versus 15 000 aussi, donc il y a plus de victimes.
Puis l'autre élément de la réforme qui est
important, c'est qu'auparavant la notion de victime était uniquement la
personne qui subissait l'infraction criminelle. Or, supposons, en matière
d'infraction sexuelle, supposons qu'un enfant est victime d'infraction
sexuelle, bien, les proches également subissent les contrecoups de cette
infraction criminelle là contre la personne, puis auparavant, ils n'étaient pas
couverts non plus. Alors, on a fait un choix vraiment d'élargir le plus
possible la notion de victime.
Le Modérateur : Sébastien
Desrosiers, Radio-Canada.
Journaliste : Bonjour, M.
Jolin-Barrette. Je reviens à votre projet de loi.
M. Jolin-Barrette : Oui.
Journaliste : Il y a eu, si
je ne m'abuse, 357 arrêts de procédure l'an dernier au Québec. Vous
estimez que votre projet de loi permettrait de réduire ça de combien?
M. Jolin-Barrette : Bien,
moi, je l'ai dit, la semaine dernière... Puis, tu sais, dans les... dans les
arrêts de procédure, il y a... vous, vous faites référence au nolle prosequi,
donc lorsque le directeur des poursuites criminelles et pénales retire l'accusation,
notamment, souvent, l'an passé, parce qu'il n'y avait pas de date de cour
disponible, donc il faisait ça pour sauver un autre dossier qui s'approchait du
délai. Plus, vous avez probablement, dans vos chiffres, les arrêts des
procédures qui sont prononcés par le tribunal aussi. Notre objectif est qu'il
n'y en ait plus. Non. à chaque fois qu'il y a un arrêt des procédures ou un
nolle prosequi, c'est une... c'est un échec pour le système de justice puis
c'est un échec de l'État envers les personnes victimes qui, elles, décident de
dénoncer, qui s'attendent à ce que le dossier procède. Condamnation ou
acquittement, on a le devoir de le faire. Alors moi, mon souhait, avec les
partenaires de la Table Justice, c'est qu'il y en ait plus parce qu'il en va de
la confiance du public. Mais ce qu'il y a aujourd'hui, est-ce je peux vous dire
qu'il n'y en aura plus jamais? La réponse, c'est non parce que ce n'est pas des
paramètres que je peux contrôler. Ce n'est pas moi qui assigne les juges, ce
n'est pas moi qui prends les poursuites en matière criminelle, en matière
pénale non plus. C'est des entités indépendantes.
Donc, le pouvoir du ministère de la
Justice est de donner les outils, de permettre d'avoir des ressources. Je donne
un exemple. On a rajouté des juges, on s'assure que nos salles de cours soient
ouvertes avec les greffières, on travaille sur la reclassification, on
travaille sur les conditions de travail en matière de recrutement. Dans le
Nord, on a mis en place des recommandations du rapport Latraverse. Donc, c'est
d'une façon paramétrique, mais ce qu'il est important de retenir, c'est que là,
avec le rapport de la Table Justice, tous les partenaires étaient là, à la fois
la magistrature, la poursuite, le poursuivant, le DPCP, la défense avec les
avocats de l'aide juridique, avec les avocats de Montréal, les avocats de la
défense du Québec aussi, les CAVAC qui étaient là aussi. Donc, je pense que
c'est un plan qui est concerté puis on se donne une feuille de route pour
atteindre l'objectif, qu'il n'y ait plus d'arrêts de procédures.
Journaliste : ...parlait
d'objectifs tout à l'heure. Est-ce que vous vous en fixez un en matière
d'arrêts de procédures? Vous vous en êtes fixé un en matière de délais.
M. Jolin-Barrette : Oui.
Journaliste : Je sais que
votre objectif absolu, c'est qu'il y en ait plus, c'est zéro. Mais de façon
réaliste, dans un an, dans deux ans. Qu'est-ce que vous aimeriez voir en
matière d'arrêts de procédures?
M. Jolin-Barrette : Bien,
moi, je vous dirais, le moins possible. Idéalement zéro, mais je ne suis pas
naïf. En raison de tous les paramètres qui peuvent survenir dans un dossier, il
y a une multitude de facteurs qui peuvent arriver. Puis le recours à un arrêt
des procédures, bien, le tribunal, c'est un moyen qui a sa discrétion qu'il
peut utiliser. Cela étant, par contre, notre responsabilité, c'est de tout
faire en œuvre et de prendre toutes les mesures pour éviter que le système de
justice soit sous pression, puis que... se donner les outils, puis changer nos
façons de faire aussi pour faire en sorte que ça puisse se régler.
Je donne un exemple. Dans le cadre du plan
d'action, le DPCP et les avocats de la défense ont convenu d'avoir davantage
recours aux séances de facilitation pour éviter, un cas qui est très connu,
qu'on réserve du temps de cour, supposons deux jours, devant le juge. Puis là
il y a des offres qui se font de part et d'autre, mais on arrive la veille, ça
commence plus sérieusement à négocier, puis la journée même du procès,
finalement, bien là, on règle le dossier le matin. Ça fait que, là, le juge qui
avait été assigné, bien, lui, ces deux jours de cours... Puis il ne peut pas se
retourner puis prendre un autre dossier comme ça. Ça fait que la
facilitation... pas la facilitation, la gestion doit se faire beaucoup plus en
amont, puis en raison du fort volume qu'on a dans nos tribunaux, en raison
aussi de la complexité des requêtes, tout ça, il faut mieux gérer les dossiers.
Puis les gens sur le terrain, ils le font déjà, mais il y a certaines initiatives
en matière de super facilitation qui portent fruit dans certains districts
judiciaires où ça permet de libérer le temps de cour puis le temps de juge pour
que le juge puisse les entendre, les procès qui vont vraiment aller à procès et
puis aussi pour les personnes victimes.
Donc, c'est toute une question de
prévisibilité. Puis il faut changer les façons dont on travaille puis on a
toujours travaillé. Alors, moi, je pense que tous les partenaires en sont
conscients. D'ailleurs, il y a eu beaucoup de bonnes propositions qui ont été
faites par les partenaires. Donc, on souhaite qu'il n'y en ait pas d'arrêts de
procédures, mais je ne peux pas vous dire qu'il n'y en aura pas parce que ce
n'est pas des... Ce n'est pas un élément que je peux contrôler.
Journaliste : Vous croyez que
les mesures prévues au projet de loi vont entrer en vigueur à quel moment?
M. Jolin-Barrette : Bien,
pour les pouvoirs des juges, dans le fond, dès la sanction. Donc, à partir du
moment où, nous, on donne à la direction de la Cour du Québec ce pouvoir-là, il
en revient à la cour de l'assigner en fonction de leur calendrier judiciaire.
Donc, tu sais, nous, on fait la partie pour outiller. Les outils sont
disponibles. Donc, par la suite, c'est les partenaires qui peuvent les utiliser.
Le Modérateur : Marie-Michèle
Sioui, Le Devoir.
Journaliste : Oui. Bonjour.
M. Jolin-Barrette : Bonjour.
Journaliste : Sur l'IVAC, le
premier ministre a reconnu la semaine passée ou l'autre avant, là, quand les
lettres ont commencé à rentrer, que ces personnes-là, à la fin de leurs
indemnités, vont devoir se tourner vers l'aide sociale ou la solidarité
sociale. Vous avez souvent dit que vous êtes fier de votre réforme. Est-ce que
vous êtes fier de ça? Vous dites qu'on... Les gens ne choisissent pas d'être
des victimes, êtes-vous fier de les envoyer vers l'aide sociale ou la
solidarité sociale après trois ans?
M. Jolin-Barrette : Bien,
je suis extrêmement fier de la réforme parce qu'il y a des gens qui n'étaient
pas considérés comme des personnes victimes, qu'il n'y avait aucun soutien,
puis maintenant on vient les soutenir à un moment important de leur vie, au
moment où, même avant qu'ils aient dénoncé l'infraction à la police, on peut
les couvrir. Les gens qui, suppsons, avaient déjà frappé à la porte de l'IVAC,
qui avaient été agressés sexuellement puis ils s'étaient fait dire :
Désolé, vous avez fait votre demande trop tard. Ça faisait 13 mois que
vous avez été agressé, il est trop tard, vous avez un délai de prescription de
deux ans depuis 2013. Alors, on pallie le remplacement de revenu pour une
période de trois ans qui peut être renouvelée pour deux années supplémentaires
aussi. Donc au total, ça peut être jusqu'à cinq ans. L'idée, c'est de faire en
sorte que la personne soit accompagnée, notamment en matière de soutien
psychologique, les aides financières en matière de soutien psychologique se
perdurent plus longtemps dans le temps. Donc, on a choisi d'élargir le panier
de services. Puis vous savez, le taux d'acceptation, là, il est passé de
82 % avant la réforme à 95 % aujourd'hui, à l'IVAC. Ça fait que ça,
c'est des milliers de personnes.
Journaliste : Mais ...avec
ça, ça fait que le fait d'envoyer des victimes à l'aide sociale après trois,
quatre ou cinq ans?
M. Jolin-Barrette : Ça
signifie que les personnes auront recours à d'autres programmes sociaux.
Parfois, les personnes victimes ont besoin d'un soutien qui est momentané pour
retrouver le cours normal de leur vie. Il y en a certaines qui retournent sur
le marché du travail aussi. La grande majorité retourne sur le marché du
travail. Il faut comprendre que le panier de services au Québec est le plus
généreux de toutes les entités fédérées. Donc, on se retrouve à avoir fait un
choix d'investir. Puis tantôt, je vous ai donné les chiffres, là, on était à
120 millions en 2018, puis on est rendus à 320 millions annuellement
d'investissement. C'est énormément d'argent, on couvre beaucoup plus de
personnes. Puis moi, je n'étais pas à l'aise de dire à une personne qui a été
victime des infractions sexuelles comme exemple de l'exploitation sexuelle.
Bien, je suis désolé, vous n'êtes pas couverte. Parce que c'était ça la
réalité, là. C'était ça la réalité. Il y avait des gens aussi que leurs
infractions étaient prescrites. Là, on a aboli la prescription pour violences
conjugales, violences sexuelles subies pendant l'enfance, puis ces
infractions-là, ce sont les infractions les plus nombreuses dans le cadre du
programme de l'IVAC.
Journaliste : Je voulais vous
parler de ce chiffre-là que vous vous répétez, là, de... vous êtes passés de
120 millions à 320 millions. Est-ce que la méthode de calcul est la
même qu'en 2018 ou est-ce que vous incluez d'autres aspects dans vos calculs
maintenant pour arriver aux 320 millions?
M. Jolin-Barrette : Mais
quand vous regardez, supposons, les crédits permanents qui se retrouvent dans
des... du... pas du budget, mais des... oui, du budget de dépenses du
gouvernement, vus allez voir que la somme est passée de 120 à 320 millions.
Journaliste : Mais est-ce que
c'est les mêmes choses?
M. Jolin-Barrette : Mais on
calcule les indemnités qui sont données aux personnes, notamment le soutien qui
est donné.
Journaliste : Puis dernière
petite précision vous parlez aussi souvent des infractions à l'étranger. C'est
combien de personnes, ça, par année environ?
M. Jolin-Barrette : Il
faudrait que je vous revienne avec le chiffre. J'ai en tête le fait qu'une mère
de famille, je pense que c'était à Cuba, avait été assassinée, puis ses deux
enfants n'avaient pas été indemnisés alors qu'à l'époque ses enfants, si la
même infraction criminelle avait été faite au Québec, mais ses enfants auraient
été considérés comme des personnes victimes. Mais puisque ça s'était fait à
l'étranger, ça n'avait pas été le cas. Même chose, je vous donne un exemple, si
vous êtes dans le reste du Canada, puis vous subissez une agression sexuelle,
mais à ce moment-là vous n'étiez pas indemnisée. Maintenant, vous allez l'être.
Journaliste : Merci.
Le Modérateur : Encore... on
a peut-être un petit peu de temps, Fanny Lévesque, oui.
Journaliste : Juste pour
le... Quand vous allégez, là, certaines règles de preuve...
M. Jolin-Barrette : Oui.
Journaliste : Pouvez-vous
juste nous donner quelques exemples plus parlants, là? Ça veut dire quoi dans
les faits, tout ça, là?
M. Jolin-Barrette : Mais
exemple, les juges de paix magistrats souvent, lorsqu'ils faisaient des
dossiers... en fait 50 % des dossiers des juges de paix magistrats, donc
les constats d'infraction, que ce soit en vertu du Code de la sécurité
routière, la Loi sur les relations de travail dans l'industrie de la
construction, la Loi sur l'agence de revenu, pensez à tous les types
d'infractions, 50 % des dossiers à peu près, c'est du par défaut. Donc,
les exigences rattachées aux par défaut exigeaient parfois le déplacement de
certains témoins pour attester ce qu'il y avait sur les documents. Maintenant,
le simple fait de déposer le document à la cour va pouvoir faire preuve, et il
n'y aura pas de déplacement de témoin. Donc, un, on économise du temps aux
témoins, on économise du temps au juge. La preuve est facilitée aussi pour des
dossiers où c'est du par défaut où les gens ne se présentent pas notamment.
Puis il y a une partie des dossiers qui vont s'en aller vers les juges de paix
fonctionnaires, notamment ceux qu'il n'y a pas de discrétion judiciaire à
exercer.
Journaliste : Pour les sept
postes que vous créez dans la loi...
M. Jolin-Barrette : Oui.
Journaliste
: ...il
faut qu'Ottawa les nomme. Ça, est ce que vous avez... vous anticipez des délais
à ce niveau-là?
M. Jolin-Barrette : Nous,
depuis... Vous vous souviendrez, Mme Vallée, à l'époque, en 2016, lorsque
l'arrêt Jordan est arrivé, elle a modifié la Loi sur les tribunaux judiciaires — j'étais
son critique, à l'époque, en matière de justice — pour faire en sorte
de passer le nombre de juges à la Cour supérieure de 155 à 157. O.K. Le fédéral
n'a jamais nommé les postes 156, 157, à la fois le gouvernement libéral et
nous, on a toujours été en demande avec ces demandes de postes là, la Cour
supérieure. Et pour contrebalancer les effets de Jordan, le gouvernement du
Québec assume, engage des juges à la retraite, des anciens juges de la Cour
supérieure pour faire des conférences de facilitation puis de règlement. Alors,
nous, on dépense près de 1 million par année en salaires d'anciens juges
fédéraux de la Cour supérieure que le fédéral devrait payer, mais il ne comble
pas ces postes-là.
Alors, nous... moi, j'ai écrit au ministre
Virani, puis c'est une demande notamment de la juge en chef de la Cour
supérieure, Marie-Anne Paquette, de doter adéquatement la Cour supérieure. Vous
avez vu le nombre de ressources que, nous, on a rajoutées à la Cour du Québec.
Alors, on demande au fédéral, oui, de nommer les postes 156, 157, mais
aussi, on en rajoute sept pour se rendre à 164, parce que, dans nos différentes
régions, on a besoin de juges résidents dans les différentes régions parce
qu'il y a un besoin pour la Cour supérieure, notamment en matière criminelle,
mais également en matière familiale. Nos... La Cour supérieure aussi est à...
on parle beaucoup de la Cour du Québec, là, les délais en matière criminelle et
pénale, mais en matière civile aussi, la Cour supérieure traite beaucoup de
droit familial, alors c'est important que les dossiers puissent cheminer
rapidement. Puis, tu sais, notamment, on veut avoir des gens dans le
Bas-du-Fleuve, on veut avoir un juge à Baie-Comeau aussi, résident. Je pense
que c'est important que la Cour supérieure soit partout sur le territoire
québécois. Et surtout, il faut que ça soit le fédéral qui assume sa
responsabilité par rapport aux juges, aux postes de juge. Dans le fond, le
fédéral actuellement économise sur le dos du Québec le salaire des juges de la
Cour supérieure en ne nommant pas les postes qui ont été prévus depuis 2016 et
en faisant en sorte que ça soit le Trésor québécois qui finance le salaire de
juges à la retraite, alors que ça devrait être le fédéral qui nomme des postes
de juges permanents. Donc, le fédéral économise sur le dos du Québec.
Journaliste : Qu'est-ce qui
vous faire croire qu'ils vont les combler s'ils ne l'ont pas fait depuis 2016?
M. Jolin-Barrette : Bien,
écoutez, c'est une demande concertée des gouvernements successifs du Québec,
mais également de la direction de la Cour supérieure. Et nous, de notre côté,
on est prêts à fournir les adjointes judiciaires et tout le personnel
judiciaire parce qu'il y a des coûts. À chaque fois qu'on a un poste de juge de
la Cour supérieure, l'environnement autour du juge est assumé par le Québec,
notamment, les bureaux les infrastructures aussi. Alors, ça fait longtemps
qu'il n'y a pas eu d'augmentation de juges à la Cour supérieure également par
rapport au volume de dossiers.
Le Modérateur : Est-ce qu'il
y a d'autres questions? Merci beaucoup. Merci, tout le monde.
M. Jolin-Barrette : Merci à
vous.
(Fin à 15 h 45)