Point de presse de M. Jean-Martin Aussant, député de Nicolet-Yamaska et de M. Pierre Curzi, député de Borduas
Version finale
Thursday, May 24, 2012, 11 h 10
Salle Bernard-Lalonde (1.131),
hôtel du Parlement
(Onze heures dix minutes)
M. Aussant: Donc, bien merci tout le monde. On est bien contents. En fait, je viens de déposer un projet de loi qui vise à moderniser les institutions démocratiques, qui inclut cinq mesures en général: tout d'abord, évidemment les élections à date fixe. C'est pas mal les circonstances en ce moment. Tout le monde se demande: Est-ce qu'on va aller en élections ou non? Ça paralyse un peu tous les travaux. Donc, ce projet de loi couvre des élections à date fixe, couvre aussi un financement entièrement public des partis politiques. On sait que, dans le contexte actuel de la commission Charbonneau qui débute, c'est un sujet qui va être d'actualité aussi. Donc, ce projet de loi là interdirait tout don privé, tout don d'une personne à un parti politique, donc ce serait essentiellement un système basé sur les résultats électoraux, avec une composante qui prévoirait l'émergence de nouveaux partis entre deux élections. Donc, il y aurait un financement minimal possible aussi.
Il y a aussi la proportionnelle, l'inclusion d'une composante de proportionnelle dans notre système électoral parce qu'actuellement c'est un système britannique qui favorise l'existence de deux seuls partis qui alternent, et c'est ce qui se passe au Québec depuis 40 ans à peu près, ce sont deux gros partis qui alternent. Et les citoyens sont, en quelque sorte, forcés d'adhérer à un des deux partis pour faire valoir leurs idées, ce qui n'est pas normal en démocratie. Il y a actuellement cinq partis représentés à l'Assemblée nationale, ce n'est pas normal que le système en avantage deux et que les autres doivent souffrir d'une distorsion dans l'allocation des sièges.
Le projet de loi prévoit aussi l'abolition du poste de lieutenant-gouverneur et le... On le remplace par un poste d'administrateur général qui serait nommé aux deux tiers par l'Assemblée nationale; donc, c'est beaucoup plus démocratique aussi.
Et enfin le projet de loi prévoit ce qu'on appelle des mandats d'initiative populaire, c'est-à-dire que, si 5 % des électeurs inscrits signent une pétition pour donner un mandat à une commission parlementaire, bien les élus n'ont pas le choix de traiter ce mandat-là, alors qu'actuellement ce sont les élus eux-mêmes qui se donnent des mandats. Si la population voulait imposer un mandat au Parlement de discuter d'une question, que ce soit enquête sur la collusion - qui a été très longue à avoir - ou que ce soit actuellement plutôt le conflit étudiant, bien ces mandats d'initiative populaire là pourraient voir à ça.
Donc, je suis accompagné de mon collègue Curzi et de Sol Zanetti qui est un professeur de philosophie dans la région de Québec et qui est d'ailleurs candidat de Louis-Hébert pour Option nationale aux prochaines élections. Donc, si mes collègues veulent faire une intervention aussi.
M. Curzi: Oui. Bien, moi, ça va être plus de l'ordre... Dans le fond, ce projet de loi là, il fait partie de l'ensemble des initiatives qui sont prises actuellement pour essayer de prévoir comment, après une éventuelle sortie de crise, on va pouvoir reconstruire une sorte de cohésion. Puis c'est bien clair que la crise actuelle est en train d'augmenter les fractionnements: ça augmente les fractionnements entre les générations, les fractionnements entre la gauche, la droite, et, tôt ou tard, il va falloir que... Et, ça, c'est dangereux. Sans qu'on soit rendus à l'extrême, on sait très bien qu'on est dans une situation inquiétante, socialement, et que, tôt ou tard...
Et on voit que, d'une part, il y a une répression qui s'est accentuée d'une façon ignoble avec la loi n° 78; d'autre part, il y a un contre-discours qui est en train de s'élaborer. Puis ce projet de loi là, il fait partie de ce contre-discours là. Il y a de plus en plus de gens qui, de nouveau, prennent la parole, et ça, dans toutes les classes et de toutes les façons, et ils sont en train de proposer un renouvellement, un renouvellement de notre vie politique, renouvellement de notre vie sociale, renouvellement des valeurs, ras-le-bol de l'exploitation d'une minorité sur l'ensemble de notre vie collective et individuelle.
Donc, il y a des nouvelles valeurs qu'il faut encourager, et ça va prendre de multiples expressions. Pour moi, ça en est une qui est importante: redonner le sentiment, et pas juste le sentiment, la certitude à l'ensemble des citoyens que, oui, le poids politique, c'est quelque chose qui peut s'exercer, qui peut s'exercer d'une façon démocratique. Et c'est en ce sens-là que je trouve que ce projet de loi là arrive à point nommé. Et voilà.
M. Aussant: Merci. Professeur Sol Zanetti.
M. Zanetti (Sol): Alors, ce projet de loi là est probablement une des meilleures réponses ou des meilleures solutions qui pourrait être trouvée à la crise étudiante actuelle, à moyen terme, parce que la raison pour laquelle les citoyens aujourd'hui - je ne dis pas nécessairement des étudiants, mais les citoyens - se révoltent et perturbent la paix sociale, c'est parce qu'ils sont impuissants dans un système démocratique désuet, élaboré au XVIIIe siècle et qu'il est pressant de renouveler.
C'est ce qu'Option nationale, donc, propose avec ce projet de loi qui est tout à fait intéressant et qui propose quelque chose de profond pour régler, là, les problèmes qui sont à la racine de la crise étudiante actuelle, je pense, à mon avis.
M. Aussant: Avez-vous des questions?
M. Plouffe (Robert): Oui. M. Aussant, sur ce projet de loi, mais, évidemment, vous venez directement toucher la... Les arrestations hier, les arrestations en masse, est-ce que vous pensez que c'est la façon, pour le gouvernement, de finalement essayer de croire qu'il va faire taire, justement, ce mécontentement qui est soulevé par la population?
M. Aussant: Si le gouvernement pense que ces arrestations de masse là vont régler le conflit plutôt que de mettre de l'huile et encourager d'autres personnes à ressortir dans les rues pacifiquement ce soir, au risque peut-être même de se faire arrêter, je pense qu'il fait une très mauvaise lecture de la chose ou il en fait une très machiavélique et il continue dans sa lignée, mais c'est clair que ce n'est pas la solution. La solution, c'est de rouvrir les discussions et de régler le conflit. Et, la porte fermée, à mon sens, est du côté du gouvernement et non du côté des étudiants, donc j'invite encore une fois - ça a été fait mille fois cette demande-là - le premier ministre à s'élever au rang qu'il occupe, et être magnanime là-dedans, et vouloir régler le conflit en toute bonne foi, et non essayer de polariser la population du Québec pour des visées électoralistes évidentes.
M. Journet (Paul): Pour trouver une solution, ça serait quoi, à votre avis, la meilleure stratégie à adopter? Est-ce que c'est tout simplement une rencontre entre le gouvernement et les leaders étudiants ou est-ce qu'il faudrait carrément recourir à la médication, peut-être passer par un conseil de sages? Ce sont des solutions qui ont été proposées par divers intervenants. Laquelle préconisez-vous?
M. Aussant: Ce sont toutes des pistes de solution que vous venez d'énumérer. Notre position à nous, c'était qu'il fallait ne pas augmenter les frais de scolarité pour la prochaine session, ce qui n'a absolument aucune incidence sur les finances publiques du Québec: c'est une faction d'une virgule de 1 %. Donc, les étudiants reviendraient en classe suite à cette décision-là, et là on pourrait enfin tenir ce qu'on appelle un débat de société, des états généraux, une commission parlementaire d'urgence, quelle que soit la formule utilisée, mais qu'on discute au moins et qu'on fasse entendre tous les arguments et toutes les idées pour régler cette crise-là. Actuellement, il n'y en a pas, de discussions, il n'y a rien qui avance. Mais, chose certaine, le premier geste à poser de la part du gouvernement, c'est de dire que les frais ne bougeront pas pour la prochaine session, ce qui n'a aucune incidence fiscale, comme je le disais, et, par la suite, le dialogue va pouvoir se rouvrir parce que les étudiants vont revenir en classe, puis le climat social va s'assainir très rapidement avec ça, j'en suis convaincu.
M. Plouffe (Robert): M. Aussant, Daniel Gagnier est de retour comme chef de cabinet du premier ministre Charest, pour vous, ça signifie quoi exactement?
M. Aussant: Je ne connais pas personnellement M. Gagnier, donc je ne connais pas tellement ses opinions là-dessus, mais ça signifie sans doute que le gouvernement, actuellement, doit manquer d'idées, il doit manquer de façons de régler ça, je ne le sais pas. Si M. Gagnier peut contribuer positivement, j'en suis très heureux, mais on va le voir à l'usage, je ne peux pas vous en dire plus là-dessus.
M. Plouffe (Robert): C'est un changement de garde qui est significatif de ce qu'il se passe, que le gouvernement est peut-être en...
M. Aussant: Bien, ça illustre clairement qu'il faut quelque chose d'autre parce que le climat ne se règle pas, le conflit ne se règle pas. Donc, si c'est ça qui peut aider, je le souhaite, mais, malheureusement, je ne pense pas que c'est un conseiller qui va venir régler le problème. Le premier ministre, c'est M. Charest, c'est à lui d'être le leader que les Québécois devraient voir, et, actuellement, il n'est pas à la hauteur de son rôle. Donc, c'est à lui de se reprendre en main, de se ressaisir et de régler ce conflit-là dans l'intérêt de tous les Québécois qu'ils aient voté libéral ou non.
M. Ouellet (Martin): Mais c'est un signal de quoi?
M. Plouffe (Robert): M. Curzi, peut-être, sur...
M. Ouellet (Martin): Je m'excuse, mais c'est un signal... C'est à moi, je peux-tu? Ça dérange-tu?
M. Plouffe (Robert): Mais M. Curzi...
M. Curzi: Ah! non. Mais, moi, je pense que M. Gagnier a la réputation d'être un fin stratège puis d'un homme très intelligent. Mais, si sa venue a pour but d'argumenter des astuces, je pense qu'on est rendus ailleurs. Puis, ce qui est assez clair quand on assiste au débat à l'Assemblée nationale, c'est que, la polarisation, ça devient très difficile de franchir les ponts entre les deux positions. Alors, peut-être que le temps est venu qu'il y ait vraiment un comité de sages qui puisse permettre que chacun accepte, jusqu'à un certain point, de reculer ou de céder. Moi, je pense que ça va prendre un intermédiaire maintenant pour dénouer ce conflit-là.
M. Ouellet (Martin): Mais M. Gagnier a été nommé en 2007, lorsque le gouvernement était minoritaire, il l'a conduit à une majorité. Alors, est-ce qu'il y a là une manoeuvre aussi pour le gouvernement de sauver les meubles ou... vous ne croyez pas...
M. Aussant: Est-ce que c'est M. Gagnier...
M. Ouellet (Martin): ...de ramener et de rappeler M. Gagnier à la rescousse?
M. Aussant: Oui. Bien, est-ce que c'est M. Gagnier lui-même qui les a menés à la victoire? Il a peut-être contribué à quelque chose, mais le fait est que, si le gouvernement appelle en renfort des gens qui n'étaient pas là avant, c'est qu'il se sent désarmé puis il ne sait pas comment régler la crise. Donc, ça, c'est mauvais signe de la part d'un chef de gouvernement. Donc, on espère juste qu'il va s'élever à la hauteur de sa fonction et régler ça dans l'intérêt de tous les Québécois, pas juste les libéraux.
M. Dutrisac (Robert): Maintenant, moi, je vais sur la question de la loi n° 78. Vous ne craignez pas que la répression va avoir un effet sur la mobilisation, sur les manifestants? C'est ça, hein? Si, par exemple, on embarque 10 % des foules à chaque jour, à un moment donné, on va peut-être dissuader... justement, ça va avoir un effet, là. La répression a un effet sur les manifestations.
M. Aussant: Bien, moi, là-dessus, je vous dirais que, le droit de manifester pacifiquement, il est absolu, à mon avis. Donc, si un jour la police veut essayer d'embarquer 250 000 personnes qui ont tourné à droite ou tourné à gauche alors qu'ils avaient prédit l'inverse dans leur itinéraire, ce sera impraticable en réalité. Cette loi-là, elle est absurde, et les lois qui existaient avant la loi bâillon n° 78 étaient totalement suffisantes pour punir ceux qui faisaient de la casse et laisser manifester les gens qui étaient pacifiquement là. Donc, cette loi-là est inutile et elle vient restreindre les droits de ceux qui le faisaient pacifiquement sans rien changer pour un casseur qui, de toute façon, ne va pas lire la loi avant de se demander s'il lance une roche ou non. Donc, c'est une loi qui est inutile et, j'en suis convaincu, est là pour polariser la population dans un pari électoral que le premier ministre fait. Et, quand on joue comme ça avec la population, c'est ce que René Lévesque appelait prendre la population pour de la marchandise électorale, là, c'est absolument déplorable. Et donc, je ne serai pas le premier à le dire, et ce n'est pas la première fois que je le dirai : Je ne pense pas qu'actuellement Jean Charest mérite son poste de chef de gouvernement.
M. Dutrisac (Robert): Sur votre projet de loi, est-ce que vous allez chercher l'appui du Parti québécois, par exemple? Je pense qu'il y a certaines de vos propositions qui recoupent celles du Parti québécois. Est-ce que...
M. Aussant: Il y a des propositions là-dedans qui recoupent celles de bien d'autres partis, en fait de tous les partis, sauf le Parti libéral, peut-être, et qui sont déjà appliquées dans bien des pays du monde. Donc, ce n'est pas des nouvelles idées, c'est simplement qu'on est rendus là au Québec, il faut appliquer ça pour assainir notre démocratie. Actuellement, ce sont deux partis qui alternent. Les dates d'élection sont décidées par le chef de gouvernement qui, évidemment, choisit la date qui l'avantage. L'allocation des sièges au Parlement n'a rien à voir avec les votes exprimés. Donc, ce sont des réformes qui sont dues au Québec, qui sont urgentes à faire. Donc, je pense qu'au sein du caucus du Parti québécois j'ai l'appui d'une bonne majorité des députés du Parti québécois.
M. Dutrisac (Robert): Bien, est-ce que vous allez chercher leur appui...
M. Aussant: Bien, personnellement, j'en ai discuté avec plusieurs qui sont d'accord. Ce sera à eux de le dire publiquement ou non. Je pense qu'ils ont encore une ligne de parti et ils ont encore une dynamique spéciale, là, dans les circonstances, mais je sais qu'individuellement, au PQ, il y a beaucoup de gens qui aiment beaucoup ce projet de loi là.
M. Dutrisac (Robert): Et, bon, concernant le lieutenant-gouverneur, finalement, c'est un poste du gouvernement fédéral qui est constitutionnalisé, en quelque sorte. Comment on fait pour l'éliminer?
M. Aussant: Bien, vous savez qu'il y a des précédents légalement, je dirais, au Québec. Quand on a aboli le Sénat au Québec, c'était aussi un changement assez profond. Et ça a été fait. Donc, si la volonté y est, d'assainir la démocratie et de la moderniser, parce que c'est vraiment ce que le projet de loi vise à faire, bien, on va le changer, ce poste-là. Un représentant d'une monarchie étrangère au Québec, je ne pense que ce soit une chose que tous les Québécois souhaitent. Donc, s'il faut faire des changements à des lois ou à une constitution pour faire ça, faisons-le, mais une constitution est là pour le peuple et non l'inverse. Je ne pense pas que la Constitution soit un document monolithique qu'on ne peut plus jamais changer. Ça serait ridicule. Ça ne vient pas d'un extraterrestre, cette chose-là: c'est écrit pour et par le peuple. Donc, je pense que la décision de remplacer le poste de lieutenant-gouverneur par un administrateur général qui serait nommé aux deux tiers par les élus de l'Assemblée est une chose beaucoup plus démocratique que d'avoir un représentant de la Reine ici. Merci beaucoup.
(Fin à 11 h 22)