(Quinze heures dix minutes)
M. Fortin :Bonjour. Merci. Merci d'être là pour entendre notre
réaction au projet de loi volumineux, appelons ça comme ça, qui a été déposé
par le ministre de la Santé. D'abord, sur la création de l'agence Santé Québec,
on a beau le revirer tous les bords, tous les côtés, là... puis on va le
regarder en détail dans les prochaines semaines, mais on a beau regarder ça de
tous les angles possibles, pour nous, ça nous semble vraiment comme un
bouclier, un bouclier pour Christian Dubé, un bouclier anti-imputabilité pour
que le ministre, lorsque surviendra une situation dans un hôpital ou dans un autre,
n'ait qu'à se tourner vers le P.D.G. de l'agence et dire : Occupe-toi-z-en.
Le ministre se décharge de sa responsabilité, de son imputabilité.
Et, s'il tenait absolument à tout
centraliser à une place, il aurait pu faire ça au ministère, il n'était pas
obligé de se créer une agence indépendante ou une société d'État pour faire ça.
C'est du grand Christian Dubé, là, qui préfère penser aux grandes orientations
du ministère plutôt que de travailler aux résultats pour les patients dans
chaque hôpital.
Les premières réactions, on les trouve
parlantes, surtout du fait que Christian Dubé nous a, aujourd'hui, peint un
portrait assez positif de la chose. D'entendre les différents groupes, les
différents intervenants avoir comme première réaction — il y en aura
d'autres, assurément, là — qu'ils n'ont pas été consultés, qu'ils n'ont
pas été écoutés par le ministre de la Santé avant de déposer une réforme d'une
telle ampleur, c'est surprenant et décevant, franchement, de la part du
ministre Dubé.
Troisième chose, ce qui nous a été
présenté aujourd'hui est très loin du patient. Il y a trois mois, quand
Christian Dubé a commencé à parler de l'agence Santé Québec, il nous a dit :
Un cas comme celui de Mme Bourassa, qui, essentiellement, est décédée dans des
circonstances atroces, dans une souffrance pénible, ça ne se reproduira plus
après ma réforme. Je ne vois pas comment la réforme qui nous a été présentée
aujourd'hui ferait en sorte qu'une situation comme celle-là ne se reproduirait
pas.
M. Denis (Maxime) : Comment
on accepte ça, l'idée d'ajouter des directeurs, d'ajouter du monde, quand on
est dans un contexte de pénurie de main-d'œuvre?
M. Fortin :Bien, de...
Une voix : ...
M. Fortin :Oui, mais, dans la structure actuelle, là, c'est très
possible d'avoir des directeurs de CHSLD, c'est très possible d'avoir des
directeurs d'hôpitaux. Il y en a, des directeurs, dans des CHSLD au Québec.
Moi, dans ma région, il y a des directeurs attitrés à certains centres de soins
de longue durée. Alors, de faire la même chose pour des directeurs d'hôpitaux,
c'est une chose. Là où ça vient difficile et problématique, c'est qu'on enlève,
essentiellement, les conseils d'administration régionaux. Donc, la structure
hiérarchique, là, elle va passer de directeur d'hôpital à P.D.G. de CIUSSS, à P.D.G.
d'agence, à ministre de la Santé. C'est un lien très direct où la communauté
est très peu impliquée, où les acteurs locaux sont très peu impliqués. Alors,
pour des représentants locaux qui ont chacun un rôle, là, sur ces C.A. là, ils
deviennent essentiellement des gens qui sont là pour mesurer la performance et
pour faire une reddition de compte. Ils n'ont aucun pouvoir décisionnel. Tout
le pouvoir décisionnel est concentré dans les mains de celui ou celle — le
fameux «top gun» — qui va être nommé par le ministre.
M. Desrosiers (Sébastien) : La
création de l'agence Santé Québec, selon Christian Dubé, représente l'avantage
pour les employés du réseau de n'avoir qu'un seul employeur. Il a donné l'exemple,
par exemple, de la mobilité, bon, quelqu'un qui a 20 ans d'expérience à
Montréal pourrait aller travailler dans une autre région sans perdre son
ancienneté.
M. Fortin :Oui.
M. Desrosiers (Sébastien) : Est-ce
que vous voyez là quelque chose d'intéressant?
M. Fortin :Et l'ancienneté réseau, là, ça peut être un concept
intéressant, c'est un concept... On entendait certains des leaders syndicaux,
par le passé, hier, dire que c'est une demande de longue date de la part de
certains syndicats. On entend d'autres syndicats, aujourd'hui, nous dire que ce
n'est pas une demande de longue date de leur part, qu'eux ont des appréhensions
importantes par rapport à ça. C'est quelque chose qui peut avoir des effets
positifs, ça, on le reconnaît, mais il faut que ce soit fait correctement parce
qu'il y a aussi une part de risque pour le fonctionnement de certaines régions.
Donc, il faut s'assurer de le faire correctement. Si c'est quelque chose que le
ministre tient à mettre de l'avant, on peut comprendre pourquoi, mais il faut
faire attention à ne pas déshabiller certaines régions en faisant ça.
Mme Deschênes
(Stéphanie) :Est-ce que vous voyez, vous,
une similarité entre cette réforme-là puis la réforme de votre ancien collègue,
Gaétan Barrette?
M. Fortin :Bien, moi, je... Il y a deux choses, là. Peut-être qu'à un
certain niveau philosophique, je peux comprendre, sauf que le Parti libéral a
choisi de faire certaines réformes et d'arrêter à un certain point. La
Coalition avenir Québec fait un autre choix aujourd'hui. Elle choisit d'aller
beaucoup plus loin que des réformes passées.
Et ce qui est surprenant, là-dedans, c'est
qu'il y a... beaucoup des pouvoirs que les réformes des dernières années ont
octroyés au ministre, il ne s'en sert pas. Il y a une raison pour laquelle le
nombre de Québécois qui ont un médecin de famille bien à eux a diminué, dans
les dernières années, c'est parce que le ministre de la Santé actuel a choisi
de ne pas utiliser des pouvoirs qu'il a eus dans les dernières réformes. Si le
ministre Dubé veut envoyer des spécialistes en région, là, bien, le projet de
loi n° 130, qui avait été piloté par le Parti libéral,
à l'époque, lui donne beaucoup de ces pouvoirs-là, en fait, donne à ses
gestionnaires de CISSS et de CIUSSS beaucoup de ces pouvoirs-là. Alors, lui, il
choisit d'aller beaucoup plus loin aujourd'hui que ce que le Parti libéral avait
choisi de faire à l'époque.
M. Laberge (Thomas) : Vous
parlez d'aller plus loin, là, mais que certains l'interprètent comme,
finalement, le parachèvement de la réforme Barrette, est-ce que vous êtes d'accord
avec ça?
M. Fortin :Moi, je pense que ce qui avait été proposé à l'époque par
le Parti libéral, c'étaient plusieurs avancées, mais, à un moment donné, le
Parti libéral a fait un choix, que c'était suffisant aussi. Maintenant, il y a
des concepts qui sont introduits que moi, en tant que député libéral pour les
huit dernières années, on ne m'a jamais présentés. Le concept d'agence, là...
moi, c'est la première fois que j'entends parler du concept d'agence Santé
Québec, et quand je le regarde, aujourd'hui, ça m'apparaît comme un écran de
fumée.
M. Desrosiers (Sébastien) : Vous
dites : On a choisi d'arrêter, mais M. Barrette lui-même, dans un
article de presse, disait... bien, donnait une autre version, disait que
c'était plutôt Philippe Couillard qui avait, je reprends son terme, là, «choké».
Est-ce que c'est ça qui s'est passé ou on a choisi d'arrêter?
M. Fortin :Je ne peux pas dire, je n'étais pas dans la conversation
entre le ministre de l'époque et le premier ministre de l'époque. Cependant, je
peux vous dire que c'est normal que Philippe Couillard, à un certain point,
dise : Moi, c'est la réforme que je mets de l'avant. Aujourd'hui, le
ministre Dubé peut très bien mettre une réforme, puis, dans quelques années,
quelqu'un d'autre peut dire : Moi, je veux aller encore plus loin. Ça ne
lui appartient pas, à ce moment-là.
M. Laberge (Thomas) : Mais
comment vous réagissez que votre ancien collègue applaudisse à ce point-là la
réforme de M. Dubé?
M. Fortin :Bien, je pense qu'il y a des gens qui vont voir, de leurs
perspectives, quelque chose de positif, il y a des gens qui vont voir quelque
chose de négatif. Moi, je trouve surtout qu'il faut regarder la réforme du
point de vue du patient, en ce moment, et de personne d'autre. Et la réalité de
2023, elle est différente de la réalité de 2016, puis il y a des patients,
aujourd'hui, là, dans le mode postpandémique, qui n'ont pas les services auxquels
ils avaient accès à une certaine époque, et je pense qu'il faut d'abord penser
à eux plutôt que de penser au jeu politique.
M. Desrosiers (Sébastien) : Vous
allez participer aux consultations. Selon vous, quand est-ce que ça pourrait
être adopté?
M. Fortin :Bien, honnêtement, je n'ai jamais vu un projet de
1 200 articles, donc c'est dur à dire, combien de temps ça va prendre,
étudier ça. C'est le projet de loi, de loin, là, le plus volumineux que j'ai vu
depuis les huit ans que j'ai passés comme parlementaire, alors c'est dur à
dire, mais c'est une réforme qui est importante. Sans vouloir dire que cette
réforme-là va prendre un grand bout de temps à adopter, je pense qu'il y a des
concepts qui méritent d'être étudiés, à l'intérieur de cette réforme, il y a
des impacts qui méritent d'être mesurés et il y a des gens qui aujourd'hui nous
disent : Le ministre de la Santé ne nous a pas consultés qui méritent
d'être consultés.
M. Spector (Dan) :Just… In English. What did you like, what
did you dislike?
M. Fortin :Well, first off, the concept of an independent or… a «société
d'État» or an agency is a brand new concept, it's something that, to us, is
much of a… is very much a shield for the Health Minister to protect himself
against his own ministerial responsibility. It basically feels like every time
something happens in a hospital, he'll simply turn to his CEO of the agency and
say : Go fix that. He basically, himself, resumes or takes his job and
says : My job is to get money from the Finance Minister, my job is to give
it to the agency, and they can operate anything else. So, he's very much taking
responsibility away from himself with… and «imputabilité» away from…
accountability away from himself, and I don't see how that's positive.
One of the things that
has surprised us is the reaction of a lot of the groups who said they weren't
consulted, they weren't listened to. I expected better out of Christian Dubé.
And what really, to us, seems lacking here is how this will impact the patient.
One of the first things that Christian Dubé said when he started musing about
this was that a patient like «Mme Bourassa», who died at St. Mary's Hospital in
Montreal under painful conditions, without getting the quality of care that we
expect, that a situation like that could not happen again. I fail to see, with
the bill that was put forward today, at least at this point, how a situation
like that would be avoided.
M. Spector (Dan) :
Yes, and like do you think there's enough in there to
reduce, you know, ER wait times, you know, like somebody waiting at the
Lakeshore for 50 hours is… like, have you seen enough to think that that's
going to go away?
M. Fortin :
There may be aspects of the bill that, in time, can
have a positive impact, but there's also a big part of the bill that we don't
see how it's geared towards patient care, it's not geared towards the people
who, right now, are at the emergency room, it's not geared towards the people
who, right now, are in a operating room and who are waiting. It seems to be a
bill that is very much in a… more in a philosophical area, like the creation of
the agency. A lot of what the minister proposes to do could have been done
inside the ministry. If he really felt like he needed to centralize everything
the way he's doing, he could have done that through the ministry instead of
creating an independent agency and hiring what he calls «top guns» from the
private sector. So, that's the part that, really, the minister has to prove to
everybody and demonstrate to everybody, how patient care will be improved by
this, because, at first glance, it's not visible to us.
Merci à vous.
(Fin à 15 h 21)