(Treize heures deux minutes)
Mme Maccarone : Bonjour
à tous. Aujourd'hui, je suis en compagnie de Pascal Vaillancourt, directeur
général d'Interligne, ainsi que Johanne Audet, présidente, et Marie-Claude
Gendron qui représente aussi l'organisme Interligne.
Comme vous le savez, l'organisme doit
malheureusement fermer sa ligne d'écoute d'ici le 31 mars prochain. Et,
pour votre information, ce qui est très important pour que tout le monde
comprenne, c'est que c'est plus… le tiers des appels d'urgence qui surviennent
la nuit, auxquels ils ne pourront plus répondre. La semaine dernière, j'ai posé
une question en Chambre, et la ministre m'a dit qu'elle connaissait très bien
le dossier et qu'elle était en analyse, mais… Parce que ça fait plus que deux
ans depuis que l'organisme fait des demandes pour avoir une écoute du
gouvernement puis ça fait plus que huit mois que le dossier dort sur le bureau
du ministère de la Santé et des Services sociaux. Il faut avoir une écoute. Le
31 mars, c'est demain.
Alors, aujourd'hui, je reviens à la charge
pour demander au gouvernement à nouveau. Parce que ce qu'il faut savoir, c'est :
les personnes qui appellent, ont des services d'écoute, sont ceux qui vivent
des doutes sur eux-mêmes puis qui ont besoin d'avoir une écoute, qui ont besoin
d'avoir une aide. C'est la personne qui vit une rupture difficile, c'est la
personne qui a des blessures cachées et qui traîne un malaise profond, c'est la
personne qui a perdu un être cher, c'est la personne qui a perdu le goût de
vivre. Bref, c'est tout le monde qui ont une détresse. C'est ça, les gens qui
appellent à un service comme Tel-Aide, à un service comme Suicide Action
Montréal. Interligne répond aussi à de tels appels, mais ils sont encore plus
spécialisés pour la communauté 2SLGBTQIA+. Alors, ils demandent d'être
traités avec la même considération budgétaire que n'importe quel autre groupe
en santé mentale.
Je vais vous donner un exemple, un exemple
que j'ai eu, dans le fond, à mon bureau de comté, d'une femme trans, une femme
en transition qui souffre aussi de problèmes de santé mentale, qui est en
détresse parce qu'elle vit des problèmes avec sa transition. Imaginez, elle
fait un appel, puis son nom est Dominique, puis la personne qui répond à l'appel
dit : Oui, bonjour, monsieur. Ça, ça peut être la goutte qui fait déborder
le verre pour une personne qui est en transition, qui est en train de souffrir.
Puis ça, c'est le genre d'appel qu'Interligne va répondre. C'est un service
spécialisé, c'est très important et c'est pour ça qu'Interligne existe.
Nos organismes, contrairement à ce que le
gouvernement pense, ne sont pas gourmands. Ils demandent le strict minimum pour
continuer d'offrir leurs services et aider la population québécoise. Et j'espère
que le gouvernement va enfin prendre en considération les besoins d'Interligne
et tous les organismes. Dans le fond, tous les organismes que j'ai rencontrés,
juste, ce matin, que ce soit TransEstrie, que ce soit Les 3 Sex*, que ce
soit AlterHéros, les groupes qui ont besoin d'avoir un soutien... le milieu
communautaire ont besoin, mais aujourd'hui Interligne sont ici, se sont
déplacés. On va déposer une motion aujourd'hui, en Chambre, j'espère que le
gouvernement va voter en faveur. Parce qu'on ne peut pas juste permettre un
organisme de vivre, il faut être là pour intervenir, pour aider les gens qui
ont un besoin avant que ce soit une crise totale pour quelqu'un.
Alors, je veux aussi faire la mention que
mes collègues et moi de la députation libérale, pour venir aider, pour essayer
d'épauler Interligne, on fait un don de 10 000 $, collectivement, pour
essayer de pallier le manque qu'ils ont actuellement, budgétaire. On espère que
ça va aider, on espère aussi que ça va inspirer le gouvernement, eux aussi, de
prendre en considération leurs besoins. Le budget va bientôt être déposé, pour
le gouvernement, il reste du temps pour eux de répondre à la positive en ce qui
concerne les demandes d'Interligne, et on espère qu'il va y avoir une écoute
très positive pour eux. Alors, sans plus tarder, je passe la parole à Pascal
Vaillancourt.
M. Vaillancourt (Pascal) : Alors,
bonjour, tout le monde. Pascal Vaillancourt, directeur général d'Interligne. En
fait, Mme Maccarone, merci pour l'invitation, et elle vous a dépeint un très
bon portrait des personnes qui utilisent le service d'Interligne. En fait,
Interligne, la situation du sous-financement, ça date de plusieurs années,
plusieurs décennies, ça date, en fait, des années 80 à cause d'un
sous-financement des groupes communautaires LGBTQ, à l'époque où le
gouvernement, les gouvernements de l'époque donnaient beaucoup d'argent à
l'ensemble du milieu communautaire. Toutefois, la situation de l'acceptation
sociale des personnes LGBTQ+ dans notre société a fait en sorte que nous, ces
organismes-là qui étaient nés à l'époque, nous n'avons pas eu accès à ces
financements-là.
Depuis les deux dernières années, la
situation financière d'Interligne s'est exacerbée en raison de la situation
économique, de la pénurie de main-d'oeuvre, etc. Donc, c'est ce qui fait
qu'aujourd'hui on est obligés de parler de la fermeture de notre service de
nuit, qui est prévue, à l'heure actuelle, pour le 31 mars prochain, malgré
les nombreuses initiatives qu'on a faites pour solliciter le gouvernement
depuis les deux dernières années.
Les conséquences de cette disparition-là,
en fait, c'est une dizaine de milliers de recours au service qui vont demeurer
sans réponse. C'est des régions qui n'auront plus de couverture d'une ligne 24/24 spécifique,
LGBTQ+. C'est des appels beaucoup plus urgents qui vont demeurer sans réponse,
des appels en lien avec le suicide, des appels en lien avec la détresse
psychologique, l'anxiété, l'automutilation. Ce sont quand même des motifs très
importants qui nécessitent une présence 24 heures pour soutenir ces
personnes-là. C'est la disparition, en fait, d'un filet de sécurité dans le
continuum des soins de santé pour les personnes LGBTQ+, soins de santé qui sont
déjà assez rares au Québec.
Pourquoi une ligne spécifique LGBTQ+?
C'est simple, c'est parce que le lien de confiance est déjà là. Nos
communautés, en fait, quand ils appellent dans des ressources qui sont plus
généralistes, n'ont pas toujours accès à la même qualité de services, pas par
mauvaise foi des autres ressources, mais souvent c'est un manque de
connaissance sur certains enjeux. Et, un peu comme l'exemple de la personne qui
s'appelait Dominique, qui est une femme trans, de Mme Maccarone, ces
personnes-là, quand elles appellent dans des ressources généralistes, peuvent
vivre des micro-agressions, puis cette micro-agression-là peut amener à
certaines conséquences plus importantes.
J'ai été moi-même choqué de certaines
réponses des différents ministres qui ont pris la parole à l'Assemblée
nationale, la dernière fois, la semaine passée, en fait, entre autres la
facilité à référer les personnes LGBTQ+ au 8-1-1, 8-1-1 qui réfère déjà chez
Interligne à plusieurs occasions. C'est assez fréquent, ces références-là. Et,
en fait, il faut savoir aussi que la solution, elle semble facile, là, de
mettre un guichet unique, mais, quand on est en crise, quand on est en
détresse, d'avoir plusieurs portes d'entrée, je pense que c'est la solution.
Moi, ce que j'aimerais, en fait, beaucoup,
c'est qu'on compare les ressources comme la nôtre à d'autres lignes
spécialisées. Si on porte l'attention sur d'autres lignes qui interviennent en
milieu... sur des motifs de suicide, on va voir assez rapidement qu'Interligne
ne demande pas la lune. À l'heure actuelle, ce qu'on demande, c'est un
financement qui est équitable avec ces autres ressources là. La semaine
dernière, la ministre a pris la parole en nommant qu'Interligne il y avait une
raison d'équité, derrière cette décision-là, face aux autres organismes LGBTQ+,
mais les autres organismes LGBTQ+ sont sous-financés depuis 40 ans
également. Et, nous, en ce moment, ce qu'on demande, c'est d'être considéré
comme une ligne spécialisée au même titre qu'une ligne qui intervient en
suicide, au même titre qu'une ligne qui intervient en jeunesse, bref, qu'on
nous considère au même niveau que ces organismes-là.
On aimerait, en fait, aussi spécifier
qu'Interligne est dans une enveloppe budgétaire nationale. Notre champ d'action
est très large. On intervient à la grandeur de la province, et même plus, et
c'est un joyau du Québec, il n'y en a pas d'autre, ligne comme ça. C'est né au
Québec, il n'y a pas de ligne comme ça dans le restant du Canada, où des
professionnels LGBTQ+ répondent à des personnes LGBTQ+, en établissant un lien
de confiance très rapidement.
Je termine, en fait, en demandant au
gouvernement Legault de revoir sa position, en fait. On aimerait beaucoup... En
fait, je le sais, qu'ils ont dit que la demande... était toujours en évaluation
de la demande. J'ai confiance que le gouvernement Legault ne veut pas laisser
les personnes LGBTQ+ derrière, sans ressources. J'ai confiance qu'on ne sera
pas considérés comme des citoyens de second niveau. Ce sont des personnes qui
paient des impôts comme tout le monde, des personnes qui méritent, en fait,
d'avoir accès à des services de même qualité que l'ensemble des personnes qui
vivent au Québec. On demande un 300 000 $ pour maintenir notre service de
nuit. Puis c'est la pointe de l'iceberg, parce que, derrière ça, il y a des
conditions de travail qui ne sont pas toujours décentes chez Interligne, pas
par mauvaise foi de l'organisme, mais par manque de financement. Et c'est
important, pour nous, de contrer cette discrimination-là des personnes LGBTQ+
qui viennent travailler dans des organismes LGBTQ+ et qui sont sous-financées
en raison d'un manque de financement. Donc, on demande beaucoup à... On demande
à M. Legault, en fait, de faire preuve de leadership, comme pour sa vision
économique du Québec, de le faire également pour les enjeux des services
sociaux qui touchent les personnes LGBTQ+, en nous soutenant. Merci.
La Modératrice : On est prêt
à prendre les questions. Florence du Devoir.
Mme Morin-Martel (Florence) :
Oui, bonjour.
M. Vaillancourt (Pascal) : Bonjour.
Mme Morin-Martel (Florence) : Oui,
en fait, est-ce que je comprends bien, vous n'êtes pas en discussion, en ce
moment, avec le gouvernement, donc la demande est en analyse, mais vous n'êtes
pas en discussion?
M. Vaillancourt (Pascal) : Nous
avons fait une rencontre avec le ministre Carmant il y a deux ans. Suite à
cette rencontre-là, nous n'avons pas eu de retour, malgré plusieurs échanges de
notre part, on a relancé le ministre à plusieurs occasions. Dernièrement, on a renvoyé
une demande, une fois que les élections ont eu lieu, que le ministre a été
réélu dans son poste, on a eu une réponse nous disant qu'on devrait passer par
nos fonctionnaires, finalement, responsables de nos dossiers. C'est un
conseiller politique qui nous a répondu suite à une rencontre qu'on avait eue,
le 18 novembre dernier, avec ce même conseiller-là. C'est pas mal le seul
échange qu'on a eu.
Je sais que la ministre Biron a mentionné
qu'on était en relation, qu'on s'est parlé. Effectivement, on s'est rencontrés
dans une rencontre de présentation où il y avait 30 organismes LGBTQ+. On
a eu la chance de présenter nos organismes, mais nous n'avons pas d'échange, à
l'heure actuelle, sur la situation difficile que vit Interligne.
Mme Morin-Martel (Florence) :
O.K. Puis, par rapport à votre demande, si je comprends bien, dans le fond,
votre enveloppe budgétaire, vous demandez à ce qu'elle soit doublée pour
l'ensemble des services? Ce n'est pas juste le service nocturne, c'est ça?
M. Vaillancourt (Pascal) : En
fait, on demande 300 000 $.
Ce 300 000 $ là est
pour sauver notre service de nuit qui n'a jamais été financé par le
gouvernement. C'est la ville qui nous avait permis de le mettre en place à
l'époque. Et, dans ce financement-là, on demande également une portion du
financement pour améliorer nos conditions de travail, pour que nos employés qui
travaillent de nuit aussi aient des salaires décents. Il n'y a pas beaucoup de
gens qui travailleraient à 17 $ de l'heure, la nuit, à l'heure actuelle.
Mme Morin-Martel (Florence) :
Donc, selon vous, c'est ce qui justifie ce montant-là?
M. Vaillancourt (Pascal) : Oui,
c'est ça.
Mme Morin-Martel (Florence) :
O.K. Merci.
M. Vaillancourt (Pascal) : Merci.
La Modératrice : Marie-Josée,
Radio-Canada.
Mme Paquette-Comeau (Marie-Josée) :
Oui. Donc, vous dites qu'il va y avoir une motion, Mme Maccarone, qui
va être déposée cet après-midi. Qu'est-ce qui arrive si elle n'est pas acceptée?
Quelle sera votre réaction?
Mme Maccarone : Ah! Bien,
c'est sûr, ça va être une d'une grande déception si la motion n'est pas adoptée
à l'unanimité à l'Assemblée, lors du dépôt, parce qu'on n'a même pas précisé le
montant, dans la motion, ça va être important que le gouvernement prenne acte.
Si c'est non, on va revenir à la charge, on va continuer à travailler avec
l'organisme en question. Comme j'ai mentionné tout à l'heure, le budget n'est
toujours pas encore déposé. Ça fait que ça va être de faire des appels auprès
des ministres, d'envoyer des courriels.
Je sais qu'Interligne a présentement,
aussi, une campagne de sensibilisation, ils demandent à la population d'envoyer
des messages au premier ministre pour dire comment qu'Interligne puis le
service qu'il offre, ils sont essentiels. Ça fait que ça, ça va continuer
aussi. Puis, si c'est toujours un non après le dépôt du budget, bien, on va
attendre pour les crédits budgétaires pour continuer à talonner le gouvernement
en ce qui concerne le financement de l'organisme en question.
Mme Paquette-Comeau (Marie-Josée) :
Et, une question pour M. Vaillancourt, en fait, vous parlez d'un
service à toute la province, donc un service national. Vous avez dit qu'il y a
certaines régions qui ne seraient pas couvertes, pouvez-vous nous donner un
petit peu plus de détails, parler des régions?
M. Vaillancourt (Pascal) : Oui.En fait, il y a plusieurs régions qui n'ont aucun organisme LGBTQ ou les
organismes qui existent ne sont pas des organismes de soutien. Je donne, entre
autres, l'exemple du Saguenay. Ils ont un petit organisme LGBTQ là-bas, qui
fait du travail au niveau de la région, mais ce n'est pas un organisme qui va
faire de la relation d'aide avec les personnes qui en ont besoin. Sept-Îles, en
fait, vont voir disparaître complètement… la seule ressource LGBTQ qui vient
intervenir à Sept-Îles, c'est Interligne. Donc, il y a des régions comme ça qui
vont se retrouver sans ressources.
Mme Paquette-Comeau (Marie-Josée) :
Et, si vous êtes ici aujourd'hui, c'est parce que vous sentez l'urgence.
J'imagine que vous n'avez pas nécessairement senti l'écoute que vous auriez
aimée. Avez-vous l'impression qu'on vous traite différemment et on traite la
communauté LGBTQ différemment de la communauté… je ne veux pas mettre de
qualificatif, des autres, disons?
M. Vaillancourt (Pascal) : En
fait, je ne veux pas attribuer de mauvaise foi au gouvernement. J'ai encore bon
espoir qu'il prenne des décisions pour nous soutenir. Toutefois, j'avoue que,
dans la perception des choses, à l'heure actuelle, ça peut donner l'impression
que les personnes LGBTQ+ ne sont pas vraiment importantes, mais, comme je le
dis, je ne veux pas leur attribuer de mauvaise foi pour le moment. J'espère
qu'il va y avoir un revirement de situation et qu'on va nous prouver le
contraire.
Mme Maccarone : Est-ce que je
peux renchérir sur cette réponse? Je veux juste dire que moi, je pense qu'il y
a quand même un recul des droits de la communauté LGBTQ ici, à l'Assemblée
nationale. Auparavant, on avait un ministre responsable de la Lutte contre l'homophobie
et la transphobie. On n'a plus ce titre, maintenant, à l'Assemblée nationale.
Quand j'ai posé la question, la semaine passée, c'était la ministre responsable
de la Condition féminine qui s'est levée pour une réponse. Alors, on a un
secrétariat à la remorque d'un autre secrétariat, quand, auparavant, le bureau
de lutte était sous le ministère de Justice. Alors, c'est quand même un
recul assez important qu'on n'a même plus un ministre qui porte le titre. Puis
il n'y avait même pas de nomination, il n'y avait même pas une annonce de la
part du gouvernement, on a su tout ça à cause de vous, les journalistes qui ont
fait un reportage là-dessus. Merci.
(Fin à 13 h 16)