(Huit heures quarante minutes)
La Modératrice : Bienvenue au
point de presse. Interviendront, en ordre, Christine Labrie, responsable de la
deuxième opposition en matière d'éducation, Véronique Hivon, responsable de la
troisième opposition en matière d'éducation, et des jeunes impliqués dans La
voix des jeunes compte, Sha'Nyce Mocombe, Kenza Chahidi, Youveline Gervil, puis
Mélanie Lemay.
Mme Labrie : Bonjour,
tout le monde. On est ici, aujourd'hui, parce que l'étude du projet de loi n° 9, qui réforme le protecteur de l'élève, tire à sa fin.
Il ne reste que quelques articles dont on doit discuter avant que l'étude
détaillée soit terminée. Et on est ici, ce matin, avec des représentantes de La
voix des jeunes compte, avec ma collègue Véronique Hivon du Parti québécois,
parce qu'il reste encore des luttes à mener pour l'enjeu des violences
sexuelles dans nos écoles. Il y a des gains qui ont été faits par rapport au
protecteur de l'élève grâce à la lutte menée de longue date par les jeunes. Notamment,
le fait qu'il va y avoir un processus de traitement accéléré des plaintes qui
concernent les violences sexuelles, le fait que les protecteurs de l'élève vont
être formés spécifiquement pour les violences sexuelles, c'est un gain.
Mais par contre on reste très inquiètes,
actuellement, que le ministre de l'Éducation veuille confier aux politiques
contre les violences et l'intimidation tout l'enjeu des violences sexuelles
dans nos écoles. Ce sont des politiques qui existent depuis déjà 10 ans,
qui, malheureusement, n'ont jamais donné les résultats escomptés. Il suffit de
se promener dans une école, de discuter avec des élèves, des membres du
personnel pour savoir que ces politiques-là ne donnent pas les résultats qu'on
aurait voulus, ne sont pas toujours appliquées, les violences, intimidation
persistent dans nos écoles. Et donc de simplement pelleter dans la cour de ces
politiques-là l'enjeu des violences sexuelles, pour nous, ça ne règle pas du
tout le problème des violences sexuelles dans nos écoles, et, au contraire, ça
peut même en créer d'autres, parce que ces politiques-là, elles ne sont pas
adoptées en concertation avec les élèves, les membres du personnel, les parents
notamment.
Autre enjeu, c'est que les moyens ne sont
pas là, sur le terrain, pour appliquer les politiques contre les violences et
l'intimidation. Donc, ce n'est pas vrai qu'on peut rajouter des choses dans ces
politiques-là sans rajouter des moyens sur le terrain, et penser que nos élèves
vont être en meilleure sécurité dans nos écoles. C'est vraiment un enjeu.
Donc, on a vu que Jean-François Roberge
s'est montré sensible à l'enjeu des violences sexuelles. On a vu qu'il a fait
des pas dans la direction de ce que demandaient les jeunes de La voix des
jeunes compte pour améliorer le protecteur de l'élève. Mais ce qu'on veut qu'il
entende, aujourd'hui, c'est que sa solution de pelleter ça dans la cour des
politiques contre les violences et l'intimidation, ce n'est pas une bonne
solution pour régler l'enjeu des violences sexuelles, ce n'est pas ce que les
jeunes demandaient. On lui demande vraiment, encore aujourd'hui, d'appeler le
projet de loi-cadre sur les violences sexuelles à l'école. C'est ça dont on a
besoin pour régler l'enjeu. Je cède la parole à Véronique Hivon.
Mme Hivon : Merci
beaucoup, Christine. Alors, tout simplement, pour compléter, dire qu'on est de
tout cœur en appui avec le mouvement de La voix des jeunes compte. Pour aller
un peu dans le même sens, le problème, en ce moment, c'est que, oui, il y a des
pas qui ont été franchis, mais ce qu'on veut, ce qu'on réclame, ce que la voix
des jeunes réclame, c'est vraiment une approche spécifique pour la question des
violences sexuelles en milieu scolaire, pas juste au moment de la plainte, mais,
bien sûr, avant, parce qu'on souhaite, d'abord et avant tout, c'est de les
éliminer, ces plaintes-là, c'est de l'éliminer, cette violence sexuelle là,
c'est d'agir en prévention, et aussi, après les plaintes, comment on accompagne,
comment on accompagne, en fait, du début à la fin, d'une manière dédiée,
spécialisée, qui est vraiment précise pour ce type de crime là.
Et évidemment on sait tous qu'on a franchi
un grand pas, au Québec, avec l'adoption du Tribunal spécialisé contre les
violences sexuelles et conjugales, avec toute une approche dédiée en
accompagnement. Mais là il faut que cette même philosophie-là puisse exister au
niveau scolaire, et donc s'adapter à la réalité des jeunes en milieu scolaire. Alors,
c'est pour ça qu'on appuie à la fois le projet de loi de ma collègue et à la
fois, bien sûr, la démarche de La voix des jeunes compte, à qui je cède la
parole, parce que c'est les principaux intéressés et concernés aujourd'hui.
Mme Mocombe (Sha'Nyce) : Bonjour.
Je m'appelle Sha'Nyce Mocombe. J'ai 17 ans. J'ai moi-même été victime de
violence sexuelle à l'âge de 14 ans dans mon école secondaire.
Aujourd'hui, je décide de prendre parole pour porter justice et un geste de
réparation pour l'inaction du gouvernement au nom de toutes les victimes qui n'ont
pas eu le soutien nécessaire, faute de protocoles adaptés et de ressources
appropriées. Pourtant, dans la société québécoise, peu importe notre genre ou
notre âge, nous avons le droit à la sécurité et à la dignité. Moi, je ne l'ai
pas eu. Je ne l'ai pas eu. Moi, on ne m'a pas soutenue. Moi, on m'a demandé de
marcher aux côtés de mes agresseurs, on m'a demandé d'adhérer à la loi du
silence.
Présentement, les mesures en place dans
les écoles primaires et secondaires du Québec sont discriminatoires à cet
égard. Aujourd'hui, je me tiens debout devant vous, forte, pour que tous les
jeunes soient protégés, parce que, dans nos écoles, il y a de la violence
sexuelle et, contrairement à ce que certaines personnes pensent, ce ne sont pas
des cas isolés, c'est même la norme quand on sait que 55 % des victimes
sont des jeunes.
Récemment, plusieurs articles sont sortis
dans les médias qui nous ont donné froid dans le dos. Chaque fois, un article
public sort, on reçoit plusieurs témoignages. Par exemple : elle a vécu un
viol collectif à l'âge de 17 ans; son professeur d'éducation physique a
ouvert la porte du vestiaire pendant qu'elle et ses amies étaient nues, il n'a
pas voulu refermer la porte. La directrice leur a dit que ce n'était pas grave
car il prenait sa retraite.
Alors, que fait-on des jeunes qui sont
victimes de violence sexuelle par leurs pairs ou par un membre du personnel de
l'école en situation d'autorité? Je me demande, lorsqu'un jeune est obligé de
faire une fellation dans le vestiaire, ou lorsqu'un jeune reçoit des
commentaires sur ses seins par son professeur devant toute la classe, ou
lorsqu'un jeune se fait toucher les fesses à répétition, est-ce que le
protecteur de l'élève serait vraiment en mesure d'intervenir auprès de la
victime et de l'agresseur pour éviter qu'il y ait une récidive.
Nous sommes épuisées de nous répéter
depuis cinq ans et de faire... et de voir la situation empirer face à
l'inaction du gouvernement. Les plus jeunes d'entre nous graduent au secondaire
cette année. Elles n'ont jamais été protégées. Évitons le même sort à la
prochaine génération. Il est encore temps. #metooscolaire.
Mme Chahidi (Kenza) : Bonjour.
Moi, je m'appelle Kenza Chahidi. Tout le monde met l'accent sur le protecteur
de l'élève sans prendre en considération ce qu'on demande depuis le début. Il
faut arrêter de mettre la pression sur les jeunes afin qu'ils dénoncent, parce
que c'est plutôt aux adultes de prendre leurs responsabilités et de faire
preuve de proactivité pour endiguer le problème. On vous demande de régler le
problème à la source, parce qu'en ce moment, le protecteur de l'élève renvoie à
la loi sur l'intimidation, alors que les violences sexuelles sont un fléau à
part entière et non une composante de l'intimidation.
Il faut arrêter de demander aux jeunes
d'aller vers les ressources alors que c'est les ressources qui devraient aller
vers eux. Ce n'est pas normal qu'il y ait une seule psychoéducatrice pour
1 300 élèves dans une école et qu'elle doive leur dire : Tu
viendras me voir si, toi, tu as besoin d'aide, faute de temps.
Nous, ce qu'on demande, c'est de mettre de
l'avant un volet de prévention obligatoire, parce que la racine du problème des
violences sexuelles réside dans le manque de formation, de sensibilisation,
d'éducation et de ressources sur le terrain. On demande une loi-cadre pour
prendre en considération la diversité des violences sexuelles et des situations
que peuvent vivre les élèves dans les écoles. Je tiens aussi à mentionner qu'il
y a une différence entre demander de l'aide et porter plainte, parce que
lorsqu'un jeune va vers un adulte, c'est pour être cru et soutenu. Il y a tout
un processus qu'il faut prendre en considération et ne pas obliger les élèves à
dénoncer sur le coup.
Mon amie a subi une violence, une agression
sexuelle dans son école de la part d'un élève. Il s'est retrouvé dans le bureau
de l'intervenante face à son agresseur qui lui a remis une lettre d'excuse,
parce que c'est une conséquence, lors d'un premier incident, en vertu du
protocole interne mis en place par la Loi sur l'intimidation. Mon amie s'est
vue forcée d'accepter cette lettre, et l'intervenante lui a mentionné qu'elle
devait accepter les excuses de la part de son agresseur parce qu'elle
connaissait l'élève et que, à ce qu'il paraissait, c'était un bon garçon et
qu'il n'allait pas recommencer.
Ça va prendre combien de scandales dans le
milieu de l'éducation, dans le milieu du sport pour être écoutées enfin? On ne
devrait pas attendre que les gestes comme ceci arrivent. Et c'est des gestes
hautement traumatiques. Est-ce qu'on doit attendre qu'ils se produisent et
qu'ils soient médiatisés avant d'agir ou est-ce qu'on va agir maintenant?
Sachez que le ministre de l'Éducation,
Jean-François Roberge, le ministre du Sport et de la Condition féminine,
Isabelle Charest, le ministre de la Lutte contre le racisme, Benoit Charette,
ainsi que tous les collègues sont conscients de ce qui se passe, parce qu'on
leur a envoyé un mémoire complet ainsi qu'une vidéo de témoignages sur la
situation actuelle. Donc, tout le monde est conscient des violences sexuelles
qui se passent dans les écoles, et on demande d'agir. Nous, en tant que jeunes,
on a fait notre part des choses, et maintenant c'est à vous de faire le reste
du travail. Merci.
Mme Gervil (Youveline) : Bonjour.
Mon nom est Youveline, et je fais partie du collectif La voix des jeunes
compte. En tant que collectif, nous avons toujours mis de l'avant la crucialité
d'une loi-cadre, et nous dénonçons comment le protecteur de l'élève est
instrumentalisé pour effacer notre lutte. Nous refusons d'être complices de
cette trahison à l'égard de tous les jeunes du Québec. Pour toutes les
personnes qui nous voient et qui nous écoutent, sachez qu'on vous voit et qu'on
vous croit. Pour les prochaines générations qui auront le malheur de porter,
elles aussi, le flambeau, on vous soutiendra là où le système nous a abandonnées.
À cette petite de sept ans qui a été
victime d'un viol collectif dans son école, je te crois. À la jeune fille de
15 ans qui est tombée enceinte de son professeur, je t'entends. À cette
jeune fille qui se fait toucher les fesses plusieurs fois par jour, je te
soutiens. Et à notre serveuse de ce matin et à tous ceux et celles qui n'ont
pas eu la chance d'être entendus, on est de tout cœur avec vous.
Nous avons créé un mouvement qui est
universel et qui vise à protéger tous les jeunes du Québec, et c'est pour cette
raison que nous demandons à toute la communauté étudiante, primaire,
secondaire, cégeps, universités, ainsi qu'à nos alliés syndicaux et
communautaires de porter la voix des jeunes et de montrer qu'elle compte
réellement. Nous demandons aussi un engagement de tous les partis politiques
ainsi qu'au gouvernement actuel de s'engager dès maintenant à mettre en place
les ressources nécessaires pour rendre nos écoles sécuritaires et exemptes de
violence sexuelle.
Il ne reste plus que 11 jours avant que
vous ne fermiez les travaux parlementaires, mais nous, ça fait cinq ans qu'on
lutte. Aujourd'hui, on se demande : Est-ce que c'est la voix de tous les
jeunes du Québec qui ne compte pas ou est-ce que c'est la nôtre seulement? À
force d'être ignorés, on commence vraiment à se poser la question. Pour une
énième fois, on demande de faire ce qui est juste. On demande d'être protégés, on
demande d'être écoutés, on demande une loi, une loi pour cesser l'impunité et
l'omerta dans les écoles. #metooscolaire.
Mme Lemay (Mélanie) : Bonjour
à vous. Sincèrement, en tant que société, on doit vraiment reconnaître le grand
privilège qu'on a d'avoir des jeunes aussi mobilisés et aussi prêts, en fait, à
porter cette importante voix qu'est la violence vécue chez les jeunes. Ce n'est
pas d'hier qu'on le sait, il y a des rapports qui datent des années 60,
80, qui recensent la problématique. Et, encore aujourd'hui, c'est une nouvelle
génération de jeunes qui doivent, malheureusement, encore se lever debout
aujourd'hui pour porter, finalement, une parole qui fait consensus. C'est vrai,
tout le monde dit : On doit faire plus pour les jeunes. Mais quand vient
le temps d'agir, ils sont où exactement?
Puis, moi, je ne nie pas, c'est vraiment
intéressant, les pas qui ont été faits vers l'avant, mais il y a eu une motion
qui a été adoptée à l'unanimité par tous les députés, à l'Assemblée nationale,
comme quoi c'était prioritaire de veiller à ce qu'il y ait un filet de sécurité
qui soit mis en place autour de tous les jeunes. Ça prend des corridors de
services, ça prend des outils qui vont permettre d'aller en amont et faire en
sorte qu'on n'ait plus jamais à se retrouver dans une situation où un jeune a
été laissé à lui-même. Puis malheureusement c'est ça, là, c'est la norme, comme
ça a été soulevé plus tôt, il y en a beaucoup qui restent en silence parce
qu'ils n'en ont pas, d'adulte de confiance autour d'eux, en ce moment, vers qui
se dévoiler, se confier. Il y en a qui rentrent à la maison le soir, vivent des
violences, ils doivent faire semblant qu'il ne s'est rien passé la veille,
parce qu'ils savent très bien que, même s'ils parlent, ça va juste s'empirer.
Donc, je pense que, clairement, il y a
vraiment quelque chose à faire. Surtout avec la pandémie, il y a eu une
explosion des violences en ligne, et je pense qu'on ne peut plus continuer de
nier. Il est encore temps de faire une différence, et d'investir aussi, puis
d'avoir des engagements clairs pour la prévention. Puis je vous remercie
vraiment, les filles, d'être ici encore, aujourd'hui, ce matin. C'est vraiment
exceptionnel, c'est une contribution qui est colossale. Puis, vraiment, je vous
remercie aussi d'avoir été présents, aujourd'hui, prêts à écouter cette dure
vérité, parce qu'imaginez, c'est difficile d'entendre et de recevoir, mais
imaginez juste deux secondes ce que ça doit être d'être dans le soulier d'un
jeune qui est incapable de parler. Donc, je vous remercie, puis je vous
souhaite une excellente journée.
La Modératrice : Merci
beaucoup.
(Fin à 8 h 54)