(Onze heures dix-huit minutes)
Mme Dorion : Salut. Ça fait
que c'est ça, ce matin, j'ai posé une question à la ministre en rapport avec la
crise des médias. C'est quelque chose qui roule depuis un certain temps, mais
là on sent que la crise est en train de devenir particulièrement aiguë. Je
voulais connaître sa vision par rapport à cette crise-là qui est importante,
qui est fondamentale, puis je n'ai pas pu, pendant la période de questions,
avoir une réponse, là, par rapport à sa vision, soit ce qui pouvait être fait
ou ce qu'elle aurait peut-être l'intention de faire.
Il y a vraiment... il y a plusieurs
avenues possibles. Beaucoup de gens se penchent sur cette question-là, disent :
Bon, qu'est-ce qu'on peut faire par rapport à la crise des médias? On peut
imposer les grandes compagnies, les grandes multinationales étrangères de la
Silicon Valley, finalement, qui sont à l'origine de la crise des médias, en
siphonnant le revenu publicitaire, entre autres. On peut imposer leur chiffre
d'affaires qui est fait au Québec; la France vient de commencer à le faire, ils
imposent ce chiffre d'affaires là à 3 %. C'est une des solutions. Ils vont
aller chercher pas mal d'argent là.
On peut demander aussi à ces
plateformes-là, Apple, Facebook, toutes ces plateformes-là de nous donner des
redevances qui vont retourner à la création de contenu local, un peu comme on
l'a demandé pendant des décennies aux câblodistributeurs. Pourquoi, sur ces
plateformes-là où on va consommer du contenu, ce serait différent des
câblodistributeurs? Que ça revienne par des redevances au contenu local, autant
journalistique que culturel, c'est une autre des avenues possibles.
Sinon, la crise est tellement aiguë que,
oui, on peut dire : Bien, on va donner une petite aide ici, on va donner
une petite aide là, mais ça va soit être seulement temporaire, soit clairement
pas assez. Puis ça fait aussi reposer tout le poids de cette crise des médias
là, qui vient de Facebook, de Google et des autres, sur les épaules des
contribuables québécois. Ça m'apparaît relativement injuste.
Donc, je comprends, peut-être qu'en
Chambre c'est une question qui est large. Tu sais, des fois, c'est un peu
stressant. Peut-être que la ministre n'a pas été capable de répondre sur le
moment. Mais moi, j'espère vraiment que, dans les prochains jours, prochaines
semaines, on ait quelque chose qui soit plus concret que : Bien, on va
voir, on se penche là-dessus, tout ça. Parce qu'on a besoin vraiment d'une aide
d'urgence.
Des voix
: ...
Mme Dorion : Oh! Peut-être une
personne à la fois, s'il vous plaît?
M. Laforest (Alain) : Qu'est-ce
que vous répondez aux critiques des députés du gouvernement, là, qui vous ont
entre autres montré leurs téléphones en disant que vous faisiez la promotion de
ces plateformes de Silicon Valley?
Mme Dorion : Bien, c'est le
gros problème...
M. Laforest (Alain) : ...vous
vous êtes déjà vantée d'ailleurs de ne pas avoir le câble et d'écouter la
télévision québécoise.
Mme Dorion : Oui, oui. Tout le
monde est sur Facebook en ce moment. Vous-mêmes, les médias, vous êtes sur
Facebook. Les médias utilisent Facebook, le gouvernement utilise Facebook, la
Coalition avenir Québec utilise Facebook, François Legault utilise Facebook.
Tout le monde est sur Facebook. On ne peut pas dire : Nous, gouvernement,
notre grande ambition, c'est de demander aux Québécois de boycotter ces grandes
plateformes-là. C'est impossible. Ce n'est pas responsable.
Le gouvernement est supposé être
responsable, avoir une vision d'ensemble puis être capable de faire de grandes
orientations. Tu ne peux pas demander aux Québécois individuellement, chacun,
de faire une job qui est énorme. Puis, de toute façon, non seulement tu ne peux
pas faire ça, mais c'est irréaliste. Ça ne réussirait pas.
Puis, tu sais, Facebook, oui, on vit
là-dedans, là, tu sais, c'est devenu... ça fait partie de notre monde maintenant.
C'est pour ça qu'il faut se poser la question : Qu'est-ce qu'on fait pour
avoir du contenu local, pour que nos journalistes puissent survivre? Puis pas
juste survivre, pour qu'ils puissent faire ce qu'ils ont rêvé de faire en
sortant de l'école de journalisme, aller sur le terrain, faire des enquêtes,
découvrir des trucs, pas rester devant leurs ordis à la journée longue à
faire...
M. Laforest (Alain) : Mais vous,
vous êtes prête à, entre autres, aider des médias que vous ne consommez pas?
Mme Dorion : Bien, oui. Évidemment.
Puis en plus, que je ne consomme pas, ça dépend. Je n'ai pas la télévision, je
n'écoute pas TVA, mais je le vois, TVA, sur mon fil Facebook, je le vois sur
Internet. Puis on ne va pas me dire : Restez, demeurez dans un autre
siècle, puisque les choses ont changé trop vite, donnons l'exemple. Ça ne
marchera pas, tu sais? Ce n'est pas comme ça que ça marche.
Il faut être capable de dire : Maintenant
qu'une bonne partie de l'argent des Québécois, qui autrefois allait se
retrouver dans les médias ou en tout cas, finalement, dans les publicités aux
médias, maintenant que ça s'en va, que c'est siphonné par la Silicon Valley,
comment on va aller chercher notre cote là-dessus? C'est super important. C'est
de l'argent qui vient de chez nous. C'est de l'argent que ces plateformes-là
font chez nous puis qui font mourir nos médias.
Pour moi, c'est logique de dire : Comment,
dans cette fuite d'argent là, est-ce qu'on peut aller en ramasser une partie
avec des lois, là, ça, c'est juste le gouvernement qui peut faire ça, aller en
ramasser une partie pour permettre à des médias indépendants de survivre dans
leur indépendance journalistique?
M. Pilon-Larose (Hugo) : Qu'est-ce
qu'il faut subventionner au niveau des médias? Seriez-vous, par exemple, à
l'aise à ce que l'État éventuellement donne de l'argent au FM 93 pour lui
permettre de payer le salaire du Doc Mailloux?
Mme Dorion : Tout ça, c'est un...
la ministre en a parlé un peu. Il y a une commission sur l'avenir des médias,
qui fonctionne super bien, en passant, qui va vraiment très vite et rondement
et qui est très efficace. Je trouve ça un peu gênant pour ceux de son
gouvernement qui travaillent là-dessus qu'elle dise que ça n'avance pas bien.
Mais ça, ce sont les questions qu'on va vraiment se poser.
Puis, sur cette commission-là, tu sais,
moi, j'ai demandé au début : C'est bien, on va étudier l'avenir des médias;
quelles sortes de médias vont le mieux survivre? Comment est-ce qu'on peut les
aider à s'orienter de façon à ce... Bon, toute la question que vous me posez,
ça fait partie des questions auxquelles on va répondre. Mais j'ai demandé que
soit inclus : O.K., mais comment on va financer l'aide qu'on va donner aux
médias qu'on va juger que... Comment, où on va aller chercher cet argent-là? Ça
ne peut pas être juste quelques petits millions par-ci, par-là.
Puis ça, finalement, est-ce qu'on peut se
poser la question sur les GAFAM, sur les grosses multinationales de la Silicon
Valley? Est-ce qu'on peut l'inclure? Pour moi, je trouve ça fondamental. Puis,
non, finalement, ça a été refusé par le député du gouvernement. Donc, la
question, pour moi, la plus fondamentale en ce moment, la ministre n'a pas
l'air de se la poser. En commission, on ne va pas s'y attaquer frontalement...
Mme Crête (Mylène) :
Non, mais, par exemple, à Ottawa, il y a un comité qui va choisir qui va
recevoir l'aide fédérale ou non.
Mme Dorion : Et c'est la même
chose, on ne se demande pas d'où va venir l'aide. Puis c'est ça, c'est ce qu'il
y aurait... le vrai courage, en ce moment, politique. Il y a une vraie crise,
là. Ce n'est pas juste une petite joke.
Mme Crête (Mylène) :
Mais ce n'est pas une question de qui on aide, qui on n'aide pas parmi la
pluralité, la...
Mme Dorion : Bien, en fait, si
tu as 10 $, tu vas te demander pas mal plus : Qui j'aide puis qui je
n'aide pas?, que si tu as 1 million, tu sais? Là, je veux dire, c'est
majeur, la différence. Si on ose faire face aux grosses plateformes
multinationales, finalement, qui ont siphonné le revenu publicitaire des médias
et qui sont la cause de la crise des médias en ce moment, si on ose leur faire
face... Puis c'est possible, là. Légalement, ça se peut. La France l'a fait.
M. Laforest (Alain) : Bien,
Netflix est taxé par le Québec actuellement.
Mme Dorion : Netflix, on
impose la TVQ, mais il n'y a pas d'impôt sur le chiffre d'affaires de Netflix
au Québec. Si, moi, je me pars un Netflix au Québec, québécois, il va y en
avoir, là, un impôt.
M. Laforest (Alain) : Donc,
Netflix devrait payer de l'impôt au Québec, Facebook devrait payer de l'impôt
au Québec, Google devrait payer de l'impôt?
Mme Dorion : Ça, c'est une des
propositions que, clairement, il faut étudier. Puis nous, on a fait, là... QS,
ça fait un bout de temps, là, qu'on est là-dessus, là, avec Amir, quand il a...
C'est lui qui, avec d'autres, a fait lever ce truc-là pour... bon, bien, si le
Canada ne veut pas imposer la TPS à Netflix, il faudrait au moins qu'on impose la
TVQ. Puis Leitão a fini par le faire sous la pression. Puis on peut aller plus
loin que ça. Puis, comme je vous dis, la France vient de le faire. La France
aussi a dit : Bon, bien, l'Union européenne ne va pas assez vite; nous, on
va le faire.
Puis il faut que les États le fassent, et
ceux qui ont le plus à coeur leurs cultures devraient être les premiers à faire
le pas. Au Québec, on devrait être les premiers à faire le pas parce que c'est
majeur, là. Si on n'a plus... Tu sais, c'est des créateurs d'information
locaux, nos journalistes, là, c'est des gens qui sont chez nous. Si eux ne
peuvent plus travailler, qu'est-ce qu'on va consommer? Ça ne sera plus... C'est
notre dialogue interne québécois, là.
M. Laforest (Alain) : Est-ce
que c'est dangereux pour la démocratie?
Mme Dorion : Est-ce que la
démocratie est dangereuse?
M. Laforest (Alain) : Est-ce
que c'est dangereux pour la démocratie, la faiblesse des médias?
Mme Dorion : Bien, c'est sûr.
Qui va nous parler de nous-mêmes, je veux dire, sur les enjeux les plus
importants? C'est tout le dialogue intérieur du Québec qui est en train d'être
asphyxié. Et tout ce qu'on reproche aux médias, parce qu'il y a plusieurs
critiques qui, dans les dernières années, arrivent... tout ce qu'on leur
reproche est enligné direct avec le fait qu'ils n'ont plus de cash, qu'ils
n'ont plus l'argent de faire comme, finalement, ils auraient aimé faire,
vérifier leurs sources plusieurs fois, aller sur le terrain, interviewer plein
de monde. Dans tous les médias, les médias ont dû couper. Puis ce n'est pas
juste qu'ils vont mourir, c'est qu'avant de mourir ils vont avoir une
dégradation puis que finalement notre discours public va se dégrader aussi.
Mme Crête (Mylène) :
Est-ce que c'est de faire fausse route que de donner par exemple une directive
aux ministères pour qu'ils achètent de la publicité dans les médias imprimés
locaux, par exemple, ou électroniques, là?
Mme Dorion : C'est un bon respirateur
artificiel, là. Mais on s'entend que l'arrivée de Facebook, de Google,
d'Amazon, d'Apple dans le monde, c'est un rouleau compresseur immense, là.
C'est pour ça qu'il faut avoir des réponses qui sont de grosseur
gouvernementale. On ne peut pas demander aux individus : Ah! bien, arrête
d'aller sur Facebook; ah! bien, tel ministère, achetez des pubs au Devoir.
Oui, c'est mieux que rien, mais ce n'est pas ça qui va sauver le monde des
médias et notre dialogue collectif, là. On a vraiment besoin... C'est une crise.
On a besoin de réponses à une crise.
Une voix
: Merci.
(Fin à 11 h 27)