(Treize heures trente-quatre minutes)
M.
Bérubé
: Alors,
bonjour. Le 11 décembre 2002 a été adoptée à l'Assemblée nationale une loi
constituant l'Autorité des marchés financiers, l'AMF. C'est un héritage important
du premier ministre Landry. On a évoqué tout son travail pour doter le Québec
d'institutions financières importantes, notamment une institution pour réguler
les marchés. Alors, l'AMF, c'est une grande institution québécoise crédible qui
connaît notre tissu économique, qui a des pratiques, qui est une organisation
d'excellence.
Aujourd'hui, on est confrontés à une
nouvelle réalité. Suite à un jugement de la Cour suprême, le gouvernement du
Canada a réussi à atteindre son objectif, c'est-à-dire de constituer sa propre
instance qui va contourner celle du Québec. Pourtant, le régime actuel
fonctionne. Nous avons notre propre mécanisme et il y a une bonne collaboration
avec les autres provinces et le fédéral. C'est reconnu.
Le projet fédéral demeure une coopération
de façade quoiqu'on en dise. Il place le Québec devant le fait accompli et
créera une pression sur les milieux économiques et financiers pour qu'ils
centralisent leurs activités à Toronto au détriment des autres pôles financiers
comme Montréal. La cohésion de l'économie et du secteur financier canadien ne
doit pas se faire aux dépens de l'économie québécoise et montréalaise. Et on a
eu l'occasion, à plusieurs reprises, d'adopter des motions unanimes à
l'Assemblée nationale.
L'AMF, c'est notre institution. Ça fait
partie de ces grandes institutions que le Québec s'est données pour faire comme
il l'entend des affaires et pour s'assurer surtout de l'intégrité des affaires.
Alors, le jugement d'aujourd'hui permet au fédéral d'arriver à ses fins. Il s'était
fait dire non, à l'origine. On ne peut pas contraindre les provinces à adhérer
à cette nouvelle instance. Et là maintenant il gagne. Et il fait en sorte que
le Québec est invité à participer, à coopérer. Même si le premier ministre a
dit non, le signal est envoyé. Le signal qui est envoyé, c'est que Toronto devient
le nouveau centre opérationnel, et le message est très fort.
Cette volonté d'imposer un régime pan canadien
ne relève que du fédéralisme organisé pour marginaliser les Québec et affaiblir
son autonomie, une autre illustration du fédéralisme au penchant centralisateur
qui empiète constamment, de facto, sur les compétences du Québec, que ce soit
par les dépenses dans nos champs de compétence ou encore, ici, avec l'aval de
la Cour suprême pour mettre en place des programmes coopératifs qui isoleront
tout simplement le Québec. La Cour suprême nous donne une raison de plus qui
démontre la nécessité de l'indépendance du Québec. Ce n'est pas compliqué,
l'indépendance politique du Québec, c'est aussi pour assurer la pérennité de
nos institutions économiques et financières, qui risquent d'être avalées par
Toronto si la tendance se poursuit.
J'ai lu le communiqué du premier ministre
Legault. Et les mots ont un sens. Et le ministre des Finances, lui, dit : «Nous
comprenons la décision rendue par la Cour suprême du Canada...» Alors, le
nationalisme économique québécois, tel que nous l'a enseigné le premier
ministre Landry, nous invite à une attitude et une posture de nation. Au lieu
d'utiliser le terme comprenons, nous déplorons; le Parti québécois déplore
cette autre attaque face à l'autonomie du Québec. Et se poser comme
nationaliste québécois, c'est, dans le réel, lorsque le fédéral, le
gouvernement du Canada décide d'empiéter sur les compétences du Québec, d'avoir
un positionnement national fort pour les Québécois et les Québécoises.
Alors, aujourd'hui, le Québec est encore
affaibli, une fois de plus, par le fédéralisme organisé. Alors, je suis en
mesure de répondre à vos questions sur ce sujet ou tout autre sujet.
M. Dion (Mathieu) : C'est
un sujet complexe pour le commun des mortels. Pourquoi M. et Mme Tout-le-monde,
à la maison, devraient se préoccuper?
M.
Bérubé
:
Bon. Alors, l'AMF, c'est un peu le corps policier des marchés qui va vérifier
notamment les transactions, l'intégrité des entreprises, l'intégrité du marché.
Notre policier, qui est notre corps de police financier, qui est au Québec, il
nous connaît, il connaît nos pratiques. Maintenant, on en crée un, pancanadien,
qui va être basé à Toronto, qui ne connaît pas vraiment le Québec et qui va
représenter les 10 provinces. Alors, nous, on préfère nos institutions,
qui ont été façonnées selon nos désirs. Il y a une loi qui a été adoptée en
décembre 2002. On a réitéré, à plusieurs reprises, par des motions,
l'importance de conserver cette institution, parce qu'on n'a jamais cessé de
l'améliorer. Et maintenant on nous donne une institution qui va être
certainement basée à Toronto et qui va venir marginaliser... Autrement dit,
c'est comme si on décidait d'accepter que la GRC aura juridiction sur le
territoire du Québec au lieu de nos institutions.
M. Dion (Mathieu) : Pour
une entreprise, est-ce que ce sera plus avantageux d'aller à Toronto ou s'installer
ailleurs au Canada qu'au Québec?
M.
Bérubé
:
Bien, c'est clair que cette nouvelle institution-là va faire en sorte d'envoyer
des signaux qu'au plan canadien, si vous coopérez, il y a des avantages. Alors,
ça vient marginaliser l'AMF, c'est sûr.
Et c'est une autre décision... C'était le
cas dans le domaine aéroportuaire avec l'aéroport Pearson, c'est le cas
maintenant avec cette nouvelle institution-là : on envoie le signal que
les affaires, ça se passe à Toronto. Et je pense que ce qu'il faut retenir avec
ce jugement, c'est que ça marginalise Montréal. Et je suis convaincu que la
mairesse de Montréal doit porter exactement le même jugement que moi sur le
message que ça envoie.
C'est des emplois très bien rémunérés
aussi à l'AMF. C'est une expertise. C'est vraiment une institution qui est
modèle à bien des égards, qui est évidemment perfectible, mais c'est la nôtre.
Et notre nation mérite ses propres institutions à Montréal, pas à Toronto.
M. Dion (Mathieu) : Qu'est-ce
que peut faire le gouvernement Legaut pour éviter ça?
M.
Bérubé
:
Bien, le gouvernement a... D'abord, les mots ont un sens, et on le réalise
cette semaine, on l'a réalisé avec Bombardier hier. Alors, Bombardier, on peut
décider de l'accepter, de le dénoncer, puis de le dénoncer puis poser des
gestes. Alors, hier, on a vu une abdication totale du ministre de l'Économie,
qui s'écrase devant les patrons et qui indique : Bien, je ne suis pas là
pour critiquer Bombardier, les avantages consentis, ça leur appartient. Donc,
un aplaventrisme.
Quand je lis que «nous comprenons la
décision», c'est quoi, la différence d'attitude entre le gouvernement de M.
Legault et celui de M. Couillard? On comprend, on accepte, on se résigne, c'est
correct. Bien non! On peut avoir une posture différente, et c'est celle que le
Parti québécois va adopter tout au long de ce mandat et qu'on a eue, en toutes
circonstances, dans notre histoire. Est-ce qu'on accepte ça? Est-ce qu'on
comprend ça? Bien sûr, c'est un jugement, mais on peut avoir une posture
beaucoup plus forte en disant : Nous avons une institution qui nous
appartient et de laquelle on est très fiers. Alors, c'est ça que j'aurais aimé
entendre. Parce que, sinon, le fédéral, s'il sent qu'un gouvernement
majoritaire, à la première occasion, décide d'abdiquer, il va continuer, puis
ça va durer quatre ans. Puis c'est long longtemps, un gouvernement fédéral qui
sent qu'il y a un gouvernement faible à Québec.
M. Dion (Mathieu) : Y a-t-il,
au gouvernement, un nationalisme de façade?
M.
Bérubé
:
Jusqu'à maintenant, on l'attend. Il est où, le nationalisme? Il est où? Alors,
plein d'exemples : la ministre de l'Environnement, avec la bourse du
carbone, c'est correct, le ministre de l'Énergie avec Churchill, c'est bien
correct, mourir dans la dignité, où le gouvernement fédéral décide de nous
demander des indications supplémentaires qu'on fait déjà... Autre
occasion : Bombardier, hier, écrasement total du ministre des Finances.
Là, c'est le cinquième cas, là, et ça se poursuit. Il commence quand, le
nationalisme du gouvernement Legault? Il commence quand?
Puis on pourrait ajouter des reculs, qui
s'ajoutent à ça. Ce matin, on apprend que le gouvernement de la CAQ, qui a fait
miroiter à des millions de Québécois qu'Hydro-Québec allait rembourser le
trop-perçu, finalement, bien, il ne le fera pas.
Alors, on n'a même pas eu une première
période de questions, mais je peux vous dire que les citoyens ont beaucoup de
questions qu'ils se posent sur, un, les engagements qui ont été pris, le
véritable nationalisme de ce gouvernement... en tout cas, en économie, ce n'est
pas un nationaliste qui est là, je vous le dis, là, ça ne paraît pas, en tout
cas, et, dans toutes les sphères d'activité, on ne les sent pas particulièrement
nationalistes.
M. Dion (Mathieu) : Une question
sur la manifestation qui a été déplacée, finalement : Comment
réagissez-vous à cette décision?
M. Bérubé : C'est une bonne
décision. Alors, tôt ce matin, j'ai déploré qu'une manifestation se tienne
devant l'Assemblée nationale au même moment où une chapelle ardente se tient
pour le premier ministre Landry. Je l'ai questionnée. Je pense que cet écho
s'est rendu jusqu'aux organisateurs, qui ont décidé de déplacer la
manifestation au parc de l'Amérique-Française, qui est juste à l'arrière. Je
salue cette décision.
Évidemment, le droit de manifester, nous
en sommes. C'est une cause qui est juste, celle qu'ils défendent, mais je pense
qu'il y a une sensibilité qu'il faut avoir face à nos anciens premiers
ministres, particulièrement le premier ministre Landry. Et je ne peux que
saluer, moi, depuis le décès de M. Landry, la grande solidarité de l'ensemble
des Québécois, y compris des gens qui n'épousaient pas les projets de M. Landry;
c'est remarquable, et ça s'ajoute, cette sensibilité-là des organisateurs,
alors je la salue.
Mme Fletcher
(Raquel) : In English?
M. Bérubé :
Hello. Sure.
Mme Fletcher
(Raquel) : Can you tell us in English why you
said that you deplore this decision from the Supreme Court?
M. Bérubé :
Well, it's another bad decision for Québec because the financial hub is going
to move to Toronto, and the decision that the Supreme Court took today, it's
another indication that the federal Government works for himself, and he
doesn't give a damn about Québec. This is pretty much what he's saying.
Since 2011, the federal
Government tried to create a new institution who's going to look the market.
And we already have the AMF in Québec, and we vote different motions in the
National Assembly saying — all the Members of Parliament — that
we're against those kind of initiatives from the federal Government, and they
decided anyway to go to Supreme Court and they win. And now, they have a
cooperative institution who is going to say to the Québec business people that:
Let's watch Toronto, we have a lot to offer, we're ready to cooperate, and, oh!
yes, we know you have AMF in Québec, but we have Toronto as well, so…
With the Pearson Airport,
it was the same thing. We moved the power to Toronto with a federalist
government in Québec. Same thing with the financial market with this judgement
today and other issues as well. So, this is what's happening: Canada has his
own agenda, and it does not involve Québec at all. So, since we're supposed to
have a nationalist government in Québec right now, and we wish that it could
happen soon because it doesn't seem to happen since October 1st, they're still
going to push their own agenda, and they don't care what Québec has to say.
And when I read on this
paper that the Minister of Finance of Québec says that we understand what's
going on… No, you should say that we don't agree. We are a national government.
We're a nation. We should have our own institution and we'll not agree.
We are pretty upset about
this judgement. We have to respect the judgement, it's the Supreme Court, but
this judgement creates a new way for the Canadian Government to push aside
Québec and its will to do what it has to do.
Mme Fletcher
(Raquel) : Isn't it a little harsh, though,
because Canada is the only industrialized nation that doesn't have a national
regulator of this sort? So, wasn't it about time that we had one?
M.
Bérubé
:
Let the provinces decide. This is what Alberta did, this is what Québec did.
When you're the first student of the class, you should… people should say,
like: You're good, you decide before everybody else to create your own
institution, that's good. Let's say to the other provinces: Do like Québec did.
And this is not what's happening today. So, for another time, the Canadian
Government wins, Québec loses and, especially, Montréal loses. And this is not
good news for mayor Plante, and I'm pretty sure she's not happy with this
judgement today. Is that good?
Mme Fletcher
(Raquel) : Yes.
M.
Bérubé
:
Merci.
(Fin à 13 h 47)