(Douze heures cinquante-deux minutes)
Le Modérateur
: Alors,
bienvenue à cette conférence de presse concernant les travailleurs et travailleuses
d'agences de placement. Je vais laisser la parole à M. Khadir et à nos invités,
qui sont Jacques Dago, Jean-Pierre Maweja, Ana, tous les trois de l'Association
des travailleurs et travailleuses d'agences de placement. Ana est également du
Collectif des femmes sans-statut. M. Khadir.
M. Khadir
: Des
milliers de travailleuses et travailleurs en provenance de tous les
pays — vous voyez ici, nous en voyons l'exemple, donc, à la fois de
l'Amérique latine mais aussi d'Afrique — travaillent dans des
conditions de précarité qui parfois frisent des conditions que quelques-uns
qualifient d'esclavage des temps modernes, privés de leurs droits, privés de
tout statut, privés des soins de santé de base, privés en fait de ce que le
Québec souhaite et pense qui est un minimum digne que tout être vivant qui
travaille sur notre sol devrait jouir. Alors, nous en avons trois ici qui
voudraient témoigner pour les conditions qu'elles et ils ont pu observer. Si
vous permettez, nous allons commencer avec M. Dago, de l'Association des
travailleurs et travailleuses d'agences de placement.
M. Dago (Jacques) :
Merci. Bonjour. Je m'appelle Jacques Dago, je suis porte-parole de
l'Association des travailleurs et travailleuses d'agences de placement.
L'ATTAP a été formée en 2011 pour répondre
à la nécessité d'avoir une organisation qui pourrait mobiliser, défendre les
travailleurs et travailleuses d'agences de placement pour développer l'éducation
populaire, l'apprentissage et l'acquisition de connaissances autour de la
précarité du travail et des agences de placement.
L'ATTAP est un point de référence
important sur la relation triangulaire du travail qui se développe avec les agences.
Les revenus d'exploitation du secteur de placement de main-d'oeuvre ont plus
que doublé depuis le début des années 2000. En 2014, ces revenus
s'élevaient à 13,3 milliards de dollars au Canada et 1,4 milliard de
dollars pour le Québec. Le nombre d'emplois dans ce secteur des services a
considérablement augmenté entre 2004 et 2014. Pour la période de 2009 à 2014, l'augmentation
du nombre d'emplois a connu une croissance qui a été supérieure à 75 % à
celle de tous les autres secteurs au Québec. Il existe un mythe selon lequel
les agences de placement et la flexibilité de la force de travail permettraient
à plusieurs travailleurs et travailleuses sans emploi d'entrer sur le marché du
travail et de les sortir de la pauvreté. Les agences constitueraient ainsi une
sorte de tremplin vers l'emploi à temps plein et pour sortir de la pauvreté. Il
y a des petites agences de placement, qui développent leurs activités
principalement à Montréal, ils exploitent les travailleurs migrants sans
papiers.
Donc, à ce stade, je vais passer la parole à
ma collègue, qui va essayer de donner aussi d'autres informations. Merci.
Ana :
[Interprétation] Bonjour,
mon nom, c'est Ana. Je suis membre d'ATTAP et le Collectif des femmes sans-statut.
J'ai obtenu ma carte de résident permanent il y a cinq mois, après avoir vécu à
Montréal pendant 12 ans comme immigrante sans papiers.
La réalité du système d'immigration au Canada
et au Québec fait en sorte que, peu importe la façon dont nous arrivons ici,
nous nous retrouvons toutes et tous, à un moment de notre parcours, avec un
statut d'immigration irrégulier. La réalité est aussi que, tout au long de ce
parcours, nous devons travailler pour subvenir à nos besoins ainsi qu'à ceux de
notre famille.
Nous avons travaillé pour des agences de
placement de seconde classe qui nous paient au-dessous du salaire minimum. Des entreprises
québécoises respectables s'empressent alors de recourir à ces agences pour nous
exploiter en tant que main-d'oeuvre bon marché, flexible, soumise et jetable.
Cela constitue une forme de travail au noir légalisé à laquelle nous sommes
contraintes, qui occasionne plusieurs abus étant donné que nous ne pouvons
porter plainte sous peine de déportation.
La proposition du gouvernement de
réglementer les agences de placement peut sembler une bonne idée. Par contre,
si cette réglementation ne s'accompagne pas de protections pour les travailleurs
et travailleuses sans papiers ou à un statut d'immigration implicite, cela nous
poussera dans une précarité encore plus grande, car les gens sans scrupules
pour qui nous sommes forcées à travailler trouvent un autre stratagème pour
continuer à profiter de notre vulnérabilité.
C'est par cela que nous demandons donc que
le gouvernement du Québec garantisse l'accès plein et complet aux services
gouvernementaux, incluant le droit de porter plainte auprès de la Commission
des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail pour toutes
et tous les travailleurs, peu importe leur statut d'immigration.
Dans le contexte de la pénurie de
la main-d'oeuvre qui sévit actuellement au Canada, nous demandons que le gouvernement
garantisse aux travailleurs et travailleuses sans papiers le droit de
travailler légalement, tel que prescrit par la Déclaration universelle des
droits de l'homme. [Fin de l'interprétation]
Le Modérateur
: Merci,
Ana, merci, Viviana. On va maintenant prendre les questions.
M. Khadir
:
Madame... monsieur...
Le Modérateur
: Ah oui,
vous avez raison. J'oubliais M. Jean-Pierre... Oui, allez-y, M. Jean-Pierre
Maweja.
M. Maweja (Jean-Pierre) :
Bien, je vais tâcher d'être bref. Je suis Jean-Pierre Maweja. Je pense que tout
a été presque dit, mais je voulais revenir sur le mythe selon lequel les
agences de placement présentent une certaine flexibilité pour un accès aux
emplois permanents. Cela s'avère faux parce que les agences de placement sont
en réalité en train de sous-traiter les emplois qui existent déjà et qu'elles
transforment ces emplois-là permanents en emplois temporaires. Alors, ils
placent des cloisonnements qui ne donnent pas l'occasion à l'employé de
postuler pour un poste qui est ouvert dans l'entreprise cliente dont ils vous
ont placé. Cela conduit au travailleur tout droit dans la précarité parce qu'il
n'a pas l'occasion de profiter de tous les avantages sociaux, les assurances,
les congés maladie et tout ce qui peut être drainé par un emploi permanent avec
une entreprise qui vous engage directement, donc les conditions de travail ne
font que se détériorer de plus en plus.
C'est pourquoi, à l'occasion de l'examen
du projet de loi n° 176 par la commission parlementaire, nous aimerions
réitérer notre revendication, qui est que tous les travailleurs et travailleuses
des agences de placement soient engagés directement par l'entreprise cliente
après trois mois d'un exercice permanent au sein de cette entreprise-là. Donc,
c'est un peu quelque chose que nous insistons pour que la commission
parlementaire puisse en tenir compte et que cette loi-là puisse aider les
travailleurs à rêver à une qualité de vie meilleure.
Le Modérateur
: Merci,
Jean-Pierre. C'est maintenant le moment des questions. Mathieu Dion, de
Radio-Canada.
M. Dion (Mathieu) :
Bonjour à tous. M. Khadir, qu'est-ce que vous voulez faire, notamment,
mettons... Qu'est-ce qu'il faudrait ajouter au projet de loi pour le bonifier davantage
et pour répondre aux attentes des personnes ici présentes, travailleurs ici
présents?
M. Khadir
:
D'abord reconnaître que cette précarisation de l'emploi, qui se fait sur le dos
de travailleuses et travailleurs qui sont vulnérables parce que souvent non
conscients de leurs droits, nuit à l'ensemble de la société, comme ça a été
dit, en transformant les emplois qui pourraient être des emplois de qualité,
bien protégés, bien rémunérés en des emplois précaires.
Deuxièmement, le plafond de trois mois. Au-delà
de trois mois — ça peut être discuté, est-ce que c'est quatre, c'est
trois ou deux, mais il faut que ça soit un délai raisonnable — au-delà
d'un délai raisonnable dans lequel le travailleur ou la travailleuse a oeuvré
au sein d'une entreprise, que cette travailleuse ou ce travailleur soit
considéré comme étant lié par lien d'emploi à l'entreprise, et donc jouissant
de tous les avantages qui viennent avec un poste permanent.
Troisièmement, c'est que tous ces
travailleurs et travailleuses puissent jouir de la protection de la Commission
des normes du travail, et donc, s'il y a des contentieux, s'il y a des problèmes,
qu'ils aient un recours au même titre que n'importe lequel ou laquelle des
travailleurs.
M. Dion (Mathieu) : J'ai
une question... Ah! bien, à moins que vous vouliez ajouter quelque chose?
Une voix
: Non, non.
M. Dion (Mathieu) : J'ai
une question. Aujourd'hui, la Coalition avenir Québec nous dévoile un peu
son... la Coalition avenir Québec, le parti politique, nous dévoile un peu son plan
en matière d'immigration, et je suis curieux de vous entendre. Pensez-vous que
ce plan-là, qui va exiger plusieurs choses... Je ne sais pas si vous êtes ferrés
sur ce que veut faire la Coalition avenir Québec. Peut-être, M. Khadir,
vous l'êtes un peu davantage...
M. Khadir
: Bien,
faites attention...
M. Dion (Mathieu) : Non,
mais c'est parce que... Non, mais ce qui est intéressant, c'est... Ma question,
c'est : Est-ce que ça pourrait augmenter la précarité des travailleurs
comme les personnes qui sont ici aujourd'hui?
M. Khadir
: M. Dion,
je ne... Évidemment, là, je ne suis pas au courant de l'annonce qui a été faite
aujourd'hui. Est-ce qu'il y a un volet qui vous semble particulièrement problématique
à cet égard? Je pourrais le commenter.
M. Dion (Mathieu) : Bien,
par exemple, il y a la création, là, du certificat d'accompagnement transitoire
de trois ans. Il faut que les personnes puissent avoir complété un test des
valeurs et un test de français et, s'il y a un échec, il peut y avoir…
M. Khadir
: Oh là
là! O.K. Bon. Alors, on parle du test des valeurs formulé par la CAQ. On nage
en plein dans une erreur fondamentale qui vient tout droit de tout ce qui, au
bout de sa logique, a conduit à des choix aussi malheureux, aux Etats-Unis, que
d'emmener des gens à voter pour un type comme Trump.
Est-ce que M. Legault espère
améliorer la société québécoise? Ou avec ce genre de… C'est une forme de
propagande, ça, de penser que, dans le fond, les nouveaux venus, que ça soit
des travailleuses, ou des travailleurs, ou des immigrants, ne veulent pas
apprendre le français ou ne seraient pas intéressés à le faire. Et c'est tout à
fait méconnaître la réalité du monde du travail et des problèmes que ces
personnes doivent surmonter que de penser qu'en trois ans, par magie, avec un accompagnement,
ça serait réglé et qu'en plus il faudrait que les travailleuses et les
travailleurs ou les nouveaux venus soient davantage fragilisés, soient
davantage prêts à se soumettre à n'importe quelles conditions, sachant qu'au
bout de trois ans il y a un couperet qui va leur tomber dessus.
J'ai déjà entendu… Je ne connais pas le détail
de cette proposition, mais ça fait quelques années que la CAQ brandit ce genre
de suggestion là. C'est une fausse piste. Ce que le Québec a besoin, c'est
d'investissements massifs dans notre réseau d'éducation, dans la francisation
des immigrants, dans la protection des nouveaux venus pour leur accorder de
bonnes conditions d'emploi pour que le processus d'intégration le plus naturel,
le plus robuste, reconnu par tout le monde, qui est le marché de l'emploi et la
scolarisation, soit adéquat pour intégrer nos immigrants.
M. Dion (Mathieu) : Donc?
M. Khadir
: Donc,
je trouve que c'est une pente glissante, c'est de la pensée magique et c'est de
la démagogie. C'est que François Legault tombe dans la démagogie de tous ces
gens-là, là, qui pensent que le problème de la société québécoise, c'est le
fait que quelques immigrants, soi-disant, qui viennent ici ont des problèmes
avec nos valeurs. La plupart des immigrants qui viennent ici viennent ici parce
qu'ils ont envie d'une société juste, d'une société démocratique, une société
qui valorise l'égalité hommes-femmes, partagent les mêmes valeurs que nous.
Le Modérateur
: On a,
donc, des invités pour parler spécifiquement des normes du travail.
M. Khadir
:
...précarité...
Le Modérateur
: Oui.
Peut-être que, s'ils sont... O.K.
M. Khadir
: C'est
certainement un élément de précarisation supplémentaire si, au bout d'années de
travail comme travailleurs temporaires, comme travailleurs précaires, en plus
on leur impose, dans le processus de résidence permanente, d'autres conditions
alors que, pendant des années, ces gens-là n'ont pas eu la possibilité d'avoir
accès à de bonnes formations en francisation, on vient juste aggraver
l'injustice.
Le Modérateur
: O.K.
Merci beaucoup. Bonne fin de journée.
(Fin à 13 h 9)