(Onze heures sept minutes)
Mme
Hivon
:
Bonjour. Merci d'être là. Alors, on a appris hier que le gouvernement, via bien
sûr la Société des alcools du Québec en attente de la création de la Société
québécoise du cannabis, avait conclu, donc, des lettres d'intention, avait
fourni des lettres d'intention à six producteurs de cannabis pour l'approvisionnement
en cannabis à partir du 1er juillet prochain.
Ce qui est complètement déconcertant et absolument
indécent, c'est qu'on constate que, parmi ces six producteurs qui ont reçu des
lettres d'intention, au moins deux d'entre eux sont liés à des paradis fiscaux.
On constate, à la lumière même de ce qu'on a pu lire dans Le Journal de
Montréal, dans le dossier du bureau d'enquête au mois de janvier, que deux
de ces entreprises-là sont effectivement sur la liste des producteurs qui sont
financés à partir des paradis fiscaux.
C'est ce que j'ai fait ressortir tout à
l'heure en période de questions. Hydropothicaire bénéficie au moins d'un financement
de 15 millions qui provient des îles Caïmans et, en plus, il reçoit une
partie aussi de son financement de l'Arabie... des Émirats arabes. Ensuite,
pour ce qui est de Aurora Cannabis, c'est 32 millions de son financement
qui provient du paradis fiscal des îles Caïmans.
Alors, vous pouvez vous imaginer la
consternation quand on a constaté qu'alors que toute l'information est
disponible, elle est à plein page des journaux, c'est un sujet de débat depuis
des semaines, ce qu'on apprend hier, quand le gouvernement annonce que ces
lettres d'intention là ont été conclues, c'est que le tiers au moins des
entreprises qui vont pouvoir fournir légalement, donc, du cannabis à la Société
québécoise du cannabis font affaire avec des paradis fiscaux.
Ce qui est complètement aberrant, c'est
qu'un des objectifs de la légalisation du cannabis, c'est de sortir ça des
mains du crime organisé. Mais là on n'aura aucun moyen de savoir qui sont les
investisseurs dans ces compagnies-là, quelle est la part qui provient des
paradis fiscaux. Il n'y aura pas d'identification des investisseurs. Donc, il
n'y a rien qui dit que ça ne peut pas non plus être des gens qui proviennent du
crime organisé. Donc, c'est complètement hallucinant de voir qu'alors qu'il y a
tout un nouveau champ qui s'ouvre, donc, pour les producteurs de cannabis, mais
surtout pour le gouvernement du Québec qui va devenir un partenaire de ces
entreprises-là, qu'on ne semble pas du tout se préoccuper de cette question-là.
Vous avez entendu, comme moi, les réponses
du ministre Leitão tout à l'heure. Il n'en fait absolument pas de cas. Il
refuse en plus toute transparence. Hier, on n'a pas été capable de savoir quels
avaient été les critères pour octroyer ces contrats-là, pas plus aujourd'hui.
Ces ententes-là ne sont pas... C'est des ententes, là, je fais la nuance, ce ne
sont pas comme tels les contrats, c'est des lettres d'intention, parce qu'il
faut attendre que la loi soit adoptée, bien évidemment, mais on s'entend qu'ils
vont devenir des contrats. Donc, aucune transparence, aucun critère, aucune
garantie qu'on va travailler pour éviter que ce soit des compagnies liées aux
paradis fiscaux, et les indications et les réponses du ministre étaient
totalement faibles, à côté complètement de ce qu'on lui demandait ce matin. Et
c'est très, très inquiétant de se dire qu'alors que l'information est
disponible le gouvernement fait le choix délibéré de faire affaire avec des
compagnies qui sont liées aux paradis fiscaux.
Et nous allons aujourd'hui, donc, aller plus
loin dans l'étude, qui se déroule en ce moment, du projet de loi sur le
cannabis. Alors, je vais laisser mon collègue Sylvain Pagé exposer ce qu'il va
faire.
M. Pagé
: Bon, alors,
merci, Véronique. Alors, vous savez qu'on a commencé l'adoption article par
article du projet de loi n° 157. Je veux quand même vous rappeler qu'hier
nous avons voté à l'unanimité, 110 à 0, 110-0, c'est plutôt rare, mais une
motion qui disait la chose suivante :
«Que l'Assemblée nationale réclame de la
Société québécoise du cannabis qu'elle fasse en sorte de s'approvisionner
majoritairement auprès de producteurs québécois de cannabis et [qu'elle]
s'assure que ses fournisseurs présentent un financement socialement
acceptable.»
Ce qu'il faut savoir, c'est qu'hier j'ai justement
déposé une motion... en fait, un amendement à l'article 3 qui décrit la mission
de la SQDC et qui reprenait mot à mot l'amendement que nous avons déposé hier,
pour que ça soit inscrit clairement dans la loi. Pourquoi? Parce que, nous le
savons, c'est une très grande préoccupation qu'on ne veut surtout pas faire par
la porte d'en arrière, légaliser, dans le fond, ce qui était illégal via les
paradis fiscaux.
Alors, avec tout ce que nous apprenons à
l'égard du financement, 40 % des entreprises présentement qui ont reçu,
hein, l'autorisation de produire du cannabis, 40 % des entreprises
seraient ou sont, parce que c'est ce qu'on dévoile, financées via les paradis
fiscaux.
Alors, ce qu'on dit aujourd'hui, j'ai
envie de reprendre la grande question qui était posée par un chroniqueur, il y
a à peine quelques jours, qui disait : «Le scandale politico-financier de
la prochaine décennie est-il en train de se déployer sous nos yeux?» C'est exactement
ça la grande question. Et hier le gouvernement a refusé d'inclure notre amendement
dans la mission de la société de l'État en disant : Bien, on va reprendre
ça un peu plus loin.
Et on va le prendre de quelle façon et est-ce
qu'on va accepter d'inclure nommément les paradis fiscaux? On n'a pas de
réponse à ces questions-là, et c'est très préoccupant parce qu'il y a
manifestement un scandale financier qui risque de déployer sous nos yeux, et le
gouvernement réagit de façon très frileuse à cet égard-là. Et nous, on dit :
Il faut que ça soit inscrit dans la loi, donc on va revenir à la charge à
l'intérieur du projet de loi n° 157.
M. Bellerose (Patrick) :
Avez-vous l'impression que le gouvernement n'a tout simplement pas envie de
fermer la porte aux paradis fiscaux?
Mme
Hivon
:
Bien, clairement. Vous avez entendu les réponses du ministre Leitão. Je dois
vous dire que je ne m'attendais pas à des réponses aussi évasives, à côté de ce
qu'on lui demandait ce matin. En fait, il nous a dit : Bien, non, on ne
peut pas vérifier ça. On sait que le gouvernement, justement, a refusé de mettre
en oeuvre toutes les recommandations du rapport de la commission qui s'est
penchée sur la question des paradis fiscaux avec un rapport unanime non
partisan et, à travers ça, il a donc refusé de faire maintenant des critères
pour entrer en relation commerciale avec l'État, la question d'être lié à des
paradis fiscaux.
Mais là on ouvre un nouveau champ d'action
qui va être archi bénéfique pour les producteurs, mais dans lequel le
gouvernement peut dès maintenant donner ses intentions. Donc, toute la place
est là pour dire : On ne tolérera pas de faire affaire avec des
producteurs qui sont liés, dont le financement provient de sources anonymes, de
paradis fiscaux qu'on n'est pas capables de retracer. Alors, je trouve que,
dans le contexte actuel où on dit qu'on veut se battre pour plus de justice
fiscale, puis contre les paradis fiscaux, et pour la transparence, on est
complètement... le gouvernement va complètement à l'encontre de la volonté des
gens.
M. Bellerose (Patrick) :
Pourquoi, selon vous, le gouvernement ne ferme pas la porte aux paradis fiscaux
dans ce dossier-là?
Mme
Hivon
:
Bien, écoutez, il faut lui poser la question parce que vous avez vu tout ce qui
a été soulevé à titre de gens qui sont impliqués dans les compagnies, des
lobbyistes et tout ça. Donc, c'est...
M. Bellerose (Patrick) :
...les libéraux, pour vous, qui sont...
Mme
Hivon
: Il
faut... On a tous lu, je pense, les mêmes articles. Le gouvernement doit
expliquer, alors que ça dépasse l'entendement de voir qu'on fait ce choix-là de
manière complètement claire et assumée. On le sait, c'est à pleines pages des
journaux. Ça fait des semaines qu'on en discute, et le gouvernement décide
d'aller de l'avant avec des compagnies qui sont financées via les paradis
fiscaux. Alors, c'est clair.
M. Lacroix (Louis) :
Est-ce qu'il y a quelque chose qui pourrait empêcher, par exemple, le crime
organisé d'investir dans des compagnies comme, par exemple, Aurora, ou
Hydropothicaire, ou autre?
Mme
Hivon
: C'est
exactement ça que l'on veut, c'est le sens des amendements que Sylvain veut
déposer, c'est de dire qu'il ne peut pas y avoir de compagnie qui vont fournir
l'État qui ont des liens avec les paradis fiscaux ou dont les investisseurs ne
sont pas connus. Il faut avoir de la transparence, il faut connaître ces
investisseurs-là. Comme je l'ai dit...
Journaliste
: Mais
comment on peut, Mme Hivon... Dans le dossier du vin, par exemple, il y a
sûrement des vignobles... dans le dossier du vin, il y a sûrement des vignobles
qui sont financés par des gens qui sont à même les paradis fiscaux, puis on
achète quand même leur vin, puis on le vend à la SAQ, là.
Ça fait que quel fonctionnement vous
proposez pour empêcher ça, à part déchirer votre chemise puis dire : Il ne
faut pas, il ne faut pas, il ne faut pas.
Mme
Hivon
:
Bien, c'est faisable, c'est tout à fait faisable de dire : On va regarder
quels sont les... bien, il faut demander de la transparence de la part des
compagnies, c'est aussi simple que ça. Donnez-nous la liste de vos
investisseurs, soyez transparents, puis ça va être une condition pour
laquelle... qui va être sine qua non de la possibilité de signer une lettre
d'intention avec nous. Est-ce que c'est quelque chose qui se fait tous azimuts
en ce moment? Non. C'est justement, c'est le temps d'innover puis de commencer.
Journaliste
: On a de
la misère à refuser des contrats de déneigement, parce que ce sont des
compagnies qui ont déjà été mêlées à de la collusion, puis finalement on leur
donne, parce qu'il y a d'autres mécanismes possibles. Est-ce qu'on va être
capable de le faire dans le dossier du cannabis?
Mme
Hivon
: Mais
c'est sûr que, si on n'essaie pas puis on baisse les bras, on ne réussira
jamais. Comment on va faire pour enrayer ça, cette économie qui provient des
paradis fiscaux? Il faut bouger, puis là le Québec a l'opportunité de le faire.
Il se réfugie toujours derrière le grand frère fédéral. Là, il a l'opportunité
de le faire, de dire : On veut de la transparence, on veut savoir qui est
derrière et tout.
La Modératrice
: Juste
un instant. M. Pagé va devoir quitter pour aller en commission. Mme Hivon va
continuer à répondre à vos questions.
M. Pagé
: Moi, je dois
y aller, justement pour aller dire clairement au gouvernement qu'il faut être
beaucoup plus vigilant. Alors, merci.
M. Croteau (Martin) : Mais
comment est-ce possible de faire ça à la pièce juste pour l'industrie du
cannabis et pas, par exemple, pour des entreprises de déneigement, l'exemple de
François qui... dans lesquelles, théoriquement, un investisseur basé dans un paradis
fiscal pourrait investir de l'argent? Alors, pourquoi faire ça strictement pour
l'industrie du cannabis?
Mme
Hivon
:
Nous, on voudrait qu'ils le fassent pour tout. Vous avez sans doute lu les recommandations,
justement, de la commission. Il faut que ces pas-là se franchissent et qu'il y
ait des premiers pas, notamment avec les sociétés d'État, qu'elles
n'investissent plus dans les paradis fiscaux. C'est toutes des choses qui
doivent se faire.
Pourquoi pas le faire? Pourquoi pas dire :
Là, il y a un nouveau champ d'action qui commence, où les risques sont très
grands de retrouver du crime organisé par la porte d'en arrière, parce qu'on
n'a pas la liste des investisseurs, parce qu'on ne sait pas d'où proviennent
ces investisseurs, puis pire, parce qu'on sait d'entrée de jeu qu'ils sont liés
à des paradis fiscaux? Il faut franchir un premier pas, hein? Alors, je me dis :
Pourquoi on ne le fait pas là, alors que la preuve est noir sur blanc, alors
que tout le monde parle d'un scandale qui est en train de s'écrire sous nos
yeux? Puis là le gouvernement nous dit : Ah! on va embarquer les deux
pieds là-dedans parce qu'on a décidé de continuer d'être laxistes. Pour nous,
ça ne tient pas la route.
Journaliste
: Les
producteurs de cannabis, là, ce qu'ils vont dire, bien, ce qu'ils disent déjà,
c'est qu'au nom de quoi une industrie qui est légale, au nom de quoi vous allez
empêcher les paradis fiscaux d'investir dans cette industrie-là uniquement,
alors que ça se fait déjà dans plein d'autres d'industries? Pourquoi eux
seraient différents si c'est légalisé?
Mme
Hivon
:
Parce qu'on a le droit. Parce qu'on a tout à fait le droit, au Québec, de dire :
Voici les critères de sélection pour ce nouveau champ d'action qui s'ouvre
devant nous avec la légalisation du cannabis. Le Québec a tout à fait le droit
de dire : Voici les critères qu'on met de l'avant pour le choix des
entreprises qui vont devenir des fournisseurs de l'État québécois.
Alors, on peut baisser les bras puis dire :
C'est une grande fatalité de la vie, puis on va laisser les scandales s'écrire
sous nos yeux. Mais on peut prendre ses responsabilités puis dire : Non,
là, on met un holà à tout ça puis, pour cette nouvelle industrie là, bien,
voilà, on va demander des règles très claires, des garanties très claires, de
la transparence. Il faut commencer quelque part, puis là je pense que c'est le
temps de commencer, surtout qu'on voit à quel point les paradis fiscaux sont
liés aux entreprises productrices de cannabis.
M. Dion (Mathieu) : Il n'y a
pas une responsabilité qui vient aussi des entreprises? C'est un peu ce que M.
Leitão dit, finalement, ça revient un peu aux entreprises de prendre cette
responsabilité de s'assurer que les investisseurs sont légitimes.
Mme
Hivon
: Bien,
les entreprises, c'est certain qu'elles ont des responsabilités, mais l'État a
la plus grande responsabilité de décider qu'il va contracter et qu'il va
s'approvisionner auprès d'entreprises qui montrent patte blanche. Les
entreprises, elles n'ont qu'à décider qu'elles vont montrer patte blanche,
qu'elles vont se détacher d'investisseurs qui ne montrent pas patte blanche. C'est
aussi simple que ça.
C'est un grand privilège qu'on est en
train de donner à ces entrepreneurs et ces entreprises-là. Alors, c'est au
Québec de dire : On a tout à fait la marge de manoeuvre pour exiger des
garanties et de la transparence.
Journaliste
: Mais
l'effet domino de ça, ça va être, bon, on s'intéresse à l'industrie du
cannabis, on va dire que la Société québécoise du cannabis peut juste faire
affaire avec des compagnies transparentes, mais il va y avoir ensuite les mêmes
exigences envers les autres.
Mme
Hivon
:
Bien, tant mieux.
Journaliste
: Est-ce
que vous êtes prêts à demander à même toutes les compagnies québécoises, des
fleurons : Mettez toute la transparence, on veut savoir d'où viennent tous
vos investisseurs?
Mme
Hivon
: C'est
important que toute cette réflexion-là se fasse et qu'on franchisse les pas un
à la fois. Puis là on a l'opportunité d'en franchir un important dans une
industrie où on sait que les problèmes sont déjà là, sous nos yeux. Alors, on
estime que c'est indécent de ne pas accepter de faire ce pas-là à l'heure
actuelle.
M. Robitaille (Antoine) :
Est-ce qu'il y a déjà des mécanismes à la Société des alcools du Québec pour
s'assurer que... Je reprends un peu la question de tout à l'heure.
Mme
Hivon
: Je
ne le sais pas.
M. Robitaille (Antoine) :
Vous ne savez pas?
Mme
Hivon
: Je
ne peux pas vous dire, non.
Journaliste
: Mais
pourquoi d'abord on n'est pas exigeants... Tu sais, l'alcool est là, là on
parle que le cannabis, c'est grave, c'est dangereux, ça fait peur. Pourquoi on
n'a pas d'exigence pour l'alcool? Pourquoi? Justement, on ne le sait même pas
comment la SAQ fonctionne.
Mme
Hivon
:
Bien, vous retournerez voir dans le rapport sur les paradis fiscaux de la
commission parlementaire, on parle justement de l'importance que les sociétés
d'État s'éloignent de contrats avec des entreprises qui ont des paradis
fiscaux. On a ce pouvoir-là aussi de dire qu'on va tranquillement s'éloigner de
ça. Il n'y a pas eu de suite du gouvernement par rapport à ça, mais c'est quelque
chose qui a été abordé puis qui a été recommandé. Il faut commencer quelque
part. Nous, on demande qu'on commence maintenant.
M. Robitaille (Antoine) : Si
on le fait pour le cannabis, il faudrait le faire pour toutes les substances.
Mme
Hivon
:
Bien, en fait, il faut commencer quelque part, et puis nous, on pense qu'il faut
que les sociétés d'État se responsabilisent, donc ça veut dire, bien sûr, la Société
des alcools, les autres sociétés d'État, pour qu'on s'éloigne des paradis
fiscaux.
Journaliste
: Mais juste
préciser, la Société québécoise du cannabis va être une filiale de la SAQ. Donc,
si vous voulez le mettre dans une loi, il va falloir que la SAQ embarque.
Mme
Hivon
: Mais
on peut le mettre via les amendements aussi que Sylvain propose, à partir même
de la mission de la société québécoise, mais je suis d'accord qu'une approche,
l'approche la plus cohérente possible serait la meilleure possible.
Mais nous, aujourd'hui, on est très déçus
de la réponse du gouvernement qui ne reconnaît même pas le problème, qui refuse
de faire preuve de transparence, qui refuse de nous dire les critères de
sélection, qui refuse de nous dire qui sont les investisseurs de ces
compagnies-là. Puis c'est nous qui lui disons : Écoutez, c'est à la face
même des journaux, aussi, toutes ces informations-là. Merci.
(Fin à 11 h 22)