(Onze heures dix-sept minutes)
M. Lisée
: Alors, d'abord,
on vient de voir une manifestation d'unité du Parti libéral du Québec et de la
CAQ, que j'appelle le PLCAQ, qui viennent de laisser tomber l'industrie
agricole, laitière et fromagère du Québec. Dans l'accord de libre-échange avec
l'Europe, le Québec n'a qu'un outil de rapport de force pour forcer Ottawa à
compenser les dommages causés, 1,5 milliard sur cinq ans, sur l'industrie
laitière et fromagère, le seul rapport de force qu'on avait, c'était de dire à Ottawa :
L'Assemblée nationale ne va pas ratifier tant qu'on n'est pas satisfaits. Et d'ailleurs
Ottawa s'était engagé à nous donner les éléments, la compensation avant la
ratification. Alors, ce que la CAQ et ce que le Parti libéral viennent de dire
à Ottawa, c'est : Ça ne nous dérange pas. C'est un chèque en blanc. La
dernière offre que vous aviez faite, là, 350 millions, alors que vous
causez des dommages de 1,5 milliard, ça suffit. Moi, je n'en reviens pas
que le PLCAQ ait décidé de s'enlever le seul outil de négociation qu'on avait
pour avoir une juste compensation.
Et d'ailleurs, hier, le premier ministre
semblait complètement ignorant du fait que l'accord prolonge la durée des
brevets sur les médicaments d'origine de deux ans. Et, selon son propre
ministère des Finances, ça va coûter un quart de milliard de dollars par année
à l'État québécois et 200 millions de dollars par année aux assureurs
privés. Ça, c'est la perte causée par l'accord.
Le gouvernement fédéral s'était engagé à
nous compenser. La seule façon de les obliger à nous compenser correctement,
c'était d'attendre, avant de ratifier, d'avoir des réponses. Il n'y en a
aucune, réponse. Le premier ministre semblait même se rendre compte... je lui
apprenais qu'il fallait avoir des réponses là-dessus.
Ce sont les deux dossiers. Il y en a juste
deux. Les deux dossiers, engagement du fédéral à nous compenser, rien sur la
table à ce moment-ci. Imaginez maintenant la motivation que le fédéral a de
répondre correctement aux demandes du Québec. Le PLQ et la CAQ viennent de
signer. Ils viennent de signer. On n'a plus aucun rapport de force. Je n'en
reviens pas.
Et pour mettre un peu de cerises sur le
sundae, aujourd'hui le premier ministre Couillard a confirmé la clause
Couillard, la clause linguistique Couillard. Ça, ça veut dire que désormais un
employeur peut demander à tous ses salariés de connaître l'anglais à
l'embauche. Ça, c'est la loi, là, maintenant. La jurisprudence qu'il a reprise
dans la Cour d'appel du Canada, dans la cause Gatineau, a dit : Ce qu'avait
écrit Camille Laurin, là, puis René Lévesque, là, qui disait que l'employeur
devait justifier pour chaque poste, que celui-là nécessite l'anglais et pas les
autres, ça, c'est tombé. Maintenant, si l'employeur peut simplement faire la
démonstration que ça se peut qu'occasionnellement il y ait des clients, ou des
fournisseurs, ou des citoyens qui veulent parler l'anglais, on peut demander l'anglais.
C'est un recul, là. On est dans les années 50. M. Couillard, je lui
ai demandé : Est-ce que vous êtes satisfait qu'au moment où on se parle
60 % des offres d'emploi à Montréal nécessitent l'anglais? Pas de
problème. Il n'a pas de problème avec ça.
La clause Couillard, là, c'est ce qu'il
avait dit pendant le débat en 2014 : Il faut que tous les salariés sur une
ligne de montage connaissent l'anglais au cas où un acheteur anglophone pose
une question. C'est là qu'on est aujourd'hui. On a un gouvernement qui trouve
ça correct. Il a osé parler de l'enjeu linguistique comme d'un chiffon. Il a
dit : L'enjeu linguistique, c'est un chiffon. Soulever des inquiétudes sur
les droits des salariés francophones au Québec, qui sont quand même 80 %
de la population, pour Philippe Couillard, c'est un chiffon.
Alors, cette semaine, il était très, très
inquiet de l'assimilation des anglophones dans les régions, très inquiet. Je ne
dis pas que ce n'est pas légitime, mais il n'est pas inquiet du tout des droits
des salariés de travailler en français dans l'immense majorité des cas.
Alors, écoutez, aujourd'hui, le gouvernement
Couillard, sur la défense de l'agriculture québécoise, ça ne l'intéresse pas, il
est avec la CAQ là-dessus, puis sur la langue française, c'est un abandon.
Imaginez déjà le tort qu'il avait causé en faisant sa déclaration au moment de
2014 avant de devenir premier ministre, ça a envoyé le signal à tous les
employeurs que, si le premier ministre le dit, c'est bien. Là, les cours
fédérales ont dit : Le premier ministre a raison. Puis là le premier
ministre dit : Bien, je suis content que les cours fédérales m'aient
entendu. Alors là, si vous voulez avoir un gouvernement qui va défendre votre
droit de travailler en français, sauf exceptions balisées, il faudra élire le
Parti québécois.
M. Dion (Mathieu) : Dans
la formulation de votre projet de loi, il n'y a pas quelque chose d'un peu
contraire à l'idée d'ouverture à la langue anglaise, à l'importance que le
travail se fait souvent en anglais dans le monde des affaires, que les machines
sont en anglais? Il n'y a pas un message contraire, dans la formulation du
projet de loi, que ça envoie?
M. Lisée
: C'est
la loi 101. La loi 101 dit : Nous sommes une nation francophone
et on a le droit de travailler en français. Il existe des cas où l'usage de
l'anglais est nécessaire. Et là il y a deux choix : il y a le choix de la
clause Couillard, de dire : Puisqu'il y a des cas où l'anglais est
nécessaire, demandons-le à tous, et il y a la voie de la loi 101, du Parti
québécois, qui dit : Non, on ne va pas le demander à tous, l'employeur va
nous expliquer que, dans quelques cas, c'est nécessaire, et il va dire
lesquels, et il va dire : Je m'organise pour que le moins de gens
possible, le moins de salariés possible aient la nécessité de l'anglais parce
que la langue de travail au Québec, la langue habituelle de travail, c'est le
français.
M. Dugas Bourdon (Pascal) :
Est-ce que la loi 101 n'était pas assez claire avant le dépôt de votre
projet de loi?
M. Lisée
: Elle
était très claire.
M. Dugas Bourdon (Pascal) :
Alors, pourquoi, en fait, proposer un amendement?
M. Lisée
: Les
juges fédéraux ont décidé de modifier leur interprétation, comme c'est souvent
le cas. Des juges nommés par Ottawa ont déclaré l'an dernier, et la Cour
suprême a réitéré ça en mars de cette année en n'ouvrant pas la cause, ont dit :
Bien, dorénavant, l'interprétation des juges fédéraux sur la loi 101,
c'est que vous n'avez pas à démontrer la nécessité pour chaque poste; si c'est
juste une présence occasionnelle, ça suffit pour demander une connaissance de
l'anglais à tous. C'est l'histoire de la loi 101 que, constamment, on a
des juges fédéraux qui essaient de diluer ce que les législateurs québécois ont
fait. Il y a même un cas récent où 100 % de l'Assemblée nationale avait
voté sur les écoles passerelles, en conformité avec la jurisprudence fédérale
jusqu'à ce moment-là, les juges fédéraux ont dit : Non, on change d'avis,
puis 100 % des législateurs, ce n'est pas assez. Alors, à chaque fois, il
faut revenir puis dire : Non, c'est les législateurs qui décident et qui
protègent les salariés québécois. Et l'interprétation qu'a donnée la Cour
d'appel canadienne, elle n'est pas correcte, et d'où la nécessité de renforcer
la loi.
M. Dugas Bourdon (Pascal) :
Donc, avec l'amendement, vous avez l'intention de contrer la jurisprudence qui
existe. C'est ça, votre intention.
M. Lisée
: Exact,
de rétablir les droits des salariés tels qu'ils étaient avancés depuis le début
dans la loi 101.
M. Dugas Bourdon (Pascal) :
Là, vous avez confiance que ce sera suffisant.
M. Lisée
: Bien,
on n'est jamais certains dans le Canada. La seule façon d'être certains, c'est
d'être indépendants. Mais se laisser faire, admettre le recul… Aujourd'hui, le
premier ministre du Canada a applaudi le recul. Il a applaudi au fait que des
juges fédéraux ont déclaré que des employeurs peuvent demander très facilement,
sans justification claire, une connaissance de l'anglais pour tous leurs
nouveaux salariés.
M. Salvet (Jean-Marc) : Votre
projet de loi me semble s'inspirer de dispositions qu'il y avait dans le projet
de loi n° 14 de Diane De Courcy. Est-ce que, à rebours, il
n'aurait pas fallu s'entendre avec la CAQ à ce moment-là pour le faire adopter?
Il y avait eu des négociations, ça avait échoué. Est-ce que, à rebours, il
n'aurait pas fallu, à tout le moins, pouvoir, de votre point de vue, inclure et
faire passer de telles mesures? On était en 2012‑2013, là.
M. Lisée
: Bien,
écoutez, ça aurait été bien si la CAQ avait accepté une des mesures centrales
du projet, c'est-à-dire d'étendre progressivement la loi 101 aux
entreprises de 25 à 50 employés. La CAQ a refusé, refuse encore aujourd'hui.
C'est une mesure très importante, et c'était la raison pour laquelle il n'y
avait pas d'entente à ce moment-là.
Le projet de loi, oui — puis je
vous félicite pour votre vigilance là-dessus — reprend quelques
dispositions de 14 sur les droits des salariés et la possibilité de recours
lorsque leurs droits ne sont pas respectés, mais, essentiellement, a été écrit
avec les gens qui ont travaillé sur la cause Gatineau, qui a mené à la mauvaise
jurisprudence de la Cour d'appel.
M. Salvet (Jean-Marc) :
Est-ce que, si le Parti québécois reprend le pouvoir, le projet de loi
n° 14 sera redéposé dans ses grands axes? Est-ce qu'il y aura beaucoup de
modifications par rapport à ce que Mme De Courcy avait présenté à ce
moment-là?
M. Lisée
: On va
refaire le point en fonction de la réalité actuelle. Alors, c'est certain qu'on
va étendre la loi 101 aux entreprises de 25 à 50 employés, on va l'étendre
aux entreprises à charte fédérale. Nous prétendons avoir la capacité de le
faire. On va introduire les éléments dont on parle aujourd'hui et plusieurs
autres. C'est sûr qu'il va y avoir une législation linguistique qui va inclure
ces éléments et d'autres. Ça ne sera pas exactement 14, parce qu'ensuite même
Diane disait : Bon, si on doit le réintroduire, il y a tellement de
modifications que peut-être qu'on s'y prendrait autrement.
M. Salvet (Jean-Marc) :
Évidemment, les cégeps ne feront pas partie du tableau, vous l'avez dit encore
récemment. Est-ce qu'à l'interne, comment dire, vos arguments, vous avez
l'impression qu'ils font mouche là-dessus?
M. Lisée
:
Écoutez, la majorité des congrès locaux et régionaux sont en phase avec la
proposition que nous avons faite.
M. Salvet (Jean-Marc) :
C'est-à-dire de ne pas étendre.
M. Lisée
: Oui, c'est-à-dire
de ne pas étendre, mais d'agir, parce qu'on propose d'agir en disant : Il
faut rendre les cégeps francophones plus attractifs pour ceux qui aimeraient
avoir une vraie connaissance de l'anglais, donc leur proposer un parcours
anglophone enrichi, mais aussi faire en sorte que, dans les cégeps anglophones,
la connaissance réelle du français soit une condition essentiellement de
l'obtention du diplôme, donc un enrichissement de l'enseignement en français, y
compris on veut inciter fortement à ces élèves passent une session dans un
cégep francophone quelque part sur le territoire du Québec.
M. Salvet (Jean-Marc) : Très
bien, merci.
M. Dion (Mathieu) : Deux
personnes dont la mort n'est pas imminente vont avoir recours aux tribunaux
pour avoir l'aide médicale à mourir. Est-ce que vous croyez qu'il y a un fondement
à cette demande-là?
M. Lisée
: Et
Véronique Hivon va venir vous en parler avec toute la compétence dont elle
est capable.
M. Dugas Bourdon (Pascal) :
C'est quoi, l'opinion du Parti québécois sur les fractionnements du contrat au
CHU de Québec?
M. Lisée
: Bien,
écoutez, c'est clair que, là, il y a une volonté de contournement. Il y a une
volonté de contournement, mais il y a aussi le fait que l'AMF n'était pas en
mesure de délivrer ou non le certificat à Iron Mountain, et ça, c'est
grave. Et, nous, ça fait depuis le début qu'on dit que le gouvernement libéral
est en train de faiblir sur le contrôle de l'intégrité des entreprises pour des
contrats publics. Et ils nous disent : Bien là, on ne peut pas aller plus
loin parce qu'il y en a trop. Bien, on dit : Augmentez les ressources à
l'AMF.
M. Dugas Bourdon (Pascal) :
Selon vous, il est là, le problème, il est à l'AMF.
M. Lisée
: Le
problème de fond, il est là. Ensuite, le CHU n'a pas joué correctement en
contournant la règle. Ça, c'est clair. Mais pourquoi est-ce qu'il a été forcé
et poussé à la faute? Il a été poussé à la faute parce que les libéraux ne
mettent pas assez de ressources à l'AMF pour correctement donner ou non des
certificats d'intégrité aux entreprises comme Iron Mountain.
M. Dugas Bourdon (Pascal) :
Ça ne donne pas un peu l'impression que vous défendez l'université d'avoir
utilisé des...
M. Lisée
: Je ne
la défends pas. Je ne la défends pas. Il y a deux fautes. Il y a la faute de
l'université puis il y a la faute du gouvernement libéral.
M. Dugas Bourdon (Pascal) :
O.K. Puis, en terminant, rapidement, vous pensez quoi, là, des
130 millions supplémentaires qui ont été facturés aux parents pour les
tarifs de garde?
M. Lisée
: Bien,
nous, depuis le début, on dit : Écoutez, on pense que c'était une erreur
de quitter le tarif unique, le tarif quotidien, unique, universel, et nous, on
propose d'y revenir, ce qui va faire économiser énormément d'argent. Je l'ai
vu, on avait calculé 150 millions aux parents à partir du premier budget
d'un gouvernement du Parti québécois. On va faire ça. Il y a des gens de classe
moyenne supérieure, écoutez, c'est 1 000 $, 1 500 $,
2 000 $ qu'ils ont eu sur leur ligne 434 de l'impôt. C'était
comme un Boeing 434 qui arrive dans votre budget familial. Merci.
Le Modérateur
: En
anglais, Maya...
M. Lisée
: Ah,
Maya!
Mme Johnson (Maya) : Merci.
Bonjour. Mr. Lisée, can you explain what you're trying to
accomplish with this bill?
M. Lisée
:
Well, Bill 101 was clear, you can have a number of people working for you
in English and require the knowledge of English for a number of designated
posts, but you have to argue for these exceptions to the rule that French is
the language of work.
Recently,
the appeals court decided that the employer no longer has to make a case for a
single post, he can simply say there is enough volume of people wanting to have
English that everyone in the staff should be required to speak English. And, in
that sense, well, there's no longer any right to work in French in Québec because you can always make the case
that someone will show up and ask a question in English. So, what the bill does is return to the rights that where
enshrined in Bill 101 and say : The judges misinterpreted the law.
So, we're coming back to say more clearly that, listen, it's fine, when you
make the determination that this person talks to Anglos, here or abroad, in the
work, you can designate this post or these posts as requiring English, but you
cannot say that the whole staff needs to know English to have these jobs.
Mme Johnson (Maya) : Earlier in question period the Premier repeatedly said there's no
linguistic crisis in Québec and
he appeared to be suggesting that you're trying to create one or stir something
up here. How do you respond to that?
M. Lisée
: There's no need to have a crisis to be mindful of the rights of
Francophones in Québec. And I
asked him, I said : Listen, there was a study in 2008 showing that 40% of all wanted ads required English in Montréal; five years later,
it was 60%. So now in Montréal, if you want a job, in 60% of the cases, you
need English. Is he satisfied with that? And clearly he is. So, should it be
100%? So, what's the point? You know, English is an important part of our
economy, but if it's to the point where you cannot have a job if you don't
speak English, well, then French is no longer the most important language in
work in Québec. We might as well all move to Wisconsin.
Mme Johnson (Maya) : So, to that end, do you think that the Liberal Government's
priorities are misplaced right now? Yesterday, for example, we heard the
Liberal Government talking about the need to protect Anglophone communities in
regions outside of Montréal. You're more concerned about what's going on in
Montréal with Francophones.
M. Lisée
:
Well, I think, as I said yesterday, the sudden interest of Mr. Couillard
for Anglos is not credible because his Government has acted against the rights
of Anglos all along. And clearly he never really cared about the rights of
francophone workers and employees to speak French at work. He invented what we call the «clause Couillard», that everyone on an
assembly line should know English in case a buyer, an English buyer comes
along. That's what he said back in 2014. And now this doctrine, this Couillard
doctrine is the law of the land, and he's fine with it. And it goes against 50
years, 400 years of this nation trying to live and work in its official
language. Merci.
(Fin à 11 h 34)