(Onze heures trois minutes)
Mme David (Gouin) :
Alors, mesdames messieurs, ce matin, compte tenu des événements qui nous ont
tous frappés la nuit dernière, hein, l'élection de Donald Trump à la
présidence des États-Unis, donc quelque chose d'un peu inattendu quand même — je
pense qu'on espérait que ce ne soit pas lui, ce misogyne, ce pourfendeur des
minorités, cet homme qui a semé la haine et la division — j'ai pensé
que le geste que je pourrais poser comme députée serait de poser une question
en Chambre au premier ministre du Québec. Je ne peux pas changer ce qui s'est
passé aux États-Unis d'Amérique, mais, avec mes collègues députés, avec la
population, avec vous qui m'écoutez, on peut changer des choses au Québec.
Alors, j'ai demandé au premier ministre
s'il était conscient de la gravité de ce qui s'était passé aux États-Unis, s'il
était conscient que la corruption et la collusion, toute cette espèce de
fraternité parfois obscène, là, entre les élites politiques et les élites économiques...
Est-ce qu'il est conscient, le premier ministre Couillard, qu'ici même au Québec
il y a pas mal de gens qui, maintenant, sont cyniques et désabusés quand ils
voient les gestes posés par des partis politiques, principalement ceux qui ont
été au pouvoir, puis en ce moment par le Parti libéral du Québec? Les
révélations se suivent et se suivent, et on dirait que ça coule sur
M. Couillard comme sur le dos d'un canard. Il s'en remet à l'UPAC, il ne
faut pas s'agiter. Mais on sait, on sait que plein d'argent a été accumulé par
le Parti libéral, des millions, des millions, des millions pendant des dizaines
d'années, et c'est cet argent-là qui a servi à financer leur campagne
électorale. Il doit rembourser cet argent. Ça, là, ça serait un geste qui, au
moins, viendrait dire aux gens : Je vous ai compris, il y a de la
malversation, on n'en fera plus, on s'en va ailleurs. Mais non,
M. Couillard refuse de s'y engager, et puis là il me fait un discours sur
l'emploi, et sur le
Alors, je reviens, deuxième question :
Est-ce qu'il se rend compte qu'ici comme aux États-Unis il y a plein de gens qui
sont fatigués, qui n'en peuvent plus? Ils ont des problèmes avec le système de
santé, les écoles sont délabrées. J'ai rencontré, cette semaine, des
intervenantes communautaires qui elles-mêmes n'en peuvent plus parce qu'elles
sont sous-financées puis qu'elles doivent répondre à des demandes grandissantes.
Toute cette fatigue, là, ce cynisme, ce désespoir qui finit par étreindre plein
de gens, bien, dans d'autres pays, on voit ce que ça donne. Aux États-Unis et
dans plusieurs pays d'Europe, les gens finissent par s'en remettre à des
sauveurs et souvent des sauveurs d'extrême droite. C'est vraiment
catastrophique, là, parce que c'est comme si la population, en fait,
travaillait contre ses propres intérêts. Et j'ai donc demandé à
M. Couillard s'il ne craignait pas que toutes ces mesures d'austérité, à
un moment donné, puissent amener une partie, en tout cas, de la population du
Québec à aller vers des mesures populistes qui seraient désastreuses. Il me
répond encore en me parlant d'équilibre budgétaire, en me parlant d'emplois, en
me disant que l'économie va bien, que c'est comme ça qu'il faut travailler.
Alors, dernière question, je lui dis :
Mais les personnes immigrantes, les personnes immigrantes que nous accueillons
au Québec et dont beaucoup se retrouvent sans emploi, ou avec des emplois
précaires, ou des emplois qui ne correspondent absolument pas à leurs
qualifications, qu'est-ce que vous faites avec tous ces gens-là? Vous faites
des beaux discours sur l'immigration. Et le Parti libéral est le champion des
discours, mais il est le cancre des mesures concrètes. Il faut faire des
campagnes de sensibilisation auprès des employeurs pour qu'ils embauchent des
personnes immigrantes. Il faut qu'ils en embauchent qui parlent français et qu'on
n'exige pas tout le temps la connaissance de l'anglais. Il faut contraindre des
ordres professionnels à accepter une reconnaissance des diplômes.
Mais tout ça, là, ça ne se fait pas. Et
ça, ça finit aussi par être un terreau fertile à ce que les gens de la majorité
au Québec voient qu'il y a des personnes immigrantes en chômage et se dire :
Bien, dans le fond, ça sert à quoi, accueillir des immigrants s'ils sont en
chômage? Comme si les immigrants ne voulaient pas travailler. Ils le veulent. C'est
ce qu'ils veulent le plus. Mais vraiment je pense que M. Couillard ne
comprend pas la gravité de la situation. Corruption, austérité, économie très
difficile pour les personnes immigrantes, il ne comprend pas. Il ne comprend
pas que le Québec, ça ne vit pas sous une cloche de verre. Le Québec est en
Amérique du Nord. Le Québec est une société où, depuis longtemps, on vise la
solidarité sociale, c'est vrai, mais elle est très mise à mal ces dernières
années par les politiques libérales. Et moi, j'invite le premier ministre à se ressaisir,
à répondre aux questions, à se comporter en homme d'État, à payer ses dettes, à
aider les populations les plus vulnérables du Québec et entre autres les
personnes immigrantes.
Mme Crête (Mylène) :
Comment est-ce que vous mesurez ce populisme? Comment est-ce que ça pourrait se
mesurer ici, au Québec?
Mme David (Gouin) : Je ne
suis pas en train de dire qu'une large partie de la population québécoise
serait actuellement gangrenée par un populisme d'extrême droite, là, on va être
très, très clairs là-dessus. Ce que je suis en train de dire, c'est qu'il ne
faut pas créer des terreaux fertiles au populisme. Et ça, on l'a vu dans
plusieurs pays européens, par exemple, où l'économie est dévastée et où, à un
moment donné, des gens de la classe ouvrière, là, des travailleurs, des
travailleuses sans emploi — c'est le cas aussi aux États-Unis — se
mettent à en vouloir au bouc émissaire facile qu'est l'immigrant plutôt que de
se tourner du côté des élites économiques et politiques pour leur dire :
Là, là, vous n'avez plus le droit, vous n'avez plus le droit, là, de juste
travailler ensemble pour vos profits puis vos petites magouilles. Et je dis
simplement au premier ministre : Attention! Le Québec, pour le moment,
franchement, est une terre plutôt paisible. Il y a quelques groupuscules
d'extrême droite, on en a eu un échantillon récemment à Québec et à Montréal
aussi il y a quelques mois, ce sont des groupes qui sont petits. Donc, je vous
le dis : Pour le moment, le Québec est une terre plutôt paisible, mais, si
on a lu un peu, si on s'est informés un peu sur l'histoire du XXe siècle
et sur ce qui se passe en ce moment même en Europe, là, dans des pays
démocratiques, dans des pays occidentaux, je dis tout simplement :
Attention! Et ce qui s'est passé hier devrait nous instruire, sincèrement, là.
C'est inquiétant.
Mme Crête (Mylène) : Le
débat sur l'immigration, est-ce que ce n'est pas un symptôme de ça?
Mme David (Gouin) : Oui,
et je ne dis pas qu'on ne peut pas faire de débat, là. On peut certainement
avoir des débats, se demander comment mieux accueillir, mieux intégrer, mieux
franciser les personnes immigrantes. Au contraire, on doit faire ce débat, il
faut avoir des plans d'action en rapport avec ça. Mais, quand on commence à
chipoter sur les seuils d'immigration, que supposément on ne peut pas
accueillir 50 000 personnes, il faudrait descendre à 40 000, ça
ne règle rien, ça. Ça, ça ne fait que braquer les projecteurs sur les personnes
immigrantes, alors que les projecteurs devraient être braqués sur la société
d'accueil. Elle fait quoi, la société d'accueil, concrètement, pour accueillir,
intégrer, franciser?
Quand des employeurs préfèrent engager un
Tremblay qu'un Mohamed, est-ce qu'il n'y a pas là quelque chose à faire? Est-ce
qu'il n'y a pas là une éducation à faire? Il y a des organismes qui font ça,
d'ailleurs, sur le terrain — j'en ai un dans ma
circonscription — mettre ensemble employeurs et personnes
immigrantes. Puis plus les gens se connaissent, plus on détruit les préjugés.
Donc, il y a plein de travail qui peut être fait, il faut juste décider de le
faire. Il faut que le gouvernement du Québec ait la volonté politique de le
faire, au-delà des discours.
Mme Crête (Mylène) :
Donc, il y a quand même un certain vent de populisme, là, un petit terreau
fertile?
Mme David (Gouin) : Ah,
bien oui, écoutez, ici comme ailleurs. Je ne suis pas en train de vous dire...
Il n'y a pas ici de parti d'extrême droite organisé avec 20 % des voix,
comme on a vu dans plusieurs pays européens, avec des députés dans les Parlements.
C'est gravissime, là, ce qui se passe dans plusieurs pays d'Europe. On n'en est
pas là. Je fais de la prévention, parce qu'à force de dire : Ah non, le
Québec, bien non, ça ne se peut pas, c'est impossible, bien, attention, là.
Pourquoi on serait si différents des autres? Alors, je dis simplement :
Attention.
Qui aurait cru, il y a même un an, que
Donald Trump serait le nouveau président des États-Unis? Hier soir, je
regardais beaucoup, beaucoup, beaucoup de commentateurs avoir la mine très
basse, hein, parce qu'ils s'étaient tous dit : Bien non, à la dernière
minute, il va y avoir un sursaut, Mme Clinton va être élue. Alors, attention, je dis simplement : Attention.
M. Hicks (Ryan) : What's your reaction to Donald Trump's victory?
Mme David (Gouin) :
I had a shock, it's sure. It's a little bit depressing,
but, OK, after that, I began to
think about it and ask myself why. That is the main question : Why?
Because, if we can… It will take, I think, a couple of weeks to have all the
portraits, you know, to make good analysis. But today, OK, today, at noon, what I can say is : Probably many people have
any confidence on the political establishment, even if they are Democrats or
Republicans. I think finally people hate that kind of establishment
because they were «trahis»… betrayed, they were
betrayed a lot of times, you know, even by the Democrats, who are more progressive.
So, I think, probably, all these people want to send a message. I think, they
will be deceived because — I saw Mr. Trump during all his campaign — his vision of America is terrible. When I read that he wants to
reopen cove — le
charbon, c'est «cove»? — ...
M. Hicks (Ryan) : Coal.
Mme David (Gouin) : …coal, pardon, coal mines, one second! We have a big problem on
this planet, eh? But he thinks that it's not a problem. God! He wants to send
many, many immigrants and refugees back in their countries. That is terrible. I
think at these people, this morning, how they feel, you know. So, I think,
America is really divided. I suppose many people are as sad and shocked as I
am, and more, because they are Americans. My hope is… After taking a little bit
of time, you know, to just survive with that shock, I hope many, many social
movements in the United States,
feminist movements, many, many women, many young people, many ecologists, many
antiracist groups… my hope is : go together, work together, change the
politics, change the society. We are at that point now.
Mme Johnson (Maya) : Why, in your statement earlier, did you say that this victory, it
gives you chills? What is it about Trump's character… «le froid dans le dos»? What
is it about Trump's character that is so worrisome for you?
Mme David (Gouin) : It's not only his character, especially his ideas on women, on
minorities, on immigrants, on refugees, on climate questions, on LGBT communities, these are the main problems. And, in
surplus, yes, he is bizarre, says one thing a day, another thing the day after.
He is spontaneous. I hope he will work with, I suppose, spin doctors, with
«conseillers», persons who will…
Mme Johnson (Maya) : Advisors?
Mme David (Gouin) : …advisors. I hope these people will a little bit help him to be a president
responsible, minimally, but even if that happens, I will be worried anyway
because, fundamentally, of his ideas.
Mme Johnson (Maya) : And are you worried that that could seep into Québec politics, that way of campaigning,
that populist approach?
Mme David (Gouin) : I don't think we will see that in the short term. I don't feel like
that. I just say, as to your colleague : Be careful. We have, all of us,
political persons and journalists, I can say journalists, «éditorialistes», you know, people who write day after day in
many newspapers… I just say : Take care, pay attention to manifestations
who exist now in Québec, for
example, of intolerance. Sometimes, in the social media, you know, some manifestations of hate, that
exists in Québec. It's not the
majority of the people, I don't say that, but I think we have to be careful on
each manifestation of intolerance and hate. Merci beaucoup.
(Fin à 11 h 18)