(Douze heures dix minutes)
Mme David (Gouin) : Alors,
madame messieurs, bonjour. Ce matin, ma collègue et moi, nous voulons vous
parler de deux questions, mais deux questions très liées parce que ça touche
vraiment, dans le fond, toute la politique québécoise contre les agressions sexuelles.
Moi, je veux parler de la motion que j'ai déposée, qui demande qu'il n'y ait
pas de délai de prescription applicable aux victimes d'agression sexuelle.
C'est une demande que j'avais déjà faite en 2013 lorsque le ministre Bertrand
St-Arnaud avait fait adopter des changements au Code civil. Je m'étais vraiment
opposée à ce qu'il y ait un délai de prescription de 30 ans, même si c'est
vrai que c'était une avancée tout à fait importante par rapport à la situation
qui prévalait jusque-là, qui était de trois ans. Mais surtout je m'étais
objectée à ce que ça ne soit pas rétroactif. Ça, c'est très important.
Ce qu'il faut comprendre, là, c'est
qu'avec un délai de prescription de 30 ans mais qui n'est pas rétroactif,
tout s'applique à partir du moment de l'adoption de la loi en 2013. Alors, oui,
c'est vrai que des victimes d'agression sexuelle en 2035 pourront non seulement
poursuivre au criminel, mais au civil, mais le fait que cette loi ne soit pas
rétroactive empêche les victimes d'agression sexuelle qui ont été victimes
avant 2010, en fait, parce qu'il y a un délai de trois ans, quand même... Avant
2010, là, ça n'est pas rétroactif. Donc, les enfants qui ont été victimes
d'agression sexuelle de la part de religieux, et il y a parfois 40 ou 50 ans,
ne peuvent pas poursuivre au civil pour obtenir des dommages et intérêts, et la
même chose pour des femmes qui ont été victimes d'agression sexuelle.
Dans les autres provinces canadiennes, ce
n'est pas le cas. Il n'y a pas de délai de prescription, et on peut n'importe
quand… Les lois établissant qu'il n'y a pas de délai de prescription sont
rétroactives. La Nouvelle-Écosse, qui, dans un premier temps, avait adopté,
bon, le fait qu'il n'y ait pas de délai de prescription, ne l'avait pas mis
rétroactif et, devant le tollé général, la Nouvelle-Écosse est revenue sur sa
décision première, la décision est rétroactive.
Alors, je demande vraiment solennellement
à la ministre de la Justice, dans le fond, de faire quelque chose, vous ne
serez pas habitués à entendre Québec solidaire dire ça, mais à appeler le
projet de loi de la Coalition avenir Québec. La Coalition avenir Québec a déposé
un projet de loi en 2016 — M. Simon
Jolin-Barrette — disant, à peu de choses près, ce que je viens de
dire : On abolit le délai de prescription et on rend le tout rétroactif.
Moi, je pense que ce projet de loi devrait être appelé, et nous aimerions
contribuer à son adoption.
Mme Massé : L'autre
dimension, au niveau des agressions sexuelles, c'est bien sûr ce qu'on a appris
ce matin : la ministre va déposer demain, donc, la stratégie
gouvernementale en matière de lutte face aux violences sexuelles, et ma
préoccupation, c'est : Qu'est-ce que va contenir ce plan? Et combien
d'argent va y être investi? Alors, vous dire que j'étais des consultations
lorsque Mme Vallée, à l'époque, avait fait les consultations en commission
parlementaire et à travers un forum itinérant. Je pense que les attentes des
groupes de femmes, les attentes des femmes en matière, notamment, d'agression
sexuelle sont assez claires. Je l'ai entendu plusieurs fois.
Premièrement, il faut agir en amont.
Comment on agit en amont? C'est que des cours d'éducation sexuelle et de saines
relations soient enseignés aux cursus primaire et secondaire.
(Interruption) Oui, c'est ça. Vous allez
m'excuser, on est dans le rhume.
Mme David (Gouin) :
Toutes les deux.
Mme Massé : Toutes les
deux. Alors donc, que les cours d'éducation sexuelle soient remis maintenant,
maintenant. Déjà, ça fait 15 ans qu'on ne les a plus. Le gouvernement
péquiste les a abolis. Il est temps de les remettre. Ça a des impacts réels.
Ensuite, toujours dans agir en amont, les
groupes de femmes l'ont dit, la logique humaine le dit, ces grandes campagnes,
et on en vit une actuellement, mais qui est soutenue par la population, qui est
Sans oui, c'est non!, bien, les groupes de femmes nous disaient, voilà
un an, parce que nous venions à peine de sortir du mouvement #agressionnondénoncée :
Ça nous prend des grandes campagnes sociétales. Il ne faut pas juste une petite
campagne ici puis une autre là, trois ans après. Il faut, de façon soutenue,
comme nous l'avons fait pour l'alcool au volant, comme nous l'avons fait pour
la violence conjugale, avoir ce type de campagne là. Et, dans ces campagnes,
parlons de consentement, parlons de c'est quoi, la violence, les violences
sexuelles, les violences faites aux femmes. Donnons un visage à ce qu'il semble
que nous ne voulons pas voir.
Au niveau du système judiciaire, le délai
de prescription, Françoise, c'est ce que les femmes sur le terrain ont demandé,
mais elles ont aussi demandé que le système judiciaire soit beaucoup mieux
formé pour accueillir les personnes qui sont victimes de violence et victimes
d'agressions sexuelles.
La formation des intervenants, ce n'est
pas juste au niveau judiciaire. On l'a entendu, pour les policiers, les
policières, dans les mouvements sociaux, au niveau médical, donc le système de
santé, ça aussi, c'est quelque chose qu'il faut agir maintenant pour nous
assurer que, dans l'avenir, on puisse éliminer les violences sexuelles faites
aux femmes.
Je terminerai en disant : Nous avons,
et ça, j'ai beaucoup d'attentes par rapport à ça, dans le cadre de ces
forums-là, entendu que déjà les agressions sexuelles ou les violences
sexuelles, c'est dur pour toutes les femmes, mais qu'il y a des femmes pour qui
c'est encore plus dur. Pourquoi? Parce qu'elles en sont plus victimes. On pense
tout de suite aux femmes autochtones. Il y a quelque chose qu'il faut, dans
notre savoir québécois, dans notre stratégie québécoise, qu'on adresse de façon
particulière pour aider à éliminer les violences faites aux femmes autochtones.
Les femmes racisées sont celles qui sont ciblées, c'est celles qui, dans les
faits, vivent plus de violence et une violence plus muette, plus derrière les
portes. Des femmes handicapées, hein? Encore hier soir on apprenait que plus
que 40 % des femmes avec un handicap sont victimes d'agressions sexuelles,
il faut agir, et bien sûr les femmes trans et les femmes trans racisées encore
plus que les autres.
Alors donc, voilà, demain, je vais être à
l'écoute, mais ma grande question, ça va être : Combien? Combien d'argent?
Il y a un surplus de 4 milliards actuellement au Québec, et ce surplus-là
ne peut pas ne pas être investi, entre autres, au niveau de la stratégie
gouvernementale en matière de lutte et de prévention des violences sexuelles.
M. Bélair-Cirino (Marco) :
Mme David, quelle est l'importance de la stratégie qui sera annoncée demain
matin?
Mme David (Gouin) :
Capitale. Ce n'est pas compliqué, là, si cette stratégie est insuffisante, si
elle ne répond pas aux attentes des groupes de femmes et de toutes les
intervenantes dont Manon a parlé, s'il n'y a pas d'argent, tout le monde va
comprendre que le gouvernement du Québec ne prend pas du tout à coeur la
question des agressions sexuelles. L'enjeu, là, il est capital. Et je pense
que, demain, toutes les femmes du Québec vont être au rendez-vous, vont vouloir
savoir. Le rôle des médias va être très important, d'ailleurs. Nous allons
vouloir savoir si ce gouvernement est sérieux en matière d'agressions sexuelles.
C'est le test ultime demain. C'est aussi important que ça.
M. Bélair-Cirino (Marco) :
Vous aviez dénoncé, au cours des derniers jours, vendredi dernier notamment,
que l'austérité, notamment les coupes dans les programmes voués aux femmes puis,
bon, de façon plus précise, pour contrer les violences sexuelles avaient fait
des dommages importants. Donc, j'imagine que vous êtes en mesure de le réitérer
aujourd'hui. Mais est-ce que ça prend, dans le fond, des investissements
importants? Puis en même temps on ne peut pas quand même effacer les dommages
qui ont été faits au cours des dernières années.
Mme Massé : Bien, vous
avez absolument raison. Ce qu'il va falloir être à l'écoute demain, c'est que
ce gouvernement-là, dans ses compressions budgétaires des dernières années, a coupé
énormément d'argent qui allait directement dans les groupes de femmes, notamment,
vous parliez, en matière d'exploitation sexuelle. Le gouvernement de M. Couillard
a aboli un programme dans lequel il y avait 5 millions sur trois ans, de
façon spécifique, orienté contre les agressions sexuelles auprès des
adolescentes. Ce programme-là a été aboli. Parce qu'on a fait des pressions,
parce qu'il s'est passé ce qu'il s'est passé au niveau des centres jeunesse, le
gouvernement est revenu avec un programme qui, là, a 3 millions sur cinq
ans, mais qui ne s'adresse plus du tout à la même affaire.
Alors, demain, nous allons être très
vigilantes pour faire ces comparatifs des budgets qui ont été coupés versus
ceux qu'on espère qui vont être réinvestis, mais on ne se laissera pas avoir
avec de la poudre aux yeux. Tu sais, on a bien beau nous annoncer un
réinvestissement... Par exemple, dans ce programme-là, ce qu'a fait le ministre
de la Sécurité publique, il a dit : Nous allons investir 3 millions
sur cinq ans. Aïe! C'est parce qu'avant il y en avait 5 millions sur trois
ans. Et c'est là-dessus qu'on va être vigilantes demain. Parce que la ministre
m'a dit en Chambre, vous l'avez entendue, qu'elle n'arriverait pas seulement
avec la stratégie, mais qu'elle arriverait aussi avec les budgets, et on va
être vigilantes là-dessus.
M. Bélair-Cirino (Marco) :
Voilà. La question s'adresse au gouvernement, mais comment expliquez-vous le
délai ou la préparation aussi longue de cette stratégie-là?
Mme Massé : La question
s'adresse vraiment au gouvernement parce que, depuis les auditions, le forum,
tout ça, a eu lieu l'an dernier, en 2015. Nous avions déjà terminé au début, début
septembre 2015. Je suis incapable sinon que de dire qu'entre septembre et
octobre 2015 il y a eu un changement d'une ministre, mais ça ne devrait pas
arrêter une machine qui écrit des bilans de plans d'action. Je n'ai aucune
idée. Ce que je sais... Ce qui me porte à croire... Et là-dessus c'est important,
les mouvements qui se passent actuellement comme Sans oui, c'est non!, c'est
des mouvements sociaux qui viennent mettre des pressions sur le gouvernement.
Est-ce que Mme Thériault avait déjà prévu de déposer sa stratégie avec les
budgets vendredi cette semaine? Allez la questionner. Je n'en ai aucune espèce
d'idée. Ce que je sais, juste par exemple, c'est qu'elle savait très bien que,
là, on n'attendrait plus, que ça ne se pouvait pas. Ça aurait pu être déposé
vendredi passé, là. La semaine passée, à Laval, c'était le même cri du coeur.
C'est assez. Donnons-nous les moyens et nous avons ici, au Québec, des choses
qui s'appellent notamment une stratégie. Ça fait que je ne le sais pas.
Mme Johnson (Maya) :So, Mme David, just a couple of questions in English. You say you're
supporting a CAQ bill. What's the number of the bill? This was…
Mme David (Gouin) : 596.
Mme Johnson (Maya) : OK, thank you. And why you support this measure?
Mme David (Gouin) : Bien, because it's important to permit people to do «recours
civil»…
Une voix
: Pursue… pursuit…
Mme David (Gouin) : ...civil pursuit «en dommages et intérêts».
Mme Johnson
(Maya) : Ça, je ne peux pas vous aider. Je ne
connais pas le terme.
Mme David (Gouin) : It's important. It's
like reparation, you know. People can go to a criminal court, there's no
prescription on that.
Mme Johnson
(Maya) : Statute of limitations.
Mme David (Gouin) : Limitation. OK. But, after that, when people want to have
reparation, then it's impossible for people who have all kind of sexual assault
before 2010. So, you know, that doesn't cover a lot of people.
Mme Massé : As the Minister
said this morning in the room, she said that we changed the law a couple of
years ago in 2013. But what she didn't say… Now, it's real. You have
30 years on the Civil Code to ask to have reparation. But what she didn't say,
now it's in 2035… It will be OK for 30 years… in
the back 30 years, but now it starts in 2010. So, all the… and we know what
happened a couple of years ago about the assault, children assault in the Church,
for example, these people cannot go and ask the Church to have reparation.
Mme Johnson (Maya) : It's «damages», «seeking damages». It just came back to me.
Mme Massé :
Yes, thank you. So, they cannot go back to have damages.
Mme Johnson (Maya) : OK. And you said earlier in French that you are going to see tomorrow
if the Government is really putting its money where its mouth is, so to speak.
Does the money come with the words? So, it's a test.
Mme David (Gouin) :
Yes, and it is very important. It's the «ultime test».
Mme Johnson (Maya) : The ultimate.
Mme David (Gouin) :
Ultimate test.
Mme Massé :
Because, you were there, we heard last week the Minister say : It's
coming. This week, we have Mr. Leitão who told us that we are in
4 billion of surplus. So, in my mind and, I think, in the women's minds,
that means, in this strategy against women's assault, sexual assault, sexual
violence, we hope and we will be very, very upset if we don't find in this plan
the money that we need to stop this.
Mme Johnson (Maya) : One final question for you, because from what I understand, if
Mr. Sklavounos comes back to the National Assembly, he will be sitting
beside you, and he doesn't seem to intend to leave at this point. How would you
feel sitting beside him in the House, given the allegations?
Mme Massé :
Yes. You know, I think that we were very clear last week that we think that,
because of the kind of work that we have, we are elected people, we ask to
Mr. Sklavounos to resign by himself, and I cannot imagine… I heard this
morning that he came with a letter, but I cannot imagine him sitting just
behind me, sitting anywhere in this room.
Mme David (Gouin) : Merci.
(Fin à 12 h 27)