(Seize heures quarante-sept minutes)
Mme David (Gouin) : De façon
un peu particulière, cet après-midi, et brièvement, j'aimerais m'adresser aux
gens de la Côte-Nord. Là, il y a une loi qui vient d'être adoptée avec un processus
d'adoption relativement rapide. La loi est adoptée, le Bella-Desgagnés, dès
demain, va reprendre ses services habituels. Et, à Québec solidaire, on a quand
même contribué, d'une certaine façon, à ce que les choses se passent bien, mais
on nous a beaucoup reproché de ne pas faire en sorte que ça se passe hier.
Alors, moi, je veux expliquer pourquoi,
hier, on a résisté à l'idée d'une adoption rapide d'une loi contraignant les
travailleurs à revenir au travail. Ces travailleurs-là étaient en grève depuis
trois jours. Dès leur entrée en grève, le gouvernement leur a dit : Vous
êtes aussi bien de régler, on vous met un conciliateur, parce que, si vous ne
réglez pas, dès jeudi matin, on vous avertit, là, il y aura une loi spéciale.
Ce faisant, ce que le gouvernement fait, c'est qu'il affaiblit considérablement
le pouvoir de négociation du syndicat. C'est très clair. Et là l'employeur,
bien, lui, il a juste à se tourner les pouces puis à attendre que ça finisse,
il sait qu'il y a une loi spéciale.
Bien, c'est exactement ce qui est arrivé, et
finalement hier je me suis fait demander par la ministre du Travail de
consentir à une adoption ultra rapide, là, hier, sans débat, d'une loi spéciale
pour le retour au travail, et c'est vrai, j'ai dit : Non, non, ça ne se
passera pas comme ça.
On ne va pas repousser les choses
éternellement. On comprend que la population de la Côte-Nord vit des problèmes
d'isolement, a des besoins de transport maritime. C'est très clair. On sait...
J'ai beau vivre à Montréal, je sais que la route ne se rend pas jusqu'à
Blanc-Sablon. Je suis très consciente de ça. On savait donc qu'il fallait
trouver le moyen à la fois de respecter les droits des travailleurs, mais aussi
assurer des services à la population, et ce qu'on voulait, puis ça a été ça, le
sens de notre intervention, c'est qu'il y ait un débat.
Moi, je ne suis pas ici, à l'Assemblée
nationale pour dire oui chaque fois que le gouvernement me demande quelque
chose. Il peut arriver que je dise oui avec beaucoup de bonne volonté, mais
quand ça me paraît et ça nous paraît, à Québec solidaire, déraisonnable, là,
dans ce cas-ci, vouloir aller beaucoup trop vite pour adopter une loi, bien, je
dis non. Sauf qu'après avoir dit non, donc il n'y a pas eu d'adoption hier, on
s'est rencontrés, le leader du gouvernement et moi, et on a convenu d'une
adoption aujourd'hui. J'en ai prévenu le syndicat, et cette adoption allait se
faire, mais avec débat. Ça n'a pas pris tant de temps, mon Dieu, deux ou trois
heures, et c'était réglé. Mais au moins ça faisait que j'avais... et mes collègues
de Québec solidaire, on avait la possibilité d'exprimer pourquoi nous étions
mal à l'aise devant une loi de retour au travail extrêmement rapide et qui,
dans les faits, a enlevé aux travailleurs toute possibilité de négociation.
Je tiens à dire aussi qu'hier après-midi
j'ai passé l'après-midi au téléphone avec des préfets et maires de la
Côte-Nord, et, dans la majorité des cas, ce qu'ils m'ont dit, là, c'est :
Vous savez, c'est vrai qu'on l'a demandée, la loi spéciale, parce que ça pose quand
même un problème pour nos populations que le Bella-Desgagnés ne fonctionne pas,
là, à pleine capacité comme d'habitude, mais ça, ça ne veut pas dire qu'on
trouve que l'attitude de l'employeur, qui est le Relais Nordik, ça ne veut pas
dire qu'on trouve que l'attitude de la Société des traversiers du Québec est
convenable.
Il y en a même un, M. Noël, préfet de la
Minganie, qui m'a dit : On se sent manipulés par Relais Nordik. Dans le
fond, on a un employeur qui ne négocie pas, qui paie ses travailleurs à la
journée au lieu de les payer à l'heure, ce qui devrait être la norme, puis
après ça, quand il y a une grève, bien là, nous, on est mal pris parce qu'on a
une population à desservir, donc on finit par demander une loi spéciale. Mais
M. Noël et d'autres m'ont dit : Vous savez, Mme David, ce n'est vraiment
pas de gaieté de coeur. Alors, ça, ça tempère un peu aussi la dramatisation que
la ministre a voulu faire à un moment donné, ah, c'était bien épouvantable, Québec
solidaire ne comprenait pas la Côte-Nord. Ça n'est pas vrai.
Je termine en disant que je veux donner
deux exemples d'actions qui ont été menées par moi-même, de Québec solidaire,
ici, à l'Assemblée nationale pour aider les gens de la Côte-Nord. D'abord, il y
a une quinzaine de mois, j'ai lutté pied à pied en commission parlementaire, projet
de loi n° 10 du ministre Gaétan Barrette. J'ai fait, là, mais tout ce que
je pouvais pour obtenir qu'il y ait deux centres intégrés de santé et de
services sociaux sur la Côte-Nord, compte tenu de l'étendue de la région. J'ai
presque cru y arriver, mais M. Barrette, finalement, comme ça arrive souvent,
s'est montré très intransigeant, et donc il y a un seul conseil
d'administration pour les établissements de santé et de services sociaux de la
Côte-Nord, ce qui me paraît être une aberration.
J'ai aussi, l'automne dernier, participé à
un point de presse avec des travailleurs, travailleuses syndiqués de la
Côte-Nord dans le secteur public et la députée de Duplessis pour dire que la
prime de rétention accordée jusque-là aux travailleurs devait leur être conservée
sur la Côte-Nord. Parce qu'à l'époque, dans la négociation du secteur public,
le ministre, le président du Conseil du trésor, voulait leur enlever. J'étais
présente à ce point de presse. Il y avait des travailleurs de la Côte-Nord qui
campaient dehors, sous la tente, devant l'Assemblée nationale. On a passé
quelques heures ensemble. Autrement dit, ça n'est pas vrai que, parce qu'on est
une députée montréalaise, on ne comprend pas les problèmes d'une région
éloignée. Là, c'est la Côte-Nord, ça pourrait être la Gaspésie,
l'Abitibi-Témiscamingue. On a aussi des membres, à Québec solidaire, sur la
Côte-Nord.
Donc, finalement, à la fin de la journée,
comme on dit en anglais, il y en a une loi. Le Bella-Desgagnés, demain, va se
remettre à fonctionner à pleine capacité. Pour les travailleurs et l'employeur,
il y aura d'abord une tentative de médiation. Si ça ne fonctionne pas, il y
aura un arbitrage. J'espère, j'espère vraiment que, dans tout cela, les
travailleurs obtiendront justice, parce que, là, à mon avis, c'est vraiment
leur tour. Merci.
M. Lavallée (Hugo) : Donc,
vous dites, Mme David, la grève aura duré à peine trois jours. On voit
aujourd'hui que vous n'avez pas peur, par ailleurs, de pousser le gouvernement
un peu au pied du mur dans la procédure parlementaire. Est-ce que, dans ce
cas-là, ça n'aurait pas été préférable, justement, de prendre un peu la logique
que vous avez prise avec Uber et puis de forcer le recours au bâillon pour
vraiment marquer votre opposition à ce projet de loi là?
Mme David (Gouin) : Il y avait
quand même une différence entre les deux conflits. Dans le cas d'Uber, on a une
multinationale qui ne paie pas ses taxes et ses impôts et qui tente d'imposer
au Québec des règles qui ne sont pas les règles du Québec. Dans ce cas-ci, on
est devant un conflit syndical classique, mais, qui plus est, on est quand même
devant un service qui est en lui-même jugé essentiel par la population
nord-côtière et qui, de fait, est quand même assez essentiel, si on tient
compte du fait que la route s'arrête un peu plus loin, là, que Natashquan.
Donc, on est devant des situations extrêmement différentes. J'ai eu plusieurs
conversations avec le syndicat hier et j'en ai eu, comme je vous l'ai dit, avec
le maire d'Anticosti, avec le préfet de la Minganie, le préfet du
Golfe-Saint-Laurent, le chef Conseil des Innus de Pakuashipi. Donc, j'ai vraiment
essayé de faire le tour, et d'équilibrer, et de proposer à mon équipe
d'équilibrer nos positions.
Alors, d'un côté, on a dit : Non, on
n'adopte pas aujourd'hui, parce que c'était une adoption sans débat, là, ça
n'avait aucun sens. On a obtenu des droits de parole pour nous qui étions les
seuls dans toute l'Assemblée nationale à nous opposer, des droits de parole
supérieurs à ce que nous aurions eu dans une adoption rapide si ça avait eu
lieu hier. Ça a permis, par exemple, que juste avant le vote aujourd'hui les
trois députés puissent s'exprimer chacun pour une durée maximale de 10 minutes.
C'était ça que je voulais obtenir, et je l'ai obtenu.
Alors, maintenant, à l'heure à laquelle on
se parle, je sais que la population de la Côte-Nord, bon, de son point de vue,
va respirer un peu mieux. C'est sûr que les travailleurs doivent être très
déçus, et je le comprends. Je veux leur dire qu'on va être à leurs côtés. Ils
s'en vont en médiation, j'espère vraiment que ça va bien marcher, parce que
leur demande essentielle, qui est celle d'être payés à l'heure plutôt qu'à la
journée, elle est tellement remplie de bon sens. Et je pense que la population,
à mon avis, va les appuyer.
M. Lavallée (Hugo) : Donc,
vous dites qu'en négociant de cette façon-là vous avez obtenu un droit de
parole supérieur à ce que ça aurait été sous le bâillon. La même logique se
serait appliquée, si je comprends bien, au cas d'Uber, si vous aviez...
Mme David (Gouin) : C'est très
différent.
M. Lavallée (Hugo) : Mais
vous auriez eu plus de temps. M. Fournier était à la place où vous êtes il y a
quelques heures, il nous disait : Je ne comprends pas, ils auraient pu
parler davantage s'ils ne nous avaient pas forcés à convoquer une séance extraordinaire
plutôt que...
Mme David (Gouin) : Il y a une
grosse différence. Le Bella-Desgagnés, là, je savais, moi, depuis quelques
jours quand même, que les travailleurs étaient en grève, mais le dossier a
éclaté hier matin. C'est depuis hier matin que, là, on a la possibilité de
parler aux différents acteurs dans ce conflit-là, de pouvoir s'exprimer et
tout. C'est super nouveau.
Alors, c'était important qu'on puisse
s'exprimer. Je vous rappellerai que mon collègue le député de Mercier s'exprime
sur Uber et sur le conflit avec les chauffeurs de taxi depuis des mois. Alors, sincèrement,
là, on aura des petits droits de parole ce soir, mais, dans notre cas, tout a
été dit. On n'a pas besoin d'avoir deux heures de plus pour donner notre
opinion sur une multinationale qui ne respecte pas les règles en vigueur au Québec.
Elle est illégale, elle a des activités illégales, et le ministre Daoust s'en
va discuter pendant trois mois avec une entreprise qu'il a qualifiée, il y a
quelques jours, lui-même d'illégale. C'est un peu ahurissant, mais tout ça, on
l'a dit, on l'a répété. Mon collègue est allé en commission parlementaire, donc
on a exercé amplement notre droit de parole. Les deux dossiers réellement sont
très différents.
M. Lavallée (Hugo) : Vous
n'avez pas l'impression que... parce qu'aujourd'hui c'est un grand jour pour
Québec solidaire avec l'adoption de votre premier projet de loi. Vous n'avez
pas peur que, justement, le fait de forcer le gouvernement à recourir à un
bâillon, ça jette de l'ombre sur votre grande réalisation? Parce qu'on risque
de parler plus du bâillon que des aînés ce soir puis dans les prochains jours.
Mme David (Gouin) : Ah! que
voulez-vous, ce sont les aléas de la vie. Mais, en fait, moi, je suis très
fière de ce qu'on fait aujourd'hui à Québec solidaire parce qu'on démontre
qu'on est capables de marcher sur deux pattes en même temps. Il y a une patte
qui est le fait de réussir à faire adopter un projet de loi, et, dans le cas
d'une opposition, c'est presque une première, de réussir à faire un projet de
loi aussi substantiel. Et je rappellerai aussi que, grâce aux efforts de ma
collègue Manon Massé et d'Amir Khadir sur des sujets différents — les
médicaments, les enfants trans — à force de pousser, de discuter, on
réussit à faire adopter des projets de loi relativement intéressants. Ça, c'est
la contribution qu'on apporte, là, et on en est très fiers.
Mais on a une autre contribution dont on
doit être aussi fiers, c'est, à un moment donné, là, d'être capables de dire ce
petit mot de trois lettres qui s'appelle «non». Non, on n'ira pas, comme aurait
dit ma mère, à la fine épouvante quand on veut adopter une loi qui va à
l'encontre du droit de grève des travailleurs. Non, on ne fera pas ça le même
jour, en quelques heures, avec peu de temps de parole. On va prendre un peu de
temps, 24 heures de plus. Est-ce qu'on convient quand même que nous avons été
fort raisonnables?
Et, dans le cas d'Uber, on dit non à une négociation
sans garantie écrite qu'on ne négociera pas avec une entreprise qui pose des
gestes illégaux et que le projet pilote, s'il doit y en avoir un, va devoir
respecter les mêmes règles que pour l'industrie du taxi. Le fait de dire
parfois non est aussi important que le fait de dire parfois oui, et on fait les
deux dans la même journée.
Le Modérateur
: Merci.
D'autres questions? Non?
Mme David (Gouin) : Merci à
vous.
(Fin à 17 heures)