(Quatorze heures trente-deux minutes)
M.
Bérubé
:
Alors, au nom de l'opposition officielle, j'aimerais vous offrir cette réaction
à la décision du Conseil des ministres de renommer pour cinq ans Robert
Lafrenière à la tête de l'Unité permanente anticorruption.
D'abord, il faut se souvenir la proposition
qu'on a faite de choisir aux deux tiers de l'Assemblée nationale le Commissaire
à l'éthique... le Commissaire à la lutte anticorruption. Nous maintenons que
c'était la chose à faire. Donc, le gouvernement libéral aura choisi seul la
personne. Et ce n'est pas un jugement sur les compétences de M. Lafrenière,
mais sur le processus qui aurait assuré une plus grande légitimité et
indépendance à un poste névralgique. Je rappelle que, pour plusieurs grandes
institutions du Québec, le directeur des élections, Protectrice du citoyen,
Vérificateur général, c'est aux deux tiers. On a choisi de ne pas le faire, de
faire une exception à la lutte à la corruption. Donc, on va souhaiter à
M. Lafrenière d'avoir les coudées franches pour les cinq prochaines années.
Bien sûr, il y a eu des arrestations
spectaculaires avant qu'il soit reconduit, mais il y a encore d'autres enquêtes
importantes qui touchent des acteurs politiques majeurs du Parti libéral et qui
doivent se poursuivre en toute indépendance. Et, en ce sens-là, je vais vous
donner un exemple du manque d'indépendance, selon moi, du commissaire à l'UPAC :
lors de l'étude des crédits, les 20 et 21 avril prochains, pour pouvoir
poser des questions au commissaire à l'UPAC, il va me falloir l'autorisation du
ministre Coiteux. Alors, il sera assis derrière. Vous n'avez jamais vu le Directeur
général des élections assis derrière un ministre aux crédits, mais c'est comme
ça que ça va se passer.
Alors, l'UPAC a besoin de toutes les
ressources nécessaires, de toute l'indépendance nécessaire pour pouvoir
poursuivre son travail. Mais l'UPAC n'est pas seule; il faut que la direction
des poursuites criminelles et pénales, une fois que des dossiers sont déposés,
puisse porter des accusations. Dans certains cas, on l'a vu dans les dossiers
Lierre et Joug, il y a eu des délais importants, plus d'un an.
Alors, résumé de notre réaction là-dessus :
On prend acte de la reconduction de M. Lafrenière à la tête de l'UPAC. On
croit encore que les deux tiers des députés de l'Assemblée nationale devraient
pouvoir voter sur cette nomination. Le gouvernement a choisi de nommer lui-même
le commissaire à l'UPAC, responsable de la lutte à la corruption, même si des
enquêtes sont en cours présentement sur d'importants joueurs liés au Parti
libéral. Ça a été abondamment décrit par vous, les médias, et depuis quelques
années. Alors, en ce sens-là, on lui souhaite bon mandat, on lui souhaite
d'avoir tout ce qu'il faut pour procéder et l'indépendance nécessaire.
M. Croteau (Martin) : Au-delà
du processus, est-ce que c'est un bon choix?
M.
Bérubé
: On
laisse ça au gouvernement, c'est sa prérogative. On aurait aimé qu'il nous
soumette le choix, on aurait aimé connaître les trois personnes également. Je
pense que vous avez posé la question tout à l'heure. Alors, on verra au
résultat. Alors, vous savez qu'on a comparé, depuis 2011, les différentes
années. On sait que, dans le domaine municipal, ça s'est plutôt bien passé,
hein, à Montréal, à Laval, dans d'autres villes du Québec. Dans le domaine de
la politique québécoise, ça a été plus long avant que ça arrive. Il y a eu les
arrestations de Mme Normandeau, de M. Côté, mais on sait qu'il y a
d'autres enquêtes en cours, et ça sera le deuxième versant de son mandat. Et,
en ce sens-là, on souhaite qu'il ait tout ce qu'il faut pour pouvoir agir avec
les moyens nécessaires, avec l'indépendance nécessaire, et c'est ce qu'on
souhaite, mais on aurait certainement aimé, parce que le contexte est différent
en 2016 qu'il l'était en 2011, que l'Assemblée nationale puisse faire ce choix
pour lui donner des assises encore plus solides.
M. Lavallée (Hugo) : Est-ce
que vous iriez à l'encontre des recommandations de la commission Charbonneau si
c'était appliqué? Parce que la commission recommande un processus semblable à
celui qui est en place pour choisir le DPCP.
M.
Bérubé
: Oui,
on maintient cette proposition parce qu'il y a une tradition à l'Assemblée
nationale pour les grandes institutions : Directeur général des élections,
Protecteur du citoyen, Vérificateur général, c'est toujours aux deux tiers. Et
pourquoi la lutte à la corruption serait la seule exception? Le contexte a
changé, et le gouvernement aurait dû être prudent en se disant... Écoutez, il y
a des enquêtes qui touchent des acteurs du monde politique liés directement au
Parti libéral. Il me semble que la plus grande précaution pourrait faire en
sorte de dire : Écoutez, ce n'est pas seulement notre nomination, on veut
un vaste assentiment des parlementaires. C'était la prudence la plus élémentaire.
Et, comme dans le cas de Marc-Yvan Côté, on a choisi de travailler avec lui
malgré ce qu'on connaissait... Malgré les avertissements de l'opposition
officielle à l'effet qu'on avait une proposition susceptible d'amener une plus
grande légitimité, ils ont décidé de ne pas suivre cette recommandation.
M. Lavallée (Hugo) : Avez-vous
raison de croire que l'UPAC n'a pas eu les coudées franches dans le passé pour
mener des enquêtes? Parce que vous dites : On souhaite qu'il ait...
M.
Bérubé
: Le
jugement ne porte pas sur la compétence de M. Lafrenière, mais on veut sa
plus totale indépendance. Non, mais il y a encore du travail à faire et il y a
encore des enquêtes en cours qui touchent le Parti libéral du Québec, des
enquêtes importantes, vous y avez souvent fait écho. On espère que l'UPAC
pourra faire son travail, se rendre jusqu'à la direction des poursuites
criminelles et pénales, que la direction des poursuites criminelles et pénales,
une fois qu'elle a des dossiers, puisse procéder, et qu'il y ait des
accusations lorsque c'est nécessaire, et c'est toujours ce qu'on a demandé. Alors,
pour ce qui concerne la Sécurité publique, s'assurer que l'UPAC soit capable de
faire son travail. Il y a aussi la Justice qui doit s'arrimer fortement avec l'UPAC.
M. Lacroix (Louis) : Mais avez-vous
des raisons de penser que M. Lafrenière n'a pas eu les coudées franches au
cours des dernières... de son mandat?
M.
Bérubé
: Non,
non.
M. Lacroix (Louis) : Alors,
pourquoi, au juste, demander plus d'indépendance? Qu'est-ce qui justifie le
fait d'avoir plus d'indépendance si vous reconnaissez que M. Lafrenière a
eu toute la liberté nécessaire pour accomplir son travail?
M.
Bérubé
: Ce
n'est pas personnalisé à M. Lafrenière, c'est pour lui et toutes les
personnes qui lui succéderont. Au même titre que, pour des grandes institutions,
on ne questionne pas l'individu lors de sa nomination, mais on veut s'assurer
que, dans sa nomination, dans son poste, il y ait la plus grande légitimité
possible. Et je pense que, pour cette personne-là, c'est bien aussi de dire :
Écoutez, ce n'est pas une nomination politique parce que... Pour avoir siégé au
Conseil des ministres, le mercredi, les nominations qu'on fait, c'est des
nominations politiques du parti qui est au pouvoir. Et là il n'y a aucune
différence avec le commissaire à l'UPAC, qui est nommé au même titre, par
exemple, que quelqu'un d'une délégation du Québec à l'étranger. Alors, en ce
sens-là, il m'apparaît qu'il devrait avoir une plus grande indépendance.
Et j'ai donné l'exemple, avant votre
arrivée tout à l'heure, les 20 et 21 avril prochains, à l'étude des
crédits en Sécurité publique, pour que je puisse questionner M. Lafrenière
ou toute autre personne qui aurait pu avoir ce poste-là, il faut que je demande
l'autorisation au ministre. Alors, ça montre qu'il y a quand même une
hiérarchie et que le commissaire à l'UPAC relève du ministre de la Sécurité
publique.
M. Lacroix (Louis) : Bien,
comme le directeur général de la Sûreté du Québec?
M.
Bérubé
: Effectivement.
M. Lacroix (Louis) : Bien,
comme le directeur... je veux dire, c'est...
M.
Bérubé
:
Comme la direction des poursuites criminelles et pénales, et on a soulevé ces
questions-là pour ces trois postes. Si on ne veut pas que la police, au Québec,
il n'y ait aucune once d'inquiétude sur son indépendance, bien, on veut qu'on
ait une réflexion importante sur l'indépendance des institutions. Le leader du gouvernement
l'a abondamment évoqué ce matin, et on a une proposition positive, ils ont
choisi de ne pas la suivre. Alors, ce qu'on peut faire, à partir de ce
moment-là, c'est de souhaiter bonne chance à M. Lafrenière et son équipe
pour qu'il puisse faire le meilleur travail possible avec les ressources dont
il dispose.
Mme Lajoie (Geneviève) : Ressentez-vous
que l'arrestation de Nathalie Normandeau le jour du budget, ça a influencé le
choix du gouvernement?
M.
Bérubé
: Je
ne connais pas le secret du Conseil des ministres, mais... puis on ne connaît
pas les délibérations... Et vous voyez pourquoi j'ai posé la question ce matin?
Quel sera le critère? À partir du moment où il y a trois recommandations, là les
ministres s'expriment là-dessus en se disant : Plus lui ou plus... tu
sais, on ne connaît pas le critère. Mais moi, je sais et je sais qu'il y a certainement
des gens au Parti libéral qui ont peut-être proposé d'autres noms. Alors, tu
sais, je ne peux pas le savoir, mais c'est évident, puis vous avez eu des échos
de ça, que le gouvernement n'était pas satisfait des arrestations, que ça a
créé de l'agitation. Pourquoi le jour du budget, par exemple? Pourquoi c'est
arrivé à ce moment-là? C'est clair que, nous, indifféremment des partis
politiques, quand il y aura des arrestations puis que c'est justifié, on sera
heureux du travail, mais c'est clair qu'au Parti libéral, il y a des gens, et
je suis assez convaincu de ça, qui étaient insatisfaits que ça frappe fort au
Parti libéral du Québec.
M. Lacroix (Louis) : Mais
avez-vous l'impression que M. Lafrenière, en procédant à une opération, à
une rafle le jour du budget a attaché, si on veut, le gouvernement Couillard à
sa nomination? Comprenez-vous ce que je veux dire?
M.
Bérubé
: C'est
dur à dire. Oui, c'est une hypothèse, évidemment, qu'on a soupesée, comme tout
le monde. Je ne sais pas la réaction qu'il y a eu au gouvernement là-dessus,
mais j'ai tendance à croire qu'au-delà de cet événement-là, il y a des
personnes qui critiquaient, même au gouvernement, le travail de M. Lafrenière.
Je vous rappelle qu'il y a eu un fait assez exceptionnel l'automne dernier :
on nous a permis d'avoir une audition avec le commissaire de l'UPAC, avec la
permission du président de la commission, M. Guy Ouellette. J'ai trouvé ça
assez étonnant, on en a profité. Donc, on voit que, même les députés
gouvernementaux avaient des questions à poser sur M. Lafrenière, alors on
aurait aimé participer aussi davantage aux réflexions là-dessus, mais j'imagine
que tout le monde est unanime pour ce choix.
(Fin à 14
h 41)