(Quinze heures trente-six minutes)
Mme David (Gouin) : Alors,
mesdames messieurs, bonjour. Vous aurez remarqué qu'une motion améliorée, je
dirais, mais qui, sur le fond des choses, est la même que celle de jeudi
dernier, donc présentée par Québec solidaire, vient d'être adoptée à
l'unanimité à l'Assemblée nationale et, qui plus est, avec un vote par appel
nominal. Nous en sommes très heureux, nous sommes très fiers d'avoir contribué
à un pas en avant dans cette Assemblée nationale.
Je vous fais remarquer que, dans cette
motion, nous félicitons l'UPAC pour son excellent travail, nous demandons au gouvernement
d'agir avec diligence et de mettre en route, là, tous les principes des recommandations
de la commission Charbonneau et nous lui demandons aussi d'élargir la portée du
projet de loi sur les lanceurs d'alerte. Alors, vous aurez remarqué que le gouvernement
libéral a consenti à cette motion. J'en conclus que le projet de loi sur les
lanceurs d'alerte sera élargi aux entreprises et aux municipalités.
Et enfin la motion demande à tous les
partis politiques de coopérer, n'est-ce pas, de façon claire et de rembourser
au DGEQ les sommes qui auraient été illégalement acquises. Or, nous sommes à
même de vous apporter quelques exemples, dans certains cas, de décisions
rendues par le Directeur général des élections et qui, sans l'ombre d'un doute,
viennent dire que de l'argent a été acquis illégalement par des partis
politiques. Nous avons les sommes, nous allons vous en parler, et donc, si on
veut être conséquents avec la motion qui vient d'être adoptée, chacun des
partis politiques concernés doit immédiatement rembourser ces sommes acquises
illégalement au DGEQ. Je laisse mes collègues vous parler de ces exemples.
Mme Massé : Merci. Alors, si
vous comprenez le principe, le DGEQ fait enquête — il y a des
éléments qu'on va vous amener où les enquêtes sont terminées, d'autres qui sont
en cours — et soit par plaidoyer de culpabilité ou tout simplement,
donc, par reconnaissance que les gens ont contribué illégalement aux caisses...
aux caisses, pardon, des différents politiques ou par un jugement... Il y a des
entreprises, par exemple, pas plus tard que dernièrement, là, on n'a pas besoin
de retourner très, très loin, le 28 janvier dernier, il y a eu cinq plaidoyers
de culpabilité, qui totalisent 5 000 $ pour le Parti libéral du
Québec, donc des individus qui ont reconnu... qui ont eu à payer cette
amende-là parce qu'ils avaient utilisé leur nom — en fait, ce qu'on a
appelé les stratégies de prête-noms — pour financer les caisses
électorales.
Là, on parle d'événements qui ont eu lieu
en 2008. Le 17 juillet dernier, donc en 2015, la firme Construction DJL et ses
dirigeants ont enregistré 16 plaidoyers de culpabilité, entre 2008 et 2009,
totalisant 32 000 $. Alors, cet argent-là a été versé, ils ont
reconnu, il a été redonné au DGEQ, et là nous, la question, c'est... bien, c'est
donc qu'il y a des partis politiques — parce que vous verrez que c'est
des partis politiques — qui, eux, ont accepté cet argent-là, et donc,
comme le disait Françoise, bien, on dit : Bien, vous nous le devez.
M. Khadir
: Il y a
encore plus. 2 décembre 2014, 55 plaidoyers de culpabilité enregistrés au DGEQ
par trois firmes, par des personnes liées à trois firmes de génie-conseil en
lien avec l'histoire du stratagème des prête-noms. Alors, il s'agit de Roche, maintenant
infâme Roche, liée aux arrestations de la semaine dernière, Groupe-conseil TDA
et Dessau, hein? Dessau, c'est la soirée avec Mme Nathalie Normandeau, là, à
100 000 $. Ce sont des dizaines de milliers de dollars qui ont été
versés au PLQ, dans une moindre mesure au PQ, par ces firmes et leurs
dirigeants. Alors, à notre connaissance, les deux partis qui se sont échangé le
pouvoir n'ont pas encore remboursé. Ces aveux de culpabilité ont été
enregistrés. Donc là, M. Couillard ou M. Founier ne peuvent pas dire : On
va attendre le résultat. Les résultats sont là. Il faut rembourser.
Il y a SNC-Lavalin, SNC-Lavalin et un
ex-dirigeant qui sont présentement poursuivis pour avoir organisé un stratagème
de prête-noms qui a permis de verser, écoutez bien, 237 000 $ au
Parti libéral et au Parti québécois. Alors là, je veux savoir de la part des
deux partis : Est-ce qu'ils ont mis cet argent-là de côté, là? Il ne faudrait
pas utiliser cet argent pour organiser la campagne électorale de Chicoutimi. C'est
ce genre d'argent qui permet au Parti libéral de gagner ses élections. C'est ce
genre d'argent qui permet au Parti libéral de gagner ses élections, élection
partielle après élection partielle, élection générale après élection générale.
Donc, il faut que le Parti libéral mette ces argents-là de côté.
Je rappelle, juste entre 2006 et 2011, le
DGEQ parle de 7,3 millions de dollars. Alors, imaginez, sur les 15 ans de
la commission Charbonneau, ça peut approcher facilement les 20 millions de
dollars pour le Parti libéral du Québec. Est-ce que le Parti libéral du Québec
a fait des provisions?
M. Robillard (Alexandre) :
Est-ce que votre compréhension des conséquences de l'adoption de votre motion
fait en sorte, selon vous, que M. Couillard va accepter de rembourser sur une
période plus longue que les sept ans dont il parlait dans sa réponse en Chambre
aujourd'hui?
M. Khadir
: C'est
moins clair. C'est la première fois qu'il y a le... enfin, que, de manière un
peu plus solennelle, il y a une admission qu'il faut faire quelque chose et un
engagement. Il y a une avancée importante sur la question des lanceurs
d'alerte. Là, le Parti libéral vient dire : Bien, on va l'étendre aussi
pour la protection des lanceurs d'alerte dans le secteur privé.
Maintenant, pour ce qui est d'augmenter la
période d'admissibilité ou, enfin, la période... le délai de prescription, c'est
sûr que pour vraiment, de manière sincère, démontrer un engagement à faire en
sorte que la machine libérale, qui a forcé tant de gens à agir mal et à finir
par être arrêtés par l'UPAC, cette machine libérale soit tenue responsable.
Parce qu'il pourrait y en avoir trois, quatre autres qui vont être autant de
boucs émissaires, mais ce n'est pas eux, les responsables. Eux, c'est des
exécutants qui remplissaient les commandes de la machine libérale. Et pour que
la machine libérale soit tenue responsable, il faut que la machine libérale
rembourse les millions de dollars mal acquis.
M. Robillard (Alexandre) :
Là, vous parlez des remboursements, mais pour ce qui est des poursuites à
proprement parler, jusqu'à combien de temps en arrière on devrait pouvoir
remonter?
M. Khadir
: Comme nous
sommes tout à fait d'accord, nous étions conjoints, ma collègue était conjointe
avec la motion de la CAQ, 15 ans, c'est-à-dire, pour être cohérents, depuis
1996, le début du mandat que couvrait la commission Charbonneau.
M. Bélair-Cirino (Marco) :
Est-ce que le président de l'Assemblée nationale applique de façon trop
restrictive le règlement de l'Assemblée nationale, notamment l'article 35,
en... Il a interrompu les différents porte-parole des partis, là, en matière de
Justice ou, bon, les chefs lorsqu'il était question de l'affaire Normandeau.
Selon vous, est-ce que vous avez davantage de latitude que semble le penser le
président?
Mme David (Gouin) : Mon
opinion, notre opinion, c'est que je pense que le président applique les règles
de façon un petit peu restrictive, quand même. Que les parlementaires ne
commentent pas une enquête en cours va de soi. La séparation du judiciaire, du
législatif, du politique, c'est correct. Mais de refuser qu'une personne aille
simplement jusqu'à mentionner le fait qu'il y a une affaire en cours me paraît
un peu excessif.
Mais sincèrement, aujourd'hui, le message
que nous nous voulons lancer, il est bien différent et il est, à mon avis, plus
important. C'est celui qu'une fois notre motion adoptée unanimement à
l'Assemblée nationale, sans aucune abstention, les partis politiques concernés
doivent, dès à présent, rembourser au DGEQ les sommes mal acquises.
M. Caron (Régys) : S'agit-il
d'une morale plutôt que légale, Mme David?
Mme David (Gouin) : Je pense
que l'obligation est d'abord et avant tout morale, mais elle est politique,
mais, écoutez, ça tombe sous le sens. Un citoyen ordinaire, là, qui serait
surpris à frauder, tiens, le ministère du Revenu ou qui, même de façon bien
intentionnée, aurait omis de payer certains frais, je vous garantis que le
ministère du Revenu va lui courir après jusqu'à temps qu'il paie avec intérêts
en plus.
Pourquoi est-ce que ça serait différent
pour les partis politiques? Alors, moi, je pense que, si nous voulons être pris
au sérieux, la classe politique au Québec, nous devons nous appliquer à
nous-mêmes les mêmes règles éthiques que ce que nous demandons au simple
citoyen.
M. Caron (Régys) : Mais ça
n'a pas valeur d'une loi, ni d'un ordre de la cour, là, on s'entend.
Mme David (Gouin) : Pour le
moment, non. J'espère que ça viendra. On pourrait très bien imaginer qu'un
gouvernement donne mandat au DGEQ, par exemple, que ça fasse partie des mandats
du DGEQ et que celui-ci ait plus de moyens pour agir. Ça, c'est une chose importante
aussi. On pourrait très bien imaginer que le remboursement des sommes mal
acquises devienne une obligation. Mais, quoi qu'il en soit, l'obligation morale
est là puis elle est extrêmement importante, extrêmement importante. Il en va
de la crédibilité de la classe politique.
M. Bélair-Cirino (Marco) :
Pourquoi le gouvernement a décidé de donner son consentement à l'étude de cette
motion-là aujourd'hui, alors que la semaine dernière il s'y est refusé?
Mme David (Gouin) : J'imagine
qu'il a dû réfléchir beaucoup en fin de semaine. Alors, je pense que c'était
impensable qu'il ne souscrive pas à une motion qui dit des choses élémentaires,
là : vous devez rembourser s'il y a de l'argent mal acquis, les recommandations
du rapport Charbonneau doivent être mises en oeuvre, et il faut féliciter
l'UPAC. Franchement, je pense que c'est jeudi dernier qu'ils se sont trompés.
M. Caron (Régys) : La Chambre
a dû attendre pendant plusieurs minutes le premier ministre qui avait quitté le
salon bleu. On a entendu la cloche pendant plusieurs minutes. C'est un accident
fortuit, d'après vous, Mme David?
Mme David (Gouin) :
Demandez-le donc à Mme Couillard. L'important, c'est qu'il soit revenu et c'est
qu'on ait voté unanimement pour cette motion.
M. Khadir
: Ça
n'arrive pas souvent que moi, je me lève en premier, puis Philippe Couillard en
deuxième. Je ne me rappelle pas...
Mme David (Gouin) : Alors, on
en est heureux.
M. Robillard (Alexandre) :
...restrictive de l'article 35, selon vous, là, plutôt, disons, stricte, est-ce
que ça témoigne d'un malaise face à la situation qui est visée par les commentaires
restreints?
M. Khadir
: C'est sur
qu'il y a un malaise. Et c'est sûr que ça doit choquer beaucoup de ministres
actuels de voir que leur ex-collègue a été, je dirais, si outrageusement
incriminée par l'arrestation de l'UPAC. Après tout, c'est une collègue qui
faisait à peu près la même chose que les autres ministres, que le premier
ministre, ramasser 100 000 $. Son seul... Bon, elle a des
responsabilités comme les autres, mais ce qui la rendait plus facilement
atteignable par la justice, c'est qu'elle devait distribuer des contrats. Après
tout, c'est elle qui est aux Affaires municipales.
Mais je vous rappelle que l'autre qui a
été pas mal incriminée ces derniers temps, c'était Mme Boulet, qui était aux
Transports. Or, qui était le ministre du Transport dans le gouvernement
Charest, un autre ministre du Transport? Sam Hamad, aujourd'hui à la tête du
Conseil du trésor. Qui était au ministère du Transport au début de la période
faste du financement du Parti libéral, 2003, 2004, 2005? C'était qui? C'était
Jean-Marc Fournier. Ces deux ministres-là...
Journaliste
: ...
M. Khadir
: J'ai dit
quoi? Des Transports? Affaires municipales, je veux dire. Donc, Transports pour
Sam Hamad, municipal pour Jean-Marc Fournier. J'imagine qu'ils doivent se
sentir très mal que Nathalie Normandeau soit tenue responsable pour des
choses... là, c'est évident, là, je veux dire, je pense, on ne peut pas se
raconter de salades. Il faut être très naïf pour penser qu'elle était la seule
à faire ça.
M. Khadir
: ...des
choses. C'est évident, là, je veux dire, je pense, on ne peut pas se raconter
de salades, il faut être très naïf pour penser qu'il a été le seul à faire ça.
M. Bélair-Cirino (Marco) :
Mais peut-on penser que le président de l'Assemblée nationale éprouve ce
malaise-là également?
M. Khadir
: Pardon?
Juste...
M. Bélair-Cirino (Marco) :
Peut-on penser que M. Chagnon, qui était également un collègue de Mme
Normandeau, éprouve ce malaise-là?
M. Khadir
: M. Chagnon
est président de l'Assemblée nationale. Pour que nous puissions identifier les
vrais responsables de cette, entre guillemets, machination du financement
illégal... Ça, c'est une machine, d'accord? Jean Charest était chef du Parti
libéral, puis son argentier s'appelait Marc Bibeau, puis il y avait des
ministres proches. Concentrons-nous sur ça, parce que là on risque de détourner
l'attention sur un petit phénomène puis là risquer de laisser les gros poissons
s'échapper encore.
M. Robitaille (Antoine) :
Vous lui demandez quand même quelque chose à Jacques Chagnon, d'après ce que je
comprends, là...
Mme David (Gouin) : Regardez,
là, je pense que je l'ai exprimé...
M. Robitaille (Antoine) :
Vous lui demandez de regarder l'article en question.
Mme David (Gouin) : Oui, je
l'ai exprimé clairement tout à l'heure. Nous pensons, et nous ne sommes pas les
seuls, je pense, la députée de Montarville dirait exactement la même chose,
parce qu'elle s'est fait rappeler à l'ordre elle aussi, là, je pense que le
président de la Chambre interprète l'article en question de façon trop
restrictive.
Je répète cependant qu'évidemment c'est
son travail de s'assurer que l'ensemble des parlementaires ne mêle pas le judiciaire
et le politique. Mais après, comme président de la Chambre, il a le choix
d'appliquer une règle de façon très restrictive ou moins restrictive. Il a choisi
le très restrictive. Nous trouvons que c'est un peu trop. Ça, ça mériterait
sans doute une discussion entre leaders, à laquelle nous aimerions bien
participer, d'ailleurs.
Mais attention, je le répète, là, ce n'est
pas l'événement du jour. L'événement du jour, c'est le fait qu'une motion a été
adoptée à l'unanimité, que nous avons des exemples d'entreprises qui ont
utilisé des prête-noms. Il y a des partis politiques qui sont concernés par ça,
au premier chef le Parti libéral, mais aussi le Parti québécois. Nous demandons
que ces partis-là, maintenant que la motion est adoptée, remboursent. Ça, c'est
l'événement du jour.
M. Caron (Régys) : J'aurais
une précision à demander à M. Khadir. Avez-vous souhaité ou prédit
l'arrestation éventuelle des personnes que vous avez nommées?
M. Khadir
: Bien, c'est
tout l'ensemble du Québec, je pense, l'ensemble de ceux... des journalistes qui
ont commencé à déterrer ces choses-là à la fin des années 2000, mes collègues
ici, à l'Assemblée nationale, Sylvie Roy, Jacques Duchesneau, d'autres
collègues du PQ qui ont dénoncé certains... On était tous anxieux de savoir si
un jour justice commencerait à être faite.
Mais je ne trouve pas que justice est
faite quand une seule personne est offerte en bouc émissaire. Mme Normandeau a
des responsabilités, mais elle n'est pas la seule. Il y a des ministres des
Affaires municipales, des ministres de Transports, qui ont des hautes fonctions
dans ce gouvernement et qui faisaient partie de la même machine à ramasser des
sous, à donner des contrats.
M. Caron (Régys) :
...mériteraient d'être arrêtés?
M. Khadir
: Bien, qui
mériteraient d'être questionnés et de savoir qu'est-ce qu'ils ont fait à l'époque
où cette machine opérait. C'était quoi, leur rôle? Parce qu'eux aussi donnaient
des contrats. Je ne pense pas que M. Fournier, à la tête du ministère des
Affaires municipales, avait fermé le robinet des contrats puis je ne pense pas
que c'est le cas de M. Hamad, qui est associé à la firme Roche d'ailleurs, et
l'autre à la firme SNC-Lavalin
Moi, je ne me gêne pas de dire qu'il y a
des ministres dans ce gouvernement qui doivent être gênés aujourd'hui que
Nathalie Normandeau soit la seule à payer la facture.
Mme David (Gouin) : Et nous
rappelons que l'UPAC a beaucoup d'autres enquêtes en cours. Nous sommes absolument
certains que ce n'est pas la fin de l'histoire. Merci.
(Fin à 15 h 51)