(Quinze heures une minute)
M. Couillard (Philippe): Alors,
bonjour, messieurs dames, je suis heureux d'être accompagné de mes consoeurs aujourd’hui,
Maryse Gaudreault, porte-parole de la question de la condition féminine; Christine
St-Pierre également, qui était avec moi l’autre jour lorsque nous avons
présenté notre position sur le thème de l’identité.
Et je dirais d’abord qu’hier le Québec a
vécu une triste journée. Le gouvernement du Parti québécois a littéralement
créé de toutes pièces une pseudo-crise en la fabriquant de façon désordonnée et
confuse. Ce qui est clair aujourd’hui, c'est que, d’abord, ce qui est devant
nous, c'est la charte de la chicane, clairement, et qu'il est également clair
que le Parti québécois, depuis hier, tourne le dos à l’héritage de René
Lévesque, héritage d’ouverture, de démocratie qui a caractérisé ce grand Québécois.
C'est la confusion qui accompagne ce
document. Le rôle d'un gouvernement est de rassembler, rassembler, plutôt que
de diviser. Hier, Gérard Bouchard parlait de fracture sociale. Le mot n'est pas
trop fort. Je suis inquiet de la conséquence de ce débat, et surtout de la
façon dont il est mené par le gouvernement, sur la cohésion sociale du Québec.
Je demande à la première ministre de montrer son sens de l’État, de réaliser
que les Québécois, partout, n’aiment pas la chicane, surtout la chicane entre Québécois,
de se concentrer sur ce qui nous unit plutôt que ce qui nous divise.
Nous serions prêts, par
exemple, à rapidement travailler sur un texte législatif qui se concentrerait
sur les éléments qui font consensus, par exemple la question de la neutralité
religieuse des institutions de l’État, les balises à donner aux accommodements
pour qu'ils demeurent raisonnables, la question de la prestation et de la
réception des services publics à visage découvert et franchement, là, laisser
le code vestimentaire au vestiaire; surtout ne pas faire de l’État du Québec un
instrument de discrimination. Ce n’est pas ça, le Québec. Nous ne sommes pas
cela, partout au Québec.
Je demande au gouvernement
de reculer sur cette question et de se concentrer, par ailleurs, sur les
véritables enjeux dont on m’a parlé partout au Québec. J’étais encore dans ma
région en fin de semaine. Personne ne parle de ces questions, personne n’est
inquiet de ces questions, personne ne sent une crise dans l’environnement. Plusieurs,
par contre, sont inquiets de leur emploi, de leur économie régionale et de l’économie
du Québec en général, et ce sont les véritables enjeux sur lesquels, dès maintenant,
nous nous concentrerons. Merci. À vous la parole.
Le Modérateur
: On va
prendre les questions en français. Une question, une sous-question. S’il vous
plaît, vous identifier avant de poser votre question. On va commencer à la
gauche.
Mme Richer (Jocelyne)
:
Oui, Jocelyne Richer, La Presse canadienne. Bonjour, M. Couillard.
M. Couillard (Philippe): Bonjour.
Mme Richer (Jocelyne)
:
Est-ce que, selon vous, le projet de charte, tel qu’il est présenté, peut
passer le test des chartes québécoise et canadienne devant les tribunaux?
M. Couillard (Philippe): Je suis
très... Je suis loin d’être un avocat. Est-ce une qualité ou un défaut? Je vous
laisse vérifier ça. N’étant pas juriste, je ne me prononcerai pas de façon
technique. Ce que je remarque, par exemple, c’est que les avis sont extrêmement
divergents sur cette question-là et vont plutôt dans le sens de croire que ce
n’est pas compatible avec les chartes. Parce que vous avez remarqué que le gouvernement
du Parti québécois parle toujours de la charte canadienne en voulant bien
montrer qu’elle a un enjeu Canada-Québec. Mais je rappellerais qu’il existe également
une charte québécoise des droits et libertés qui présente essentiellement les
mêmes enjeux.
On me dit également
que, lors de la présentation du projet de loi n° 94 — qui, malheureusement, comme vous le savez, a été
bloqué par le PQ, et maintenant ils le remettent de l’avant, essentiellement — il y avait beaucoup de débats au ministère
de la Justice, parmi les juristes de l’État, sur la constitutionnalité même de
la question du visage découvert. Alors, que penser de l’ampleur des changements
qui sont devant nous? En termes juridiques, je pense que c’est hautement
risqué.
Mme Richer (Jocelyne)
:
Est-ce que ça pourrait être, selon vous, politiquement, une stratégie délibérée
du gouvernement d’affrontement avec le gouvernement fédéral, avec les cours de
justice?
M. Couillard (Philippe): Moi, je
pense que cette charte ou ce document semble avoir été écrit par des
organisateurs électoraux à l’affût des sondages et de l’endroit où il faut
toucher le nerf sensible pour gagner des points. On ne fait pas de la politique
de cette façon-là, surtout sur des enjeux de cette importance. Alors, moi,
c’est ce que je constate. Je ne suis pas le seul à le constater ou à le dire.
Ce gouvernement a, bien sûr, échoué largement sur le plan économique. Il voit peut-être
dans cet enjeu sa bouée de sauvetage. Laissons les événements parler.
M. Lafille (Julien)
:
Julien Lafille, de Radio-Canada. Vous dites donc qu’il n’y a pas de crise qui
justifie un peu l’urgence d’agir là-dessus. Mais est-ce qu’il faut attendre, justement,
qu’il y ait une crise pour agir dans de tels dossiers?
M. Couillard (Philippe): D’abord,
non, et la raison est que nous demandons au gouvernement et nous leur offrons
dès maintenant de travailler sur la question de l’encadrement des balises des
accommodements. Donc, oui, vous avez raison, avant que la crise éventuelle, hypothétique
se présente, on a le temps de faire ce travail calmement et de nous concentrer
sur ce qui nous unit.
Mais je vous ferai remarquer que, pour un
sujet de cette ampleur et de cette importance, le gouvernement ne présente
aucune étude à l’appui pour montrer qu’il y a un phénomène croissant
d’intolérance ou d’accommodations inacceptables au Québec. Il n’y a aucun
argument objectif. Ce qu’on entend, c’est : Il paraît que; dans mon coin,
j’ai entendu que; autour de moi, on dit que. Ce n’est pas sur des arguments
semblables qu’on bâtit un projet de cette importance.
M. Lafille (Julien)
:
Concernant les balises, justement, est-ce que vous ne pensez pas, par exemple,
que le principe d’égalité hommes-femmes pourrait servir à baliser certaines
libertés individuelles que vous souhaitez défendre?
M. Couillard (Philippe): Absolument.
D’ailleurs, je vous rappelle que c’est le gouvernement précédent , et ma collègue Christine St-Pierre , qui, en 2008, a inscrit l’égalité des hommes et
des femmes à la Charte des droits. Alors, il est clair que, parmi les critères absolument
essentiels des balises qui définiront les accommodements, il y a le respect, bien
sûr, essentiel, incontournable, non négociable de l’égalité entre les hommes et
les femmes.
M. Laforest (Alain)
:
Alain Laforest, TVA. Bonjour, M. Couillard, bonjour, mesdames. Les mots sont
durs. En quoi ça trahit l’héritage de René Lévesque?
M. Couillard (Philippe): René
Lévesque était un grand démocrate, quelqu’un qui parlait d’ouverture, qui
parlait d’inclusion, qui avait le nationalisme qui était le sien puis il
militait pour l’indépendance du Québec. Et là-dessus, bien sûr, on n’est pas d’accord,
mais, lorsqu’il parlait de sa vision de la citoyenneté, c’était une vision
ouverte qui tentait d’inclure tout le monde. Et je crois reprendre ses propos — sans vouloir le citer de façon
incomplète, j’espère — où il a dit
qu’une société se juge en partie par la façon par laquelle elle traite ses
minorités… la façon dont elle traite ses minorités.
Je crois que les jours,
malheureusement, du nationalisme ouvert dans ce parti politique, au gouvernement,
actuellement, sont terminés. On est dans une manifestation étroite, revancharde
du nationalisme, où on veut créer chez les Québécois, francophones particulièrement,
une impression d’assiégement, on est menacés, ça ne va pas bien, qu’est-ce qui
va nous arriver, alors qu’on vit dans une société ouverte, et que, les Québécois,
je le répète, nous ne sommes pas comme ça.
Nous sommes un peuple qui n’est pas faible…
parce que ce que propose le PQ, c’est un aveu de faiblesse des Québécois. Nous
ne sommes pas faibles, nous sommes forts. Et nous sommes assez forts pour dire
au reste du monde : Venez chez nous, venez nous aider à le développer, le Québec.
Bien sûr, vous aurez à adhérer à nos valeurs. Vous le ferez, d’ailleurs, en
signant un engagement à l’ambassade lorsque vous demanderez votre statut
d’immigrant. Mais, non seulement on vous accueille, on a besoin de vous, et
venez de partout au monde vous installer au Québec.
M. Laforest (Alain)
:
Vous vous rapprochez de la position de Québec solidaire, cependant, concernant
le voile.
M. Couillard (Philippe): Ce serait
une première.
M. Laforest (Alain)
:
Bien, c’est ce que je sens, là, dans votre discours.
M. Couillard (Philippe): Oui, sur le
port… sur quelle question spécifiquement?
M. Laforest (Alain)
:
Bien, sur le port du voile.
M. Couillard (Philippe): Oui.
Bien, oui, on est opposés à toute limitation du port de signes religieux par
les employés de l’État. Je répète que c’est une stratégie assez étrange que de
penser bâtir une société inclusive sur la discrimination à l’embauche dans la fonction
publique.
Question?
M. Dutrisac (Robert)
: Oui,
bonjour, M. Couillard.
M. Couillard (Philippe): Bonjour.
M. Dutrisac (Robert) : Vous dites qu’il n’y a pas de
crise, que, finalement, ce genre de sujet là soulève des chicanes. Vous étiez
au gouvernement, vous n’avez pas fait passer… vous n’avez pas adopté le projet
de loi n° 94 lorsque vous étiez majoritaires. Pourquoi? Pourquoi, essentiellement,
n’avoir rien fait?
M. Couillard (Philippe): Alors, M. Dutrisac, un, je vais
répondre en deux parties, si vous me le permettez, à votre question. D’abord,
c’est faux que rien n’a été fait. Le contrat dont je parlais, signé par les
immigrants, les candidats immigrants, il a été fait à ce moment-là. L’inclusion
de l’égalité des hommes à la Charte des droits, même chose; un plan d’accueil,
d’intégration des immigrants, même époque; la création d’un service-conseil à
la Commission des droits de la personne et de la jeunesse, encore une fois, la
même époque. Alors, c’est faux de dire que rien n’a été fait.
Sur le projet de loi n° 94, maintenant, ma
compréhension, et vous pourrez vérifier vos archives vous-même, dans votre
journal et ailleurs, c’est que le projet de loi a été complètement bloqué par
le Parti québécois. Est-ce que vous pensez qu’il aurait été approprié — d’ailleurs, c’est une question que vous
pourrez poser à un gouvernement éventuel qui voudrait mettre de l’avant ces
mesures-là — est-ce que vous pensez qu’il aurait été approprié
pour un projet de loi sur cet enjeu-là de recueillir à la suspension des règles
parlementaires? Poser la question, c’est y répondre. Ce genre de disposition
là, en passant, pour être reçu dans une société de façon ouverte, doit être
adoptée à l’unanimité. Il faut qu’on soit tous d’accord à l’Assemblée nationale
sur une question comme ça. On ne peut pas être divisés sur la question de
l’inclusion, de l’ouverture.
M. Dutrisac (Robert) : Maintenant,
est-ce que vous êtes rassuré par le fait que le gouvernement fédéral ait
manifesté son intention de défendre bec et ongles la constitutionnalité de...
le respect de la constitution dans ce dossier-là?
M. Couillard (Philippe): Je n’ai
aucun besoin d’être rassuré par le gouvernement fédéral ou les partis
politiques fédéraux. Je me base sur mes principes, nos principes, et ils sont
forts et ils sont profonds, et c’est là-dessus qu’on va faire le débat. Je le
fais de façon respectueuse, là, et je continuerai à avoir le même ton. Mais je
n’ai pas besoin, là, d’être soutenu par des partis politiques d’ailleurs pour
avoir la force de mes convictions. Bien sûr, elles sont libres de s’exprimer,
ces personnes. Tant mieux si elles le font, mais je rappelle également, sur la
question des chartes, qu’on a, et c’est souvent non mentionné par le gouvernement
du Parti québécois, nous avons une charte québécoise des droits et libertés.
Journaliste
: Bonjour à
tous. M. Couillard, vous avez proposé de séparer en deux le projet de loi
attendu péquiste…
M. Couillard (Philippe): On n’a
pas de projet de loi encore, là.
Journaliste
: Le projet
de loi attendu, donc, pour adopter les volets les moins controversés. Vous avez
parlé de la neutralité de l’État et aussi des nouveaux critères pour les
demandes d’accommodement raisonnable. Est-ce qu’il faudrait inclure là-dedans
aussi quelque chose sur le patrimoine historique?
M. Couillard (Philippe): Alors, je
rajouterais un élément à ceux que vous avez mentionnés, c’est la question du
visage découvert, que les services publics sont donnés et reçus à visage
découvert.
La question du patrimoine historique, si
vous lisez notre document, on indique qu’au moment de l’inscription du principe
de neutralité religieuse des institutions de l’État dans la charte, les
éléments décoratifs architecturaux en place seraient préservés. Maintenant, il
y aura certainement un débat parlementaire autour de ça, des consultations. Et
je sais fortement à quoi vous faites allusion, vous faites allusion au crucifix
de l’Assemblée nationale, essentiellement…
Une voix
: …
M. Couillard (Philippe): Mais entre
autres. C’est l’objet qui attire le plus l’attention. Alors, il y aura un
débat, à ce moment-là, sur cette question-là.
Je comprends qu’il y a
des Québécois pour lesquels c’est un élément patrimonial essentiel, il faut
respecter ça. Je comprends qu’il y en a également qui en doutent. Ces choses-là
doivent être discutées, débattues calmement, dans une ambiance où on fait une
étude parlementaire sérieuse et non pas dans une ambiance fabriquée, de crise,
comme celle qu’on vit actuellement.
Journaliste
: On
connaît votre position sur le crucifix, qui est celle que le crucifix au salon
bleu fait partie du patrimoine historique. On le voit ici, à l’Assemblée
nationale, il y a plusieurs autres éléments du patrimoine historique qui sont
affichés, justement, dans des présentoirs historiques. Est-ce qu’on pourrait
respecter votre objectif et votre principe en le sortant du salon bleu, mais en
le gardant à l’Assemblée nationale et en le mettant dans un présentoir…
M. Couillard (Philippe): Je
rappelle également qu’il y a une croix en plein milieu du drapeau du Québec, hein?
Alors, ça illustre un autre élément. Moi, je suis très à l’aise à ce que le
crucifix reste où il est.
Journaliste
: Mais économique
respecterait votre principe en le mettant dans le couloir, dans un des
couloirs?
M. Couillard (Philippe):
Possiblement, mais je vous dis ce que, moi, je ressens quand je regarde cet
objet, parce que chacun ressent des choses différentes. Moi, je ressens que ça
fait partie de notre histoire. Mais quelle histoire? C’est débattu. C’est le premier
ministre Duplessis qui l’a installé là. Donc, l’interprétation qu’on donne à ce
phénomène historique là va varier d’une personne à l’autre.
Quand je vois cet objet-là dans le salon
bleu, je ne reçois pas le message que l’État est religieux. Je reçois le
message que nous sommes dans un édifice historique, dans une salle historique,
où cet objet est là depuis plusieurs décennies. En ce qui me concerne, il peut
y rester, ce n’est pas un élément qui me perturbe, mais je veux qu’on ait ce
débat et cette discussion.
Journaliste
: Bonjour.
M. Couillard (Philippe): Bonjour,
madame.
Journaliste
:
J’aimerais savoir quelle sera votre stratégie, d’ici Noël, dans ce dossier-là,
en attendant le dépôt du projet de loi. Est-ce que vous avez l’intention de
disséquer les orientations, de participer à la consultation sur Internet?
Comment est-ce que vous allez travailler jusqu’au dépôt du projet de loi?
M. Couillard (Philippe): Bien, d’abord,
on est intervenus, vous en conviendrez, à quelques reprises puis on va, encore
une fois, nous concentrer sur les véritables enjeux du Québec. Je ne vous
surprendrai pas en disant qu’on va parler tous les jours, tous les jours à l’Assemblée,
on va parler d’économie, d’emploi, de prospérité pour nos régions et nos
grandes villes. Ça, ça va être notre question régulière, constante.
Bien sûr, aujourd’hui, on s’exprime. Il y
a eu une consultation Web, vous le dites, qui est mise en place. Vous savez,
les consultations Web, il faut faire attention, c’est facilement noyautable,
manipulable, il faut être conscient de ce phénomène-là. On va écouter ce que
les gens disent. Déjà, hier, il y a beaucoup d’expressions d’opinions très divergentes.
C’est pour ça que je parle d’une charte de la chicane.
Mais le signal que
j’envoie au gouvernement, s’ils veulent nous mettre au travail ensemble à l’Assemblée
puis sortir de la session avec une adoption unanime, il y a une chance, là, de
le faire en nous concentrant sur la neutralité religieuse des institutions de l’État,
les balises pour que les accommodements restent raisonnables, la nécessité que
les services publics au Québec soient donnés et reçus à visage découvert. Ça,
on peut faire ça ensemble, de façon correcte et avoir un résultat concret, ou
le gouvernement a décidé qu'il ne ferait pas ce mouvement-là vers le bon sens
et veut utiliser ça pour continuer faire un peu bouillir la tension dans la
société, peut-être à des fins électorales. Vous leur demanderez, ils sont en Conseil
des ministres aujourd’hui, ils seront heureux de répondre à cette question.
Journaliste
: Justement,
vous avez dit que, cette charte, vous aviez l’impression qu'elle était écrite
par des organisateurs électoraux. Est-ce que vous avez l’impression qu’effectivement
ça fonctionne, que la charte fait gagner des points au gouvernement péquiste?
M. Couillard (Philippe): J'ai la
conviction que ça ne fonctionnera pas, parce que j'ai la conviction que les Québécois
ne sont pas là, ils ne sont pas de cette école revancharde, faible, apeurée
qu'on veut essayer de communiquer partout, au Québec et ailleurs. Les Québécois
sont ailleurs, les Québécois sont forts. Nous sommes forts comme Québécois. Et
moi, j'ai confiance dans notre façon à nous de gérer ces questions-là sur le
terrain. D’ailleurs, vous le savez, elles se gèrent sur le terrain.
Ce qu'on propose, c'est
d’ajouter des balises pour que chacun et chacune puissent s’y référer. De faire
de la politique sur des enjeux aussi sensibles, sur la base de perception de
mouvements d’opinion — on va dire ça
puis on va faire ça parce que c'est bon, électoralement — pas
acceptable pour un enjeu de ce niveau-là, et, pour moi, c'est clair. Et on m’a
posé souvent la question au cours des derniers jours : Oui, mais vous avez
vu les sondages… Non, ce n'est pas ça qui compte. Ce qui compte, c'est en quoi
nous croyons, comment nous le communiquons. Et ce que nous voulons que les Québécois
comprennent, on est en train de faire face à une atteinte qui n'a pas beaucoup
de précédents au Québec, une atteinte des libertés individuelles du Québec. On
est en train de faire face à ça, et il faut en prendre conscience. Ou bien on
joue dans le film ou bien non. Nous, on ne jouera pas dans ce film-là.
Journaliste
: Bonjour,
M. Couillard. Je vous repose à peu près la même question, mais différemment.
Croyez-vous quand même que vous allez être capables de rallier les électeurs québécois?
Parce que jusqu'à présent, dans les sondages, c'est plutôt le contraire, là,
qui se produit et qui se profile. Donc…
M. Couillard (Philippe): Alors, on
ne changera pas, encore une fois, notre opinion sur les libertés individuelles
des Québécois, de tous les Québécois. Parce que, parfois, certains peuvent
donner l’impression : Bien là on parle des libertés des autres, c'est
moins grave. À partir du moment où on glisse sur les libertés, quelle est la
prochaine qui va être en cause? Donc, on ne se basera pas sur les sondages, les
enquêtes d’opinion pour définir notre opinion sur cette question-là. Et je
crois, quelque part, que les Québécois… puis les électorats, en général,
respectent ça. On va dire : Nous proposons cela parce que nous y croyons.
Vous pouvez être d’accord ou pas d’accord, c'est légitime dans une société,
mais voilà ce en quoi nous croyons.
Journaliste
: …qu'une négociation
possible, une évolution possible de votre position?
M. Couillard (Philippe): Je veux
être très franc, pas sur la question des signes religieux. Cependant, je répète
que, sur la question de la neutralité d’État, les balises données aux accommodements,
du visage découvert, on est prêts à travailler avec le gouvernement de façon
constructive. D’après moi, on est capables de sortir de l’Assemblée nationale,
de cette session d’automne, avec un résutalt concret. La parole est au gouvernement.
Journaliste
: Bonjour,
M. Couillard.
M. Couillard (Philippe): Bonjour.
Journaliste
: M. Couillard,
je ne sais pas où est-ce que vous étiez en 1977, mais tous les députés de votre
parti ont déchiré leurs chemises quand le gouvernement Lévesque a fait adopter
la loi 101. On l’a traité de nazi. Même chose pour le Dr Laurin. Et, avec tout
le respect que je vous dois, vous n’êtes pas un peu culotté d’invoquer sa
mémoire aujourd’hui?
M. Couillard (Philippe): Non, je
ne suis pas du tout culotté parce que je sais très bien que beaucoup de gens
qui sont de cette époque-là dans le mouvement souverainiste, et vous en avez
entendu quelques-uns au cours des derniers jours et vous en entendrez d’autres,
sont profondément mal à l’aise avec cette approche-là.
La loi 101 était
nécessaire pour le Québec, puis vous ne m’avez jamais entendu, moi, prononcer
des paroles semblables. Alors, la loi 101, je le reconnais, était une bonne
chose pour le Québec. Elle a d’ailleurs été adoptée dans le cadre fédéral canadien,
ce qui est assez particulier et significatif, d’ailleurs, en passant. Elle est
là puis tant mieux si elle est là. C’était une bonne chose parce qu’il y avait effectivement
une évidence chiffrable, claire, de la diminution du poids du français au Québec
s’il n’y avait pas une action législative tenue.
Ce que je vous demande
et ce que je demande aux autres personnes qui commentent la proposition du gouvernement :
Quelle est l’évidence comparable devant nous pour justifier cette attaque
envers les libertés? Il n’y en a aucune. Le gouvernement et le ministre n’ont
aucune étude à vous montrer pour vous démontrer qu'on fait face à un problème
croissant, un problème de tension sociale énorme. On en crée une, tension
sociale, avec ça, mais ils n’ont rien pour vous démontrer que ça existe.
M. David (Michel)
:
Maintenant que vous êtes à la tête d’un groupe parlementaire important, le gouvernement
a annoncé son intention de légiférer, déposer un projet d’ici Noël ou au début
de l’année. Est-ce que vous avez l’intention d’utiliser tout l’arsenal parlementaire
pour bloquer ce projet-là, l’empêcher d’être mis aux voix.
M. Couillard (Philippe): Je vais
répéter, M. David, parce que c'est important. Si le projet de loi est scindé
sur la question de la neutralité des institutions de l’État, sur la question
des balises pour les accommodements, sur la question du visage découvert, nous
allons bien sûr discuter de façon étroite le projet de loi mais avec l’objectif
de le faire réussir. O.K.?
Cependant, je vais être
très franc et très ouvert, sur la question des signes religieux, il n’y a pas
de place pour nous aux compromis là-dessus. Alors, ou bien le gouvernement
s’enferme dans cette attitude de rechercher une confrontation à tout prix dans
le but de gagner la confrontation ou bien il scinde le projet de loi et il fait
avancer, dans un gouvernement minoritaire, ce qu’il est possible d’avancer maintenant.
Et, je vous le redis, sur ces questions-là, on va travailler fort.
M. David (Michel)
:
Mais je comprends que, s’il n’est pas scindé, vous allez faire en sorte de
bloquer son adoption.
M. Couillard (Philippe): Bien, si l’adoption
du projet de loi ferait en sorte qu'on limite les libertés des gens et qu'on
institutionnalise la discrimination à l’embauche dans le gouvernement du Québec,
on va tout faire pour que ça n’arrive pas.
Le Modérateur
: …question
en français, à votre gauche.
Journaliste
: Bonjour,
mesdames. Bonjour, M. Couillard.
M. Couillard (Philippe): Bonjour.
Journaliste
: Pour
revenir à la trahison, là, de l’héritage de René Lévesque, il reste qu’il y
avait répression des droits, hein, de droits et libertés, dans le cadre de la loi
101, n’est-ce pas? Est-ce qu’au-delà des études, les principes... dans ce cas-là, il y a aussi des principes qui
étaient... qui allaient de l’avant. Et là le gouvernement va avec un principe
qui veut que : Ah! La laïcité de l’État, hein, la neutralité de l’État… Est-ce
qu’à cet égard-là il n’est pas justifié, en certaines occasions de limiter les
droits?
M. Couillard (Philippe): Regardez,
toute loi, quelque part, a une limitation. C'est toujours ça, c'est la balance
entre les droits et les responsabilités des citoyens. Et tout droit peut être
limité de façon raisonnable. Les constitutions le disent.
Mais je répète que, dans le cas de la
langue, nous étions dans une situation où, au Québec, clairement, preuve à
l’appui, preuve chiffrée à l’appui, il y avait un risque d’affaiblissement du
poids de la culture et de la langue française au Québec, qui, d’ailleurs, ne
s'est pas produit parce que la loi 101 a été mise en place. Alors là, on avait
des éléments concrets de preuve pour justifier cet empiètement sur les droits.
Ce n'est pas le cas ici. Et, je vous répète, si on nous montrait qu'on est dans
une période d’insurrection appréhendée, là, que le nombre d’accommodements inacceptables
augmente de façon exponentielle partout au Québec, avec des études à l’appui,
ça serait peut-être différent. Ce n'est pas le cas. Ce n'est pas le cas.
Et je ne vois pas... D’ailleurs, en
région, où je me suis promené, personne, personne ne me parle de ça. Les gens
ne sont pas préoccupés de ça. Sur le terrain, même... Regardez, l’enjeu de la
diversité au Québec, là, il se joue où, en pratique? Il se joue sur l’île de
Montréal. C'est là, la métropole universelle du Québec, c'est là que la
diversité est vécue. Il n’y a pas un seul candidat à la mairie qui appuie ça.
Il me semble que ça devrait donner un signal, là, sur le terrain, que ce n'est
pas la direction dans laquelle les gens veulent aller.
Et, si on parle de politique basée sur les
principes puis également les indications qu'on reçoit, vous en parliez tantôt
avec les sondages, le fait que la métropole du Québec, de toute évidence, ne
suivra pas le mouvement, s’exclurait même de la... Qu’est-ce que ça veut dire,
la charte proposée par le PQ, si Montréal s’en exclut? Ils permettent
l’exclusion. Ça ne marche pas.
Alors, je pense qu'il est temps pour le gouvernement
de réfléchir, faire un pas de côté et travailler avec les partis de
l'opposition pour ce qu'il est possible de faire à l’Assemblée nationale puis
sortir avec un résultat qui va rassurer. Parce que, oui, les gens sont inquiets
avec ce qu'on entend, ce qu'on voit dans les médias. Je ne vous blâme pas
personnellement là-dessus. Mais de dire qu'on va travailler ensemble pour que,
si un jour il y a un problème, il y aura une loi qui va établir les balises
auxquelles les gens pourront se référer. Ça, je pense, la population va
apprécier qu'on fasse ça ensemble.
Il y a clairement, pour les signes religieux,
une ligne de démarcation, puis je pense que ça fait l’unanimité dans notre société,
pour la question du visage caché. On est prêts à agir sur cette question-là également,
de même que pour la neutralité religieuse des institutions de l’État comme
principe fondamental de notre société. On est prêts à travailler là-dessus.
Alors, il y a beaucoup de travail. Juste
ça, là, ces trois éléments-là, ce n'est pas simple, hein, et vous en
conviendrez avec moi. C'est énormément de travail législatif. On peut s’y
mettre rapidement, et j’espère amener ça à conclusion.
Journaliste
: Le fait
que le sujet soit divisif, que ça suscite de la chicane, je ne sais pas trop si
vous soutenez que ça ne… on ne devrait pas…
M. Couillard (Philippe): Non, non,
il y a toujours des conflits, mais il y a conflits et conflits.
Journaliste
: Oui, bon,
je vous laisserai préciser cela. Cela dit, vous dites : Dans les régions,
on n’en entend pas parler. Je dois vous dire que je regarde les réactions dans
les médias et… Est-ce que vous croyez vraiment que ça n’intéresse pas les gens
des régions, ces questions qui sont soulevées?
M. Couillard (Philippe): Bien sûr,
ça les intéresse, mais ce n'est pas quelque chose qu’ils vivent. Ce n'est pas quelque
chose qui est un enjeu pour les populations du Québec, et pas seulement en
région. À Montréal surtout, où soi-disant c'est là le problème, vous avez
entendu cette dirigeante de la commission scolaire Marguerite-Bourgeoys, à la
radio de Radio-Canada d’ailleurs l’autre jour, qui disait : Il n’y en a
pas de problème. On a 160 ou 150 nationalités différentes dans nos écoles,
les problèmes se règlent tous : congés religieux, le port du foulard par
les enseignants. Elle dit : On règle les problèmes, je ne peux pas voir où
se situe l’enjeu. Alors, c'est ça, la réalité.
Maintenant, oui, bien sûr, tout débat politique,
par définition, amène une division, mais il faut qualifier les divisions. Qu’on
ait une division sur l’opportunité de développer l’industrie minière ou pas,
sur les gaz de schiste, sur la fiscalité québécoise, sur le modèle de développement
économique, sur l’avenir constitutionnel du Québec même, voilà qui est
parfaitement légitime, là. Mais là on est sur un enjeu qui porte à la relation
des gens avec eux-mêmes et entre eux. C'est quelque chose d’excessivement
profond sur le plan humain, et on peut causer des dommages à notre société, que,
par la suite, on pourrait regretter.
Je vous ramène aux
propos de M. Gérard Bouchard hier soir là-dessus. Il était assez clair, et
je ne crois pas qu’on peut le qualifier de fédéraliste, selon moi. Donc,
limiter cette discussion à l’angle fédéraliste-souverainiste, voilà une autre
absurdité, en passant, qui rapidement va se dissiper, parce que vous allez voir
des gens des deux camps qui vont se prononcer là-dessus.
Le Modérateur
: Nous
allons maintenant passer en anglais. On va commencer à droite.
Journaliste
:
M. Couillard, I’d like to know how you think this charter, as it stands, would
affect women in terms of their place in the workforce. You talked about how the
Liberal Party was instrumental in introducing equality, but you have a
perception at least that freedom of religion on its own… some kind of a problem
with gender equality. Can you talk about how this charter, in your view,
affects women?
M. Couillard
(Philippe): We have people coming to live among
ourselves and we are happy that they do come here and contribute to Québec. Of
course, we want them to be part of our system of values, including the equality
of men and women, but to tell a particular group, particularly a group that is,
in a double way, squeezed, as women and as women from minorities: Sorry, I
don’t want to see you in the public service, I think it’s a very serious message
and something we should definitely avoid at all costs.
It’s going to create a significant sequel in our society if we build on like this, if we continue like that. The State
should be inclusive, of course neutral for its institution s, meaning that it should not favor or disfavor any religion. But we
should never, never, — I will never accept that — institutionalized discrimination in hiring people on the basis of what they wear.
Journaliste
: Can you talk about the specific conditions that you
would be willing to negotiate with the Québec’s Government on terms
of splitting the law or what the aspects are, your demands?
M. Couillard
(Philippe): Sure. There are ideas there that we… I
don’t want to claim, you know ,
who’s responsible, who had the idea first. Let me just say that there are ideas
there that we can all agree on, like putting the concept of neutrality of the institution s of the State in the Charter of
Rights. That’s one thing. Second, providing legislated guidelines for
accommodations in order for them to remain reasonable. Third, say that we
believe, in Québec, that public
services should be given or received with a face that is visible.
That’s
something that we can all agree on, that I think we all agree on. And we could
work during this fall session in Parliament, here, at the National Assembly to have a very good result for the population of Québec that will answer not the current problems, but problems that could
arise in the future. And that’s something we are ready to do right now. But we
will not… I want to be very clear, so people will not say: Well, you never said
that. No. I will never compromise, we will never compromise on the question of freedoms and particularly on the question of religious signs.
Le Modérateur
: Nous allons passer à votre gauche.
Journaliste
: Mr. Couillard, continuing… Québec has a problem of demographics, so we have more immigration. We need
people from elsewhere. A lot of people who speak French come here from the
Maghreb. They also are Muslims. And what I’m reading is that what happened, you know , in 2006, 2007, when there were
certain newspaper articles and so on, a whole hysteria, could I say, at that
time, you know , it helped the
ADQ. And then now the PQ is trying to do the same sort of thing.
Shouldn’t
someone in public life, like yourself or Mme Marois, stand up and say: These
people are all right. They’re going to be good Quebeckers . They might be a bit not the same as the Quebecker s we’ve had before, they’re a bit different, but they want to be
part of this society . They are…
I see them in Montréal riding
in the bike paths with hidjabs, you know . They’re part of this society . Is it not what a politician should be doing?
M. Couillard
(Philippe): But haven’t I said that many times in
the recent days? I mean, this is something I totally believe in and we all
believe in. I mean, my fellow colleagues have encounters, and Christine was
mentioning me the story of a lady who has a doctorate from la Sorbonne, OK, wearing the headscarf, telling her: What
should I do? What have I done wrong? What’s not right
with me? Am I not welcome in the society?
And
then you say: Well, OK, you’re welcome, but you will not work in the public
service. And some people say: It’s not a right, it’s a privilege. Well, excuse me,
if you are a teacher, or a nurse, or a doctor, where are you going to work in
Québec? So it doesn’t work. It just doesn’t stand.
Journaliste
:
M. St-Arnaud, this morning, said that he’s confident of the «assises
juridiques» of the charter, which, I assume, he means he thinks it’s legal. Do
you think it’s constitutional, this charter?
M. Couillard
(Philippe): I will not try to play lawyer, it’s a
very dangerous and risky game. I’m only saying that already you see that the
opinions on that are widely heard on all sides of the issue, I think there are
more opinions saying that it’s going to be a problem. I can only base myself to
what happened when Bill 94 was introduced a few years ago, when I hear
that the lawyers of the Ministry of Justice, who are extremely uncomfortable,
even with that partial legislation. So what about this one?
The other thing on
charters that I want to add is that the PQ always… you will notice this, they
always talk about the Canadian Charter, obviously in order to instil a little
bit of federal-provincial debate in that. Well, I will remind them that we also
have a Québec Charter of Rights and Freedoms and it’s as problematic in the
Québec’s Charter as it is in the Canadian Charter.
Le Modérateur
:
Dernière question, à votre gauche.
Journaliste
:
Hi, Mr. Couillard. What do you think of the SFPQ union support or endorsement
of this charter? How significant do you think it is, considering that they
represent some 42, 000 public sector workers?
M.
Couillard (Philippe): Well, it
does have a weight, I suppose, but I suppose they have members, among their
ranks, who may not be very happy with this. I will see how this plays out in
the future. There was another union from the teachers, education «milieu», that
was in disagreement. But this is not… Again, I will repeat it, this is not an
issue on which I am going to change my opinion according to who says what and
who agrees and doesn’t agree and what the poles are saying. I’d rather go
forward and stick to my principles, even knowing that the poles are against
them. But I will have told the people: Eh! This is what I believe in. I will
not change, and they will respect me for that. They may not all agree, but they
will say: OK, we know what this person and his party stand for.
Journaliste
:
Do you think that… Again, about the SFPQ, do you think that there could be a
problem with the union defending some members who are at odds with the charter…
M.
Couillard (Philippe): I will
have them answer that. I will not answer for them. It’s up to them.
Journaliste
:
But inside the union, like you said, members were opposed.
M.
Couillard (Philippe): It’s up
to them. It’s up to them to discuss that. I will not go into their internal
affairs. I suppose they have consulted their members, and that’s all I have to
say. It’s up for them to answer that question.
Journaliste
:
I guess my question is: How will the members who are at odds with the charter be
protected in the end, if the…
M.
Couillard (Philippe): That’s a
very good question to ask. I will let them answer.
Merci.
(Fin à 15 h 33)