(Neuf heures treize minutes)
Mme Anglade : Alors, bonjour.
Bonjour à tous.
Alors, d'abord, vous dire dès le jour 1 où
le ministre Jolin-Barrette a émis sa décision de dire que les 18 000
dossiers ne seraient pas traités et les 18 000 dossiers, touchant
50 000 personnes, dès le départ, on a dit que cette approche-là n'était
pas une approche humaine. On a qualifié aussi cette approche d'antiéconomique
et, depuis hier, cette approche est illégale.
La cour exige aujourd'hui du gouvernement
qu'il fasse, en fait, ce que le premier ministre s'était engagé le 29 janvier
dernier, c'est-à-dire de traiter l'ensemble des 18 000 dossiers qui
touchent ces 50 000 personnes. Alors, tout ça pour ça. On se retrouve un
mois plus tard, dans la même situation dans laquelle on était il y a un mois,
où le ministre avait pris cet engagement.
Qui gagne, au bout du compte, dans la
situation dans laquelle on se trouve? Évidemment, à première vue, on peut dire
que c'est un gain pour les 50 000 personnes qui sont touchées, mais très
franchement, je vous dirais qu'il n'y a personne vraiment qui gagne lorsqu'on
est devant les tribunaux et, comme parlementaires, on ne devrait pas avoir à se
rendre là pour discuter de tels sujets. Je pense que ce qu'il nous faut faire,
c'est retrouver la sérénité nécessaire pour avoir un débat constructif sur
l'immigration, qui est un débat important, qui est un débat structurant pour le
Québec, mais pour ce faire, il faut que le ministre s'engage aujourd'hui à
traiter l'ensemble des 18 000 dossiers qui touchent les 50 000
personnes.
Alors, on veut qu'ils s'engagent, parce
que, dans la déclaration qu'ils ont émise hier, dans le communiqué, ils disent
qu'ils vont le faire jusqu'à l'adoption de la loi, ce que l'on souhaite. On a
démontré que ça coûtait plus cher de ne pas traiter les dossiers que de les
traiter. On a démontré qu'ils étaient en mesure de poser des gestes concrets
pour traiter l'ensemble de ces dossiers. Ils pourraient très bien décider
aujourd'hui que dans les prochains six mois, ils s'engagent à traiter
l'ensemble de ces dossiers, que les gens puissent avoir une réponse, qu'elle
soit oui, qu'elle soit non, mais qu'ils aient une réponse et que l'on puisse
finalement s'engager sur le débat de fond en matière d'immigration, comme nous
allons le faire aujourd'hui en commission parlementaire.
Alors, je tends la main au ministre
Jolin-Barrette, je lui dis : Voici une opportunité de prendre un pas de
recul, de constater qu'il y a eu des enjeux, on était mal partis sur la
discussion de l'immigration, de prendre ce pas de recul là. Je lui tends la
main pour qu'on puisse mettre en arrière de nous la question des 18 000
dossiers, qu'il les traite le plus rapidement possible, qu'il s'engage à le
faire et que, finalement, on puisse avoir des débats sereins sur la question de
l'immigration. Voilà.
Mme Prince (Véronique) : Est-ce
que vous doutez de sa bonne foi? Parce que dans le communiqué, hier, effectivement,
on explique qu'on va traiter les dossiers avant l'adoption de la loi. Est-ce
que vous doutez de sa bonne foi à ce sujet-là, à savoir si, effectivement, les
dossiers seront tous traités?
Mme Anglade : Dans les
dernières deux semaines, il y a eu évidemment l'opposition, mais plusieurs
acteurs qui se sont mobilisés. Il y a eu des lettres ouvertes, il y a eu des
motions à l'Assemblée, il y a eu des personnes qui ont pris la parole, les
experts, on n'a pas vu de mouvement de la part du gouvernement. Aujourd'hui, il
bouge parce que nous sommes devant les tribunaux. Ce que je souhaite, c'est
qu'il prenne acte de la décision, mais au-delà de prendre acte de la décision,
qu'il dise : On est partis sur de mauvaises bases, on va revenir, on va
traiter ces dossiers-là et ça va nous permettre d'avoir les bonnes
conversations.
Lorsqu'on lit la mesure, ça dit
simplement... c'est assez laconique, ça dit : Nous allons traiter les
dossiers jusqu'à l'adoption du projet de loi. Je pense qu'il faut aller au-delà
de ça et calmer le jeu, rassurer la population. Et poser ce geste, ça ferait en
sorte que ça coûterait moins cher au gouvernement, ça ferait en sorte que ça
rassurerait les milieux économiques. La semaine dernière, les milieux
économiques sont déjà venus nous parler pour nous dire que la
non-prévisibilité... créer un enjeu, ça va rassurer le milieu économique, ça va
rassurer la population et honnêtement c'est simplement la bonne chose à faire.
M. Lacroix (Louis) : Est-ce
que vous croyez que c'est réaliste de traiter les 18 000 dossiers, compte
tenu que, parmi ces dossiers-là, il y en a qui traînent depuis huit ans?
Mme Anglade : Il y a des dossiers
qui sont là depuis longtemps parce qu'ils sont judiciarisés, il y a des
dossiers qui sont problématiques. Donc, ils ne pourront pas traiter les
dossiers qui sont problématiques et judiciarisés, donc ça, c'est clair.
Par contre, il y a la vaste majorité de
ces dossiers-là qui ne le sont pas et qu'ils pourraient traiter. L'année dernière,
on en a traité 20 000. C'était, en plus, en pleine année électorale. Je
suis certaine que, s'ils mettent les moyens, les ressources, en six mois, ils
sont capables de le faire. Il y avait une lettre ouverte aujourd'hui qui
montrait qu'en six mois ils devraient être capables de traiter l'ensemble des
dossiers.
M. Lacroix (Louis) : Est-ce
qu'ils devraient prioriser les gens qui sont déjà sur le territoire? Il y a quoi,
3 700 demandes, je pense.
Mme Anglade : Oui, bien, j'ai
de la misère à répondre à cette question-là parce que, justement, est-ce que ça
va être de les prioriser? Si on commence à traiter certains dossiers, pas
d'autres, vous allez en avoir 300 ici, peut-être 1 000 là. Il y a une
personne, la semaine passée, qui m'a appelée, une madame de Gatineau qui
m'appelle et qui me dit : Moi, celui avec qui j'ai envie de faire ma vie,
il est en Belgique, il n'est pas capable de venir. Est-ce que ce dossier-là ne
devrait pas être priorisé? Je pense que, tout simplement, on va rentrer dans
des débats de quel dossier devrait aller avant qui, dans des débats où les gens
pourraient se sentir lésés, plutôt que de passer à travers ça.
La vraie discussion à avoir pour le
Québec, c'est une discussion de fond sur l'immigration. Moi, je traiterais
l'ensemble des dossiers, et c'est ce qu'on demande.
M. Croteau (Martin) : La
commission parlementaire sur le projet de loi n° 9 reprend ce matin. Qu'est-ce
que ce jugement change au processus législatif en lien avec ce projet de loi?
Mme Anglade : Bien, c'est sûr
qu'il amène un éclairage sur l'article 20 dans le projet de loi, qui dit qu'on
veut ne plus traiter les 18 000 dossiers. Donc, il amène ça. C'est surtout
cet éclairage-là qu'il amène, mais je vous dirais que les gens vont également
parler d'autres dossiers.
La semaine dernière, ce que l'on a vu, c'est
que les gens qui sont venus témoigner ont parlé beaucoup de la transition, la
transition harmonieuse qu'il fallait faire. Donc, le débat tourne beaucoup autour
de ça. Je pense que la décision d'aujourd'hui, si le ministre Jolin-Barrette
accepte de traiter l'ensemble des dossiers, va porter sur l'ensemble du projet
de loi versus ce point-là qui est très litigieux.
M. Croteau (Martin) : Il y a
des leçons à tirer, pour le gouvernement, de cette décision.
Mme Anglade : Il faut écouter.
Il faut écouter. On l'a mentionné, à l'intérieur de trois semaines, on s'est
retrouvé devant les tribunaux. Quand il y a des gens qui... parce qu'au début
ils nous ont dit : Ah! mon Dieu, il y a une campagne de peur, etc. Mais la
réalité, c'est qu'on le sent, sur le terrain, quand les gens nous appellent,
quand les gens écrivent, quand les experts se prononcent. Il faut simplement
écouter, ne pas s'entêter inutilement.
Et puis faire avancer les dossiers, ça ne
veut pas dire avoir une obsession d'un chiffre que l'on veut rencontrer à la
fin de l'année. Traiter des dossiers, ça veut dire qu'on prend acte de la
complexité de la chose. C'est plus complexe, un projet de loi, que simplement
aligner des chiffres. Je pense que c'est un peu la conclusion qu'il faut
retenir et être davantage à l'écoute. Et je vous dis, je tends la main au
ministre Jolin-Barrette aujourd'hui pour lui dire : On veut améliorer le
processus d'immigration, j'en suis, mais, de grâce, essayons de sortir les
points qui sont litigieux, qui n'ont aucun sens, et travaillons ensemble.
M. Laforest (Alain) : Si
jamais le ministre Jolin-Barrette écarte votre proposition, c'est-à-dire de
traiter les 18 000 dossiers au-delà de l'adoption du projet de loi, vous
faites quoi?
Mme Anglade : On va continuer
à... Je pense que cette décision-là serait malavisée, parce qu'on ne sait pas
ce que les gens vont faire. À partir de ce moment-là, aujourd'hui, il y a
beaucoup de personnes qui vont se dire : Est-ce que je vais être le
prochain dossier? Est-ce qu'on devrait poursuivre devant les tribunaux? Toute
la question du recours judiciaire va être encore de l'avant...
M. Laforest (Alain) : Je ne
parle pas des personnes, je parle de vous, comme opposition...
Mme Anglade : Moi, je vais
continuer... M. Laforest, je vais essayer d'être le plus constructive possible
pour faire avancer ce dossier-là. Je vais essayer de voir de quelle manière on
est capable de régler la situation. Je vais rester fidèle à mes convictions, par
ailleurs, puis de dire que je pense que c'est l'approche la plus harmonieuse.
Honnêtement, je n'en vois pas d'autre solution.
M. Lacroix (Louis) : Là,
l'injonction, c'est une injonction de 10 jours renouvelable, de ce que je
comprends, là, qui va devoir être traitée sur le fond. Quel message ça
enverrait si le gouvernement décidait d'aller, justement, en contestation de
cette injonction-là et de traiter sur le fond? Est-ce que ce serait de la
mauvaise foi? Est-ce que...
Mme Anglade : Bien, est-ce que
c'est souhaitable? La réponse, c'est non. Il n'y a personne qui gagne si on se
retrouve devant les tribunaux. Aujourd'hui, là, honnêtement, pour les
parlementaires, ce n'est pas une situation idéale que de se retrouver devant
les tribunaux. Moi, j'aimerais qu'on évite le plus possible la judiciarisation
de la situation dans laquelle on se retrouve et je demande encore au gouvernement
d'éviter cette situation. Elle est évitable, il y a une solution. S'il n'y
avait aucune solution et puis que c'était une impasse totale... Ce n'est pas le
cas. Il y a des moyens, il y a des ressources, tout est possible. Ils n'ont
qu'à décider de le faire. Alors, c'est pour ça qu'on est...
M. Laforest (Alain) : Mais là
il l'a dit, là, dans le communiqué : Je ne vais pas contester et je vais
poursuivre l'analyse des dossiers jusqu'à l'adoption du projet de loi. C'est ce
qui est écrit, le message est clair.
Mme Anglade : Oui, oui. Bien,
nous, ce qu'on l'on veut, c'est qu'au-delà du projet de loi, que l'ensemble des
traités soit traité. Et vous allez l'entendre en commission parlementaire, je
ne pense pas que la réponse ici réponde aux préoccupations des gens, et vous
allez l'entendre en commission parlementaire certainement aujourd'hui.
M. Lacroix (Louis) : :
Est-ce que vous pourriez faire... bon, je vais être poli, là, profiter de tous
les outils les outils législatifs à votre disposition pour faire en sorte de
laisser un temps élargi pour traiter les dossiers? Autrement dit, allez-vous
faire de l'obstruction?
Mme Anglade : Bien, ce n'est
pas l'objectif que l'on recherche. Ce n'est certainement pas l'objectif que
l'on recherche. Ce que l'on veut, au bout du compte, c'est qu'il y ait un
meilleur arrimage avec l'immigration et les besoins en matière de main-d'œuvre.
C'est la raison pour laquelle le système
Arrima a été mis en place. Mais vous avez vu, vendredi dernier, on ne le savait
pas qu'il y avait 400 dossiers au maximum qui seraient traités. Or, ça a
été déclaré vendredi dernier qu'il y aurait 400 dossiers seulement en
2019. Pour le milieu économique, c'est une très, très, très mauvaise nouvelle,
là. Ce n'est pas du tout ce à quoi s'attendait le milieu économique.
Alors, il faut qu'on fasse, tout le monde,
preuve de bonne foi. Moi, je n'ai pas l'intention de faire de l'obstruction
pour de l'obstruction, absolument pas. Je veux être constructive. Encore
faut-il qu'on accepte ma main tendue.
Journaliste
: Pour ce
qui est du reste du projet de loi... parce que là on est en train d'essayer de
trouver une solution pour les 18 000 dossiers, là. Le reste du
projet, est-ce que vous êtes prête à le faire avancer ou...
Mme Anglade : Bien sûr. Je
suis prête à être très constructive. Vous avez vu deux lettres ouvertes
aujourd'hui, hein, dans les médias écrits au sujet du projet de loi, qui
disaient, dans le fond, qu'il y a beaucoup de choses qu'ils aimeraient revoir
et puis qui sont problématiques dans l'approche, dans le projet de loi.
Nous, on va essayer de l'approcher de
manière, encore une fois, constructive. On est en faveur d'une immigration
permanente réussie, pas nécessairement d'augmenter le nombre de personnes
temporaires. Puis ça, ça va faire partie des débats qu'on va avoir en
commission parlementaire avec les acteurs économiques. Il y a des principes
fondamentaux qu'il va falloir que l'on discute plus en profondeur. C'est ce que
l'on fait présentement, mais, oui, approcher ça de manière constructive pour
tous les autres articles du projet de loi.
Mme Senay
(Cathy) : Last night, when the press release
with the declaration of Simon Jolin-Barrette was sent… then we have this answer
that the applications will be treated until the adoption of the bill, but then,
when we wanted to have precisions, clarifications, they said that… until
10 days. After that, the process will continue on in the courts. So we
have 10 days now. Do you have some fears about the
quality of the treatment of the applications?
Mme Anglade : You're right when you talk about the… we only have 10 days, but you
have to keep in mind that it was the maximum, I think, that was able… the judge
was allowed to give. So that's the maximum he is allowed to give, and they will
have to go back to court.
I think the message that
we're sending to government :
We don't want to go back to court. I mean, we're basically paying lawyers to
tell the Government to do what
they already committed to do back on January 29th. So it makes no sense. At the
end of the day, yes, you have winners because you have people that have… their
files are going to be processed, but who's winning in the end? Nobody really
is. So I think what they need to do is not to go back to court and process the
18,000 files.
Mme Senay (Cathy) : But, Mrs. Anglade, do you have some doubts about the quality of the
treatment of those applications?
Mme Anglade : I certainly hope that we have public servants that are doing the
right job and I believe in the capacity of the public servants to treat those
files in the right way. So do I have doubts about the quality of the work that
the civil servants are going to do? I don't have doubt. I think that once they
are given the direction, they're going to do what's right for the files.
Mme Senay (Cathy) : And what kind of image does that create when you have the decision
of a judge saying : Well, that was illegal?
Mme Anglade : Not a good one, not a good one. That's not… you mean nationally and
internationally? Obviously, not a good image, obviously not. And I'm not happy
about it. I'm not happy about it because I find that we could have avoided
this. We could have avoided this situation and we can avoid further problems if
the Government decides to act.
And there's nothing stopping the Government from action right now. They have the money, they have the tools.
They need the political will to
do it, and we need to have a good debate on immigration,
but we can't have a good debate right now, because this issue is so huge that
it's preventing us from getting into the immigration bill.
Mme Senay (Cathy) : How would you characterize Justice Frédéric Bachand's ruling?
Mme Anglade : Very harsh. It's very harsh on the Government. I read the whole document, and it was very clear that the lawyers from l'AQAADI clearly made
the points… pretty much all the points that they made were recognized as valid
points in the judgment. So it's not a middle of the ground judgment, it's a
very clear and harsh judgment on the decision of the Government not to proceed with the 18,000 files.
Mme Johnson (Maya) : Just one final question. It's interesting to know… I have to
confirm this, but one of our colleagues from Radio-Canada is reporting that the
Finance Minister is going to be announcing the date for
the budget today. Do you have any comments about the timing of that
announcement?
Mme Anglade :
I have no comment on the timing of the announcement. They decide whenever they
want to make announcements, but I think we have an issue at stake and we need
to deal with this issue, which is around surrounding the 18,000 files impacting
50,000 people. Thank you.
(Fin à 9 h 28)