(Treize heures quarante-quatre minutes)
M. Leitão : Alors, bonjour,
tout le monde. Bien, écoutez, nous allons dans quelques minutes au salon rouge,
en commission parlementaire, parler un peu de finances publiques. C'est quand
même particulier, ça nous a pris à peu près cinq heures de travail en séance de
travail pour pouvoir arriver à un consensus qui va nous donner à nous, en tant
qu'opposition officielle, un gros 28 minutes pour en discuter avec le ministre
des Finances. Donc, ça, c'est déjà particulier.
Pourquoi c'est important cette discussion
qu'on veut avoir? C'est que le budget a été déposé au mois de mars. C'est un
budget qui était pas mal mort-né parce que toutes les prévisions étaient
complètement déjà dépassées, dès son dépôt. Depuis le budget au Parlement, on n'a
pas eu de discussions. Par la suite, il y a eu la mise à jour en juin, mais, là
aussi, il n'y a pas eu de discussions au Parlement.
On s'aligne, il semblerait, vers un déficit
de 15 milliards de dollars qui inclut une réserve, une provision de
quatre. Mais est-ce que la réserve a déjà été toute dépensée? Où est-ce qu'elle
a été dépensée? Qu'est-ce qui va se passer d'ici la fin de l'année fiscale, le
31 mars 2021? Donc, il y a énormément de questions qu'un Parlement normal
devrait avoir l'opportunité de discuter avec le ministre des Finances. Bon, on
aura 28 minutes aujourd'hui, mais ça en dit beaucoup sur le manque de
transparence de ce gouvernement.
Donc, mon collègue député de La Pinière, si
vous avez des choses à ajouter… Et puis on prendra vos questions.
M. Barrette : Alors, sur le
côté des dépenses, évidemment, le côté du Trésor, il faut réaliser que la
situation budgétaire du ministre des Finances devrait être claire et
transparente. Je ne peux pas croire que ce n'est pas clair dans sa tête, mais
il faudrait que ça le soit aussi pour le public parce que, quand on arrive aux
dépenses, au moment où on se parle, au moment où on se parle, on est dans une
période carrément inflationniste, O.K.? Et on le voit, là. Dans tous les
projets qui sont annoncés, on est de 50 % à 100 % plus cher. Le
dernier en date, que M. Carmant est allé annoncer à Sherbrooke, bien, on
a, dans les faits, doublé le coût du projet, le centre mère-enfant du CHUS de
l'Estrie.
Alors, regardez, je vous rappelle, aux
crédits, qu'on nous a informés que, sur le PQI actuel, il y a 48 milliards
de dollars qui ne sont pas financés. Ils vont venir du budget de M. Girard.
Alors, comment il va faire, lui, là, pour financer ces 48 milliards-là de
projets qui risquent de s'en aller aux oubliettes dans une période où on est en
déficit et, en plus, dans une période où les données montrent qu'on est
fortement inflationnistes? Je vous rappelle qu'un PQI, c'est fait avec des
estimés, des estimés du moment. À l'usage, on constate que c'est beaucoup, beaucoup,
beaucoup plus cher.
Alors, on a un gouvernement qui nous dit,
encore aujourd'hui : On va remplir toutes nos promesses, mais on a un
déficit, on a une inflation, on a le tiers du PQI, essentiellement, et plus qui
n'est pas financé. Trouvez l'erreur. Alors, il me semble qu'au moment où on se
parle la population du Québec devrait être proprement informée de la situation
budgétaire du gouvernement du Québec, qui, je le rappelle, est le résultat des
impôts et des taxes que les citoyens et les entreprises paient. Alors, le
silence gouvernemental à cet égard est complètement inacceptable. C'est la
raison pour laquelle ça nous a pris cinq heures en trois semaines pour
avoir le plaisir d'avoir 28 minutes de questions à poser au ministre des
Finances. Je vous invite à suivre ça. Ça devrait être intense. À chaque
seconde, on devrait apprendre quelque chose. Voilà.
La Modératrice
: Des
questions?
M. Larin (Vincent) :
Messieurs, peut-être nous dire, selon vous, là, mais qu'est-ce qui est urgent
de savoir en termes de données, là, financières ou budgétaires? Sur quoi est-ce
que vous comptez poser vos questions particulièrement?
M. Leitão : Tout. Ça ne répond
pas à votre question, tout, mais c'est-à-dire revenus, qu'est-ce qui se passe
avec les revenus, et dépenses. Mais, avant d'arriver à discuter des revenus et
dépenses, ce qu'on veut vraiment, ce que j'aimerais, que nous aimerions
vraiment en discuter avec le ministre des Finances, c'est quels sont ses
scénarios. Où est-ce qu'on s'en va économiquement? Parce que, s'il anticipe une
reprise très rapide, bon, le déficit va se résorber de lui seul. Je ne pense
pas qu'on soit là. Je pense que l'année 2021 va être encore, du point de
vue économique, extrêmement lente et difficile. Bon, quels sont ses scénarios?
Quels sont ses plans alternatifs? C'est très important qu'on le sache, et je
vais commencer par ça.
M. Barrette : Je vais
peut-être en rajouter une couche, là. Vous savez que, pour moi, je l'ai écrit
là-dessus, je l'ai publié dans un média au printemps passé, le Fonds des
générations, là, qui, en quelque part, est une espèce de fonds souverain, là,
qui devrait ultimement, à terme, générer des revenus, l'a-t-il consommé? Et on
fait quoi, hein? Il y a des conséquences, là, hein? Moi, je l'ai vu, le Fonds
des générations, comme étant un fonds potentiellement au pic du vieillissement,
comme étant une source de revenus. Bien là, on a une dette, on a peut-être
moins de revenus, on consomme peut-être le fonds. On ne le sait pas. Mais les
conséquences sociales sont importantes partout dans le gouvernement et
certainement en santé aussi. Peut-être qu'aujourd'hui M. Legault met
beaucoup d'énergie pour aller chercher l'argent au fédéral parce qu'il a
consommé le Fonds des générations. On ne le sait pas. Alors, aujourd'hui, on
doit savoir ces choses-là.
M. Lacroix (Louis) :
M. Barrette, vous êtes critique au Trésor. Vous avez vu les dépenses du
gouvernement. Je comprends que c'est dur à dire, ce qu'ils vont dépenser dans
les prochains mois, prochaines semaines, là, mais est-ce qu'il y a des dépenses
qui ont été faites par le gouvernement que vous auriez faites autrement?
M. Barrette : Il y a une
dépense que j'aurais faite autrement. Moi, j'aurais commandé du matériel pas
mal plus tôt. Ça, je peux vous le garantir. La question du matériel, là...
M. Lacroix (Louis) : ...vous
parlez de matériel médical, les masques, etc., là?
M. Barrette : Oui, oui, oui.
Vous me demandez, moi, là, certainement, en partant. Ça, à la case départ, si
le Québec avait choisi de renflouer sa réserve stratégique, c'était une
histoire d'à peu près 300, 400 millions de dollars, ça leur a coûté
au-dessus... au moins au-dessus de 1 milliard. Alors, si vous me demandez
s'il y a une chose que j'aurais faite différemment, c'est celle-là.
M. Lavallée (Hugo) :
M. Leitão, en tant que meilleur prévisionniste à une certaine époque,
est-ce qu'au vu de la situation économique actuelle ça vous semble — là,
vous allez me dire que vous n'avez pas tous les chiffres du ministère des
Finances, là, mais moi, je vous parle de l'économie, l'état de l'économie,
votre analyse de ça — est-ce que ça vous semble plausible un retour à
l'équilibre budgétaire d'ici cinq ans?
M. Leitão : La réponse très
courte, que vous aimez beaucoup mais que nos communicateurs n'aiment pas du
tout, non, ce n'est pas plausible. Très rapidement, ce n'est pas plausible parce
que le scénario le plus probable, pour l'évolution économique, c'est que
l'année 2021 soit extrêmement lente. Aux États-Unis, on parle maintenant
beaucoup de «double dip», donc un retour en récession. Je ne sais pas s'il y
aura un «double dip» ou pas, mais, en tous les cas, 2021 sera une année extrêmement
lente, de croissance économique. Donc, le budget 2021‑2022, qui nous sera
annoncé en mars 2021, va être encore dans les déficits, 6, 7,
8 milliards au moins. Donc, retour à l'équilibre en cinq ans, il me semble
extrêmement hasardeux ou alors, s'ils veulent le faire vraiment, bien, ça ne
tombe pas du ciel, par le Saint-Esprit. Il va falloir des mesures. Soit des
mesures de revenu, nouvelle taxe, soit des mesures de dépense, des coupures. Ça
n'arrivera pas tout seul.
M. Laforest (Alain) : On est
dans un W ou un U profond?
M. Leitão : On est dans un K.
Je sais que vous aimez beaucoup l'alphabet. Donc, ce n'est pas le U, ce n'est
pas le L, ce n'est pas le W, c'est un K, «k-shaped recovery» parce que le K,
vous avez une partie de l'économie qui va vraiment très bien, mais c'est une
petite partie, et puis vous avez le gros... une très grosse partie de
l'économie ou l'autre partie de la lettre K qui, elle, descend encore. Donc, c'est
cette dichotomie-là qui est extrêmement difficile à gérer. Et la partie qui
descend encore, c'est une partie où il y a beaucoup de personnes, qui emploie beaucoup
de personnes, et souvent des personnes à plus bas revenu qu'il faut absolument
soutenir, à mon avis.
M. Chouinard (Tommy) : Vous
avez dit à quelques reprises que vous vous attendez à ce que 2021 soit
difficile. Sauf erreur, dans le portrait de la situation économique du mois de
juin, le ministre des Finances parlait d'un rebond en 2021. Je crois qu'on
chiffrait le PIB réel, la croissance, à 6,5 % à ce moment-là. Est-ce que
ça tient la route, ça, aujourd'hui, avec ce que l'on sait?
M. Leitão : Moi, à mon avis,
non. À mon avis, non. Je suis sûr, quand il y aura la nouvelle mise à jour,
quelque part à la fin octobre ou début novembre, je suis presque certain que ce
chiffre-là va être révisé à la baisse. Mais moi, je pense que 2021 va être
vraiment, vraiment faible.
M. Larin (Vincent) : Vous avez
mentionné qu'on ne pouvait pas envisager un retour à l'équilibre budgétaire
dans un horizon de cinq ans sans nouvelle taxe. Pensez-vous que ça devient un
peu essentiel si on ne veut pas hypothéquer, là, les finances publiques à long
terme?
M. Leitão : La question, à mon
avis, ce n'est pas ça. Puis, excusez-moi, je ne veux pas vous... L'enjeu qui me
préoccupe, ce n'est pas celui-là, c'est-à-dire, moi, je ne vois pas de presse
pour arriver à l'équilibre budgétaire en cinq ans. Au moment où on se
trouve encore dans une récession qui est profonde et qui risque de s'aggraver
en 2021, parler de retour à l'équilibre budgétaire, c'est beaucoup trop tôt. On
doit d'abord être capable de stabiliser l'économie, soutenir tout le monde qui
a besoin d'être soutenu, et puis, en 2021‑2022, là, on verra sur combien de
temps on reviendra à l'équilibre. Ça, c'est mon opinion.
M. Laforest (Alain) :
Dr Barrette, sur un autre dossier, des médecins critiquent la réforme
d'Optilab aujourd'hui. Est-ce que c'est une bonne chose, ce que vous avez fait
avec Optilab?
M. Barrette : Bien, je
constate également que le gouvernement le maintient. Alors, en général, on
maintient les bonnes choses. Vous avez votre réponse.
M. Laforest (Alain) : Mais les
critiques, le fait, là, que ça retarde, que ça a fait qu'il y a des gens qui
décèdent en bout de ligne parce que les tests ne sont pas faits assez
rapidement?
M. Barrette : Non, il n'y a
personne qui décède en bout de ligne parce que des tests n'arrivent pas. Les
tests sont faits et ils sont faits dans les temps requis en fonction de la
capacité, de l'équipement dont ils disposent. Alors, s'il y a des
ralentissements, c'est parce qu'ils n'ont pas l'équipement dont ils disposent,
certainement pas à cause d'Optilab, là.
M. Lavallée (Hugo) : …projet
de loi n° 66, dont l'étude va commencer demain, c'est toujours vous qui
êtes sur ce dossier-là. Quelle va être l'attitude du Parti libéral? Est-ce que
vous êtes dans un mode aussi combatif que le printemps dernier avec le projet
de loi n° 61?
M. Barrette : Écoutez, moi, je
serai toujours combatif pour la bonne chose, hein? Alors, on est là, nous, les
parlementaires, pour s'assurer que les projets de loi soient appropriés. Est-ce
que le projet de loi actuel est parfait? La réponse est non. Est-ce qu'on a
répondu favorablement à un grand nombre de critiques qu'on a exprimées? La
réponse, c'est oui, mais il y a encore des choses à faire. Et, comme je le
constate, vous allez suivre les travaux. Vous allez voir, ça va être
intéressant.
Mais c'est clair que 66... J'ai déjà, et
j'en profite encore, salué la ministre LeBel d'avoir désavoué son prédécesseur,
qui avait déposé un projet de loi abusif. Je comprends que, dans son statut que
je qualifierais de mixte, professionnel et politique, elle ne voulait pas avoir
son nom attaché à un abus législatif. Elle a corrigé les abus.
Maintenant, il y a encore des choses qui
méritent d'être améliorées, et on arrive de façon constructive, tout à fait
constructive, compte tenu du grand bout de chemin qui a été fait à date.
La Modératrice
: Une
dernière en français? Oui.
M. Chouinard (Tommy) :
...est-ce qu'il y a un problème éthique dans l'histoire du dézonage agricole...
M. Barrette : Je suis en train
de regarder ça et, à ma première lecture, je vois difficilement comment il n'y
aurait pas de problème d'éthique. Alors, bien, écoutez, j'en ai fait une
première lecture, là, mais, en partant, le conflit d'intérêts était patent,
patent. Alors, on connaît la fonction qu'occupait le député de Rousseau
précédemment. On le sait. On le sait, c'est quoi qui s'est passé, et, déjà là,
il y a un conflit d'intérêts et, en plus, on semble avoir contourné certaines
lois.
Alors, un législateur qui met en fonction,
dans un projet, quelqu'un qui est en conflit d'intérêts et qui, en plus, semble
avoir contourné les lois, c'est grave. Il en va de la crédibilité du
gouvernement et du premier ministre. C'est grave comme ça, là. Alors, est-ce
qu'on l'a déplacé parce qu'il y avait quelque chose de grave, qu'on espérait
demeurer silencieux? La question se pose. Alors, on est là-dessus, là, moi et
ma collègue la députée de Vaudreuil, Mme Nichols, mais, pour moi, il est clair
qu'il y a une anguille sous la roche de l'éthique.
Le Modérateur
: En anglais.
Mme Senay (Cathy) : Yes. Mr. Leitão. I'll start with Mr. Leitão. You spoke about… the
economy update back in June. You were talking about the fact that… about having
a balanced budget in five years was too soon. There were key U.S. States
that were having COVID-19 cases, you didn't like it at all. But then the first report, for the first semester, brings $5 billion
as a deficit. It follows the plan of Mr. Girard, as a matter of deficit, $15 billion
for this year. So, what do you think citizens should know now?
M. Leitão : Well, that's what we want to know, that's why we're going to ask
that question to the Minister of Finance because we don't have a clear picture.
What we see developing is an economy that is slowing down again, given the
second wave of COVID and the
fact that we've had to close down a few more sectors of the economy. We are
slowing again. Unemployment is going to rise again. Therefore, the economy 2021
will be a lot slower than what they had anticipated in the June update. So…
Mme Senay (Cathy) : …recession?
M. Leitão : …the United States,
they talk about that, I don't think it's the case in Canada. «Double dip» means
that we'll go back into recession. So, the economy failed into recession in
March-April-May, it probably grew a little bit in July-August-September, but
there's a big risk that October-November-December, GDP will be negative again.
Mme Senay (Cathy) : You don't see this… Can I ask one last question?
Des voix
: …
Mme Senay (Cathy) : So, you don't see a double-dip recession in Québec?
M. Leitão : Not yet. But we need to see, we need to see how far the Government
is willing to go. A large part of the answer to that question will depend on
what kind of support the Governments, federal and provincial, will be willing
to give to businesses and to individuals.
Mme Senay (Cathy) : Do you see the K letter in Québec?
M. Leitão : Yes, absolutely. Absolutely. The K-shaped recovery, so we see a
small portion going up, mainly in the high-tech sector, communications, etc.,
the web-based businesses, and then a large portion going down, and that's all
the personal services, food services, hotels, restaurants, entertainment, and
that's a sector that employs a large number of people, and they've been
declining straight through since March.
Mme Senay (Cathy) : What are the rest?
M. Leitão : I'm sorry?
Mme Senay (Cathy) : What are the rest?
M. Leitão : The rest is in our exports. For example, manufacturing is
relatively stable, but now, we're seeing a number of new layoffs, a number of
companies in aerospace, for example, Pratt & Whitney, CAE, Bombardier,
obviously, that are announcing new waves of layoffs because the demand for
their products, the demand for aircrafts is not taking off. So, the
manufacturing sector which rebounded well is slowing down once again.
Mme Senay (Cathy) : OK. And even tough the numbers for the employment rate went up,
like, the numbers are going down right now, like, it's getting better, but we should
not be happy too soon.
M. Leitão : That's right because the last numbers we have are for the month of
September. So, from March to September, we lost a lot of jobs. We recovered a
good chunk, but we are still 100,000 jobs less than what we were in
February, and those were the good months : July, August, September. Now,
October, November, December, I don't see any big job gains. Therefore, we are
going to remain 100,000 jobs less than the previous peak. And on any good
year, the Québec economy generates, roughly speaking, 30,000 to 40,000 jobs.
So, this is going to take a while before we get back to where we were. Thank
you.
(Fin à 14 h 2)