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Version finale

42nd Legislature, 1st Session
(November 27, 2018 au October 13, 2021)

Wednesday, May 8, 2019 - Vol. 45 N° 34

Special consultations and public hearings on Bill 21, An Act respecting the laicity of the State


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Table des matières

Auditions (suite)

Mmes Nadia El-Mabrouk et Leila Bensalem

Association des musulmans et des Arabes pour la laïcité au Québec (AMAL-Québec)

M. Gérard Bouchard

M. Louis-Philippe Lampron

Organisme de communication pour l'ouverture et le rapprochement interculturel (COR)

Centrale des syndicats du Québec (CSQ)

Document déposé

Autres intervenants

M. André Bachand, président

M. Simon Jolin-Barrette 

Mme Stéphanie Lachance

Mme Lucie Lecours

Mme Hélène David

M. Sol Zanetti

M. Pascal Bérubé

Mme Kathleen Weil

M. Ian Lafrenière

M. Simon Allaire

Mme Paule Robitaille  

*          M. Haroun Bouazzi, AMAL-Québec

*          Mme Samira Laouni, COR

*          Mme Miriam Taylor, idem

*          Mme Sonia Éthier, CSQ

*          Mme Nathalie Léger, idem

*          Témoins interrogés par les membres de la commission

Journal des débats

(Onze heures trente minutes)

Le Président (M. Bachand) : À l'ordre, s'il vous plaît! Merci beaucoup et bienvenue. Ayant constaté le quorum, je déclare la séance de la Commission des institutions ouverte. Je vous souhaite encore une fois la bienvenue et je vous demande, comme vous le savez, à toutes les personnes présentes dans la salle, de bien vouloir éteindre la sonnerie de leurs appareils électroniques.

La commission est réunie afin de poursuivre les consultations particulières et auditions publiques sur le projet de loi n° 21, Loi sur la laïcité de l'État.

Avant de débuter, Mme la secrétaire, y a-t-il des remplacements, s'il vous plaît?

La Secrétaire : Oui, M. le Président. M. Lévesque (Chapleau) est remplacé par M. Girard (Lac-Saint-Jean); M. Martel (Nicolet-Bécancour) est remplacé par M. Allaire (Maskinongé); Mme Anglade (Saint-Henri—Sainte-Anne) est remplacée par Mme David (Marguerite-Bourgeoys); M. Fontecilla (Laurier-Dorion) est remplacé par M. Zanetti (Jean-Lesage); et M. LeBel (Rimouski) est remplacé par M. Bérubé (Matane-Matapédia).

Auditions (suite)

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Ce matin, nous allons entendre Mme El-Mabrouk et l'Association des musulmans et des Arabes pour la laïcité au Québec. Alors donc, je souhaite donc la bienvenue à Mme El-Mabrouk. Je vous rappelle que vous avez 10 minutes pour votre exposé. Et par après nous procéderons à la période d'échange avec les membres de la commission. Donc, encore une fois, bienvenue, et je vous invite à débuter. Merci.

Mmes Nadia El-Mabrouk et Leila Bensalem

Mme El-Mabrouk (Nadia) : Alors, bonjour. Bonjour, M. le Président, M. le ministre, Mmes et MM. les députés. Merci de nous recevoir, Leila Bensalem et moi, pour présenter notre position sur le projet de loi n° 21 sur la laïcité de l'État.

Le Président (M. Bachand) : Excusez-moi, je pense qu'on a... Si ça ne vous dérange pas de vous juste décaler, parce qu'hier on a eu un problème avec le micro. Si vous pouvez juste vous décaler, soit à votre droite, soit à votre gauche, les micros vont fonctionner à ce moment-là. Le micro qui est ouvert, là. Changez de chaise, s'il vous plaît. Vous n'avez pas le choix, malheureusement.

Mme El-Mabrouk (Nadia) : Pardon?

Le Président (M. Bachand) : Juste vous rendre ici.

Mme El-Mabrouk (Nadia) : Là ou là?

Une voix : Un ou l'autre. Celui-là est ouvert.

Le Président (M. Bachand) : Merci.

Mme El-Mabrouk (Nadia) : Ah bon? Celui-là ne marche pas?

Une voix : ...problème de micro.

Le Président (M. Bachand) : On a eu un problème avec ce micro hier soir... hier après-midi. Désolé.

Mme El-Mabrouk (Nadia) : Il est bon, celui-là?

Le Président (M. Bachand) : Celui-là devrait bien fonctionner. Sinon, on va trouver une solution. Alors, désolé, désolé pour le... Alors, vous savez, la technologie aujourd'hui, hein? Alors, à vous. Merci.

Mme El-Mabrouk (Nadia) : Voilà. Donc, c'est maintenant que ça commence. Bonjour, M. le Président, M. le ministre, Mme et MM. les députés. Alors, merci de nous recevoir, Leila Bensalem et moi, pour présenter notre position sur le projet de loi n° 21 sur la laïcité de l'État. Alors, nous sommes toutes les deux des néo-québécoises. Leila est originaire d'Algérie et moi, de Tunisie. Leila est professeure d'anglais au secondaire, et moi-même, je suis professeure au département d'informatique de l'Université de Montréal.

En tant que Québécoises originaires du Maghreb, il nous semble important d'exposer notre position en faveur de la laïcité et d'une réelle neutralité de fait et d'apparence des employés de l'État. Contrairement à ce qu'on entend souvent, cette position est celle partagée par une grande partie des citoyennes et citoyens québécois originaires du Maghreb. Nous sommes en parfait accord avec l'esprit de la loi et nous soutenons sans réserve la définition de la laïcité énoncée dans le projet de loi.

Cependant, nous considérons que les exigences énoncées afin de faire respecter cette laïcité sont insuffisantes, notamment en ce qui concerne une école laïque. Dans notre mémoire, nous présentons certaines recommandations ayant pour but d'améliorer la cohérence du projet de loi et de lui permettre d'avoir un effet concret sur la protection de la liberté de conscience des citoyens et sur le vivre-ensemble.

Alors, pourquoi nous pensons que c'est important d'agir? Eh bien, on entend souvent que la protection de l'État face à l'ingérence religieuse ne serait plus nécessaire maintenant que le Québec s'est libéré de l'emprise de l'Église catholique. Mais c'est ignorer les pressions religieuses qui continuent à s'exercer sur bien des femmes et des enfants de diverses communautés ethnoculturelles au Québec.

Aujourd'hui, c'est probablement l'islam qui fait peser le plus grand risque en termes de radicalisation religieuse. En même temps, ce sont les musulmans, notamment les femmes et les jeunes filles, qui subissent de plein fouet la radicalisation de l'islam. Il est d'autant plus important dans ces conditions d'assurer à tous les enfants une école exempte de pression religieuse afin de leur permettre de s'épanouir en toute liberté et de développer leur autonomie de jugement. Bon.

Mais en même temps, contrairement à ce qu'on entend, l'aspiration à la laïcité n'est pas apparue avec l'émergence de l'islam au Québec. Elle découle d'un long cheminement qui a débuté dans les années 60, au moment de la Révolution tranquille. Or, depuis quelques années, on assiste au Québec à un retour des signes religieux dans les institutions publiques, et ce, en dépit du choix clairement exprimé dans la société. Voilà. Donc, il est temps de légiférer en la matière. On pense qu'il est temps de le faire, car, tant que la question ne sera pas réglée, le climat social, eh bien, peut continuer à s'envenimer.

Alors, dans ce cadre-là, nous déplorons tout particulièrement la confusion qui est entretenue par certains intervenants dans ce débat entre ethnicité, race, religion. Ainsi, on veut faire croire que la religion et même les pratiques et les signes religieux seraient des caractéristiques intrinsèques de la personne au même titre que le sexe ou la couleur de la peau. Il en résulte que toute interdiction de quelque signe religieux que ce soit, même s'il s'agit d'interdire le niqab à une enseignante, serait du racisme assimilé à de l'islamophobie. Cette redéfinition de la race ne fait qu'exacerber les clivages, nourrir les intimidateurs et les censeurs et miner le vivre-ensemble. Ce discours, qui est bien illustré par les tenants de la thèse sur le racisme systémique, n'offre aucune solution. Alors, nous appelons le législateur à ne pas s'égarer dans un tel brouillage idéologique qui vise à associer la laïcité à du racisme en usant d'amalgame entre race et religion.

Alors, pour ce qui est du cadre théorique du projet de loi, nous sommes en parfait accord avec la définition de la laïcité qui est énoncée, qui est basée sur les quatre principes fondamentaux que sont la séparation de l'État et des religions, la neutralité religieuse de l'État, l'égalité de tous les citoyens et citoyennes et la liberté de conscience et de religion.

La sécularisation des services publics et la déconfessionnalisation du système scolaire au Québec ont eu pour conséquences de mettre fin à la discrimination basée sur la religion et de permettre aux institutions de l'État de s'ouvrir à la diversité des convictions spirituelles et religieuses des citoyens de toutes origines. Il est paradoxal qu'on veuille maintenant nous faire croire que la laïcité, telle que définie dans ce projet de loi, brimerait des droits fondamentaux. La laïcité ne brime aucune liberté. Elle permet, au contraire, de garantir l'égalité entre les citoyens et la liberté de conscience et de religion.

Pour ce qui est de la neutralité religieuse, l'article 10 de la Loi de la fonction publique du Québec stipule que le fonctionnaire doit faire preuve de neutralité politique dans l'exercice de ses fonctions. Le présent projet de loi a simplement pour effet d'étendre cette obligation de neutralité à la neutralité religieuse. De la même façon, par exemple, qu'un policier ne peut porter un insigne d'un parti politique, il ne devrait pas pouvoir non plus afficher ses convictions religieuses. Ce sont des restrictions, parfaitement justifiées, à la liberté d'expression.

Ainsi, l'argument qui est souvent avancé à l'effet que c'est ce qu'il y a dans la tête et pas sur la tête qui compte, bien, ne tient pas. Parce qu'en dehors des compétences professionnelles, le C.V., tout ça, les diplômes de la personne, les compétences, ce qu'elles apportent aux élèves, ce qu'une personne a dans la tête relève de la liberté de conscience et, à ce titre, ne regarde pas l'État. Cependant, le signe religieux porté sur la tête ou alors dans le cou relève de l'expression religieuse, de la même façon qu'un insigne politique relève de l'expression politique. C'est cette liberté d'expression politique ou religieuse qui est restreinte en raison du devoir de réserve professionnel.

Alors, pour les exigences de la laïcité, les intentions du législateur à l'effet d'affirmer la laïcité de l'État sont claires. On trouve que c'est clair. Cependant, les exigences qui sont fixées afin d'assurer cette laïcité sont, à notre avis, très modestes, voire insuffisantes sous plusieurs angles.

Alors, nous comprenons, hein, qu'une loi ne puisse à elle seule régler toutes les entraves à la laïcité et nous acceptons certains compromis qui ont été faits. Mais, en tant que mères de famille et enseignantes, s'il y a un domaine dans lequel nous ne pouvons faire aucune concession, eh bien, c'est bien celui de la protection des enfants. Alors, là-dessus, je cède la parole à Leila pour nous parler de l'importance d'une école laïque.

• (11 h 40) •

Mme Bensalem (Leila) : Alors, bonjour. On entend beaucoup parler dans ce débat sur la laïcité du libre choix des enseignants à porter des signes religieux, mais jamais du droit à la liberté de conscience des enfants et de leurs parents. ...(panne de son) ...père de la Révolution tranquille appelle l'inversion de la priorité du respect des convictions, autrement dit, faire primer les convictions de l'enseignant sur le respect des convictions des élèves et des parents. Dans le cadre de ses fonctions, l'enseignant a le devoir de mettre tout en oeuvre pour assurer l'intérêt supérieur des enfants, et ce devoir devrait primer sur son droit à l'affichage de ses préférences religieuses.

Au Québec, on a retiré le crucifix des murs des écoles parce qu'on considérait qu'il était attentatoire à la liberté de conscience des élèves non catholiques. Alors, que dire des signes religieux de l'enseignante ou de l'enseignant? L'atteinte à la liberté de conscience de l'enfant est d'autant plus grande qu'il est en relation affective avec la personne qui lui enseigne et que celle-ci exerce une autorité morale sur l'enfant. Comment, par exemple, ne pas voir la pression qu'une enseignante portant le hidjab exerce, volontairement ou involontairement, sur les petites filles musulmanes? Comment une petite fille qui subirait des pressions familiales pour porter le voile pourrait-elle se confier à son enseignante ou à son éducatrice en service de garde si celle-ci est voilée?

Nous trouvons que les exigences concrètes pour s'assurer que l'école soit vraiment laïque sont insuffisantes. Nous recommandons notamment d'étendre l'interdiction des signes religieux à tous les employés des écoles, incluant les enseignantes et enseignants, le personnel de direction, le personnel de soutien, le personnel administratif et les éducatrices et éducateurs en service de garde.

De plus, selon les dispositions transitoires du présent projet de loi, les personnes déjà en poste au moment du dépôt du projet de loi pourront continuer à porter leurs signes religieux. Si le gouvernement va de l'avant avec une loi qui protège l'affichage des signes religieux de certains enseignants, il a la responsabilité de protéger également la liberté de conscience des parents et des élèves et de leur fournir des mécanismes pour exercer cette liberté de conscience.

Finalement, en lien avec l'école, nous tenons à dire quelques mots sur le cours d'éthique et de culture religieuse, qui formate les esprits à accepter toutes les pratiques religieuses, même les plus discriminatoires à l'égard des femmes.

Dans les manuels scolaires pour ce cours, les pratiques vestimentaires les plus ostentatoires sont mises de l'avant pour représenter les traditions religieuses et parfois sont associées à la diversité des tenues, comme la casquette, la robe de mariage ou les uniformes professionnels. Pire, les signes religieux étant juxtaposés sur les illustrations à la couleur de la peau et à d'autres caractéristiques physiques, il en ressort que l'interdiction de l'affichage religieux s'apparenterait à du racisme. Clairement, ce cours se trouve à être en porte-à-faux avec le présent projet de loi. Il est urgent d'agir dans ce dossier.

Par manque de temps, nous n'aborderons pas ici nos autres recommandations, qui se retrouvent dans notre mémoire.

Pour conclure, nous réitérons notre satisfaction face à la volonté d'affirmer la laïcité de l'État. On veut nous faire croire que ce projet de loi diviserait la population entre une majorité et certaines minorités ethnoreligieuses qui seraient discriminées par les exigences visant l'interdiction des signes religieux. Ce discours n'a aucun sens. Les partisans et les opposants à ce projet de loi ne se distinguent pas par leurs origines ethniques ni même par leurs religions, mais bien par leur conception du rôle d'un État démocratique.

Dans le cas des Québécoises et Québécois...

Le Président (M. Bachand) : ...s'il vous plaît, merci. Je vous demanderais de conclure.

Mme Bensalem (Leila) : Oui. O.K. Alors, pour conclure — je saute, là — nous pensons que ce projet de loi est un projet rassembleur qui rencontre l'adhésion d'une majorité de Québécoises et de Québécois de toutes origines et que, bonifié par nos recommandations, il peut devenir une loi de progrès social qui fera du Québec un modèle en Amérique du Nord et dans nos pays d'origine en matière de laïcité.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Je cède maintenant la parole à M. le ministre, s'il vous plaît.

M. Jolin-Barrette : Merci, M. le Président. Mme El-Mabrouk, Mme Bensalem, bonjour. Merci de contribuer aux travaux de la commission aujourd'hui à l'Assemblée nationale.

J'aimerais qu'on revienne sur la relation privilégiée qui existe entre les enseignants et les élèves, qu'on en discute davantage, puis d'avoir votre point de vue. Parce que tout à l'heure on va entendre M. Gérard Bouchard, et il s'est déjà exprimé dans les médias à l'effet que... l'idée d'interdire aux enseignants le port de signes religieux au motif qu'aucune donnée n'a fait la démonstration que cela avait un impact négatif chez les élèves. Vous, vous avez l'opinion contraire.

Alors, j'aimerais vous entendre... lorsqu'il y a des gens qui disent : Bien, supposons, ce n'est pas documenté, il n'y a pas de données, versus votre opinion en lien avec l'interdiction du port de signes religieux chez les enseignants.

Mme Bensalem (Leila) : ...mais, si on décide d'appliquer une loi sur la laïcité, c'est ça qui importe, en fait. Mais, moi, ce que je voudrais dire par rapport à ça, comme enseignante, c'est que les signes religieux n'ont pas juste un message religieux qu'ils envoient, mais les signes religieux ont aussi une charge politique. Alors, je m'explique.

Dans une classe, des petites filles iraniennes qui ont fui avec leurs parents la république islamique d'Iran, qui ont fui ces choses-là, qui ont fui l'obligation pour les femmes de porter le voile islamique et qui se retrouvent en classe avec une enseignante qui porte le voile, comment vont-elles se sentir face à ça, elles qui ont fui avec leurs parents toutes ces obligations qui sont faites aux femmes musulmanes et qui retrouvent ici, à Montréal, des femmes voilées, le hidjab, le niqab, hein? Voilà. Alors, ça, c'est une charge politique, c'est un problème dans une classe.

La kippa, parlons-en, parce qu'on n'en parle pas assez souvent. Des élèves palestiniennes dans une classe, face à un enseignant qui porte la kippa. Ils ont fui leur pays, ils ont fui les pratiques de l'État israélien, ils se retrouvent avec un enseignant qui porte un symbole qui les ramène à toutes ces choses qu'ils ont fuies. Voilà pour la charge politique.

Et le voile, je reviens au voile. Alors, j'ai parlé de charge politique. Là, je parle de ségrégation et de discrimination faite aux femmes, et ça n'est pas un modèle à transmettre à nos élèves.

Mme El-Mabrouk (Nadia) : Donc, si je peux continuer...

Le Président (M. Bachand) : ...oui.

Mme El-Mabrouk (Nadia) : Et donc, c'est ça, on ne dit pas... C'est un conditionnement. Les enseignants, donc, pour le voile, par exemple, bien, écoutez, ce n'est pas un endoctrinement, on ne dit pas que les hommes et les femmes qui portent des signes religieux veulent endoctriner les gens, mais c'est un conditionnement. Écoutez, on fait passer un message aux enfants à travers ça, et le message qu'on fait passer aux enfants musulmans est très important.

Alors, est-ce que ça nous importe, les enfants? Est-ce qu'on veut les protéger? Parce qu'une petite fille, je le répète, une petite fille qui n'a pas envie de porter le voile, et chez elle on lui dit : Oui, oui, une fille bien porte le voile, etc., donc, on la conditionne pour ne pas aller à la piscine comme son petit frère, et tout ça, bon... Et puis, à l'école, comment est-ce que cette petite fille va pouvoir se confier auprès de son enseignante, qui est normalement une personne... une intervenante de première ligne? Tous les enseignants devraient être des intervenants de première ligne. Eh bien, si elle est voilée, si elle transmet l'image que la femme musulmane est voilée... ou alors, à travers les manuels d'éthique et culture religieuse, quand on fait le lien, un lien direct entre l'islam et le voile...

Bon, alors, le voile, il a une double... c'est un double problème dans les écoles. Premièrement, il contrevient au principe de laïcité et, deuxièmement, il contrevient à l'égalité entre les hommes et les femmes parce qu'on fait passer aux filles qu'elles doivent se couvrir, que c'est à elles de se couvrir pour ne pas stimuler la concupiscence des hommes. Et donc c'est aussi, en fait... En fait, c'est une contrainte pour les femmes et c'est une insulte pour les hommes. Voilà. Alors, c'est...

Alors, ça contrevient à des valeurs fondamentales ici et donc à différentes... Ça contrevient à la mission de l'école sous plusieurs angles. Alors, il est temps de s'en occuper. Est-ce que nos enfants sont la priorité ou est-ce que ce n'est pas la priorité? La priorité, ça devrait être les enfants avant la protection de la... avant le libre choix des enseignants à afficher des signes religieux.

Le Président (M. Bachand) : M. le ministre.

• (11 h 50) •

M. Jolin-Barrette : Oui. M. Taylor et M. Maclure sont venus hier en commission parlementaire, et, notamment, de leurs propos et de leur mémoire, on dénote le fait que d'interdire le port de signes religieux, supposons, pour les enseignants, ce n'est pas approprié parce que ça ne dénote pas un acte de prosélytisme, le fait de porter un signe religieux. Dans le fond, ce qu'ils disent, notamment, c'est le fait que c'est le discours... le simple fait de porter un signe religieux, ça n'a aucun impact. Êtes-vous de cet avis-là ou ça a pour effet de créer une situation prosélytique?

Mme El-Mabrouk (Nadia) : Mais alors il faudrait supprimer l'article, dans le règlement de la fonction publique, qui dit qu'on devrait exprimer une neutralité politique parce que... Et est-ce qu'une épinglette d'un parti politique, donc, ne transmet aucun message? C'est pareil. Je suppose que quelqu'un qui va à l'école avec une épinglette de Québec solidaire ne fait pas du prosélytisme, mais c'est un affichage en soi.

Bon, alors, moi, il y a un exemple que j'aime bien donner, là. J'ai découvert... Vous savez, Lucky Luke, la bande dessinée de Lucky Luke, donc, on avait ce... voilà, c'est une bande dessinée, Lucky Luke, il fumait la cigarette. À un moment donné, on a considéré que ça envoyait un mauvais message aux enfants, alors on a demandé aux dessinateurs de remplacer la cigarette par une paille. Pourtant, c'est juste une bande dessinée, hein, il ne s'agit pas là de personnes en autorité qui ont de l'influence sur des enfants, qui sont en relation affective avec les enfants. Alors, si on considère que la cigarette de Lucky Luke transmet un message aux enfants, moi, je ne comprends pas comment on ne peut pas comprendre que des signes religieux transmettent des messages.

M. Jolin-Barrette : D'accord. M. le Président, je sais que mes collègues veulent poser certaines questions, je reviendrai par la suite.

Le Président (M. Bachand) : Merci, M. le ministre. Mme la députée de Bellechasse, s'il vous plaît.

Mme Lachance : Merci, M. le Président. Mesdames, merci d'être parmi nous. J'ai bien pris connaissance de votre mémoire. C'était clair, précis, intéressant. Il y a certains sujets que vous avez abordés, puis peut-être que j'aimerais vous entendre davantage sur le sujet. Vous parlez de la discrimination et du racisme. Ce que j'aimerais savoir, c'est : Vous, en tant que femmes, en tant que féministes, en tant aussi... de Québécoises d'origine algérienne et tunisienne, comment réagissez-vous face aux critiques qui sont faites de la loi, du projet de loi concernant le racisme et la discrimination?

Mme El-Mabrouk (Nadia) : Bien, je trouve qu'il y a lieu de se questionner sur cette déferlante d'attaques contre un projet, bon, premièrement, qui reçoit l'adhésion de la majorité d'une population, quand même. On est dans une société démocratique, il faudrait reconnaître ça. Mais l'avalanche de commentaires aussi incroyables les uns que les autres, c'est démesuré. Alors, quand même, on peut se poser la question sur cette volonté absolument de garder des signes religieux en disant : Non, non, on n'est pas intégristes, mais on veut garder... Écoutez, il y a quelque chose qui se passe quand même. Je pense que c'est inquiétant.

Deuxièmement, on n'arrête pas de vouloir passer le message que c'est un projet de loi qui est fait par une majorité, on ne sait pas, une majorité blanche de souche, c'est ça qu'on entend, qui serait contre les minorités. Mais c'est complètement faux. On a une majorité, oui, qui a voté, mais qui est de toutes origines. Je ne vois pas pourquoi on prétend ça.

Et alors on a beau multiplier les messages, montrer... On a demandé, hein, à plusieurs personnes de dire leurs visions de la laïcité. C'est des Algériens, des gens de partout, écoutez, je ne vais pas nommer les nationalités, on est beaucoup. Il y a les Kabyles, là, samedi, qui font une conférence sur la laïcité, bien, qui sont pour une réelle séparation de fait et d'apparence de l'État et des religions. On est là, on s'exprime, mais, malgré ça, on nous dit : Non, non, c'est contre les minorités.

Alors, ce que je dis, c'est que ça ne se divise pas comme ça, les partisans et ceux qui sont contre le projet de loi, ça ne se divise pas par religions, ça ne se divise pas par ethnies. Ça se divise par visions, la vision de ce que c'est qu'un État démocratique laïque.

Le Président (M. Bachand) : Mme la députée de Bellechasse.

Mme Bensalem (Leila) : Moi, je voudrais répondre aussi à ça.

Le Président (M. Bachand) : ...

Mme Bensalem (Leila) : Écoutez, il s'agit d'un combat que beaucoup de musulmans démocrates mènent dans leurs propres pays. Et ce n'est pas nouveau, ce n'est pas récent. Parce que, dans les pays musulmans, l'islam est inscrit dans la constitution comme étant la religion d'État. Alors, de là, moi, je fais un parallèle entre des personnes qui viennent de ces pays-là où l'islam fait partie de la vie quotidienne, qui régit le quotidien au jour le jour, tout le temps, et, en fait, qui se retrouvent probablement en porte-à-faux dans des démocraties où la laïcité est quelque chose de tout à fait naturel, de tout à fait normal. Alors, c'est sûr qu'on est beaucoup plus qui pensons la même chose que nous, mais malheureusement c'est la minorité vociférante qui se fait entendre.

Alors, on encourage, nous, les personnes à s'exprimer, et tout ça, mais, c'est ce que je disais avant d'entrer ici, les personnes... Il y a beaucoup de gens qui n'apprécient pas d'être traités d'islamophobes, de racistes, de xénophobes, bon. Mais il faut aller au-delà de ça puis il faut continuer à défendre les valeurs auxquelles nous croyons. C'est ça. Mais c'est sûr qu'il y aura toujours une opposition, notamment avec le déferlement de l'islam politique depuis quelques années. C'est sûr que la laïcité ne sourit pas à ces gens-là, évidemment, parce qu'ils en font un projet politique. C'est ça, le problème. Alors, la laïcité est aux antipodes de leurs croyances et des valeurs qu'ils défendent. C'est ce qu'on retrouve ici aussi, malheureusement.

Mme Lachance : Merci, M. le Président.

Le Président (M. Bachand) : Merci. Mme la députée de Les Plaines.

Mme Lecours (Les Plaines) : Merci beaucoup, M. le Président. Tout d'abord, permettez-moi de vous saluer à nouveau, comme nos collègues ici, de saluer aussi le fait qu'on vous a vues sur plusieurs tribunes, on vous a lues également dans plusieurs médias avec... Et, bien évidemment, nous avons lu votre mémoire, comme tous les autres que nous avons reçus. Alors, merci beaucoup de votre présence aujourd'hui.

Je vous amène un petit peu sur le même terrain. Vous disiez tout à l'heure que le port du voile pour les enseignantes — les enseignantes, évidemment — n'est pas nécessairement un bon modèle pour les enfants qui sont dans ces classes-là. Moi, je vous amène, comme je vous dis, un peu sur la même tranchée, en vous demandant si vous pensez un peu comme le Conseil du statut de la femme qui, dans un avis de 2011, disait que la laïcité, c'est la voie vers... c'est, à tout le moins, une bonne tranchée vers l'égalité hommes-femmes, ce qui n'est pas encore... la vraie égalité hommes-femmes, on va dire.

Mme El-Mabrouk (Nadia) : Oui, c'est ça. La laïcité permet de s'assurer que les règles religieuses qui sont défavorables aux femmes, dans la plupart du temps, eh bien, n'empiètent pas sur les règles démocratiques qui découlent, bien, d'un choix de société, qui sont votées démocratiquement. Et donc, bien, c'est ça, c'est simplement ça, en fait, ça va avec la démocratie. La laïcité, c'est simplement de dire qu'on ne peut pas permettre que des règles religieuses, eh bien, c'est ça, viennent remplacer, viennent par-dessus les choix de société, les valeurs d'égalité, tout ça. Voilà. Oui.

Mme Lecours (Les Plaines) : Merci beaucoup.

Le Président (M. Bachand) : Ça va. D'autres questions? M. le ministre, s'il vous plaît.

M. Jolin-Barrette : Dans la conclusion de votre mémoire, là, vous dites : «...la liberté de religion ne doit pas prendre la forme d'un superdroit qui aurait préséance sur la liberté de conscience. L'exigence de neutralité dans l'affichage religieux des agents de l'État ne constitue pas une limitation discriminatoire quant à la liberté religieuse des personnes. C'est plutôt une restriction, parfaitement justifiée, à la liberté d'expression, du fait que les droits fondamentaux comportent aussi le devoir de respecter les droits fondamentaux des autres citoyens.» C'est dans votre mémoire, à la page 23-24.

J'aimerais ça savoir ce que vous voulez dire par là. Vous ne voulez pas, dans le fond, dire qu'il n'y a pas de hiérarchisation des droits. Tous les droits doivent s'interpréter les uns par rapport aux autres. C'est ça?

Mme El-Mabrouk (Nadia) : Oui, c'est ça. Bon, alors, en tout cas, nous, on apprécie beaucoup la partie de la loi où vous dites qu'il s'agit d'affirmer la laïcité de l'État en assurant un équilibre entre les droits collectifs de la nation québécoise et les droits et les libertés de la personne. C'est-à-dire qu'au-delà des droits des individus la responsabilité du gouvernement est de veiller au bien commun. Et donc il y a les droits collectifs aussi qu'il faut protéger, tout à fait, oui.

Et puis, bien, pour ce qui est de la liberté de religion, oui, on a vu que la liberté de religion prenait souvent le dessus sur la liberté de conscience. La liberté de conscience, c'est la liberté de croire et de ne pas croire, hein? Par exemple, en politique, on a la liberté de croire ce qu'on veut, de militer pour un parti. Voilà. Et, quand on se présente, quand on est enseignant dans une école, par contre, eh bien, il y a une liberté d'expression qui... on ne va pas... c'est ça, là. La restriction, par exemple, à l'affichage politique, eh bien, ça restreint la liberté d'expression politique. Ça ne vient pas limiter la liberté de conscience, la liberté de conviction politique.

Alors, c'est pareil, on ne dit pas... C'est la même affaire, il s'agit de liberté d'expression qui est limitée parce qu'on doit faire... Parce que, quand on est au service de l'État, quand on est professeur, on n'est pas là en tant que mère de famille, on n'est pas là en tant que musulman, je ne sais pas. On est là en tant qu'enseignant qui doit transmettre des valeurs et, voilà, qui doit suivre le... quoi? J'oublie toujours le mot.

• (12 heures) •

M. Jolin-Barrette : Considérez-vous que c'est légitime que le genre de décision qui est pris sur l'organisation de la société, par rapport au rapport entre l'État et aux religions, ça soit décidé ici, à l'Assemblée nationale, plutôt que devant les tribunaux?

Mme El-Mabrouk (Nadia) : Tout à fait, oui. Oui. Je pense que, oui, le Parlement, les élus devraient avoir préséance sur le juridique, tout à fait.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Désolé, M. le ministre. Je cède la parole maintenant à l'opposition officielle. Mme la députée de Marguerite-Bourgeoys, s'il vous plaît.

Mme David : Oui. Bonjour, mesdames. Merci une seconde, ou une troisième, ou une quatrième fois de venir à différents moments dans ce long débat nécessaire. Vous ne m'entendrez jamais prononcer le mot «traîner». Un débat aussi important que ça, ça ne traîne pas dans la société, ça existe dans la société comme ça existe dans toutes les sociétés démocratiques. Alors, il est très sain de faire ce débat et il n'aura pas de fin le 14, 15, 16 juin, ou quand que sera... quelle que soit la date à laquelle, peut-être, nous terminerons pour le projet de loi n° 21. Il est évident que le débat ne sera pas terminé sur cette question de l'inclusion et du vivre-ensemble.

J'ai été, dès la troisième ligne, assez interpelée, dans votre sommaire, quand vous dites : «En tant que Québécoises originaires de pays musulmans, il nous semble important de faire connaître notre vision profondément féministe, progressiste et laïque de la société...» Et tout de suite j'ai pensé à deux organisations, et non les moindres, qui, dans leur vision très réfléchie de ces questions-là, se décrivent comme profondément féministes, progressistes et laïques, mais qui ont une tout autre position que vous.

Alors, je pense à la Fédération des femmes du Québec qui, le 28 octobre 2018, ça ne fait pas longtemps, ça, a tenu toute une journée d'étude sur la question, la question du port du voile en particulier, et qui conclut, dans un long texte dont avez peut-être pris connaissance, deux attendus, entre autres :

«Attendu que de forcer une femme à se dévêtir n'est pas plus féministe que de forcer une femme à se couvrir;

«Attendu qu'il y a autant de significations données au port du [voile, du port du] foulard que de femmes musulmanes qui choisissent de le porter», et ils citent à ce propos l'interview de Faïza Zerouala, que vous connaissez sûrement, autrice de la recherche Des voiles derrière le voile.

La FFQ représente plus de 300 organismes féministes. La Fédération des femmes du Québec, c'est vraiment emblématique du mouvement des femmes au Québec, et on ne pourra certainement pas accuser la FFQ de ne pas être féministe. Alors, quand on représente 300 organisations qui se sont penchées profondément sur la question et qui arrivent à deux attendus comme ça...

Et l'autre exemple que je vais donner, mais là je vais laisser mes collègues de Québec solidaire en parler, c'est quand même un parti qui... Dès sa naissance, Québec solidaire s'est dit... d'ailleurs un peu à la surprise de tout le monde, puis c'est rentré finalement dans l'esprit de tous que c'est un parti qui est profondément féministe à sa base, progressiste et laïque et qui, justement, se loge aussi contre le projet de loi n° 21. Donc, on peut être à la fois féministe, progressiste et laïque et être tout à fait d'une autre option que vous.

Je pense, pour terminer sur cette introduction, je vous donnerai le temps évidemment de répondre, qu'il y a un autre livre qui est très, très intéressant et qui s'appelle Les monologues du voile, de Kenza Bennis, en 2017, ça ne fait pas longtemps. Qui est Kenza Bennis? C'est une Marocaine, une journaliste qui se décrit elle-même comme femme féministe et musulmane et qui nous expose, dans ce livre fort intéressant, que j'en jouis tout le long de le lire, qui se lit très, très bien... Ce sont des témoignages de femmes, et ce ne sont pas des témoignages seulement d'un côté, mais il y a aussi plusieurs angles et plusieurs raisons pour porter le voile.

Alors, j'aimerais vous entendre, parce que tout le reste du mémoire découle de la position de départ, que voile égale beaucoup, beaucoup de choses qui sont, je dirais, univoques et non pas multivoques. Alors, j'aimerais vraiment vous entendre sur votre première définition de qui vous êtes vous-mêmes.

Mme El-Mabrouk (Nadia) : Alors, moi, je suis féministe et puis j'explique dans mon mémoire... Écoutez, le mémoire explique ce que c'est pour moi être féministe, qu'est-ce que c'est être laïque, et, oui, en effet, j'ai des positions qui ne correspondent pas du tout à la position de la Fédération des femmes du Québec. Je pense qu'on l'aura compris.

Moi, je trouve que, de nos jours, on prend les mêmes mots et puis on les détourne de leur sens. C'est une réalité, on l'a vu avec beaucoup de mots, «féminisme», «laïcité», «racisme». Donc, moi, je déplore cette dérive de prendre les mots et d'en faire autre chose. Pour moi, le féminisme... bien sûr, il y a des femmes qui choisissent de porter le voile, mais ce n'est pas... Un choix qui est fait par une femme n'est pas nécessairement un choix féministe, ce n'est pas un choix qui amène à l'émancipation des femmes. On parle à des choix de société. En tant que société, quels sont les choix qui mènent à l'émancipation?

Alors, même si on essaie de changer le voile de sa signification, je veux bien, mais c'est quand même une pratique qui dit qu'une femme doit se couvrir les cheveux, tout le corps, sauf les mains et les pieds, devant tout homme qui n'est pas son père, son mari, son fils, son oncle. Alors donc, c'est clairement... Pourquoi? Alors, parce qu'une femme doit se couvrir, c'est parce que c'est pour être une femme bien. Et donc, voilà donc, ça transmet cette vision-là, alors ça ne permet pas de faire cheminer les femmes vers une émancipation du patriarcat. Alors, oui, décider que son identité se définit en fonction du regard de l'homme, je ne trouve pas que ça soit une vision féministe.

Donc, non, voilà, donc, en effet, je suis féministe, mais je ne suis pas d'accord avec la position antiféministe, qui se dit féministe, de la Fédération des femmes du Québec.

Mme David : Alors, écoutez, on pourrait avoir de longues conversations très universitaires — on a un peu un parcours universitaire toutes les deux — sur la question des femmes qui se définissent en fonction du regard de l'homme. On pourrait autant dire que, dans le côté sexy, dans le côté mini-jupe, dans le côté de l'apparence occidentale, il y a certainement une définition par rapport au regard des hommes. Il y a quelques hommes ici qui pourraient certainement témoigner de cette situation-là, et beaucoup de femmes aussi. Donc, la question du regard de l'autre en général, faisons un peu de philosophie, elle est importante qu'il y ait voile ou qu'il n'y ait pas voile.

Alors, moi, la prémisse est bien antérieure à celle-là. Quand vous dites qu'une femme porte un voile parce que l'homme lui demande, est-ce que je pourrais respectueusement...

Mme El-Mabrouk (Nadia) : Non, je n'ai pas dit ça...

Mme David : ...non, mais pour faire plaisir à l'homme, respectueusement vous dire que, dans plusieurs témoignages, les femmes disent qu'elles le portent totalement volontairement, en fonction d'une croyance sincère qui... une croyance sincère, autonome et indépendante, même souvent contre l'idée du mari, on l'a beaucoup entendu, et des enfants qui disent : Bien, maman, pourquoi tu fais ça? «Parce que j'ai une croyance sincère.»

À la page 19, vous dites que la décision de la Cour suprême, les décisions qui ont avalisé le principe de la croyance sincère, qui ont ouvert la porte à de nombreuses dérives... Alors, même, vous remettez en question cette notion quand même avalisée par la Cour suprême.

Mme El-Mabrouk (Nadia) : Tout à fait.

Mme David : C'est pour ça que je dis que notre discussion, elle part de la première ligne de votre mémoire, mais elle se poursuit...

Mme El-Mabrouk (Nadia) : Oui, parce que la cour, elle avalise des règlements... enfin, en tout cas, elle part sur l'idée de croyance sincère, que la religion serait une partie, donc, intégrante de la personne. Si on dit ça, eh bien, on va à l'encontre de l'idée que la religion serait une liberté. Alors donc, dans ce cas-là, si on considère que la religion fait partie intégrante de la personne, eh bien, ça va à l'encontre de la vision de la liberté de religion parce que, dans ce cas-là, on n'a pas la liberté de changer de religion. Voilà.

Et puis le Québec a déjà statué, en fait. Lorsque les chartes ont été... Les chartes des droits et libertés de la personne, ça fait en sorte que la religion ne soit plus un marqueur de la personne. Ça fait en sorte, par exemple, qu'un employeur ne puisse plus demander la religion de son employé. Alors donc, on a déjà aussi statué au Québec sur le fait que la religion était du domaine du privé, qu'on ne peut pas demander la religion.

• (12 h 10) •

Le Président (M. Bachand) : Merci. Il y avait Mme Bensalem. Très rapidement, s'il vous plaît.

Mme Bensalem (Leila) : Ça ne va pas être très long. Moi, ce que je voudrais dire par rapport à ça, c'est que mettre, dans la même phrase, «femme voilée» et «féministe», c'est antinomique. C'est comme si, à la FFQ, au nom de la liberté, on se bat pour l'oppression.

La dernière chose que je voudrais dire, c'est que... Qu'est-ce qu'on fait avec toutes les femmes en Iran, en Arabie saoudite qui essaient de se libérer, justement, du port du voile, qui mettent leur vie en danger pour se sentir libre pour une fois? Qu'est-ce qu'elles disent à ces femmes-là? Parce que, là, à la FFQ et à Québec solidaire, on est complètement, totalement...

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup, Mme Bensalem. Je suis désolé, le temps...

Mme Bensalem (Leila) : ...à contre-courant de la liberté des femmes musulmanes.

Le Président (M. Bachand) : Merci. Mme la députée de Marguerite-Bourgeoys, s'il vous plaît.

Mme David : Oui. Alors, on revient beaucoup à cette notion, à travers tout le mémoire, qui parle d'islam politique. Alors là, on est rendu même dans un autre débat complètement, qui est le débat qui peut se passer dans d'autres pays. On est ici dans une lecture de la Charte des droits et libertés qui est un petit peu étonnante, quand même, parce que ce que nous défendons, justement, c'est justement le respect de cette Charte des droits et libertés, qui a donné la liberté de religion comme une des libertés fondamentales. Et c'est la liberté de quoi? Justement de ne pas avoir de discrimination, alors que vous êtes complètement dans la posture de discriminer justement les femmes qui n'auraient plus cette liberté de religion en ce qui a trait aux enseignantes.

Le Président (M. Bachand) : Mme El-Mabrouk.

Mme El-Mabrouk (Nadia) : On peut le dire, mais moi, je vous dis que la laïcité, justement, ça permet de minimiser au maximum les discriminations qui sont dues à la religion. Et puis, s'il y a une discrimination parce que c'est les femmes qui portent le voile, pas les hommes, mais c'est... La discrimination n'est pas due au gouvernement qui la légifère, elle est due à la religion.

Mais nous, ici, nous sommes des musulmanes qui ne considérons pas que le voile fait partie... De toute façon, ce n'est pas dans les cinq piliers de l'islam. C'est une interprétation d'un verset coranique qui, même s'il est accepté, ne fait pas partie des bases de l'islam.

Mais, s'il y a discrimination, c'est bien la discrimination de la religion dont il faut parler. Et moi, j'aimerais ça qu'on se penche aussi sur la liberté, sur la discrimination que vivent les femmes ici, au Québec, et là il y a plusieurs exemples ici aussi, au Québec. Et, bien qu'elles le portent... bien, qui sont forcées de le porter, comment... Est-ce qu'on pense à protéger leur liberté de conscience, et leur liberté de religion, et leur intégrité, à ces femmes-là? Moi, je l'entends très peu, parce qu'on les voit moins, c'est certain. Mais ce n'est pas parce qu'on les voit moins que ça n'existe pas.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. M. le député de Jean-Lesage, s'il vous plaît.

M. Zanetti : Je vous remercie, M. le Président. Merci beaucoup pour votre contribution et votre présence ici. Brièvement, là, quelle est la menace urgente à la laïcité de l'État québécois qui justifie qu'on limite les droits et libertés de la personne?

Mme El-Mabrouk (Nadia) : ...enfants sont importants. On a décidé, dans notre société... Bien, écoutez, il y a aussi... Je suis tout à fait d'accord avec... Nous, on parle beaucoup de l'école, pas des policiers, et tout ça, mais, à l'école, je pense qu'on a bien vu, hein, qu'il fallait que l'enfant soit au centre des préoccupations. Alors, avant de parler des droits des adultes, pensons avant tout aux enfants.

Et moi, je pense qu'il y a urgence, en effet, de protéger la liberté de conscience des enfants, de leur offrir un milieu neutre d'un point de vue religieux, parce que les religions, bien oui, il y a beaucoup de... il y a une charge qui vient avec ça.

Alors, Leila a parlé, par exemple, de Palestiniens qui viendraient ici ou alors, je ne sais pas, de... L'école est pour toutes les familles du Québec, alors on n'a pas à afficher des convictions religieuses qui iraient à l'encontre des enfants. Alors donc, je pense... Et puis les enfants, en effet, c'est du personnel vulnérable, et captif, et très...

Le Président (M. Bachand) : M. le député de Jean-Lesage, s'il vous plaît.

Mme El-Mabrouk (Nadia) : ...on peut les conditionner.

M. Zanetti : J'ai peu de temps et je veux en savoir beaucoup. Est-ce qu'il y a des données sur, d'une part, la radicalisation dans les écoles du Québec et le lien avec les quelques professeures musulmanes qui portent le voile?

Mme El-Mabrouk (Nadia) : Est-ce qu'il y a des données sur le fait que, si je m'habille en... si je mets un truc de McDo, si je... Est-ce qu'il y a des données sur le fait de s'habiller en homme-sandwich McDonald, ça fait que les gens ne mangeront plus de hamburgers? Écoutez, l'affichage, la publicité, il n'y a pas besoin de données pour savoir que ça conditionne les personnes. Si on n'était pas convaincus du conditionnement de l'affichage, eh bien, il n'y en aurait pas, des publicités. Alors, voilà.

Maintenant, deuxièmement, je pense qu'on n'a pas besoin d'attendre que ça aille mal. Je pense que la responsabilité d'un gouvernement est d'agir avant qu'il y ait des débordements. Il n'y a pas besoin d'attendre qu'il y ait des débordements pour avoir la paix sociale. Il faut prévenir les débordements qu'il pourrait y avoir. Alors, je pense que c'est, bien, une solution de bon sens, voilà, de légiférer...

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. M. le député.

Mme El-Mabrouk (Nadia) : ...avant qu'il y ait des vrais problèmes.

Le Président (M. Bachand) : M. le député de Matane-Matapédia, s'il vous plaît.

M. Bérubé : Merci, M. le Président. Alors, bienvenue, mesdames. Alors, au Parti québécois, nous croyons à la liberté de conscience des enfants et de leurs parents. C'est quelque chose qui est important pour nous, et, comme on parle de l'école, restons dans cette veine.

Vous avez évoqué un thème qui ne se retrouve pas dans le projet de loi, mais qui fait appel à la cohérence, et je parle du cours d'éthique et culture religieuse. Sachez que, récemment, on a proposé au gouvernement d'abolir, à tout le moins de modifier de façon substantielle toute la partie de culture religieuse de ce programme. Nous croyons que, si le gouvernement est cohérent, il enverra un message durant cette session parlementaire, à travers le ministre de l'Éducation, que ça sera refondé ou que ça sera réformé de façon considérable. Nous attendons ce message. Ça sera un gage de la cohérence du gouvernement que le ministre de l'Éducation annonce cela.

Nous sommes la seule formation politique à porter ce message, mais nous ne sommes pas seuls, parce que vous portez également ce souhait. Alors, j'aimerais profiter de ce moment pour que vous puissiez nous expliquer davantage pourquoi, selon vous, il faut retirer toute la section culture religieuse du cours d'éthique et culture religieuse.

Mme El-Mabrouk (Nadia) : Bon, écoutez, moi, ça fait longtemps que je signale aux différents gouvernements le constat que je vois, là, le constat alarmant dans ce que me rapportent mes enfants de l'école. Mais aussi je suis allée voir tous les manuels scolaires pour le primaire, et c'est... Écoutez, par exemple, bien, pour ce qui est de l'islam, par exemple, puisqu'on parle de l'islam ici — nous, on est bien placées pour en parler — écoutez, c'est ça, on fait passer le message que le voile, c'est un marqueur de l'islam. Alors, après ça, on ne s'étonne pas, là. Nous, ça nous inquiète, par exemple, de voir des petites filles, de plus en plus, qui sont voilées. Même chez nous, ça n'existe pas, des enfants prépubères de huit ans, de neuf ans qui sont voilées, qui portent un voile... en tout cas, serré sur la tête, mais, écoutez, ça n'existe pas même chez nous. Et, dans les manuels scolaires, eh bien, on fait passer... Il y en a plein, des petites filles voilées, dans les manuels scolaires.

Pour ce qui est de la laïcité, eh bien, écoutez, à travers... c'est du conditionnement, c'est du formatage d'esprit, ce cours-là. On fait passer... Tu sais, les enfants sont supposés accepter, être ouverts à toutes les formes de pratique religieuse, quel que soit leur...

Le Président (M. Bachand) : 30 secondes, M. le député.

Mme El-Mabrouk (Nadia) : Voilà. Et donc quelque limitation que ce soit serait du racisme.

M. Bérubé : Une dernière question.

Le Président (M. Bachand) : ...30 secondes, M. le député.

M. Bérubé : J'y allais. Êtes-vous d'avis que ce cours offre une représentation stéréotypée des religions, qu'il vous importe comme il nous importe de modifier au nom de la liberté de conscience des enfants et des parents?

Mme El-Mabrouk (Nadia) : Oui.

M. Bérubé : Pas d'autre question, M. le Président.

Le Président (M. Bachand) : Merci infiniment. Sur ce, merci beaucoup de votre contribution aux travaux de la commission.

Cela dit, je vais suspendre les travaux quelques instants pour que le prochain groupe prenne place. Merci.

(Suspension de la séance à 12 h 19)

(Reprise à 12 h 21)

Le Président (M. Bachand) : Alors, à l'ordre, s'il vous plaît! La commission va reprendre ses travaux.

Je souhaite maintenant la bienvenue à l'Association des musulmans et des Arabes pour la laïcité au Québec. Je vous rappelle que vous avez 10 minutes pour votre exposé, et par après nous aurons une période d'échange avec les membres de la commission. Alors, bienvenue, et je vous laisse la parole. Merci.

Association des musulmans et des Arabes pour
la laïcité au Québec (AMAL-Québec)

M. Bouazzi (Haroun) : M. le Président, M. le ministre, Mmes et MM. les députés de l'Assemblée nationale, bonjour. Au nom de l'Association des musulmans et des Arabes pour la laïcité au Québec, je vous remercie de nous recevoir aujourd'hui pour nous permettre de défendre notre mémoire.

Alors, en quelques mots, d'abord, l'association AMAL-Québec existe depuis juin 2012 et, à travers son travail de terrain, à travers les conférences qu'elle organise, les rassemblements qu'elle a avec les jeunes, les différentes participations en commission parlementaire, elle espère participer positivement à des enjeux importants d'inclusion, de vivre-ensemble, de lutte contre les discriminations, contre le racisme et, bien sûr, de défense de la laïcité des institutions de l'État.

Alors, d'abord, commençons par dire que la laïcité est un outil démocratique très important dans une démocratie, qui vise à favoriser la cohabitation et le vivre-ensemble. Nous sommes d'ailleurs d'accord dans pratiquement la totalité de l'article 1, à part une nuance dont on va parler après, dans la définition que se donne le projet de loi n° 21 de la laïcité.

Malheureusement, le reste du projet, à nos yeux, est très problématique, et c'est ce que nous allons exposer à travers quatre points principaux. D'abord, pourquoi est-ce que le projet de loi, à nos yeux, est antilaïque ou contre le principe de laïcité; deuxièmement, pourquoi il brutalise les principes démocratiques; troisièmement, pourquoi il cautionne moralement l'exclusion dans nos sociétés; et, enfin, pourquoi ce projet de loi est susceptible de pousser au repli communautaire.

Alors, d'abord, la laïcité. Commençons par dire que le projet de loi apporte une certaine confusion dans la définition de la séparation, étant donné que la laïcité n'est pas la séparation de la religion et de l'État, mais la séparation des institutions religieuses des institutions de l'État, hein? Quand originalement on parlait de la séparation des Églises et de l'État, les Églises, c'est les institutions religieuses. D'ailleurs, on s'étonne de cette confusion, étant donné que, dans l'histoire de notre nation, les bâtisseurs, les catalyseurs de ce processus de laïcisation, donc les hommes et les femmes politiques qui ont participé à la Révolution tranquille, avaient très bien compris le principe. Plusieurs d'entre eux ne se cachaient pas d'être des catholiques progressistes pratiquants, mais qui pensaient que, pour se doter d'un État moderne, d'un État démocratique, il fallait faire cette séparation entre les institutions religieuses, principalement l'Église catholique, mais pas seulement, et les institutions de l'État.

Ensuite, il y a le noeud du problème, évidemment, qui est la question de l'interdiction des signes religieux, et cette interdiction est contraire à trois des quatre principes qui sont énoncés à l'article 1 du projet de loi n° 21. En effet, la laïcité doit garantir la liberté de conscience. Elle a le droit de limiter la liberté de conscience, mais, pour cela, il faut avoir un certain nombre de critères rationnels, défendables devant les tribunaux. On peut parler d'un certain nombre de critères tels que l'atteinte à la liberté des autres, un problème de sécurité publique, de santé publique, une atteinte à l'ordre public, mais le fait qu'un signe religieux soit visible ou même invisible, comme l'a dit en entrevue M. le ministre, n'est pas un critère valide. Se plier à la volonté de la majorité l'est encore moins en matière de droits fondamentaux dans un État démocratique et laïque.

Quant à la neutralité de l'État, la neutralité de l'État implique que les politiques publiques, les lois ne favorisent pas et ne défavorisent pas les gens en fonction de leurs croyances. Or, le projet de loi, dans les faits, va défavoriser des membres des minorités religieuses sikhe, musulmane et juive, principalement, et donc va porter atteinte à la neutralité elle-même, qui, encore une fois, est définie dans l'article n° 1 du projet de loi.

Ensuite, notre deuxième point consiste à parler de la brutalisation de nos principes démocratiques. Dans notre démocratie, la majorité choisie qui gouverne, et les droits des minorités demeurent protégés. Un État peut limiter des droits fondamentaux, y compris le droit à la liberté religieuse, si et seulement si il y a un problème urgent et réel à résoudre et qu'il choisit un moyen qui est nécessaire et proportionnel, hein? On peut penser à... la défense de la langue française, par exemple, est une bonne raison, si tous ces critères-là s'appliquent.

Or, ce projet de loi non seulement contrevient à ce principe, mais va encore plus loin, puisqu'il utilise une clause dérogatoire pour outrepasser le principal contre-pouvoir prévu contre le risque de la dictature de la majorité. Ensuite, et c'est aussi très grave pour notre démocratie, le gouvernement va modifier la Charte des droits et libertés, et vraisemblablement il n'y aura pas de consensus pour la changer, étant donné qu'il est possible que la première et la deuxième opposition ne votent pas le projet de loi. Et ça, ça attaque directement le principe que la charte des droits et libertés québécoise est une loi semi-constitutionnelle, et ça la délègue au rang d'une simple loi qui serait modifiable au gré des gens qui arrivent au pouvoir, gouvernement après gouvernement.

Ensuite, notre troisième point, c'est la question de caution morale à l'exclusion. En effet, un gouvernement, à travers ses lois, ses politiques publiques, établit ce qui est acceptable et ce qui ne l'est pas dans une société. Or, le message, ici, est clair : il est acceptable de discriminer, d'exclure des membres de minorités sans raison valable. Et on peut très bien imaginer que les conséquences vont toucher plus que les minorités visées par le projet de loi, et pas seulement les corps de métier qui sont visés par le projet de loi, mais aussi dans le privé, par exemple, ou d'autres secteurs, d'autres corps de métier du secteur public. Évidemment, la clause de disparité de traitement introduite pour reporter l'application de telles injustices sur les générations futures et les nouveaux arrivants n'enlève rien à la gravité du projet de loi.

Ensuite, notre quatrième point, et dernier, c'est la question que le projet de loi est susceptible de pousser au repli communautaire, hein? Nous avons expliqué dans notre mémoire qu'historiquement l'exclusion institutionnalisée pousse les communautés à se regrouper dans des quartiers particuliers ou à créer leurs propres institutions pour éviter la confrontation avec la violence du rejet. Les communautés musulmanes sont, à plusieurs égards, très bien intégrées au Québec, pour l'extrême majorité, sont francophones. Elles ne sont pas concentrées géographiquement, on en trouve à l'est de Montréal, à Laval, à Québec, ou même à Trois-Rivières, ou à Sept-Îles, et, pour l'extrême majorité d'entre elles, ne mettent pas leurs enfants dans des écoles confessionnelles. Il serait dommage et dommageable, pour le Québec et pour les communautés, que cette tendance s'inverse.

Je ne peux pas d'ailleurs m'empêcher de penser à d'autres victimes, dont on ne parle pas assez, qui sont les prochaines générations de Québécoises et de Québécois. Ces personnes qui n'ont jamais remis en cause leur québécitude, leur appartenance à la société, à la nation québécoise vont voir leurs parents discriminés et stigmatisés par un débat public, par une société qu'ils, jusque-là, voyaient comme la leur. Ils vont passer par des sentiments d'humiliation et d'injustice qui provoqueront de l'amertume et, parfois même, de l'animosité. On a du mal à voir quel temps ça va prendre, peut-être même plus qu'une génération, pour corriger les blessures et panser les blessures qui sont dues à ce projet de loi.

• (12 h 30) •

Alors, en guise de conclusion, nous aurions aimé appuyer aujourd'hui une laïcité qui n'est pas falsifiée, une laïcité qui pourrait nous sortir du débat stérile qui empoisonne notre débat public. Malheureusement, nous sommes contraints à nous opposer à ce projet de loi. Ceci étant dit, étant donné le sérieux de la délibération démocratique à laquelle nous participons, à laquelle nous accordons... nous avons émis des recommandations qui ciblent les aspects les plus problématiques du projet, et nous espérons, M. le ministre, que vous saurez en tenir compte.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Nous avons un léger retard, et, si on ne veut pas empiéter sur le temps de tous et chacun, j'ai besoin d'un consentement pour ajouter six minutes à l'heure de séance. Est-ce qu'il y a consentement? Je sais que vous avez... tout le monde est très occupé, mais... Six minutes? Consentement? Merci infiniment. M. le ministre, s'il vous plaît.

M. Jolin-Barrette : Merci, M. le Président. M. Bouazzi, bonjour et bienvenue. Merci d'être présent aujourd'hui à l'Assemblée nationale. Juste sur votre dernière phrase, vous dites que vous êtes contraints de ne pas donner votre appui au projet de loi. On n'est jamais contraints, c'est un choix que l'on fait et que vous faites. D'entrée de jeu, je vous dirais, bien : Qu'est-ce qui est bon dans le projet de loi? Parce que j'ai entendu beaucoup de critiques, mais j'aimerais savoir quels sont les éléments positifs que vous trouvez au projet de loi.

M. Bouazzi (Haroun) : Malheureusement, nous ne sommes effectivement pas contraints, mais nous sommes contraints devant le projet de loi. Et vous n'êtes pas non plus contraints d'interdire les signes religieux et vous avez décidé de le faire. Nous, on pense qu'avoir une véritable laïcité, qui définit honnêtement et sérieusement les questions, les quatre principes que vous énoncez comme étant la séparation des institutions religieuses, des institutions de l'État, le respect de l'égalité, le respect de la neutralité de l'État et le respect de la liberté de conscience, bien, ça aurait été bien de ne pas avoir le reste du projet de loi qui est en contradiction avec l'article n° 1 de ce projet de loi.

Donc, l'article n° 1, à part la question de l'institution, la séparation des institutions qu'on pense importante, on pense, n'est pas négatif, le reste du projet de loi est un projet de loi qui, à nos yeux, est contraire au principe de laïcité, donc évidemment on ne peut pas l'appuyer.

M. Jolin-Barrette : D'accord. Alors, je suis en désaccord avec vous, notamment sur le fait que, les institutions religieuses, on vise les religions pour une raison notamment, par le fait que ce ne sont pas toutes les religions qui ont des institutions religieuses. Alors, ça, c'est un concept qui est important. Et, lorsqu'on veut séparer l'État des religions, on ne fait pas nécessairement référence uniquement aux institutions religieuses, c'est plus large que ça, et c'est pour ça qu'on a fait ce choix-là.

Je voudrais vous poser la question suivante. Vous dites : Écoutez, il y a la dictature de la majorité. Donc, pour vous, j'imagine que ce n'est aucunement légitime que, l'Assemblée nationale, ce soit elle, par le biais de ses représentants élus, qui détermine les paramètres en fonction desquels l'État et les religions seront organisés. Les rapports entre l'État et les religions, ça ne revient pas à l'Assemblée nationale de déterminer cela, on devrait laisser ça aux tribunaux, si je suis votre raisonnement.

M. Bouazzi (Haroun) : Absolument pas ça qu'on dit, M. le ministre. Et tout le monde sait ici que c'est l'Assemblée nationale qui écrit les lois, et j'espère qu'elle va continuer à les écrire. Maintenant, elle n'est pas obligée d'écrire des lois qui sont contraires aux chartes québécoises des droits et libertés. Et on ne pense pas qu'elle devrait se soustraire à cette obligation-là dans le cadre de la laïcité, surtout que la laïcité, comme vous l'avez définie, permet plus d'égalité et plus de liberté de conscience. Donc, normalement, une laïcité bien définie passerait aisément le test des tribunaux.

Maintenant, par ailleurs, la démocratie... et d'ailleurs nous avons entendu... Plusieurs fois, on vous a entendu parler, justement, du droit de la majorité de décider ce qu'elle veut dans ses lois. Mais la démocratie, en tout respect, M. le ministre, c'est plus compliqué que ça. Il y a la question effectivement... et on espère que la majorité décide, mais il y a la question de pouvoir et d'équilibre de pouvoir, je veux dire, c'est aussi vieux que les différents textes fondateurs qu'on a qui touchent à la démocratie. On pourrait bien revenir jusqu'à 300 ans en arrière, les textes de Montesquieu dans la question... le livre L'esprit des lois de Montesquieu qui dit que, «pour qu'on ne puisse pas abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir». «Par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir». Et ici, au Québec, M. le ministre, la disposition des choses, c'est la charte des droits et libertés québécoise.

M. Jolin-Barrette : O.K. Mais, vous savez, dans le régime constitutionnel dans lequel on est, là, le législateur fédéral, d'ailleurs... puis on ne fera pas un cours d'histoire, là, du rapatriement de la Constitution, mais ils ont prévu un recours à une disposition de dérogation, l'article 33. Alors, si le législateur fédéral a permis aux législatures provinciales d'utiliser la disposition de dérogation, pourquoi est-ce qu'on ne pourrait pas l'utiliser? Pourquoi est-ce que le recours à une disposition qui est prévue dans la Constitution canadienne et qui a été utilisée à de nombreuses reprises... Pourquoi les élus de la nation québécoise ne pourraient pas utiliser ce processus-là?

M. Bouazzi (Haroun) : Les élus...

M. Jolin-Barrette : Parce que vous parlez de pouvoir, de contre-pouvoir. Moi, lorsqu'on dit qu'un gouvernement dûment élu ne peut pas avoir recours à des dispositions pour régler une question qui touche l'organisation de la société québécoise, et qui d'ailleurs a été reconnue par les tribunaux canadiens, hein, par le plus haut tribunal du pays... Des valeurs sociales distinctes au Québec, les spécificités de la société québécoise, alors, ça, là, ce n'est pas légitime pour la nation québécoise de faire ses propres choix, de dire qu'au Québec on développe un modèle de laïcité québécoise? Parce que, partout à travers le monde, là, chacun des États choisit son propre modèle de laïcité. Il n'y a pas de modèle universel. Vous avez des modèles davantage républicains, vous avez des modèles de laïcité ouverte, des modèles de laïcité stricte. Mais la nation québécoise a le droit de faire ces choix-là, devrait choisir, avec ses élus, comment est-ce qu'on organise les rapports entre l'État et les religions.

Alors, on se retrouve dans une situation où c'est prévu dans les textes de loi, et là on nous dit : Bien, écoutez, non, pour ça, vous ne devriez pas le faire, ça n'appartient pas au Parlement de le faire. Le fait de dire : Écoutez, on est d'accord avec le fait de dire... votre définition de la laïcité, mais, au niveau de l'application, et notamment le fait que, pour certaines fonctions très précises dans la société québécoise, des gens qui ont un pouvoir extraordinaire, qui sont doté d'une situation d'autorité, qui ont une influence importante, ceux-ci, là, la nation québécoise ne devrait pas avoir le droit d'indiquer quels sont les paramètres et les balises... Moi, je trouve ça particulier quand je reçois des commentaires sur l'état de la démocratie, alors que notamment les tribunaux canadiens, la Cour suprême du Canada a reconnu ce droit-là à la nation québécoise. J'aimerais ça vous entendre là-dessus.

M. Bouazzi (Haroun) : Encore une fois, on ne comprend pas... on pense que c'est une vision très, très restreinte de la démocratie dont vous parlez. Je veux dire, je prendrais l'exemple international. En Iran, là, au lendemain de la révolution iranienne, il y a eu un référendum qui a imposé des lois islamiques hyperrigoristes et qui a été gagné démocratiquement. Est-ce qu'on pense sérieusement que, sous prétexte que la majorité a décidé que les femmes étaient obligées de porter un foulard ou qu'une femme ne pouvait pas marcher à côté d'un homme... Est-ce que c'est légitime aujourd'hui pour les décideurs iraniens d'appliquer ce genre de loi?

On pense qu'il y a des principes très importants à défendre. Et aujourd'hui, je veux dire, on a un premier ministre en Alberta qui est arrivé, qui n'apprécie pas le droit à l'avortement, par exemple. Est-ce que, demain, s'il y a une majorité, vous allez nous dire : Bien, vous savez, le droit à l'avortement, on a le droit, nous, en tant que nation distincte, etc.? Nous, on pense qu'effectivement on est une nation distincte et on a été les premiers à adopter une charte des droits et libertés, avant le fédéral. On a été la première législation, en 1977, avant toutes les autres législations en Amérique du Nord, à interdire la discrimination sur les questions d'homosexualité et de choix d'orientation sexuelle. On est très étonnés de voir aujourd'hui qu'on peut balayer ce genre de principes, qui sont chers à notre nation, que nous avons construits nous-mêmes. Ce n'est pas le fédéral qui nous l'a imposé, c'est même nous qui avons montré la voie en matière de respect de cet équilibre des pouvoirs.

Et on pense qu'une laïcité bien comprise n'a pas à se soustraire... Si aujourd'hui vous parlez de droits à l'égalité et à la liberté de conscience dans l'article 1, on pense qu'il est étonnant de votre part de vouloir à tout prix soustraire votre projet de loi du test des tribunaux, étant donné que, si c'est effectivement vrai que vous défendez la liberté de conscience et le droit à l'égalité, il n'y aura absolument aucun problème.

Le Président (M. Bachand) : M. le ministre.

M. Jolin-Barrette : M. le Président, M. Bouazzi, vous comparez le Québec, le projet de loi sur la laïcité, au régime iranien.

M. Bouazzi (Haroun) : Ce n'est pas ça que je fais, monsieur...

M. Jolin-Barrette : C'est l'exemple que vous me donnez avec un référendum sur l'État iranien.

M. Bouazzi (Haroun) : Non, ce que je vous explique...

• (12 h 40) •

M. Jolin-Barrette : Écoutez, moi, je veux bien avoir des discussions, là, mais, comme on dit, on va comparer des pommes avec des pommes. Le projet de loi que nous avons déposé... Ça fait 10 ans qu'on parle de laïcité, qu'on parle de l'interdiction du port de signes religieux. C'est légitime pour la nation québécoise d'organiser les rapports entre l'État et les religions. Vous avez eu une série de gouvernements successifs, à la fois les libéraux, à l'époque du premier ministre Charest... il y a eu des projets de loi qui ont été déposés, d'ailleurs, par ma collègue de Notre-Dame-de-Grâce, le projet de loi n° 94, vous avez eu le projet de loi n° 60 de l'ancien député de Marie-Victorin, vous avez eu le projet de loi n° 62 de la précédente ministre de la Justice, députée de Gatineau, vous avez eu le projet de loi n° 394 de la députée de Gouin, à l'époque, qui inscrivait dans les lois du Québec l'interdiction du port de signes religieux pour les personnes en situation d'autorité, le rapport Bouchard-Taylor. La députée de Gouin, c'était Françoise David, qui était la co-porte-parole de Québec solidaire, pour le même parti pour lequel vous vous êtes présenté et que le député de Jean-Lesage s'est présenté. Il y a eu la députée de Montarville, aussi, qui a déposé un projet de loi là-dessus.

Je pense que la nation québécoise, c'est une nation qui est ouverte, qui est respectueuse des droits de tous et chacun, qui est une nation qui fait preuve d'inclusion, qui est une terre d'accueil incroyable, qui s'assure de veiller au bien-être de tous et chacun de ses citoyens et citoyennes au Québec. Mais je pense que l'exercice qu'on fait aujourd'hui avec le projet de loi n° 21, c'est un exercice qui est démocratique. Puis on a le devoir, dans la soutenance de nos arguments, de présenter des arguments qui sont rationnels et qui sont crédibles. De dire que le Québec est comparé à l'État iranien...

Des voix : ...

Le Président (M. Bachand) : Écoutez... Terminez, M. le ministre, s'il vous plaît. M. le ministre.

M. Jolin-Barrette : Merci. Moi, je pense, là, qu'il y a certaines limites.

Une voix : ...

M. Jolin-Barrette : Puis, ce genre de propos là, moi, je trouve que ça n'a pas sa place.

Une voix : ...

M. Jolin-Barrette : Puis le député de LaFontaine, il peut bien s'exprimer, il peut bien s'exprimer comme il veut, mais, chose certaine, le gouvernement du Québec va s'assurer de faire en sorte que la laïcité de l'État va aller de l'avant dans le respect des droits et libertés des individus. Mais c'est légitime pour la nation québécoise, pour certaines fonctions très précises en lien avec des positions d'autorité, des figures d'autorité, que, durant la prestation de travail, les gens ne portent pas de signe religieux. On n'aura pas d'autre question, M. le Président.

Le Président (M. Bachand) : M. Bouazzi, en... Oui.

M. Bouazzi (Haroun) : Merci, M. le ministre. Je trouve très, très étonnant que vous pensez que je pense que l'Iran et le Québec, c'est la même chose. Ce que je vous ai expliqué, c'est les limites de votre raisonnement quand vous vous limitez à dire que la majorité a le droit de faire à peu près ce qu'elle veut une fois qu'elle a plus que 51 % des députés à l'Assemblée nationale. Et on espère qu'on continue au Québec, effectivement, d'avoir un certain équilibre entre les pouvoirs législatif, exécutif et le pouvoir de la justice, évidemment.

Deuxième point, évidemment, je suis aujourd'hui représentant de la société civile, et vous êtes même, aujourd'hui, le ministre de tous les Québécois, et non pas juste un représentant de la CAQ, et effectivement on respecte le processus démocratique qu'on vit actuellement. Vous avez répété, actuellement, que vous respectez les droits fondamentaux à travers ce projet. Bien, écoutez, mettez votre loi devant le test des tribunaux si vous croyez réellement ce que vous êtes en train de dire.

Deuxièmement, je pense qu'on a un droit collectif chez nous, au Québec, de pouvoir confronter les projets de loi au test des tribunaux. On a un droit collectif aujourd'hui au Québec de ne pas être discriminé sur la base de notre orientation sexuelle, de notre sexe, de notre couleur de peau ou de notre religion. On a un droit collectif aujourd'hui au Québec de vivre dans une démocratie qui respecte cet équilibre de pouvoirs, et malheureusement, ce droit collectif là, cette vision démocratique de la nation québécoise, on ne la retrouve pas dans ce projet de loi.

Le Président (M. Bachand) : Merci. Mme la députée de Marguerite-Bourgeoys, s'il vous plaît.

Mme David : Ce n'est pas le bon micro, mais...

Une voix : ...

Mme David : Là, je l'ai? Merci beaucoup. On en a deux, même, pour le prix d'un, puis, je pense, ça va prendre deux micros peut-être.

Merci beaucoup d'être venu. Je pense, et on le dit depuis le début, et le ministre le dit autant que moi, on veut, M. le Président, un débat serein et un débat réel, mais en essayant d'éviter une certaine dose de... je ne sais pas quel mot employer, mais, en tout cas, je n'aime pas tellement la façon dont les choses se sont passées dans les dernières minutes, et je pense qu'il faudrait qu'on revienne à un débat plus serein que ça. Alors, je m'en fais, moi, une absolue rigueur.

Et donc je voudrais, monsieur... excusez, j'en ai perdu votre nom de famille.

Une voix : ...

Mme David : Vous dites des choses importantes, et je pense que le débat qu'on a là, il est justement extrêmement important. Cette question de majorité, qu'est-ce que ça veut dire? Et moi, je pensais à l'exemple américain, qui a l'équilibre des pouvoirs, et d'ailleurs qu'un certain président n'est pas toujours très heureux d'avoir, parce que, quand on est élu et puis on veut présider, on n'aime pas trop ça, des fois, qu'il y ait une constitution ou une organisation qui vienne faire un contre-pouvoir. Alors, je pense, c'est de ça dont il est question, quel que soit le pays, c'est la question des pouvoirs, contre-pouvoirs, et je pense que c'est de ça dont vous parlez.

Et, quand vous parlez de laïcité et de charte, vous avez, donc, une sorte de définition qui est très intéressante, et je voudrais que vous reveniez sur la page, au tout début... ça va mal, mes affaires, elle n'est pas paginée, mais donc c'est au tout début, vous dites : «Contrairement à ce que laisse entendre son intitulé, le projet de loi n° 21 ne définit pas clairement la laïcité de l'État. Ce projet est même contre-productif puisqu'il crée de la confusion autour du concept de laïcité. En effet, l'un des fondements de la laïcité n'est pas la séparation des religions et de l'État, comme l'énonce le projet, mais plutôt la séparation des institutions religieuses des institutions de l'État. Ce glissement sémantique ouvre la voie à toutes sortes de dérives.» Expliquez-nous un peu plus parce que, je pense, c'est important d'avoir vos explications.

M. Bouazzi (Haroun) : C'est-à-dire qu'il y a deux points importants qu'on oublie souvent, c'est que la laïcité, ça règle des problèmes et ça n'en crée pas, normalement, hein? Ça règle deux problèmes. Un, c'est que les institutions religieuses instrumentalisent les institutions de l'État pour asseoir leur pouvoir et, de l'autre côté, évidemment que l'inverse est aussi vrai, que les institutions de l'État n'instrumentalisent pas les institutions religieuses pour asseoir leur pouvoir. Le deuxième principe, en gros, c'est que les membres de groupes religieux vulnérables soient respectés dans leurs droits à l'égalité.

La laïcité est donc, depuis le début... encore une fois, on est très, très étonnés aujourd'hui qu'il y ait cette confusion, depuis le début, est venue pour régler un problème du rapport principalement à l'Église catholique. D'ailleurs, il est intéressant de remarquer que le mot «laïcité» n'existe même pas en anglais, étant donné que c'est vraiment l'Église catholique... qui est une Église vraiment structurée, hiérarchique, qui monte jusqu'au pape, quand même, le Vatican, donc, un pays, et le pape qui, pour les catholiques, donc, ne se trompe pas, hein, qui est quand même une force très forte, bon. On se retrouve dans une situation où il fallait protéger les institutions religieuses.

Il y a eu toutes sortes de dérives dans notre histoire, hein, par rapport au fait que les institutions de l'État discriminent des gens sur la base de leur religion et que les institutions religieuses... Donc, si on revient même au serment du Test, donc, il y a pratiquement trois siècles, il était demandé, pendant un certain nombre d'années, aux Canadiens français de renier leur religion pour pouvoir travailler dans la fonction publique, et on voit bien que, s'il y avait une réelle laïcité de l'État à l'époque, ça n'aurait pas été possible. Un peu plus tard, on peut aussi penser aux Églises catholiques qui ont refusé... aux «Églises», pardon, aux écoles catholiques qui ont refusé, au début du XXe siècle, qu'il y ait des Juifs qui rentrent dans les écoles catholiques. D'ailleurs, on s'est privé d'un certain nombre de francophones séfarades qui n'ont donc été... sont partis dans les écoles protestantes, où ils ont aussi été discriminés, et c'est là où ils ont ouvert leur propre réseau d'écoles. Donc, on voit que la laïcité vient régler ce genre de problèmes là, et non pas en créer.

Et, sur la séparation de la religion et l'État... Et, je veux dire, aujourd'hui, on a entendu M. le premier ministre Legault nous expliquer qu'il était croyant, bon. Est-ce qu'il arrête d'être croyant une fois qu'il rentre à l'intérieur de l'Assemblée nationale? Non? Bon. Comment est-ce qu'on va, si on veut, séparer la croyance d'une personne du fait qu'il est à l'intérieur de l'Assemblée nationale? Donc, cette séparation, en fait, apporte un flou qui est à peu près impossible à définir, alors que la séparation des institutions religieuses des institutions de l'État, au moins, a un sens, et on est capables d'en définir les contours.

Mme David : Merci, M. Bouazzi. Vous avez reçu en 2015 le prix Hommage 40 ans de la Charte des droits et libertés de la personne donné pour les 40 personnes... et c'est bien écrit : «La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse souligne le parcours exceptionnel de 40 personnes qui font avancer les droits et les libertés au Québec», et s'est déroulé en la présence de, pas n'importe qui, la présidente du jury, Louise Arbour, et de la ministre de l'Immigration, de la Diversité et de l'Inclusion, elle se reconnaît, la députée de Marguerite-Bourgeoys. Quand Louise Arbour remet...

Des voix : ...

• (12 h 50) •

Mme David : Ah! Excusez, j'ai dit Marguerite-Bourgeoys. Quand la Commission des droits de la personne, présidée dans un jury par Louise Arbour — qui est quand même une de nos immenses valeurs québécoises, on va appeler ça comme ça, on aime ça, le mot «valeur», au Québec, c'est une valeur québécoise connue internationalement — vous remet un prix Hommage, je pense que vous en savez quelque chose sur le respect des droits et libertés, et qu'on doit, nous aussi, comme parlementaires, vous rendre hommage, le respect des gens qui ont passé... qui ont été reconnus par quelqu'un comme Louise Arbour.

Donc, ça m'amène donc à ma question, qui est sur la croyance sincère. Vous étiez là-dessus, je vais continuer là-dessus, parce qu'à partir du chapitre qui dit : Un projet de loi inapplicable qui ouvre la voie à l'arbitraire, moi, c'est sûr, on va avoir des tonnes de questions sur l'applicabilité. On en a parlé hier avec d'autres intervenants : déterminer la valeur religieuse d'un vêtement, la croyance sincère, la personne en charge, c'est qui qui va devoir faire usage de son jugement pour établir ce qu'est un signe religieux, on a eu des intervenants qui sont venus dire la complexité de ça. Alors, je voudrais voir comment ça s'inscrit justement dans l'application de la Charte des droits et libertés, cette question-là.

M. Bouazzi (Haroun) : Bien, c'est-à-dire que je vais centrer la réponse sur la question de la laïcité. Un État laïque n'a pas d'interprétation officielle de textes religieux, hein? On a entendu les gens qui m'ont précédé expliquer que, dans le Coran, il n'y avait pas d'obligation du foulard, mais tant bien. Moi, je n'ai absolument aucun problème. Que n'importe quels citoyens décident qu'il y ait à peu près tout et n'importe quoi dans le Coran, c'est leur droit le plus absolu. Maintenant, s'ils sont sincères dans cette croyance-là, eh bien, un État laïque doit les protéger dans leurs croyances et surtout ne peut pas décider qu'il y a une version officielle du Coran.

Encore une fois, je ne vais pas refaire une comparaison avec l'Iran ou l'Arabie saoudite, ça va me tenir responsable d'un parallèle, mais, quand même, il n'est pas question, et on l'espère, que l'État décide pour les gens qu'est-ce qui est leurs croyances sincères et qu'est-ce qui ne l'est pas. D'un côté, donc, qui va décider concrètement qu'est-ce qu'un signe religieux? Est-ce qu'un pendentif est un signe religieux? Pour certains, oui, pour d'autres, non, et c'est la personne qui le porte qui devrait décider ce genre de choses.

Et on voit, en France, par exemple, qu'il y a un exemple, qui est souvent pris en exemple, où il y a eu toutes sortes de dérives. Il n'y a pas si longtemps, il y a même une lycéenne qui a été interdite de rentrée au collège pour cause de jupe religieuse, hein? Le président de l'établissement a décidé que sa jupe était un signe religieux et qu'elle devait se changer. Bon. Où va s'arrêter ce genre de dérive? Évidemment, l'arbitraire est tout à fait possible d'un côté, et puis ça va dépendre, ça va fluctuer : Est-ce qu'il nous manque des enseignants ou pas? Est-ce qu'on ferme les yeux ou pas? Et puis on pense pour tous les corps de métier qui n'ont pas d'uniforme. C'est à peu près inapplicable ou ça va ouvrir à des dérives qui ne vont pas faire honneur à la démocratie et à nos jurisprudences. Évidemment, là où il y a des uniformes, la question ne se pose pas, la question est plutôt d'ordre de principe, mais on a le droit de définir un uniforme.

Le Président (M. Bachand) : Merci. Mme la députée de Notre-Dame-de-Grâce, s'il vous plaît.

Mme Weil : Oui. Bonjour. Merci. Bienvenue, M. Bouazzi. J'aimerais juste revenir sur un point que vous avez fait puis ensuite vous amener ailleurs. Donc, on va se propulser à l'avant pour voir vos réflexions sur le passage qu'on aura à faire comme société, société civile, suite à la présumée adoption du projet de loi.

Dans un premier temps, donc, vous faites la promotion évidemment d'un débat public élargi, d'un débat juridique élargi pour confirmer, infirmer, nuancer certains éléments du projet de loi n° 21, qui viendraient rassurer et informer si j'ai bien compris. Donc, pourquoi arrêter et empêcher ce débat-là, c'est bien, ça?

M. Bouazzi (Haroun) : Oui, puis qu'on espère que la laïcité est capable d'améliorer l'égalité, donc, dans ce cadre-là, évidemment passer le test des chartes des droits et libertés. La laïcité, c'est positif, hein, ça améliore le droit à l'égalité, donc on ne voit pas pourquoi elle ne pourrait pas passer le test des chartes. Par ailleurs, on pense que le débat public devrait améliorer, effectivement, le projet de loi.

Mme Weil : Sur la notion — il me reste juste une minute — notion de droits acquis en matière de protection des libertés fondamentales, une réflexion là-dessus. Mais ensuite nous avons vécu, vous et moi, et d'autres, ensemble, l'impact de la charte des valeurs avant même qu'elle soit adoptée, juste avec le lancement des débats, des gens en détresse, et nous cherchions des solutions. Et j'aimerais, pour nous propulser en avant, que le gouvernement... On a eu la Commission des droits de la personne, qui a un rôle à jouer pour informer, éduquer, pour s'assurer que justement les droits de tous et chacun soient respectés. Avez-vous une réflexion sur cette question-là, comment on puisse agir en prévention?

Le Président (M. Bachand) : Très rapidement, s'il vous plaît.

M. Bouazzi (Haroun) : En une phrase, sur la clause de disparité de traitement, parce que c'est ça que c'est, on pense d'abord que c'est illégitime de repousser comme ça sur les prochaines générations l'injustice que va faire cette loi. Et, deuxièmement, on est très étonnés que la CAQ, qui a été contre les clauses de disparité de traitement pratiquement tous les jours pendant les dernières années, se retrouve à penser que cet exercice est légitime une fois qu'elle est au pouvoir.

Le Président (M. Bachand) : Merci. M. le député de Jean-Lesage, s'il vous plaît.

M. Zanetti : Merci, M. le Président. Merci beaucoup, M. Bouazzi, pour votre contribution importante à ça. Ça prend du courage pour s'élever aujourd'hui avec cette position.

Hier, MM. Taylor et Maclure nous disaient que, dans des pays où on a adopté des législations similaires au projet de loi n° 21, il s'en est suivi une augmentation de gestes haineux, et je fais ça en introduction, ma question ne porte pas là-dessus. Mais on critique souvent, là... Les gens, ce qu'ils critiquent du multiculturalisme canadien, c'est que ça amène un repli communautaire, ça amène des gens qui vivent en silo, des cultures qui cohabitent sans jamais vraiment vivre ensemble, une tour de Babel, etc. Et ce que vous êtes en train de dire, au fond, c'est que le projet de loi n° 21, essentiellement, pourrait amener un repli communautaire, qui est exactement ce qu'on critique du multiculturalisme canadien. Est-ce que vous pourriez un peu développer sur comment est-ce que ça va se faire, cette affaire-là?

M. Bouazzi (Haroun) : Deux points. Évidemment, je pense, c'est important de rappeler que ce n'est pas parce qu'on respecte les droits de la personne qu'on est pour le multiculturalisme, hein? Le multiculturalisme, c'est de valoriser la différence. Ici, il est juste question de la respecter aux termes de nos lois.

L'histoire du Québec est très instructive là-dessus. Et puis les communautés juives ont joué... ont malheureusement été très victimes de discrimination structurelle dans le passé, hein? Le réseau des écoles confessionnelles juives est une réaction directe à leur exclusion des réseaux catholiques et ensuite protestants. L'hôpital juif a été créé quelques mois seulement après que des résidents de l'hôpital... je crois que c'est le... je ne sais plus, mais d'un hôpital catholique, qui ont fait grève parce qu'ils ne voulaient pas travailler avec un médecin juif qui avait été assigné à l'hôpital. Donc, même la création du quartier gai, par exemple, est une réponse à des descentes de police dans des endroits plus centraux. Donc, on voit que, quand l'État institutionnalise la discrimination, il y a ce besoin de se replier dans des quartiers ou de créer ses propres écoles ou ses propres institutions pour ne pas avoir à confronter la violence du rejet.

Et ce qui se passe aujourd'hui, c'est justement les premières étapes pour pouvoir en arriver là, ce qui est vraiment désolant, surtout que les communautés musulmanes ne sont pas aujourd'hui concentrées dans des quartiers, et l'extrême majorité de leurs enfants ne sont pas dans des écoles confessionnelles. Il serait vraiment triste et dommageable pour le Québec, qui va se priver d'un certain nombre de forces vives de notre nation, et pour les communautés qu'on renverse cette tendance.

M. Zanetti : Je vous remercie. Puis j'espère que tout le monde a vraiment écouté ça parce que...

Le Président (M. Bachand) : Merci. Merci. Alors, M. le député de Matane-Matapédia, s'il vous plaît. Merci.

M. Bérubé : Merci, M. le Président. M. Bouazzi, bonjour. Parlons de la légitimité des débats qu'on mène. Par exemple, au Québec, il y a un débat sur l'indépendance du Québec, qui est légitime, vous êtes tout comme moi un indépendantiste.

Une voix : ...tout à fait hors sujet, monsieur...

M. Bérubé : Vous étiez candidat de Québec solidaire, je présume que vous étiez indépendantiste.

M. Bouazzi (Haroun) : D'abord, je n'ai jamais été...

M. Bérubé : Je continue.

M. Bouazzi (Haroun) : Oui. Allez-y.

M. Bérubé : Je continue. Il y a un débat sur la langue, un débat essentiel pour la nation québécoise, ça a conduit à une loi, pas unanime, à l'Assemblée nationale, mais une loi essentielle, qu'on ne remettrait pas en question aujourd'hui, et je suis assez convaincu que vous-même ne seriez pas contre cette loi aujourd'hui, mais elle était nécessaire.

Alors, ma question : Est-ce que vous reconnaissez que ça revient aux parlementaires de l'Assemblée nationale d'adopter une loi importante pour la nation québécoise, parce qu'ils disposent d'une légitimité, élus par leurs pairs pour venir siéger à l'Assemblée nationale et adopter une loi? Est-ce que vous reconnaissez qu'ultimement il en revient aux parlementaires à trancher cette question de la laïcité parce qu'elle apparaît, pour un gouvernement et pour des parlementaires, comme étant un enjeu légitime et important pour la nation québécoise?

M. Bouazzi (Haroun) : Alors, deux points. D'abord, la loi 101 aujourd'hui ne contrevient pas aux chartes des droits et libertés, et je rappelle que les chartes des droits et libertés...

M. Bérubé : ...contesté.

M. Bouazzi (Haroun) : ...aujourd'hui ne contrevient pas aux chartes des droits et libertés, et je rappelle que les chartes des droits et libertés peuvent permettre qu'on limite des droits fondamentaux si ça peut faire avancer quelque chose de positif dans notre société. On pense que ce projet de loi ne fait pas avancer les choses positives, donc on ne pense pas que c'est légitime par rapport aux droits fondamentaux.

Deuxièmement, on pense qu'effectivement... et on espère que l'Assemblée nationale est capable d'écrire des projets de loi, et qu'il y a une légitimité de cette Assemblée qui écrit les projets de loi. Maintenant, moi, je vous pose la question : Est-ce que vous pensez qu'il est légitime qu'on n'ait pas de contre-pouvoir à l'Assemblée nationale et qu'une simple majorité est capable de faire toutes sortes de lois...

Le Président (M. Bachand) : M. le député de Matane-Matapédia, il reste une minute. Merci.

• (13 heures) •

M. Bérubé : Notre parlementarisme repose sur la légitimité de l'Assemblée nationale, sur celle des élus. Alors, je ne sais pas à quel contrepoids vous pensez. Est-ce que c'est des lobbies? Est-ce que c'est le juridique? Est-ce que c'est d'autres forces qui existent ailleurs? Moi, je vous indique, bien humblement, après 12 ans d'expérience comme parlementaire en cette Chambre, qu'ultimement les représentants de la nation sont les députés élus et qu'il m'apparaît parfaitement légitime pour un gouvernement de mettre de l'avant une pièce législative qui sera appuyée ou non par les oppositions.

Mais, ultimement, ma question, elle est importante : Est-ce que vous reconnaissez, ultimement, qu'il en revient aux parlementaires à trancher cette question?

Le Président (M. Bachand) : En 30 secondes, s'il vous plaît, monsieur.

M. Bouazzi (Haroun) : Oui. Alors, oui. Et on pense que ce n'est pas une excuse pour retrancher. Et je vous donnerais un exemple. Le ministre, dans le projet de loi n° 9, par exemple, a déposé...

M. Bérubé : Ça va. J'ai eu ma réponse.

M. Bouazzi (Haroun) : ...a déposé un projet de loi. Et c'est le contre-pouvoir législatif qui lui a dit que ce n'était pas correct de commencer à appliquer des parties du projet de loi sans que, justement, l'Assemblée, qui vous tient tant à coeur et qui nous tient aussi tant à coeur...

M. Bérubé : Qui me tient tant à coeur?

M. Bouazzi (Haroun) : ...qui nous tient tant à coeur, l'Assemblée décide d'avaliser ce projet de loi. Donc, on est bien contents qu'il y a effectivement...

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Je suis désolé...

M. Bouazzi (Haroun) : ...un contre-pouvoir dans une démocratie...

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Merci beaucoup de votre contribution.

La commission va suspendre ses travaux jusqu'à 15 heures.

M. Bérubé : ...

Le Président (M. Bachand) : M. le député de Matane-Matapédia, s'il vous plaît, les travaux sont suspendus. Merci.

(Suspension de la séance à 13 h 1)

(Reprise à 15 h 10)

Le Président (M. Bachand) : À l'ordre, s'il vous plaît! Merci beaucoup et bienvenue. La Commission des institutions reprend ses travaux. Je demande bien sûr à toutes les personnes présentes dans la salle de bien vouloir éteindre la sonnerie de leurs appareils électroniques.

Nous poursuivons les consultations particulières et auditions publiques sur le projet de loi n° 21, la Loi sur la laïcité de l'État.

Cet après-midi, nous entendrons M. Gérard Bouchard, M. Louis-Philippe Lampron, l'Organisme de communication pour l'ouverture et le rapprochement interculturel et la Centrale des syndicats du Québec. Nous allons alors débuter avec M. Bouchard. Je vous rappelle que vous disposez de 10 minutes pour votre exposé, et après nous procéderons à une période d'échange avec les membres de la commission. M. Bouchard, bienvenue. Je vous laisse la parole.

M. Gérard Bouchard

M. Bouchard (Gérard) : Merci. Je voudrais d'abord saluer M. le ministre Jolin-Barrette. Bonjour à vous tous, bonjour à vous toutes. J'étais très content de venir vous rencontrer, M. le ministre, mais hier j'ai été refroidi un peu en entendant votre déclaration, juste avant l'ouverture des audiences, à l'effet que rien d'essentiel ne serait changé dans le projet. Et, tout à coup, j'ai eu peur d'avoir traversé le parc pour rien. Vous allez me rassurer. Bien.

Je voudrais d'abord dire que je crois qu'il est très important, et c'est ce que fait ce projet de loi, d'insérer dans la charte et d'ériger comme valeur et droits fondamentaux au Québec la laïcité. Je crois que c'est une avancée extrêmement importante, que je tiens à souligner. Et pour cela votre gouvernement mérite des louanges parce que c'est quelque chose qu'on attend depuis longtemps, et enfin vous le faites.

Deuxièmement, je partage votre impatience qui vous pousse à vouloir mettre fin à ce débat qui dure depuis une vingtaine d'années maintenant. Ça existait déjà au moment de notre commission, et c'est d'ailleurs pour cette raison que notre commission a été créée. Le débat durait depuis plusieurs années, donc ça fait 20 ans que le Québec se penche là-dessus en se divisant, en se polarisant et sans arriver à de véritables solutions, et vous, vous avez décidé de reprendre ce collier de la laïcité, un collier qui a étouffé quelques montures avant. Et j'espère bien que ça ne vous arrivera pas à vous. Bon.

Mais je ne suis pas sûr que je vais vous aider. C'est qu'en fait j'ai des problèmes avec ce projet de loi, j'ai des difficultés, que je vais résumer.

Par exemple, il est légitime de supprimer ou de réduire un droit fondamental si on peut s'appuyer sur un motif que j'appelle supérieur. Les employés du port de Montréal de religion sikh ne peuvent pas porter leurs turbans au profit d'un casque de sécurité, et ainsi en a voulu la Cour supérieure il y a quelques années. Si bien que voilà l'exemple d'un droit fondamental qui est altéré ou supprimé pour un motif supérieur, qui était la sécurité de ces personnes.

La Cour suprême du Canada a reconnu la légitimité des objectifs de la loi 101, qui limitait et réduisait quand même le droit d'une catégorie de Québécois qui perdaient le choix d'envoyer leurs enfants à l'école de leur préférence, motif supérieur : l'avenir même de la francophonie québécoise. Et on pourrait imaginer bien d'autres exemples. Une infirmière qui porterait le hidjab dans une salle d'opération et qui risquerait de compromettre justement le déroulement de l'opération parce qu'elle contaminerait les choses, ou etc., pourrait se voir obligée à retirer son hidjab de façon tout à fait légitime. Bon.

Si on se tourne vers ce qui est un des éléments extrêmement importants de votre projet de loi, c'est-à-dire l'interdiction du port des signes religieux au sein du personnel enseignant, moi, je me demande où est le motif supérieur qui rendrait légitime cette intervention. Et franchement je ne le vois pas.

Ce qu'on entend souvent durant ce débat, c'est que le seul fait de porter un signe religieux, le hidjab par exemple, entraîne une forme d'endoctrinement chez les élèves. On entend aussi que ça traumatise certains élèves, le port du hidjab, ou alors que c'est contraire à l'exercice pédagogique, ou bien que ça compromet le climat de travail dans la classe, etc.

Si jamais un seul de ces éléments était prouvé, personnellement, je vous dis tout de suite, je serais tenté d'approuver votre projet de loi parce que, là, je trouverais un motif supérieur, parce que ça ferait obstacle à l'enseignement lui-même. Mais, sur aucun de ces quatre exemples, on ne détient ce genre de preuve ou ce genre de motif. Cette disposition n'est pas appuyée sur aucune donnée et aucune donnée rigoureuse, aucune étude. Donc, moi, ça me cause un gros problème, et je me demande pourquoi vous vous êtes lancés dans cette opération sans avoir cette préoccupation, sans prendre cette précaution qui me paraît élémentaire.

Deuxièmement, pour ce qui est de l'application de la loi, alors, il y a quand même une grosse incertitude qui tourne autour de la sanction. Vous-même, je crois, vous avez déclaré qu'il n'y aurait pas de sanction. Le texte de la loi diffère, mais il reste une imprécision quant même à l'existence de sanctions. On se demande s'il va y en avoir, on se demande qui va les définir, qui va les appliquer, qui va exercer le travail de surveillance et d'enquête et qui va entrer dans les classes pour appliquer la sanction. Alors, ça, c'est quelque chose quand même qui est un peu étonnant parce qu'on se plaît à imaginer une loi qui instituerait une interdiction aussi importante, alors que les personnes qui y seraient visées auraient la faculté de s'y plier ou non. Ça me paraît quelque chose d'un peu singulier.

Et puis j'ai des difficultés sur les principes mêmes sur lesquels le projet de loi est fondé et qui sont énumérés dans les considérants, en particulier, mais aussi dans le texte de la loi.

Par exemple, on invoque la liberté. Au nom de la liberté. Mais vous allez la réduire, la liberté, avec cette disposition. On invoque aussi l'égalité. Bien, vous allez créer d'autres inégalités et peut-être même accentuer celles qui existent déjà, étant donné que les personnes visées appartiendront en très grande majorité à des minorités ethnoculturelles ou des immigrants au sein desquels se concentrent les cibles du discours haineux, en hausse, et de la discrimination. Et puis vous invoquez aussi la neutralité. Alors, c'est une neutralité qui est bien théorique parce qu'elle exempte les principales religions québécoises, c'est-à-dire toutes les religions chrétiennes avec leurs variantes, qui seront très peu touchées par le projet de loi. Donc, encore une fois, ce sont les mêmes personnes qui sont ciblées. Je comprends que la neutralité, théoriquement, est bien énoncée, mais, pratiquement, elle va produire les effets contraires.

Vous invoquez aussi la séparation de l'Église et de l'État. Alors, si on se rappelle bien ce qui s'est passé dans les années 60, la séparation de l'Église et de l'État, ça consistait à répartir les pouvoirs de la manière que nous souhaitions entre l'Église et l'État de façon à ce qu'aucun de ces acteurs ne puisse interférer dans le champ de législation de l'autre. C'était un rapport de pouvoir que l'on redéfinissait. Est-ce que le fait qu'un employé de l'État porte un signe religieux remet vraiment en question ou altère de quelque façon ce grand principe de la séparation des pouvoirs? Il me semble que non. On peut avoir une opinion contraire, mais il faudrait être capable de l'appuyer sur des preuves ou des éléments qui seraient plus convaincants.

Voilà en gros les raisons pour lesquelles, donc, votre projet suscite chez moi plus que des réticences, une opposition. Alors, j'espère que vous ne me trouvez pas trop sévère et que c'est vous qui allez maintenant regretter que j'aie traversé le parc. Mais, vous savez, ce que j'aimerais ajouter, c'est que les objections que je viens... les critiques que je viens de signaler relèvent tout simplement d'un examen tout à fait objectif du projet de loi et pourraient être formulées par quelqu'un qui l'appuie, indépendamment des convictions idéologiques ou des conceptions qu'on peut avoir de la laïcité. Je pense que ce sont des faiblesses que tout le monde peut constater.

Et puis, finalement, un des arguments principaux qui vous assure un large appui dans la population, c'est que ce projet va mettre fin au débat, ce que tout le monde souhaite au Québec. Mais malheureusement je pense que ce ne sera pas le cas. D'abord, le recours à la clause dérogatoire, qui serait supposé mettre vraiment le frein à ce débat, d'après de plus en plus de juristes qu'on entend, va être contesté lui-même devant les tribunaux, ce qui va ouvrir les portes aux contestations des autres dimensions du projet, et on risque de se retrouver Gros-Jean comme devant.

Alors, pourquoi ne pas vous être limités à la recommandation du rapport de notre commission, qui limitait aux agents détenant un pouvoir de coercition l'interdiction du port des signes religieux? Ça nous aurait et ça vous aurait évité à peu près toutes les difficultés que je viens d'évoquer. Merci.

Le Président (M. Bachand) : ...M. Bouchard. M. le ministre, s'il vous plaît, vous avez la parole.

M. Jolin-Barrette : Merci, M. le Président. M. Bouchard, toujours un plaisir de vous recevoir en commission parlementaire. Et je ne regrette aucunement que vous veniez et que vous ayez franchi le parc, ça me fera toujours plaisir. Et, vous savez, j'ai beaucoup de respect pour vos travaux que vous avez réalisés et surtout je considère que la publication de votre rapport, il y a de ça plusieurs années, a fait avancer le Québec. Et ce qu'on souhaite faire, notamment, en s'inspirant du rapport, c'est de faire en sorte que la laïcité de l'État soit inscrite dans nos lois.

J'entends vos recommandations, vos commentaires en lien avec le contenu du projet de loi n° 21, mais, si vous voulez, on va faire l'exercice de segmenter un peu les différents commentaires que vous avez faits.

Sur la question des employés qui sont visés par le projet de loi, par l'interdiction de porter des signes religieux, prenons les personnes que vous appelez avec une autorité coercitive, les juges, les gardiens de prison, les agents correctionnels, les policiers, les procureurs. Ça, vous êtes toujours en accord avec le fait qu'on interdise le port de signes religieux durant la prestation de travail pour ces personnes-là.

• (15 h 20) •

M. Bouchard (Gérard) : Oui.

M. Jolin-Barrette : O.K. Ce qui est problématique, c'est davantage, pour vous, les enseignants, qu'on ne devrait pas viser au niveau de l'interdiction du port de signes religieux.

M. Bouchard (Gérard) : ...peu plus que ça, M. le ministre. C'est l'extension que vous donnez à la recommandation de notre rapport en y incluant des avocats, des procureurs, des shérifs, des greffiers, etc., qui, à mon avis, ne sont pas visés par l'argumentation qui soutient la recommandation.

M. Jolin-Barrette : Mais par contre, dans votre livre, là, L'interculturalisme. Un point de vue québécois, publié, je crois, en 2011 ou en 2012, vous me permettrez de vous citer, vous proposiez vous-même d'élargir la notion de personnes visées par l'interdiction de signes religieux. Et vous me permettrez de vous citer :

«C'est le cas pour certaines catégories d'employés de l'État chez qui on peut légitimement prohiber le port de signes religieux à cause des fonctions particulières que ces employés exercent. Je pense d'abord aux magistrats, aux jurés — oui, les jurés ne sont pas visés dans le projet de loi, vous proposez de les inclure — aux agents de sécurité, aux gardiens de prison et autres membres des forces de l'ordre à qui notre société octroie un pouvoir de coercition, de violence même — emprisonner un citoyen, ouvrir le feu sur un autre citoyen. Au nom des institutions qu'ils incarnent, il est impératif que l'exercice de ce pouvoir extraordinaire soit entouré non seulement d'une neutralité, mais aussi d'une crédibilité à toute épreuve aux yeux de tous.

«Il est de la plus haute importance que de ces fonctions émane une image d'objectivité intégrale. On imagine aisément les situations très embarrassantes qui pourraient survenir en l'absence d'une telle interdiction; par exemple, un juge portant la kippa infligeant une peine sévère à un intimé musulman ou palestinien. Pour une raison analogue, cette disposition devrait être étendue à des officiers comme le Protecteur du citoyen ou le Directeur général des élections, deux autres fonctions de l'État démocratique qui ne sauraient souffrir la moindre apparence de partialité, compte tenu de la nature des pouvoirs dévolus à ces fonctions.»

Et juste un autre paragraphe, je vais terminer comme ça : «On aura noté que, dans tous ces cas, je parle d'image ou d'apparence au regard des citoyens afin de préserver une crédibilité institutionnelle qui doit demeurer sans tache. Il ne s'ensuit pas que le port de signes religieux chez les officiers ou les fonctionnaires concernés entraîne nécessairement une incapacité d'objectivité.

«La même interdiction devrait s'étendre au président et [aux] vice-présidents de l'Assemblée nationale de même qu'aux greffiers agissant comme secrétaires d'assemblée dans les municipalités.»

Donc, dans votre livre, vous dites : Au niveau institutionnel, c'est important aussi, donc on viserait même les greffiers dans certaines circonstances. Alors, oui, on étend aux procureurs de l'État l'interdiction de porter des signes religieux, mais ils représentent l'État aussi, ces gens-là. À partir du moment où ils sont avec un citoyen à la cour et qu'ils représentent le Procureur général, ils représentent le Procureur général en soi, mais aussi l'État du Québec, qui agit avec un citoyen à la cour aussi, qui peut imposer... bien, il y a des poursuites civiles, administratif, tout ça. Donc, par extension, nécessairement, le rôle de l'État s'incarne par ces agents-là. C'est la perspective lorsque je vise ces employés.

M. Bouchard (Gérard) : Mais là vous venez de donner une extension extraordinaire à la définition des agents de l'État qui pourraient tomber sous le coup d'une pareille loi. C'est non seulement les procureurs, mais l'ensemble du personnel du système judiciaire. Et, si vous suivez le même raisonnement, il pourrait s'appliquer dans pratiquement tous les autres secteurs de l'activité, une activité qui est liée à l'État. Là, je pense que...

Je reviendrai au raisonnement, à l'argumentation que j'exposais au début. Du moment que quelqu'un n'exerce pas directement un pouvoir de coercition, il échappe à l'argumentation qui supporte la recommandation. Et alors, si on veut les inclure, il faudrait trouver un autre motif que je qualifie de supérieur.

Par exemple, dans le cas des présidents d'assemblée, le président de l'Assemblée nationale, c'est quelqu'un qui représente vraiment l'État. Et, si l'État est laïque, il faut que ça se voie quelque part, que ça s'incarne dans un symbole, dans une personne. Et cette personne est toute désignée, c'est le président de l'Assemblée nationale, pas les élus, parce que les élus ont été choisis par la population. Ils sont là par la volonté démocratique de la population et ils ne représentent pas l'Assemblée nationale. Ils y jouent un rôle important, mais ils ne la représentent pas.

M. Jolin-Barrette : Oui, mais, si on représente l'État... Je vous suis quand vous dites : Le président de l'Assemblée nationale ainsi que les vice-présidents représentent l'État. Mais, à ce titre-là, l'élu qui représente encore plus l'État, au-delà de l'Assemblée nationale, c'est le premier ministre du Québec aussi. Lui aussi, je pense que tout le monde peut dire qu'il représente l'État québécois. Le premier représentant du Québec, c'est son premier ministre. Il n'était pas visé dans votre rapport. On se limitait aux président et vice-présidents de l'Assemblée nationale. Comment est-ce qu'on réconcilie les deux?

M. Bouchard (Gérard) : Bien, il y a d'abord une différence, c'est que le président de l'Assemblée nationale, c'est un poste qui est stable. Il est là pour longtemps, il est intégré à l'institution. Un premier ministre peut rester longtemps au pouvoir, c'est peut-être ce que M. Legault va faire, mais il ne sera pas éternel, hein? Et il n'est pas intégré, il n'est pas incorporé à l'institution elle-même. Il sert l'institution et surtout il sert la volonté de la population qui l'a démocratiquement élu pour exécuter le mandat qu'il a reçu.

M. Jolin-Barrette : O.K. J'aimerais qu'on revienne à la question des enseignants. Vous nous dites : Il n'y a pas de donnée empirique sur le fait d'être exposé aux signes religieux, et vous demandez à être convaincu. M. Guy Rocher s'est prononcé au sujet des signes religieux et il disait : «Les jeunes passent des années en contact avec des enseignants, de même que leurs parents. Il est difficile de comprendre et de justifier que les enseignants d'institutions publiques ne sont pas tenus au même devoir de réserve que des juges. Les tenants de la laïcité ouverte recourent souvent à l'argument qu'un enseignant portant un signe religieux n'a pas nécessairement une influence prosélytique sur les élèves. Il s'agit là, d'abord, d'une affirmation sans fondement scientifique. Des parents accepteraient-ils volontiers qu'un certain nombre d'enseignants de l'école publique que fréquentent leurs enfants portent un t-shirt affichant "Dieu n'existe pas"?»

Donc, M. Rocher aussi, qui a fait beaucoup de travaux, pense différemment. Comment est-ce qu'on réconcilie les propos de M. Rocher avec les vôtres, en lien avec les enseignants?

M. Bouchard (Gérard) : Vous me mettez en contradiction avec quelqu'un qui est probablement l'intellectuel le plus respectable au Québec et qui se trouve à être en plus un ami très proche. Je vais néanmoins le contredire parce que je pense que celui qui a besoin d'un motif et d'une preuve, c'est celui qui veut instituer l'interdiction, et ce n'est pas celui qui veut maintenir le statu quo parce qu'il n'y a pas de raison de faire autrement. Donc, le fardeau de la preuve est du côté de celui qui veut interdire et qui veut limiter les droits, pas celui qui est du côté de la charte et des tribunaux.

M. Jolin-Barrette : Mais, si on le prend par l'autre bout, vous ne pensez pas qu'on vient consacrer le droit des enfants à avoir un enseignement qui est laïque en agissant comme on le fait?

M. Bouchard (Gérard) : Excusez-moi, je ne suis pas certain de vous avoir compris.

M. Jolin-Barrette : En fait, ce que je voulais dire, en interdisant le port de signes religieux chez les enseignants, on ne vient pas donner des droits aux enfants à un enseignement laïque, dans le respect de leur liberté de conscience, aux enfants?

M. Bouchard (Gérard) : Est-ce que c'est un raisonnement qui s'applique aux enfants comme tels? Est-ce que les enfants ont...

M. Jolin-Barrette : Ce matin, c'est ce que Mme El-Mabrouk soulignait dans le cadre de son intervention.

M. Bouchard (Gérard) : Moi, je crois qu'on reconnaît surtout les droits des parents, qui ont des devoirs envers leurs enfants et qui sont commis à la garde des intérêts de leurs enfants. Et là on revient au même problème : Sur quoi les parents vont-ils s'appuyer pour établir que leurs enfants sont victimes de discrimination, de traumatismes, etc.? Il leur faudra des preuves, eux autres aussi.

M. Jolin-Barrette : Sauf que les enfants eux-mêmes sont exposés aussi. Et je comprends qu'on parle de la liberté de conscience de leurs parents, mais l'enfant lui-même, aussi.

M. Bouchard (Gérard) : Les enfants sont exposés, mais est-ce qu'on a des preuves comme quoi ils sont traumatisés? Ce que l'on entend dire, c'est que les enfants aiment bien leurs maîtresses, comme on les appelait avant, et le fait qu'elles portent un signe religieux ou non les laisse indifférents. C'est surtout ça qu'on entend dire de la part de ceux qui travaillent dans les classes. Mais, encore une fois, il n'y a pas de preuve. Ce sont des témoignages qui sont restreints, qu'il faut écouter avec intérêt, mais qui ne tiennent pas lieu de preuves.

M. Jolin-Barrette : Et la figure d'autorité que représentent les enseignants pour les élèves, ce critère-là, le critère de modèle, vous ne pensez pas que c'est pertinent?

M. Bouchard (Gérard) : Bien, les enfants, je crois, sont attentifs... d'après ce qu'on entend, hein, encore là, il n'y a pas de preuve, mais d'après ce qu'on entend, c'est que les enfants sont attentifs d'abord à la personnalité de l'enseignante, et le hidjab ou le signe religieux qu'elle pourrait porter n'intervient que secondairement.

• (15 h 30) •

M. Jolin-Barrette : O.K. Et puis, par contre, on se retrouve dans une situation où on nous dit : Écoutez, il n'y a pas de preuve, vous ne faites pas la démonstration qu'il y a une influence, qu'il y a des conséquences, mais il n'y a pas de preuve de l'autre côté non plus, comme le dit M. Rocher.

M. Bouchard (Gérard) : ...que l'autre côté s'abstient de faire quoi que ce soit.

M. Jolin-Barrette : Mais, lorsqu'on parle des personnes avec un pouvoir de coercition puis qu'on dit : Bien, ceux-ci devraient ne pas porter de signes religieux à cause de l'élément de violence, d'accord pour l'élément de violence, mais est-ce que vous jumelez également le raisonnement de la liberté de conscience et de la liberté de religion pour le prévenu qui est arrêté, supposons, par le policier ou qui est jugé? Est-ce que vous ajoutez ce critère-là aussi pour déterminer que l'on vise le juge, le policier, l'agent correctionnel dans les interdictions, l'apparence, supposons, de neutralité, la perception que la personne va recevoir de la part de cet agent-là qui est chargé de l'application de la loi?

M. Bouchard (Gérard) : Est-ce que vous êtes en train de comparer le pouvoir de coercition exercé par ces agents et l'autorité que détiennent les pédagogues en classe?

M. Jolin-Barrette : Bien, en fait, ma question, c'est plus : Est-ce que vous jumelez les deux critères? Est-ce que le critère pour la personne qui a un pouvoir de coercition, juge, policier, gardien de prison, c'est uniquement basé sur le pouvoir de coercition, mais c'est aussi sur l'apparence de neutralité, l'apparence aussi de respecter la conscience, la liberté de religion de la personne qui est face à cet individu-là qui a un pouvoir sur la personne? Est-ce que c'est un double critère ou c'est uniquement basé sur la coercition?

M. Bouchard (Gérard) : Non. Je pense qu'il y a un critère, dans mon esprit, et le critère principal, c'est non pas le fait que les juges, par exemple, ou les policiers deviendraient plus objectifs et plus neutres du fait qu'ils n'auraient pas de signes religieux — ça, je crois que ça n'a rien à voir — mais qu'ils projetteraient une image plus accentuée d'impartialité et de neutralité de façon à ce qu'il n'y ait aucun doute qui naisse dans l'esprit de l'inculpé ou du prévenu sur l'impartialité du juge. C'est une question de crédibilité et d'image, essentiellement, et, à mon sens, ça va tout à fait dans le sens d'une meilleure administration de la justice. Ça pourrait éviter encore une fois des doutes, des contestations qui naîtraient dans l'esprit des personnes condamnées et qui n'auraient pas de recours finalement pour aller plus loin ou pour obtenir justice, selon leur perception.

M. Jolin-Barrette : O.K. Alors, pourquoi à ce moment-là on devrait viser... Dans votre livre, vous disiez : «On devrait viser également les dirigeants de commissions scolaires et d'établissements d'enseignement publics.» À cause de la fonction de transmission? Parce que, dans votre livre sur l'interculturalisme, vous disiez : Bon, les directions de commission scolaire... Pourquoi à eux on devrait les étendre, même chose pour le Protecteur du citoyen?

M. Bouchard (Gérard) : C'est une mention que j'ai faite mais qui n'est pas la principale, bien sûr, dans mon esprit. Mais la logique qui me conduit à ça, c'est un peu la même logique qui me fait penser que les présidents de l'Assemblée nationale doivent se garder de signes religieux parce qu'ils représentent une fonction éminente de l'État, et je pensais que, par symbole, peut-être que les dirigeants d'école peuvent incarner une fonction du même genre. Mais, pour moi, ce n'est pas un argument qui est aussi lourd que le premier.

M. Jolin-Barrette : O.K. J'ai deux autres questions avant de laisser la parole à mes collègues.

Au niveau de la définition de la laïcité qu'on a incluse dans le cadre du projet de loi, êtes-vous en accord avec cette définition-là, le fait que la laïcité repose sur quatre principes?

M. Bouchard (Gérard) : Oui. Bien, moi, je me suis trouvé en terrain familier parce que c'est un petit peu ce que nous avons formulé dans le rapport de notre commission, les quatre principes, que j'ai retrouvés avec plaisir dans votre projet, dans les considérants, et je suis absolument d'accord avec ça.

M. Jolin-Barrette : O.K. Mon autre question touche l'utilisation de la clause dérogatoire. Tout à l'heure, vous avez dit : Écoutez, je ne suis pas en faveur de l'utilisation de la clause dérogatoire, on devrait laisser aux tribunaux le loisir de déterminer... de se prononcer sur la loi et une éventuelle contestation. Moi, je suis d'avis contraire. Je crois que les rapports entre les religions et l'État, sur le plan sociétal, doivent être définis ici, à l'Assemblée nationale, par les élus de la nation québécoise. Vous ne pensez pas que ça peut être légitime que ça soit le Parlement qui détermine comment on va organiser les rapports entre la religion et l'État, considérant toute l'histoire depuis la Révolution tranquille, considérant les avancées, qu'il y a des choix qui sont faits, et considérant aussi que, dans une certaine mesure, la société québécoise, elle est distincte et elle a ses propres spécificités?

M. Bouchard (Gérard) : Oui. Moi, je suis aussi sensible que vous à la nécessité de protéger les prérogatives du Parlement parce que c'est une institution qui agit en fonction des mandats qu'elle a reçus de la population elle-même par les voies de la démocratie. C'est quelque chose de sacré.

Cependant, il arrive que... Comme pour tous les droits, ce n'est pas illimité parce qu'il peut arriver que, justement, parce que le gouvernement est issu de la majorité, il va être tenté de légiférer en faveur de la majorité. Et, quand il s'agit de localiser des ponts et des routes, des hôpitaux et des écoles, ça ne pose aucun problème. Mais, quand il s'agit de légiférer sur les droits des minorités, là, ça devient beaucoup plus délicat, parce que l'histoire nous montre nombre d'exemples où les majorités ont abusé de leur pouvoir aux dépens des minorités. Et c'est pourquoi, lorsque l'État s'avance sur ces terrains-là, il faut qu'il y ait une vigilance qui s'exerce par quelqu'un qui est à distance de l'État, notamment les tribunaux. C'est leur rôle.

Je ne vous rappellerai pas des choses que vous connaissez déjà, mais, par exemple, le fait que les citoyens de religion juive n'avaient pas droit à une journée de congé par semaine, alors que tous les catholiques et les chrétiens l'avaient, comment cela se fait-il? C'est parce que le gouvernement avait légiféré en fonction de la majorité. Il avait oublié qu'il y avait des minorités. En fait, disons, oublié, mettons-le entre guillemets. Mais c'est donc pour ces raisons-là qu'il faut qu'il y ait quelqu'un qui surveille l'État, pour que... sans le vouloir, souvent, il enfreint les droits des minorités.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Je me tourne maintenant vers l'opposition officielle. Mme la députée de Marguerite-Bourgeoys, s'il vous plaît.

Mme David : Merci beaucoup. Bonjour, M. Bouchard. Écoutez, je pense que quel que soit... Sur le continuum du plus ou du moins rapport Bouchard-Taylor... Parce que, je pense, c'est rentré complètement dans l'imaginaire québécois : Bouchard-Taylor, Bouchard-Taylor. Il y en a des totalement contre, il y en a des totalement pour et il y en a qui vont encore plus loin. Mais je voulais quand même vous remercier. Depuis tellement d'années que vous osez, comme universitaire, prendre la parole sur la place publique, faire des commissions complexes, qui ont eu leur lot évidemment de hauts et de bas, et d'être encore, 10 ans après votre rapport, 11 ans, dans l'espace public à venir nous éclairer... Il y aura des gens pour, il y aura des gens contre, comme vous le dites, mais c'est très éclairant, quelle que soit la position. Alors, je voulais vous remercier pour la profondeur de réflexion que vous nous inspirez. Et j'espère, j'espère sincèrement que le ministre saura mesurer l'ampleur de la profondeur de vos réflexions et saura en faire quelque chose, parce que je crois qu'on...

M. Bouchard (Gérard) : Il est convaincu!

Des voix : Ha, ha, ha!

Le Président (M. Bachand) : Mme la députée, s'il vous plaît.

Mme David : Et donc je reviens sur un mot que vous avez employé, parce que c'était un mot très fort, dans un article que vous avez publié récemment, et vous avez qualifié le projet de loi de radical, et ce n'est pas un mot que vous avez employé à la légère, je suis convaincue. Alors, je veux vous entendre sur cet adjectif, parce que ça veut dire quelque chose.

M. Bouchard (Gérard) : Bien, c'est très court. Si ce projet de loi n'était pas radical, il n'aurait pas besoin de recourir à la clause dérogatoire.

Le Président (M. Bachand) : Mme la députée.

Mme David : Et vous dites justement que, la clause dérogatoire, on ne joue pas avec ça comme avec n'importe quoi, c'est jouer avec un instrument extrêmement puissant. Et vous dites que, pour restreindre les droits individuels, il faut un motif vraiment supérieur. Je pense que, dans votre texte, vous faites l'énumération des motifs qui pourraient être supérieurs mais en disant : Justement, ils ne se retrouvent pas, certainement pas pour les enseignants. Quand on lit votre rapport, et Dieu sait qu'il est étoffé, vous donnez effectivement tout un substrat théorique de réflexions, d'études pour les conclusions auxquelles vous avez abouti, c'est-à-dire les agents coercitifs, présidents de l'Assemblée nationale, etc., les procureurs de la couronne. Mais vous dites : Ça ne passe pas le test du tout, la question des enseignants. Pour le bénéfice des gens, je voudrais que vous alliez un peu plus loin sur cette question de motif supérieur et d'absence de données.

• (15 h 40) •

M. Bouchard (Gérard) : Bien, je vous réfère aux exemples que j'ai déjà donnés. Les tribunaux ne font que cela, hein? Ils se retrouvent devant des droits qui s'opposent, qui sont incompatibles dans un contexte donné. Pas théoriquement, mais dans un contexte donné, les inférences qu'on peut tirer de deux droits peuvent se contredire et entrer en conflit. Et le rôle de la «litigation», le rôle du juge et du tribunal, c'est toujours d'arbitrer ce rapport-là, et en faisant intervenir des motifs qui ne sont pas dans les chartes, qui ne sont pas formulés dans les lois.

Mais des motifs qui ont des répercussions directes sur les enjeux de cette collision arrivent à faire pencher la balance d'un côté ou de l'autre. Mais c'est ce que j'appelle un motif supérieur, hein? Où se trouve le motif supérieur? Je ne sais pas si les juristes s'exprimeraient comme ça, mais je sais que vous rencontrez de très bons juristes, ils pourront me corriger. Mais, en fait, le raisonnement, c'est celui-là, hein? Si on a un motif supérieur, je crois qu'on peut supprimer des droits. Les gens qui s'engagent pour aller faire la guerre, on sait bien qu'il y en a une partie d'entre eux qui vont mourir, mais pourquoi on les envoie quand même et pourquoi ils acceptent d'y aller? C'est parce qu'il y a un motif supérieur. Ils le font pour leur patrie. Ils le font pour la liberté. Ils le font pour toutes sortes de raisons, mais pourtant on sait qu'ils vont mourir. On autorise la pratique des motoneiges. On sait, avant même le début de l'hiver, combien il y en a qui vont mourir. Pourquoi on les laisse mourir? Si la vie est sacrée, si c'est le droit le plus fondamental, on devrait interdire ça. Mais on ne l'interdit pas pour d'autres motifs, qu'on qualifie de supérieurs. C'est la même chose pour la saison de la chasse, etc.

Le Président (M. Bachand) : Mme la députée.

Mme David : Oui. Justement, à la page 5, vous parlez de cette fameuse clause dérogatoire et vous dites : «Au cours des dernières semaines, on a fait valoir que le recours à cette clause serait une pratique presque banale puisque les gouvernements québécois l'ont fréquemment utilisée. On ne dit pas que ces recours étaient souvent motivés par la nécessité de mieux protéger les droits de certains citoyens», alors qu'ici, de toute évidence, on supprime des droits des citoyens. Et on l'a dit à quelques reprises, mais je voudrais l'entendre de vous, parce qu'on sait le poids des mots quand ça vient de vous, la question de la clause dérogatoire qui a été utilisée des centaines de fois, etc. Bon, il y a eu des articles qui ont contredit d'autres articles, là, c'est normal. Mais je voudrais vous entendre sur le fait qu'attention la clause dérogatoire, c'est quand on... On ne le fait pas pour...

M. Bouchard (Gérard) : Je trouve que vous l'avez très bien dit en lisant l'extrait de mon mémoire. Je ne pourrais pas le dire mieux.

Mme David : Oui?

M. Bouchard (Gérard) : Mais oui. Et moi, j'ai été frappé par le débat sur ce projet de loi. Mais, en général, sur la laïcité et l'idée d'interdire les signes religieux chez certaines catégories de personnes, j'ai été frappé par le fait que certains intervenants semblaient considérer que la clause dérogatoire, c'est quelque chose de presque coutumier, d'un peu banal, qu'on n'utilise pas aussi souvent qu'on voudrait parce que, quand même, c'est une mesure qui n'est pas tout à fait comme les autres. Mais je pense que tout le monde ne mesure pas exactement le poids d'une mesure comme celle-là, les conséquences qu'elle peut avoir et la gravité des raisons qu'il faut invoquer pour y recourir. Et encore une fois je vous remercie de citer cet extrait de mon rapport, mais on oublie que, la plupart du temps ou, en tout cas, dans la majorité des cas, la clause dérogatoire était utilisée parce qu'on avait trouvé des failles dans les chartes ou dans la formulation des lois ou des codes juridiques qu'il fallait corriger. Et donc on utilisait la clause, mais c'était encore une fois dans l'esprit d'assurer un meilleur respect des droits de certains citoyens, alors que, là, c'est le contraire qu'on fait.

Mme David : Et, quand on parle, justement, de l'identité et du rapport à la religion, on est dans la philosophie, dans une forme d'existentialisme où la religion sert à quelque chose à différents continuums pour certaines personnes. Alors, ça ne se mesure pas comme avec une prise de sang ou avec êtes-vous croyant, pas croyant, un peu, moyennement, beaucoup. Mais, quand on entend beaucoup, beaucoup l'argument : Bien, il n'a ou elle n'a — malheureusement, c'est beaucoup plus elle qu'il — qu'à enlever son symbole religieux avant d'entrer en classe, le remettre après, qu'est-ce que vous répondez à cette question difficile?

M. Bouchard (Gérard) : Je crois que ça, c'est une vision qui provient d'une conception de la religion qui est héritée du catholicisme et des religions chrétiennes. Toutes ces religions n'imposent pas d'obligation de manifester leur croyance ou leur foi par des signes quelconques, le port de certains vêtements, le port de la barbe, etc., alors qu'on imagine mal que d'autres religions, qui étaient inconnues chez nous mais qui sont entrées au Québec par la voie de l'immigration, sont constituées de façon extrêmement différente, que la foi leur fait une obligation de la manifester à l'aide de signes qui sont prescrits par les codes, etc., ils n'ont pas le choix, ils sont obligés. Alors, d'autres peuvent vivre leur religion différemment et se croire libérés de ces obligations. C'est comme à l'intérieur du catholicisme. Tout le monde n'allait pas à la messe sept jours par semaine. Mais là c'est une obligation qui est extrêmement stricte. Demander à un sikh d'enlever son turban ou d'enlever son kirpan, ce n'est pas du tout la même chose que de demander à un chrétien d'enlever son scapulaire, c'est quelque chose qui est incorporé à ce qu'il y a de plus profond dans sa foi. Et, quand on tient compte de ça, bien là, on hésite un peu à négocier un peu à la légère les droits religieux de la part de certaines catégories de personnes.

Mme David : Comment vous expliquez cette espèce, justement, de banalisation de l'importance d'un port de signe religieux et que ça ne se fait pas entre telle heure et telle heure? On dirait qu'on a de la difficulté... que le message est difficile à passer et que c'est banal. J'aurais des éléments de réponse, mais je voudrais vous entendre là-dessus.

M. Bouchard (Gérard) : Moi, je pense qu'il y a un facteur qui est extrêmement important au Québec et dans l'histoire du Québec, qu'on ne retrouve pas au Canada anglais, qu'on ne retrouve pas aux États-Unis, c'est l'expérience extrêmement douloureuse que les Québécois ont vécue avec la religion catholique. C'était une religion qui était autoritaire, qui opprimait les citoyens, les femmes en particulier, surtout les femmes; dans les conflits ouvriers, qui prenaient toujours ou presque toujours le parti des patrons; dans les luttes nationales du Canada français contre le Canada anglais, qui prenait presque toujours le parti des anglophones. Ça a commencé avec la Conquête, avec les rébellions, etc. Finalement, tout cela a installé dans l'imaginaire des francophones québécois une vision extrêmement négative de la religion catholique et, par extension, maintenant de tout ce qui est religieux. Et les femmes ont de bonnes raisons de le faire parce que les grandes religions tiennent toutes à peu près les mêmes positions pour ce qui est du rapport entre l'homme et la femme et du statut de la femme.

Alors, au Québec, ce facteur-là est extrêmement important. Par exemple, il y a des universitaires canadiens-anglais qui ont comparé les attitudes et les perceptions des Québécois avec les attitudes et les perceptions des Canadiens anglais sur toutes sortes de sujets : l'environnement, l'importance de la famille, l'importance de l'éducation, les plans de carrière, etc. On est toujours pareils, on était toujours semblables. Sur un point, lorsqu'ils faisaient intervenir la religion, là les Québécois avaient une réaction très différente du Canada anglais, et c'est quelque chose qu'il faut comprendre. Ce n'est pas un caprice. C'est quelque chose qui est dans la sensibilité des Québécois et qui, étonnamment, s'est transmis d'une génération à l'autre. Moi, mes enfants n'ont pas vécu ce régime-là, mais ils pensent exactement la même chose que moi. Alors, peut-être qu'avec le temps ça va finir par se dissiper, mais on n'en est pas encore là.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. C'est tout le temps, malheureusement, Mme la députée. Merci infiniment. M. le député de Jean-Lesage, s'il vous plaît.

M. Zanetti : Je vous remercie, M. le Président. Merci, M. Bouchard.

M. Bouchard (Gérard) : ...plus douce que M. le ministre.

Le Président (M. Bachand) : C'est peut-être un hasard, un hasard lié au beau temps.

M. Bouchard (Gérard) : Je ne suis pas familier avec la politique, hein?

Le Président (M. Bachand) : M. le député de Jean-Lesage, s'il vous plaît.

M. Zanetti : Vous faites référence dans votre mémoire à une difficulté d'application du projet de loi n° 21 à cause de la définition ambiguë du signe religieux. Est-ce que vous pourriez développer sur les difficultés que ça pose, s'il vous plaît?

• (15 h 50) •

M. Bouchard (Gérard) : Bien, je ne dis pas que c'est un problème qui est insoluble, hein? Mais je dis que le projet de loi n'aborde pas ce problème-là. Les juristes ont montré que finalement la conception qu'on a des signes religieux est simpliste, elle est réductrice. On pense aux croix, aux hidjabs, aux kirpans, aux turbans, etc. Mais maintenant il y a une évolution extrêmement importante dans pratiquement toutes les religions, en gros, qui font que les individus veulent définir eux-mêmes leur foi, leur pratique, etc. Et ça, c'est quelque chose de neuf qu'on trouve partout en Occident. Il y a eu des études qui ont été faites en Europe. Sur les religions anciennes ou nouvelles, occidentales ou asiatiques, c'est la même chose. La deuxième génération des musulmans, par exemple, en France, en Hollande et en Angleterre, prend ses libertés par rapport au Coran, par rapport aux imams, etc., et redéfinit les choses à leur façon, si bien qu'on en arrive à imaginer des signes religieux qui n'existaient pas avant, qui n'étaient jamais mentionnés dans les grands codes, etc., et on se retrouve avec des gens qui adhèrent à certaines religions et qui considèrent que porter un médaillon, un macaron, un tee-shirt avec une certaine effigie, un tatouage, etc., c'est quelque chose qui est attaché intimement à leur religion. Alors là, on voit de tout, là, hein? Vous pouvez faire confiance aux jeunes, là, et on y perd son latin là-dedans.

Le Président (M. Bachand) : Il vous reste une minute, M. le député.

M. Bouchard (Gérard) : Alors, ça veut dire que... Est-ce que quelqu'un va passer dans les classes pour demander, par exemple, à des enseignantes : Ce que vous portez là, c'est-u vraiment parce que vous prenez pour tel club de hockey ou bien c'est parce que c'est religieux pour vous? Qu'est-ce que ça signifie exactement? Ça, c'est une atteinte à la vie privée. On ne peut pas faire ça. Si la personne, elle ne veut pas y répondre, on ne peut pas faire ça. Alors, je ne dis pas que c'est insoluble, hein? L'interdiction pourrait se contenter de viser les signes les plus traditionnels, les plus fréquents, etc. Ça éliminera les tee-shirts et les...

Le Président (M. Bachand) : 15 secondes, M. le député.

M. Zanetti : Et les tenants du... les gens en faveur du projet de loi font-u souvent une comparaison avec le projet de loi 101, qui est très cher à l'ensemble des Québécois? Quelle différence vous voyez entre la loi 101 et le p.l. n° 21?

Le Président (M. Bachand) : Malheureusement, je dois passer la parole à — vous pourrez continuer — M. le député de Matane-Matapédia, s'il vous plaît. Désolé.

M. Bérubé : Merci, M. le Président. M. Bouchard, c'est un plaisir d'échanger avec vous.

Vous avez souhaité d'entrée de jeu que le gouvernement puisse changer un certain nombre des paramètres de sa loi. Je vous indique qu'il est assez déterminé avec les éléments qu'on y retrouve. Et, comme le gouvernement est majoritaire, il y aura nécessairement une loi. Toutefois, un des souhaits du Parti québécois, c'est qu'il y ait un souci de cohérence.

Et là-dessus on est d'accord sur une mesure, que vous appelez une quatrième difficulté dans votre document, sur laquelle on peut tenter ensemble de convaincre le gouvernement d'être plus cohérent, et je la cite, c'est que «le projet de loi ne s'étend pas aux écoles privées, pourtant largement financées par l'État. Cette exception inclut les écoles privées religieuses, là où, [on peut] présumer, le port des signes religieux est le plus répandu. On s'interroge sur les raisons qui justifient cette exclusion.» Vous avez raison — ça nous inclut aussi — largement financées, 500 millions par année, 60 % pour chacun des élèves de ces écoles privées. Alors, pouvez-vous nous indiquer les raisons pour lesquelles vous croyez, vous, tout comme nous, que le projet de loi devrait également assujettir les écoles privées à la loi n° 21?

M. Bouchard (Gérard) : Bien, d'abord parce que, comme vous venez de le mentionner, il y a une relation organique étroite entre les écoles privées religieuses et l'État, puisque l'État finance la plus grande partie de ses budgets, et, deuxièmement, parce qu'il est facile de deviner que la plupart des personnes qui seront visées par les interdictions que comporte le projet se retrouvent justement dans les populations qui envoient leurs enfants dans ces écoles. Et c'est ces milieux-là qui devraient être visés en premier si on veut étendre l'interdiction là où elle doit l'être.

Alors, c'est justement une question que j'allais poser, si je peux me permettre, à M. le ministre. Pourquoi on n'a pas étendu le projet à ces écoles-là?

M. Bérubé : ...

M. Bouchard (Gérard) : Pardon?

M. Bérubé : J'ai une hypothèse, parce que le premier ministre a répondu, et le ministre de l'Éducation. Alors, vous savez la raison pour laquelle ils ne veulent pas l'appliquer? Le ministre de l'Éducation dit : Parce que les élèves qui se sont inscrits là y vont pour des valeurs religieuses.

M. Bouchard (Gérard) : Oui, et alors?

M. Bérubé : C'est pour ça qu'ils s'inscrivent aux écoles privées. C'est le ministre de l'Éducation qui a dit ça. Puis le premier ministre a évoqué ça aussi, le patrimoine religieux. Alors, c'est pour ça qu'ils s'inscrivent là. Il est normal qu'ils soient en contact avec des signes religieux. Qu'est-ce que ça vous dit?

Le Président (M. Bachand) : M. Bouchard.

M. Bouchard (Gérard) : Vous n'avez pas l'air à être d'accord avec le ministre.

M. Bérubé : Non. D'ailleurs, c'est des écoles semi-privées, hein? 60 % de financement, c'est semi-privé.

M. Bouchard (Gérard) : Vous voulez m'entraîner avec vous, là, hein, et me dresser contre mon ami M. le ministre! Non, non, je suis bien d'accord avec vous. On n'a pas besoin de rien ajouter. Cette réponse ne nous convainc pas. Vous non plus, c'est bien clair.

Le Président (M. Bachand) : D'accord. Alors, merci beaucoup. C'est tout le temps que nous avons, malheureusement. Merci infiniment, M. Bouchard, de votre contribution.

Je vais suspendre les travaux pour quelques instants et j'inviterais M. Lampron à s'avancer, s'il vous plaît. Merci.

(Suspension de la séance à 15 h 55)

(Reprise à 15 h 57)

Le Président (M. Bachand) : À l'ordre, s'il vous plaît! Merci. La commission va reprendre ses travaux. Je souhaite maintenant la bienvenue à M. Lampron. M. Lampron, vous disposez de 10 minutes pour votre exposé. Et, comme vous l'avez vu, après ça on aura une période d'échange avec les membres de la commission. Donc, je vous cède immédiatement la parole et vous souhaite encore une fois la bienvenue. M. Lampron, s'il vous plaît.

M. Louis-Philippe Lampron

M. Lampron (Louis-Philippe) : Merci beaucoup. Merci de l'invitation à m'adresser à vous aujourd'hui. Alors, merci, M. le Président. Bonjour à toutes et à tous. M. le ministre, Mmes et MM. les députés, c'est un plaisir, donc, de discuter autour du projet de loi n° 21, projet de loi à propos duquel il s'est dit, il s'est écrit beaucoup de choses depuis le dépôt. On pourrait même dire avant son dépôt, en fait.

Alors, vous expliquer un petit peu la démarche que j'ai suivie dans mon mémoire parce que ça va structurer aussi mon exposé. Alors, d'une part, j'ai essayé rapidement de dresser l'état du droit applicable au Québec en ce qui concerne la séparation du religieux et de l'État. Alors, sans le projet de loi n° 21, quelles sont les règles applicables actuellement au Québec et qui opérationnalisent justement la séparation du religieux et de l'État? Et ensuite je suis passé à une deuxième portion où là je formule des observations critiques, en fait, qui touchent essentiellement six points. Alors donc, l'exposé va être structuré essentiellement selon la même approche, mais, bien sûr, de manière plus succincte, hein? En 10 minutes, ça va assez vite.

Donc, sur l'état du droit applicable au Québec en ce qui concerne la séparation du religieux et de l'État, bien, il faut nommer le fait que c'est un principe supralégislatif. Donc, en vertu de la... Depuis Big M Drug Mart, en 1985, même si ça ne se retrouve pas expressément mentionné dans la charte canadienne ou encore dans la charte québécoise, bien, c'est un principe qui est opérationnel en droit québécois. Et donc on peut même parler d'un principe qui est constitutionnel.

Et donc on va faire référence à la neutralité religieuse de l'État. Et donc deux choses qui sont très claires juridiquement en vertu de ce principe constitutionnel là, c'est qu'il n'est pas possible, pour un législateur ou pour un organisme public, d'adopter une norme d'application générale qui poursuit un objectif religieux. C'était la raison pour laquelle on a invalidé en 1985 la Loi sur l'observance du dimanche, qui avait été adoptée, là, au début du XXe siècle. Donc, ça, ça a été très, très clairement établi en 1985. Et la deuxième chose qui est tout aussi clairement interdite dans l'espace public, là, il est impossible d'imposer une décision à un justiciable sur la base justement d'une conviction religieuse. Alors, les agents de l'État, les institutions, le législateur, tout comme ceux qui représentent l'État, qui travaillent pour l'État, doivent respecter l'obligation de neutralité religieuse de l'État. Ils ont, les fonctionnaires, individuellement, un devoir de réserve en matière religieuse qui a été reconnu par la jurisprudence.

• (16 heures) •

Maintenant, pour être capable de déterminer dans quelles circonstances est-ce qu'une personne, un fonctionnaire, un agent de l'État peut violer justement son devoir de réserve en matière religieuse, bien, les actes vont être déterminants, hein, l'acte de prosélytisme actif. Donc, par exemple, un enseignant ou une enseignante qui tenterait de convaincre, de convertir les élèves qui fréquentent sa classe, bien là, violerait son devoir de neutralité religieuse dans l'état actuel du droit québécois, en fait. Alors, l'obligation de neutralité religieuse de l'État, il est vrai qu'elle vise d'abord les institutions, mais il est faux de dire qu'elle ne vise que les institutions, au sens où, bien sûr, les personnes qui travaillent pour l'État ont également une obligation de respecter, là, la neutralité religieuse de l'État.

Alors, c'est important pour moi de rappeler ces principes juridiques là parce que, ce faisant, ça nous évite de présenter le débat qui concerne le projet de loi n° 21 de manière très manichéenne, hein, entre, d'un côté, celles et ceux qui souhaiteraient la mise en place d'un régime de séparation du religieux et de l'État au Québec et, de l'autre, les opposants, qui souhaiteraient, au contraire, qu'on soit capable... qu'on établisse un régime politique où, justement, le religieux et l'État ne sont pas séparés, donc on pourrait imposer des décisions sur des motifs religieux. Alors, il faut comprendre d'où on part juridiquement pour ensuite être capable de bien évaluer la portée de la proposition qu'on a devant nous avec le projet de loi n° 21.

Et, à mon sens, de bien rappeler le fait que ça existe déjà, le principe de séparation du religieux et de l'État, là, de manière supralégislative, autant en vertu de la charte québécoise que de la charte canadienne, bien, ça nous permet de mettre l'accent sur une constante dans le débat. C'est que, peu importe du côté du débat où on se trouve, là, il me semble qu'au Québec une écrasante majorité de la population est en faveur de la séparation du religieux et de l'État. Je ne crois pas qu'il y a un nombre important de gens, voire qu'il existe des gens dans le débat qui souhaiteraient un retour en arrière, à un moment où, justement, le religieux peut servir de base à l'imposition d'une décision ou encore d'une norme d'application générale.

Maintenant qu'on a établi quel était l'état du droit en ce qui concerne la séparation du religieux et de l'État actuellement au Québec, là, sans le projet de loi n° 21, bien là, on regarde le projet de loi n° 21, puis on se demande ce serait quoi, finalement, les changements concrets qui viendraient changer le quotidien des fonctionnaires, des agents de l'État, si tant est qu'on adoptait le projet de loi n° 21. Alors, il y a essentiellement deux choses qui se formulent en termes d'interdiction. D'une part, on va se trouver à interdire, de manière générale, à une catégorie assez... bien, une catégorie de fonctionnaires le droit de porter tout signe religieux, et, deuxièmement, on interdit à peu près à l'ensemble des fonctionnaires et des agents de l'État du Québec le droit de porter un niqab ou une burqa. C'est essentiellement les deux différences qui résulteraient, concrètement, là, de l'adoption du projet de loi n° 21 par rapport aux règles qui sont déjà applicables sur le territoire québécois.

Alors, maintenant qu'on a nommé ça, moi, à mon sens, le projet de loi n° 21 présente des problèmes importants à la fois sur la forme et sur le fond, là, en ce qui concerne le respect des droits et libertés de la personne, le respect des textes qui protègent les droits et libertés de la personne et le respect également de droits et libertés de groupes minoritaires sur le territoire québécois. L'essentiel, donc, de mes commentaires critiques tourne autour de ça.

J'ai formulé, donc, six points dans mon mémoire en ce qui concerne, donc — je vais les nommer, là — l'inclusion du terme «laïcité» en droit québécois, hein, quel est l'impact de l'inclusion de ce terme-là dans la charte québécoise, et donc, dans la loi n° 21, l'interdiction du port de signes religieux imposée à certains fonctionnaires et agents de l'État, les dispositions consacrées au principe du service public donné et reçu à visage découvert, le recours préventif aux dispositions permettant la dérogation aux droits protégés par les chartes canadienne et québécoise, la modification qui est proposée à la charte québécoise, hein, à 9.1 et au préambule de la charte québécoise, et finalement des dispositions qui laissent entendre que le projet de loi n° 21 deviendrait... obtiendrait une valeur quasi constitutionnelle en droit québécois. Donc, on pourrait parler d'une quasi-constitutionnalisation partielle.

On pourra revenir peut-être, dans la séance de questions, si la chose vous intéresse, là, sur des éléments plus techniques, en fait. Mais j'aimerais me concentrer, là, pour le temps qu'il me reste, sur le coeur de mon intervention, en ce qui concerne justement la portée de l'interdiction, qu'on propose, de porter des signes religieux pour certains agents de l'État, et également l'utilisation préventive de la disposition de dérogation, qui m'apparaissent tous les deux poser problème.

Alors, d'une part, j'aimerais rappeler qu'à mon sens le législateur a toute légitimité, le législateur québécois, à se saisir de la question de la laïcité et à adopter un cadre normatif qui vient établir des règles distinctes de celles qui sont applicables actuellement et qui s'appliquent ailleurs au Canada. Mais, pour fonder un véritable consensus social, à mon sens, le gouvernement ne peut pas faire fi de deux choses fondamentales. La première, c'est que — à partir du moment où on regarde d'où on part, hein? — toute interdiction du port de signes religieux pour des fonctionnaires, dans l'état actuel des choses, ça impose un désavantage plus grand aux membres des groupes minoritaires par rapport à l'écrasante majorité de la population québécoise, chrétienne, agnostique ou athée, qui n'a pas d'effort à faire pour respecter cette interdiction-là. Alors, ça, c'est le point de départ. Ça ne veut pas dire que c'est impossible en vertu du cadre constitutionnel, hein? Il n'y a aucun droit qui est absolu. Mais donc il faut que le législateur convainque de la raisonnabilité de cette atteinte-là aux droits fondamentaux de groupes minoritaires, qui vient nécessairement avec le coeur du projet de loi n° 21, qui implique une interdiction du droit de porter des signes religieux pour une catégorie d'individus qui l'ont en ce moment, ce droit-là.

Et le deuxième élément dont on ne peut pas faire fi, à mon sens, c'est le contexte sociopolitique assez particulier qu'on traverse un petit peu partout en Occident et qui est propice aux dérapages et aux attaques de toutes sortes à l'égard justement de plusieurs groupes minoritaires, qui vont subir des désavantages suite à l'adoption du projet de loi n° 21. Et donc il me semble que le leadership intellectuel et politique, là, il est fondamental dans un débat, qui est extrêmement sensible, comme un débat qui concerne les convictions religieuses et les rapports entre majorité et minorité. Et ces rapports entre majorité et minorité là, ils sont au coeur des textes qui protègent les droits et libertés de la personne depuis 1948, hein? L'objectif des textes, au niveau international comme au niveau québécois et canadien, est de s'assurer que les groupes majoritaires, par le truchement justement du système de représentation, n'abusent pas de ses prérogatives à l'encontre de groupes minoritaires.

Alors, dans ce contexte-là, moi, le problème que j'ai avec la dérogation préventive, et on pourra y revenir, là, c'est que, d'une part, je pense qu'il y a assez d'arguments qui ont été soulevés depuis le dépôt du projet de loi n° 21 pour laisser entendre que... si tant est que l'intérêt, il était d'abord pragmatique, et donc qu'on essayait d'éviter des dépenses gouvernementales, bien, ça, ce n'est plus recevable parce qu'il semble clair qu'il va être contesté, ce projet de loi là, disposition de dérogation ou pas, mais surtout il me semble que, dans un contexte où un projet qui vise à établir la laïcité de l'État, la séparation du religieux et de l'État, vise à établir un consensus qui tourne autour du vivre-ensemble, bien, d'utiliser de manière préventive la dérogation, ça sape toute possibilité, il me semble, concrète de convaincre de la raisonnabilité de l'approche qui est proposée, en fait.

Je vous vois hocher la tête, est-ce que j'arrive au bout de mon temps?

Le Président (M. Bachand) : Exact.

M. Lampron (Louis-Philippe) : J'arrive au bout de mon temps, c'est formidable.

Alors, deuxième élément, donc, on pourra y revenir, là, très rapidement sur la portée de l'interdiction aux enseignants, bien, à mon sens, c'est qu'on se trouve à un peu instrumentaliser le... on en parlait avec Gérard Bouchard tout à l'heure, là, mais la proposition du rapport Bouchard-Taylor, au sens où les enseignants évidemment n'ont rien à voir avec les fonctionnaires qui sont au coeur de la proposition, et surtout il y a des problèmes importants d'applicabilité de cette interdiction-là à partir du moment où on ne définit pas ce qu'est un signe religieux et qu'on tente de l'appliquer à un corps de fonctionnaires qui ne porte pas d'uniforme. Voilà, je m'arrête là.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup, M. Lampron. M. le ministre, s'il vous plaît, vous avez la parole.

M. Jolin-Barrette : Merci, M. le Président. M. Lampron, bonjour. C'est toujours un plaisir de vous voir, avec la clarté de vos propos.

D'entrée de jeu, je voudrais savoir : Est-ce que vous croyez que l'utilisation d'une disposition de dérogation est un choix d'opportunité pour le législateur?

M. Lampron (Louis-Philippe) : Moi, je ne suis pas celles et ceux qui démonisent l'utilisation de la disposition de dérogation, dans le sens que ça demeure un outil qui peut être utilisé dans certains contextes bien particuliers. Ça a déjà été fait dans le passé, on l'a dit, surtout pour renforcer des droits de citoyens, et ça pourrait tout à fait être fait de la même manière qu'on l'a fait pour la protection de la langue française dans certains contextes.

Là où j'ai un problème important avec l'utilisation préventive de la disposition de dérogation dans le cadre du projet de loi n° 21, c'est qu'on est au coeur de ce qui est protégé par les droits et libertés de la personne, c'est-à-dire la protection des groupes minoritaires contre les abus potentiels de la majorité, et ça, pour être capable d'établir l'équilibre, bien, les droits fondamentaux de la personne, ça ne revient pas au gouvernement que d'interpréter la portée des droits et libertés de la personne, et ça ne revient pas au gouvernement que d'établir cet équilibre-là entre un groupe majoritaire et minoritaire.

Depuis 1948, comme le principal... la principale institution qui doit respecter les droits et libertés de la personne, ce sont les États, hein, parce que, si on veut s'assurer qu'on n'abuse pas des prérogatives que nous confie la puissance publique, bien, nécessairement, on a besoin d'un arbitre pour être capable de déterminer quand est-ce qu'il y a un équilibre et quand est-ce qu'il y a un bris d'équilibre. Alors, c'est pour cette raison-là que, dans le contexte propre au projet de loi n° 21, moi, j'ai un problème important avec l'utilisation préventive de la disposition de dérogation.

M. Jolin-Barrette : O.K. Mais le gouvernement, et l'Assemblée nationale, peut tout de même l'utiliser. Vous avez un problème avec cette utilisation-là, mais, au niveau de la légitimité pour le faire, ça va, c'est prévu dans la Constitution canadienne, c'est prévu dans la Charte des droits et libertés de la personne, les dispositions, elles sont là pour être utilisées.

M. Lampron (Louis-Philippe) : Bien, écoutez, au niveau de la légitimité, ça, c'est une chose qui sort un petit peu de mon expertise, c'est un outil qui fait partie de la Charte canadienne. Il est très clair.

Maintenant, le fait de se fonder sur — et ça, j'ai écrit là-dessus — les critères qui permettent l'utilisation concrète, juridique de la disposition de dérogation établie en 1988, il me semble que, là, il y a beaucoup d'eau qui a coulé sous les ponts et que, justement, le renforcement progressif qu'on a octroyé aux groupes minoritaires, à travers les droits et libertés de la personne, pourrait venir changer le jeu et donc fonder un argument de contestation de l'utilisation de la disposition de dérogation ici.

M. Jolin-Barrette : Oui. Mais, sur ce que vous venez de mentionner, c'est spéculatif. Si on se fie aux critères établis par la Cour suprême en lien avec l'utilisation des dispositions de dérogation des deux chartes, est-ce que, selon vous, l'utilisation qu'on fait de la disposition de dérogation respecte et est conforme aux balises établies par la Cour suprême?

• (16 h 10) •

M. Lampron (Louis-Philippe) : Dans l'état actuel des choses, considérant le fait qu'elles sont purement formelles, elles respectent les critères qui ont été établis en 1988, tout à fait.

M. Jolin-Barrette : O.K. Vous avez abordé la question de la relation majorité-minorité beaucoup en lien avec le projet de loi n° 21. Cela étant dit, les dispositions qui sont dans le projet de loi n° 21 touchent l'ensemble des individus, l'ensemble des citoyens. Toutes les religions sont sur le même pied d'égalité. Souvent, on va dire, bon... Puis j'ai entendu les commentaires : Vous visez des groupes minoritaires, ou : vous visez certaines religions précises, alors que ça s'applique à la religion également catholique. Les Québécois, de par l'histoire, à cause de la présence de la religion catholique, il y a beaucoup de gens qui ont pratiqué cette religion-là, ou qui ont été baptisés, ou qui ont grandi dans cet univers-là, mais ils sont visés aussi par la loi. Ce qu'on fait avec le concept de laïcité, c'est qu'on met tout le monde sur le même pied d'égalité, peu importe la confession religieuse des gens. Et ça, j'y tenais.

Dans le fond, la définition qu'on met dans la laïcité, c'est de dire : C'est l'égalité de tous, et l'État agit d'une façon neutre, et on ne favorise pas et on ne défavorise pas une religion plutôt qu'une autre. Alors, pourquoi toujours soulever l'impact sur les minorités, alors que ça touche autant la majorité et les minorités, eu égard à l'article 2 de la Loi sur la laïcité?

M. Lampron (Louis-Philippe) : Ça nous amène à faire une distinction entre une discrimination directe et une discrimination indirecte, en fait, c'est-à-dire que, l'exemple auquel vous faites référence, le fait qu'une interdiction générale du droit de toute personne de porter des signes religieux, c'est égalitaire parce que ça vise toutes les religions. Et donc il y avait un exemple qui avait été donné par la commission Stasi à l'époque en France pour montrer à quel point c'était égalitaire, et là on donnait la kippa comme exemple, kippa juive, le voile musulman, et on revenait avec cette idée des chrétiens qui portent de grandes croix. Alors, cet exemple-là, par l'absurde, montre justement qu'est-ce qui est au coeur de la discrimination indirecte, qu'on appelle aussi discrimination par effet préjudiciable. C'est que, quand on regarde l'effet net de l'interdiction, bien, il y a une catégorie de la population qui, sauf exception, n'aura pas d'effort à faire pour la respecter, donc la majorité de la population québécoise chrétienne, athée ou agnostique, et donc ceux qui ont des efforts à faire concrètement, ce sont les membres de groupes religieux minoritaires qui, eux, croient sincèrement, mais pas tous, là, mais ceux qui, dans ces groupes-là, croient sincèrement devoir porter des signes religieux pour respecter leur obligation religieuse.

Alors, directement, effectivement, la loi, elle est neutre, mais, dans son effet, elle implique un désavantage plus grand sur les groupes religieux minoritaires présents sur le territoire québécois, et, en raison de cette question-là, bien, l'effet désavantageux, c'est suffisant pour démontrer l'existence d'une violation aux dispositions protégées par les chartes.

M. Jolin-Barrette : Mais l'article 2, ce n'est pas ça qu'il prévoit. Et je vais reprendre à mon compte l'exemple que ma collègue de Marguerite-Bourgeoys donne souvent : la petite croix catholique dans le cou donnée par la grand-mère. Alors, il y a de nombreux Québécois qui portent une croix catholique. Ils sont visés par le projet de loi aussi, peu importe la grosseur. Dans le fond, ce qu'on dit, c'est que, pour les personnes qui sont visées par l'interdiction, durant la prestation de travail, elles ne porteront pas de signes religieux. Ça s'applique à tous, peu importe la religion, minoritaire, majoritaire, ça vise tout le monde. Mais, durant la prestation de travail, c'est : pas de signes religieux.

Alors, je comprends ce que vous me dites sur l'effet indirect. Cela étant dit, la disposition législative, telle que visée, place tous les citoyens sur le même pied d'égalité. Là-dessus, est-ce que vous considérez que le fait d'interdire le port de... en fait, de devoir recevoir les services à visage découvert, c'est discriminatoire?

M. Lampron (Louis-Philippe) : De devoir recevoir... Donc, d'interdire à tous les fonctionnaires le fait de...

M. Jolin-Barrette : Bien, en fait, deux choses. Dans le projet de loi, tout fonctionnaire de l'État doit donner... en fait, doit exercer ses fonctions à visage découvert, premier élément. Deuxième élément, toute personne doit recevoir les services publics à visage découvert pour des motifs de sécurité, identification. Est-ce que ça, c'est discriminatoire, selon vous?

M. Lampron (Louis-Philippe) : Bien, le raisonnement propre aux chartes, grosso modo, il faut d'une part démontrer l'atteinte à un droit fondamental, puis ça, c'est au plaignant de le faire, et ensuite on va passer à la question de la justification. Donc là, c'est important de garder en tête que le projet de loi n° 21, le coeur des interdictions qui sont proposées, c'est à l'étape de la justification, hein? Les motifs supérieurs dont parlait Gérard Bouchard tout à l'heure, bien, c'est ce qu'on va prendre en considération à l'étape de la justification.

Alors, pour répondre directement à votre question : Est-ce que le fait d'interdire à une personne de porter un signe religieux, quel qu'il soit, c'est une atteinte à sa liberté de conscience et de religion?, la réponse est toujours oui.

Maintenant, la deuxième question : Est-ce que cette atteinte-là — et c'est le coeur du débat — se justifie dans une société libre et démocratique? Ça se justifie pour des fonctionnaires que d'interdire de manière large le port d'un signe religieux, en particulier qui voile le visage. Ça, c'est une tout autre question.

M. Jolin-Barrette : Mais donc, si je reviens aux bénéficiaires de services publics, ceux qui se présentent, là, pour obtenir un service public, le fait que l'État québécois exige d'avoir le visage à découvert, ça, est-ce que vous êtes à l'aise avec ça? Est-ce que la société québécoise devrait exiger le fait que, lorsqu'on souhaite obtenir un service public, il faut se découvrir le visage?

M. Lampron (Louis-Philippe) : À moins que je me trompe dans l'analyse de votre projet de loi, il me semble que ce n'est pas ce que votre projet de loi dit, au sens où le projet de loi se trouve à codifier la règle actuelle, qui avait été appliquée par la Cour suprême dans l'arrêt NS, en disant qu'on a le droit de demander à une personne qui porte un signe religieux qui lui voile le visage de se dévoiler pour des motifs liés à l'identité ou à la sécurité. Alors, on n'exige pas pour les bénéficiaires de services publics le visage découvert lorsqu'on est en interaction avec un fonctionnaire. On permet, comme c'est déjà permis par le droit québécois et canadien — et là il n'y a pas de rajout aux règles actuelles — à des décideurs de dire : Ici, parce qu'il y a une question de sécurité en cause ou il y a une question d'identification en cause, vous devez vous dévoiler le visage.

Alors, dans ce contexte-là, comme c'est l'état du droit qui est codifié dans le projet de loi n° 21, moi, je suis très à l'aise avec cette distinction-là. Et d'ailleurs j'aimerais souligner le fait qu'on met fin à une confusion qu'on retrouvait dans la loi n° 19, qui mettait sur un pied d'égalité les fonctionnaires qui portent ce signe religieux là et les bénéficiaires de services publics. Alors, de faire cette distinction-là, là-dessus, c'est une avancée par rapport au projet de loi n° 19.

M. Jolin-Barrette : Et j'apprécie votre appui sur ce point. Mais R. c. NS, c'est devant le tribunal. Et l'autre élément, c'est que, nous, ce qu'on fait dans le projet de loi, c'est qu'il n'y a pas d'exception sur... il n'y a pas d'accommodement possible en lien avec le visage à découvert pour le fonctionnaire, à l'exception pour des motifs de handicap, pour des motifs également de handicap ou de... j'allais dire de blessure, là, mais pour des motifs de santé.

Mais revenons à la question de la charte. L'interprétation que les tribunaux ont faite des droits et libertés, eu égard au multiculturalisme, voyez-vous une distinction qui devrait être faite? Parce qu'on vient modifier la Charte des droits et libertés de la personne en insérant l'article 9.1, la laïcité, et dans le préambule. Est-ce que vous pensez que... ou la société québécoise, l'Assemblée devrait faire une distinction entre la charte québécoise et la charte canadienne au niveau de l'interprétation? Pensez-vous qu'on devrait faire une autonomisation de la charte québécoise?

• (16 h 20) •

M. Lampron (Louis-Philippe) : Bien, je l'ai déjà proposé dans le passé. Moi, je maintiens que ce serait une idée qui est tout à fait légitime, en fait, si tant est que le législateur veut plonger là-dedans. Mais le problème, c'est qu'avec le projet de loi n° 21 la forme n'est pas du tout conforme à ce que je proposais, c'est-à-dire que c'est une chose que d'autonomiser la charte québécoise, c'en est une autre que de la considérer comme une simple loi ordinaire. Et, moi, le problème que j'ai avec le projet de loi n° 21, c'est qu'on fait une modification à 9.1 et au préambule et que — et là je réfère à l'article qui avait été écrit notamment par Pierre Bosset et Michel Coutu — on semble se coller sur la règle qui est actuellement applicable, sur la possibilité de modifier à la majorité simple la charte québécoise. C'est une chose.

D'autre part, moi, ce que je proposais pour autonomiser la charte québécoise, bien, je ne contournais pas les tribunaux comme c'est le cas ici. C'est-à-dire que c'est une chose que de dire : Au Québec, la seule loi qui protège les droits fondamentaux qui doit être applicable, c'est la charte québécoise, et ce n'est pas la Charte canadienne pour différentes raisons, mais maintenant on doit toujours garder en tête que ce n'est pas au gouvernement de définir la portée des droits fondamentaux. Alors, moi, c'est la chose que j'ai à faire.

L'utilisation de la disposition de dérogation, comme je le disais d'emblée, ce n'est pas nécessairement une mauvaise chose en toutes circonstances, mais les droits et libertés de la personne, ça doit obéir à certaines règles, et une des règles fondamentales, c'est de toujours référer à un arbitre, à un tiers indépendant pour définir la portée des droits fondamentaux. C'est de détourner de son sens les droits fondamentaux que de revenir à cet argument-là selon lequel il revient au gouvernement de définir la portée des droits et libertés fondamentaux, comme c'est de détourner de son sens les droits fondamentaux que de dire que... de référer uniquement à l'appui de la majorité sur une disposition pour justifier la suspension des droits fondamentaux, la violation des droits fondamentaux. Ce qui est au coeur des droits et libertés de la personne, c'est justement le système, et là il y a différents modèles, en fait. On n'est pas obligé de se tourner vers un contrôle a posteriori, hein, on pourrait se tourner vers le modèle français, par exemple, quelque chose de plus proche du conseil constitutionnel avec un contrôle a priori.

Et donc on n'est pas figés dans le modèle qui est imposé dans le cadre fédératif canadien, mais une chose est très claire : Si on ne veut pas détourner de sa nature les droits et libertés de la personne, que ce soit de la charte québécoise ou de la charte canadienne, on ne coupe pas l'obligation de faire examiner les droits et libertés par un tiers indépendant. Et ce n'est pas ce que fait le projet de loi n° 21.

M. Jolin-Barrette : Non.

M. Lampron (Louis-Philippe) : Il met fin au dialogue avant même qu'il ait commencé.

M. Jolin-Barrette : Oui, bien, en fait, c'est un choix. On considère que la société québécoise doit, par le biais de ses représentants élus, décider de quelle manière les rapports entre l'État et les religions vont s'exercer. Alors, notamment, c'est ce choix-là que le gouvernement du Québec a fait. Sur ce, je vous remercie. Je sais que j'ai des collègues qui veulent poser des questions aussi.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup, M. le ministre. M. le député de Vachon, s'il vous plaît.

M. Lafrenière : Merci de votre présence aujourd'hui. Lors des consultations sur le projet de loi n° 60, ça, c'est en 2013, l'ex-juge de la Cour suprême du Canada, Mme Claire L'Heureux-Dubé, tout comme certains de vos éminents collègues de travail, Henri Brun, Guy Tremblay, Maurice Arbour, étaient convaincus que le projet de loi en question aurait passé les tests des tribunaux, et ça, c'était sans problème, selon eux, à ce moment-là. Ils n'avaient pas non plus d'objection au recours aux dispositions de dérogation. Et on sait que le projet de loi aujourd'hui va beaucoup moins loin que ce qui était déposé en 2013. Mme L'Heureux-Dubé avait même mentionné que les signes religieux, puis là je vais la citer, «font partie de l'affichage de ces croyances religieuses et non pas de la pratique d'une religion», et comparait, dans le fond, les mesures de restriction avec les mesures de restriction qu'on a dans la liberté d'expression politique des fonctionnaires.

Si on accepte ces libertés d'expression là envers nos fonctionnaires, est-ce que de donner, justement, des libertés... De priver certaines libertés d'expression religieuse pour les mêmes fonctionnaires, est-ce que ça ne serait pas justifiable, surtout qu'aujourd'hui, ces balises-là, on les donne pour beaucoup moins de personnes, on s'entend, hein? C'est un petit groupe de fonctionnaires qui vont être ciblés. Est-ce qu'on n'est pas en train de banaliser, dans le fond, la liberté d'expression politique en laissant entendre qu'elle mériterait moins de protection que la liberté d'expression religieuse?

M. Lampron (Louis-Philippe) : Une très bonne question, merci. D'une part, là, sur la position de la juge L'Heureux-Dubé sur la distinction à faire entre la croyance et l'expression de ces croyances, en vertu de la liberté de conscience et de religion, à mon sens, c'est une distinction qui ne tient pas la route parce que, jusqu'à ce qu'on soit capables d'aller dans la tête des gens, la seule chose sur laquelle on peut agir concrètement, c'est sur la manifestation des croyances, en fait. Alors, je comprends que la Cour suprême souvent revient sur cette idée-là, qu'il est plus aisé de restreindre l'expression d'une croyance que la liberté de conscience en elle-même, mais il me semble que c'est une lapalissade, c'est-à-dire que, si on veut donner sens à la liberté de conscience et de religion, bien, nécessairement, il faut qu'on associe la manifestation de la croyance, c'est ce qui est fait en droit international, par ailleurs, avec la conviction. Sinon, bien, la liberté de conscience, elle nous permet de croire ce qu'on veut, mais de ne pas l'exprimer. Alors, ça, c'est la première chose.

La deuxième chose, la distinction entre le devoir de réserve en matière politique, hein, qui est assez large pour les fonctionnaires et agents de l'État... et donc cet argument-là selon lequel si on le fait pour les convictions politiques, pourquoi est-ce qu'on ne le ferait pas pour les convictions religieuses, finalement, ce qui est un argument qui est intéressant, mais qui me semble ne pas résister à l'analyse pour deux choses. D'une part, la nature particulière de l'emploi des fonctionnaires, en fait, hein? Cette idée selon laquelle il y a l'emploi employeur, c'est-à-dire que, par exemple, l'Assemblée nationale, c'est... Par exemple, le premier ministre, c'est le premier ministre de tous les Québécois, mais il a aussi un deuxième chapeau, qui est le chef du parti politique, en fait, qui a fait en sorte qu'il a pu accéder au pouvoir. Alors, ce double chapeau là et ce roulement dans celles et ceux qui ont en main les destinées de l'État québécois fait en sorte qu'il est cohérent de demander une plus grande réserve en matière d'expression des opinions politiques ou des convictions politiques, parce que souvent on va parler d'opinions politiques, et là on tombe sous l'angle de la liberté d'expression, beaucoup plus que de la liberté de conscience, là, ça, il faut en être aussi conscients. Mais la nature particulière de l'emploi des fonctionnaires, et surtout de l'employeur des fonctionnaires, qui a le double statut, hein, représenter l'ensemble de la population, mais aussi des visées politiques et un agenda politique, justifie bien le devoir de réserve plus large en matière d'expression des opinions politiques que ce serait le cas pour les convictions religieuses.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. En terminant, monsieur...

M. Lafrenière : Vous ne trouvez justement que, dans les deux cas, c'est un besoin de neutralité et d'apparence de neutralité pour nos employés?

M. Lampron (Louis-Philippe) : Bien, sur la question de l'apparence de neutralité, encore une fois, en raison du double statut, ça se justifie mieux pour l'expression des opinions politiques. Puis l'autre argument aussi, c'est que — et là ça m'amène à la distinction entre qu'est-ce qui est protégé par la liberté de conscience et qu'est-ce qui est protégé par la liberté d'expression, hein? — l'opinion et l'expression de l'opinion, c'est la liberté d'expression, en fait, qui va être en cause, alors que, si on va sur la conscience, bien là, c'est quelque chose qui est structurant du point de vue de l'identité. Alors, ce niveau-là, l'objet de protection, est différent en vertu de l'opinion politique par rapport à la conscience, la conviction religieuse.

Le Président (M. Bachand) : Merci. Merci beaucoup. Je cède la parole à la députée de Marguerite-Bourgeoys, s'il vous plaît. Mme la députée.

Mme David : Merci beaucoup. Merci beaucoup pour votre importante contribution, on peut dire, avec un mémoire costaud, simple interligne, plusieurs pages, et très, très étoffé. Donc, c'est une lecture fort instructive et intéressante.

Vous commencez par une mise en garde, dans le fond, qui est importante, dans l'introduction. Vous dites que «les débats entourant la place de la religion dans l'espace public ne sont pas le propre du Québec». Et ça, on le répète beaucoup, ce n'est pas Québec, société distincte, qui réfléchit à son avenir, là, ce n'est pas le propre des sociétés, c'est le propre de plein de sociétés. Et vous dites : «Et ont fait — ou font toujours — rage dans plusieurs sociétés à travers le monde». Donc, là-dessus, on peut s'élever un peu plus haut puis dire : On n'est pas les seuls à réfléchir. D'ailleurs, vous avez parlé de plusieurs hypothèses avec le ministre de la Justice pour sortir un peu et aller trouver un tiers qui pourrait regarder tout ça. Mais vous dites : «Pour cette raison, ils doivent être menés avec un infini doigté par les gouvernements qui choisissent de s'en saisir.» «L'infini doigté», est-ce que c'est le qualificatif que vous emploieriez pour ce projet de loi ci?

M. Lampron (Louis-Philippe) : Bien, écoutez, le titre de mon mémoire, en fait, c'est Dialoguer et convaincre plutôt qu'interdire et déroger. Moi, c'est le principal reproche, je pense, que j'ai à faire au projet de loi n° 21, c'est-à-dire l'approche, et notamment la dérogation préventive aux chartes, qui part de quelque chose, je pense, qui est bien intentionné, au sens où, là-dessus, je partage le point de vue de beaucoup de Québécoises et beaucoup de Québécois... et j'ai fait ma thèse là-dessus, là, alors peut-être que c'est encore pire. Mais ce serait vraiment agréable qu'on soit capable de passer à autre chose. Je comprends le point de vue, je comprends l'usure par rapport à ce débat-là, absolument. Mais, en matière de protection des droits et libertés de la personne, de groupes minoritaires, malheureusement, l'usure qu'on peut éprouver par rapport à un débat qui dure depuis plusieurs années n'est pas suffisante pour justifier les raccourcis, en fait, surtout pas. Si tant est que, pour un sujet aussi sensible que celui-là, là... Les rapports entre majorité et minorité, c'est toujours un sujet extrêmement sensible. Bien, nécessairement, ce qu'on veut, c'est être capable de construire un véritable consensus social. Et donc l'utilisation de la dérogation sur la base de la simple affirmation de l'appui de la majorité de la population n'est jamais suffisante pour justifier une suppression des droits et libertés de la personne, ne peut pas l'être, en fait, et ne doit pas l'être.

Alors, là-dessus, pour être capable d'apaiser le débat, le choix qui a été fait... Et, à la fin de mon mémoire, je salue évidemment — bien, je suis très heureux d'être invité — les consultations, mais ça va très vite, et on est sous l'impression, qui a été confirmée, je pense, tout à l'heure par le ministre de l'Immigration, que le projet de loi, il est sur un «fast track», excusez-moi l'anglicisme, et que, donc, il va être adopté, peu importe l'issue des consultations, et ça, sur un enjeu aussi important, c'est assez difficile à comprendre.

Mme David : Vous apportez un élément qui n'a pas tellement été mentionné, qui m'apparaît fort important, à la page 15, quand vous dites, dans le second argument, et vous venez d'en parler, «le souhait d'éviter de longues contestations judiciaires». Dans votre fameux chapitre 2.4 sur la dérogation préventive, vous dites : «...il semble désormais acquis qu'il n'existe pas de scénario, disposition de dérogation ou pas, qui empêchera la contestation judiciaire des dispositions proposées dans le p.l. n° 21devant les tribunaux canadiens.» Et puis, là, bien, vous citez beaucoup d'articles, etc., c'est des notes en bas de page importantes. Parlez-nous un peu de ça, on se projette, là.

M. Lampron (Louis-Philippe) : Bien, déjà, je trouve que l'argument pragmatique de dire : On va sauver des sous, en fait, en utilisant la disposition de dérogation est assez difficile à recevoir en tant que lui-même, mais en plus il ne tient pas la route parce que, rapidement, après le dépôt du projet de loi n° 21, plusieurs collègues, en fait, dont je fais partie, ont soulevé des possibilités de contestation du projet de loi et même de l'utilisation de la disposition de dérogation. Et, bon, je comprends que c'est des postures souvent spéculatives, parce que l'arrêt Ford, il a été rendu en 1988, et on n'a pas eu d'occasion de revenir là-dessus, la Cour suprême n'a jamais eu d'occasion de revenir là-dessus. Alors, il y a ce pôle de contestation là qui va nécessairement être mis de l'avant, à mon sens, mais il y en a également d'autres en matière de droit constitutionnel, qui ne touchent pas à la Charte canadienne.

Alors, d'une manière ou de l'autre, là, qu'on mette la disposition de dérogation ou pas, il va y avoir des contestations judiciaires. Si c'est l'objectif principal, à mon sens, on est pas mal mieux de se mettre à la tâche puis de construire un argumentaire pour être capable de convaincre de la raisonnabilité de l'interdiction qu'on propose. Et, dans le droit canadien et québécois des droits de la personne, il y en a, des voies de sortie. L'interdiction de Bouchard-Taylor, là, je fais partie de celles et ceux qui prétendent qu'il y a des chances raisonnables de passer le test des droits et des libertés de la personne pour différentes raisons, alors que, dans le...

Mme David : Donc...

M. Lampron (Louis-Philippe) : Oui?

Mme David : ...est-ce qu'on peut raisonnablement conclure que vous n'êtes pas très optimiste justement sur la possibilité de passer le test des...

M. Lampron (Louis-Philippe) : Avec ce projet de loi là?

Mme David : ...avec le projet de loi n° 21?

• (16 h 30) •

M. Lampron (Louis-Philippe) : Sur la question des enseignants, ça risque d'être extrêmement difficile pour différentes raisons, notamment sur le problème clair d'applicabilité du projet de loi. C'est-à-dire que l'idée selon laquelle on est capable d'identifier facilement un signe religieux, puis on le voit avec un régime comme la France, qui l'interdit de manière assez large, ça crée des situations absolument loufoques, en fait, où on va se trouver à mesurer des jupes pour s'assurer que ce n'est pas une jupe ostentatoire ou, au contraire, on va se demander si un bandana devient un hidjab ou quoi. Ça crée des situations absurdes, mais surtout c'est que, si on fait abstraction des signes religieux dont on parle beaucoup, ils sont presque infinis, en fait, les signes qui peuvent avoir une signification religieuse.

Alors, dans un contexte où ce qu'on veut faire, en principe, là, pour séparer le religieux de l'État, c'est d'imposer à un corps enseignant, si je parle des enseignants qui... un corps, donc, de fonctionnaires, les enseignants qui ne portent pas d'uniforme, une interdiction floue de porter des signes religieux, c'est quelque chose qui est, à sa face même, très, très difficile à appliquer, voire carrément inapplicable.

Mme David : O.K. Alors, je vais revenir, parce que vous l'avez abordé vous-même à la page 16, mais vous l'avez abordé tout à l'heure, question un petit peu explosive, sur la légitimité politique, donc sur la question de la majorité, vous avez discuté avec le ministre tout à l'heure. Vous écrivez quand même : «L'appui de la majorité de la population à une mesure législative, quelle qu'elle soit, ne peut jamais être suffisant en lui-même pour justifier la violation — et, à plus forte raison, la suspension — des droits et libertés de la personne...» C'est une phrase assez forte. Je voudrais vous réentendre là-dessus.

M. Lampron (Louis-Philippe) : Je vais revenir à 1948. La raison pour laquelle on est entrés... tous les États occidentaux ont peu à peu codifié les droits et libertés de la personne, c'est qu'on a réalisé que parfois des gouvernements démocratiques pouvaient mener à des abus vraiment épouvantables à l'encontre de groupes minoritaires. Alors, cette réalisation-là, elle est au coeur de la codification des droits et libertés de la personne comme étant le socle de légitimité de l'action démocratique.

Alors, c'est pour ça que l'appui de la majorité, c'est évidemment un élément dont on va tenir compte au moment de la justification d'une atteinte au droit fondamental. Ça, c'est très, très clair, en fait. Les particularismes, en matière d'application des droits et libertés fondamentaux, en particulier dans la séparation du religieux et de l'État... On voit que la France ne fonctionne pas de la même manière que le Canada, qui ne fonctionne pas de la même manière que la Belgique. Alors, on a de la marge, en fait, pour être capable d'établir sa distinction. Mais là où ça ne tient pas la route, l'appui de la majorité pour être capable de porter atteinte et de dire que c'est suffisant pour restreindre des droits qui existent dans l'état actuel des choses, parce que... Et là je reprends la phrase du premier ministre Legault dans son adresse à la nation, quand il nous dit qu'au Québec c'est comme ça qu'on vit, techniquement c'est faux, parce qu'au Québec, actuellement, les fonctionnaires, ils jouissent du droit de porter des signes religieux et ils vont le perdre, ce droit-là, avec le projet de loi n° 21.

Alors, nécessairement, là, il y a un changement, quand on regarde les règles qui sont applicables au Québec, et là on veut aller plus loin. Ça peut être légitime, ça peut se défendre, mais on ne peut pas se cacher derrière l'argument de l'appui de la majorité pour faire passer une mesure comme celle-là. Il faut qu'on soit capable de construire un argumentaire sérieux sur les fameux motifs supérieurs auxquels faisait référence Gérard Bouchard tout à l'heure.

Mme David : Bien, je vous ramène justement à la page 6, où on a discuté ça beaucoup aussi, c'est dans l'arrêt Mouvement laïque québécois contre ville de Saguenay, qui est un arrêt quand même assez connu, où justement vous citez que... «Je précise qu'un espace public neutre ne signifie pas — et j'aime bien l'expression du juge — l'homogénéisation des acteurs privés qui s'y trouvent. La neutralité est celle des institutions et de l'État, non celle des individus.»

Je pense qu'avec la question des enseignants on est au coeur de cette définition, mais j'aimerais que vous élaboriez.

M. Lampron (Louis-Philippe) : Moi, cette phrase-là, en fait, je trouve que, parfois, elle est un petit peu instrumentalisée, c'est-à-dire que ça n'implique pas, cette phrase-là, que les fonctionnaires, les agents de l'État n'ont aucun devoir de réserve en matière religieuse dans l'état actuel des choses. Il existe un devoir de réserve en matière de neutralité religieuse de l'État, les enseignants en ont un déjà.

Et donc l'argument qui tourne autour de la protection de la liberté de conscience des enfants est un argument qui constitue, bien sûr, un motif supérieur, mais, dans les règles actuelles, une enseignante qui tente, par des actes concrets, de convertir ses élèves, elle peut se faire imposer une sanction parce qu'elle viole son obligation de neutralité religieuse de l'État. Alors, on a déjà des mesures qui protègent la liberté de conscience des enfants, et là la question, c'est de savoir si on veut aller plus loin et faire cet amalgame-là entre le simple port d'un signe religieux et le fait de vouloir convaincre les personnes qui sont confrontées à ce signe religieux là d'adhérer à la foi qui nous amène à porter ce signe religieux là. Et, là-dessus, il me semble que le fardeau de preuve repose sur les épaules du législateur, et, il me semble, là-dessus je partage la posture qui a été avancée par Gérard Bouchard et bien d'autres, on n'en a pas, d'élément qui semble démontrer que c'est la raison qui est principale et qui justifierait, justement, le port de signe religieux, d'une part.

D'autre part, il ne faut pas oublier qu'il est impossible d'inférer une portée objective aux signes religieux. Les signes religieux, la plupart sont polysémiques et subjectifs, en fait. Alors, la raison pour laquelle moi, je porterais une croix religieuse, si tant est que j'étais chrétien, et que mon voisin porterait une croix religieuse peut être complètement différente, en fait. Et, sur la question du prosélytisme, cette adéquation-là me semble très difficile à soutenir.

Le Président (M. Bachand) : Mme la députée.

Mme David : Merci. Alors, écoutez, page 18, 2.6, le titre est quand même un peu rébarbatif, mais c'est très intéressant, La quasi-constitutionnalisation partielledu projet de loi n° 21 : «Devons-nous comprendre que l'intention du législateur est de faire de la future Loi sur la laïcité de l'État une loi ayant une valeur quasi constitutionnelle en droit québécois?» Votre réponse?

M. Lampron (Louis-Philippe) : Moi, oui, c'est ce que je comprends du projet de loi. En fait, je ne vois pas quel autre sens lui donner, c'est-à-dire qu'on est calqué sur l'article 52 de la charte québécoise. Donc, on laisse entendre que le projet de loi n° 21, une fois adopté en loi, devrait avoir une valeur supralégislative.

Maintenant, là où c'est problématique et difficile à comprendre pour moi, c'est que, là, on fait un deux poids, deux mesures, au sens où les articles 1 à 3, qui représentent le coeur du projet de loi sur la laïcité, ne seraient pas supralégislatifs sur les lois antérieures. Alors, d'une part, j'aimerais comprendre quelles sont les lois qu'on a en tête... en fait, auxquelles on souhaite exempter l'application des articles 1 à 3, de un. De deux, ça fait partie des recommandations que j'avance, là, pour ne pas édulcorer indûment l'argument de quasi-constitutionnalité, il me semble que, si l'objectif qui est derrière cet article-là est simplement de s'assurer d'exempter certaines lois qu'on a déjà ciblées, bien, pourquoi ne simplement pas les identifier et déclarer qu'elles ne sont pas applicables, que les articles 1 à 3 ne sont pas applicables à ces lois-là?

Mme David : Je sens que je n'aurai pas le temps de vous donner la réponse...

Le Président (M. Bachand) : En terminant...

Mme David : ...mais je peux poser la question. Comment on va s'en tirer pour essayer d'opérationnaliser le concept, justement, des signes religieux invisibles, visibles, qu'est-ce qui est un signe religieux, qu'est-ce qui ne l'est pas? Si vous étiez le ministre, qu'est-ce que vous feriez?

Le Président (M. Bachand) : Malheureusement, on doit attendre. C'est maintenant au tour du député de Jean-Lesage de prendre la parole. M. le député, s'il vous plaît.

M. Zanetti : Merci, M. le Président. Vous dites dans votre mémoire que le principe de laïcité est déjà applicable en droit québécois. Pouvez-vous nous expliquer comment ça fonctionne?

M. Lampron (Louis-Philippe) : La laïcité, en fait, là je fais référence à des auteurs comme Dominique Schnapper, Jocelyn Maclure, Charles Taylor, c'est-à-dire que c'est un concept qui est polysémique, en fait. Il y a autant de manières de faire atterrir concrètement la laïcité qu'il y a d'États, ou de régimes politiques, ou quoi que ce soit. Et ce qui est au coeur de la laïcité, c'est cette idée selon laquelle les décisions qui vont s'imposer à l'ensemble des justiciables ne doivent pas avoir d'origine religieuse, hein? La séparation du religieux et de l'État, c'est un petit peu ça, puis la laïcité, bien, c'est la manière d'opérationnaliser cette idée-là et de s'assurer justement que, bien, c'est la délibération qui va pouvoir créer les règles qui vont s'appliquer à toutes et tous et que ce ne sera pas influencé par une institution religieuse ou un dogme religieux, quel qu'il soit.

Alors, en ce sens-là, la laïcité, à travers la neutralité religieuse de l'État, parce que c'est l'étiquette qu'on lui a donné en droit canadien et québécois des droits de la personne, est déjà applicable sur le territoire québécois.

M. Zanetti : Merci. Et j'ai l'impression que ça va probablement être un débat, là, dans les prochains jours. Depuis le début, on dit tout le temps : La disposition dérogatoire va faire que personne ne va pouvoir remettre en question ce projet de loi là devant les tribunaux, mais, au fond, vous venez nous dire pas du tout. Pouvez-vous nous expliquer comment est-ce que les gens vont s'y prendre pour contester ce projet de loi là devant les tribunaux?

M. Lampron (Louis-Philippe) : Bien, c'est-à-dire que — et là ça risque de... — si tant est qu'on est dans le spéculatif bien sûr, mais si tant est que c'était reçu, cet argument-là, de dire, par exemple, que les conditions de forme pour un projet de loi comme le projet de loi n° 21 auraient évoluées et feraient en sorte qu'on devrait avoir un motif pour avoir un recours préventif à la disposition de dérogation, bien, si tant est que c'est reçu, cet argument-là, devant le tribunal, bien là, le gouvernement va se ramasser dans une situation intenable, parce qu'il va falloir qu'il tente de convaincre de la raisonnabilité de la mesure qui est au coeur du projet de loi n° 21 et qui porte atteinte à des droits fondamentaux dans un contexte où il avait tenté de suspendre l'application de ces mêmes textes sur les droits fondamentaux. Alors, ça, c'est un argument qu'il faut garder en tête.

Mais maintenant, ce qui va mener à des contestations, il y a deux possibilités. Un, on va contester l'utilisation de la disposition de dérogation. Ça, c'est la thèse que j'ai essayé d'avancer, puis il y en a d'autres qui sont de mon avis. Ou, deux, on va se tourner vers d'autres principes constitutionnels qui pourraient remettre en cause la validité du projet de loi n° 21. Mais, d'une manière comme de l'autre, ce sont des arguments qui peuvent être mis de l'avant devant les tribunaux canadiens pour contester la validité du projet de loi n° 21, si tant est qu'il est adopté.

Le Président (M. Bachand) : Quelques secondes, M. le député.

M. Zanetti : Donc, cette histoire-là n'est pas terminée.

M. Lampron (Louis-Philippe) : Voilà, non.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup, M. le député. M. le député de Matane-Matapédia, s'il vous plaît.

• (16 h 40) •

M. Bérubé : Merci, M. le Président. Bonjour, M. Lampron. Dans vos conclusions, je note au deuxième paragraphe que vous évoquez l'opportunité pour le gouvernement de procéder maintenant, voire dans cette session parlementaire. De façon plus générale, vous posez la question de la légitimité de la majorité. Puis-je vous suggérer bien humblement qu'en ce qui me concerne, bien que je ne sois pas membre du gouvernement, ça m'apparaît comme un geste normal d'affirmation politique d'un État, d'un gouvernement qui n'a pas caché ses intentions à cet égard, qui a été élu avec un mandat démocratique, qui dispose une majorité, voire même une majorité qui pourrait augmenter dépendamment des échanges qu'on aura? Alors, quand vous évoquez ça, qu'une majorité ne saurait contraindre les droits d'une minorité, si on commence à appliquer ça dans ce dossier et on l'applique dans toute autre législation, il m'apparaît qu'on diminue de beaucoup la légitimité d'un Parlement, des élus. Et là on entre dans un autre débat qui, quant à moi, est encore plus complexe que celui qu'on a présentement.

Donc, moi, je veux réitérer la légitimité du gouvernement d'amener cette législation, de procéder, et, j'irais même plus loin que ça, de procéder dans le cadre de cette session parlementaire. Parce que vous indiquez : «...adopter le projet de loi n° 21 en urgence avant la fin de la présente session parlementaire.» Je suis à l'Assemblée nationale depuis 12 ans. J'ai vécu le projet de loi n° 60, le projet de loi n° 62, tout comme vous, et maintenant le projet de loi n° 121. Il m'apparaît que la raison d'État ou... Le public québécois sait très bien où on loge là-dessus de part et d'autre. Peu de personnes ont changé d'opinion, hein, dans les personnes qui se sont assises au même endroit que vous depuis le projet de loi n° 60. Il m'apparaît qu'on peut procéder, parce que, ce n'est pas codifié dans les lois, mais la population québécoise réclame de ses élus qu'elle trouve des solutions. À terme, peut-être que les solutions choisies par le gouvernement ne seront pas les bonnes, peut-être qu'elles vont être contestées, mais moi, je ne vais certainement pas reprocher au gouvernement de procéder dans le cadre de cette session parlementaire, si tout le monde y consent, pour adopter une loi certes perfectible, mais qui m'apparaît légitime.

M. Lampron (Louis-Philippe) : Écoutez, beaucoup de choses dans votre intervention. D'une part, moi, je partage votre point de vue qu'il est légitime pour l'Assemblée nationale de se saisir du dossier de la laïcité. Il est légitime de tenter de mettre de l'avant un cadre normatif qui serait distinct de celui qui s'applique dans le reste du Canada. Là-dessus, je pense qu'on se rejoint.

Maintenant, la question, et c'est ce que je tente de mettre de l'avant, selon laquelle il est insuffisant de référer à la simple majorité de la population pour être capable de justifier toutes les mesures législatives, ça, c'est l'esprit même des droits et libertés fondamentaux, et les droits et libertés fondamentaux, ça ne se résume pas à la Charte canadienne des droits et libertés. Alors, on peut bien sûr avoir des problèmes avec la légitimité d'application de la Charte canadienne au Québec en raison du fait que le Québec n'a toujours pas signé la Constitution de 1982, mais les droits et libertés de la personne, ça va beaucoup plus loin que ça, et ça s'inscrit dans un processus international qui implique un socle de légitimité en deçà duquel on n'est pas censé être capable d'aller, même si on a l'appui de la population, et ça, ça implique l'examen des décisions par un tiers indépendant.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup, M. Lampron, pour votre contribution.

Je vais suspendre les travaux quelques instants pour accueillir les représentantes du prochain groupe. Merci beaucoup, M. Lampron. Merci.

(Suspension de la séance à 16 h 43)

(Reprise à 16 h 45)

Le Président (M. Bachand) : Alors, à l'ordre, s'il vous plaît! La commission reprend ses travaux.

Je souhaite maintenant la bienvenue à l'Organisme de communication pour l'ouverture et le rapprochement interculturel. Comme vous savez, vous disposez de 10 minutes de présentation, mais après il y aura une période d'échange avec les membres de la commission. Alors, Mme Laouni, bienvenue. Mme Taylor, bienvenue. Mme Laouni, vous avez la parole, s'il vous plaît.

Organisme de communication pour l'ouverture et le
rapprochement interculturel (COR)

Mme Laouni (Samira) : M. le Président, M. le ministre, Mmes et MM. les députés, merci infiniment de nous recevoir cet après-midi pour, je dirais, une quatrième fois sur le sujet de la laïcité. Samira Laouni, présidente du COR, Communication pour l'ouverture et le rapprochement interculturel, et Miriam Taylor, administratrice du COR.

Donc, pour commencer, nous disons d'emblée oui à la laïcité, non à la discrimination.

Le nom du COR décrit son programme : communication, ouverture et rapprochement interculturel. Le mot clé est «interculturel», car nous rassemblons des gens d'origines et d'appartenances très variées. Nous reconnaissons la nécessité d'adopter de façon consensuelle des règles sociales qui respectent la diversité des Québécois et Québécoises. En effet, pour protéger l'identité québécoise, une identité en constante évolution, il faut favoriser une convergence culturelle de tous sans l'imposer.

Un nationalisme se révèle légitime par sa capacité à inclure tous ses citoyens. Il faut donc promouvoir, à notre avis, l'égalité entre les femmes et les hommes, moteur de notre avancement social; la primauté du français, socle de notre société; et les droits et libertés énoncés dans notre charte québécoise, que nous avons créée à notre image pour préserver nos traditions.

Nous ne comprenons pas pourquoi, puisqu'un consensus semblait s'être dégagé quant à la poursuite de la laïcisation commencée à la Révolution tranquille, la loi projetée ne s'en tiendrait pas à préciser les jalons nécessaires pour la parfaire. En effet, le COR est très heureux du chapitre I, l'État du Québec est laïque; II, la laïcité de l'État repose sur les principes suivants : un, la séparation de l'État et des religions; deux, la neutralité religieuse de l'État; l'égalité de tous les citoyens et citoyennes; et enfin la liberté de conscience et la liberté de religion.

Donc, nous affirmons haut et fort que la neutralité religieuse de l'État est une condition sine qua non d'une société juste, mais nous affirmons du même souffle que c'est l'État qui est laïque et non les individus.

Quand des sondages révèlent qu'une majorité de Québécois s'opposent au port de signes religieux, ne sommes-nous pas devant un malaise ressenti par certains, parfois importé d'ailleurs, devant des signes religieux qui étaient inhabituels au Québec dans le passé, en particulier le hidjab, ce que je porte?

En effet, ce que nous percevions sur le terrain vient d'être confirmé par des sondages de Léger Marketing, novembre 2018. Cet embarras est inversement proportionnel au degré de contact avec des immigrants en général, avec des musulmanes en particulier, puisqu'il est nettement plus faible dans les villes que dans les régions où les contacts avec les musulmans sont rares, où on ne connaît de l'islam que les images des actes terroristes par Daesh et al-Qaida. Je parie que la majorité des Québécois qui se déclarent pour l'interdiction du foulard musulman ne connaissent pas une seule femme qui le porte. De plus, ces sondages récents révèlent que les personnes en faveur de l'interdiction du port de signes religieux par des enseignants avouent avoir des opinions négatives contre d'autres minorités, par exemple les autochtones et les LGBTQ+.

Par ailleurs, les sondages révèlent que les jeunes Québécois accueillent plus facilement cette nouveauté que les plus âgés. Nous risquons qu'ils nous tiennent rigueur d'avoir trahi leur héritage en adoptant une loi discriminatoire.

Si une opinion inacceptable se répandait dans la population, imaginons par exemple que l'homosexualité est dérangeante, un gouvernement ne ferait certainement pas une loi en fonction de cette opinion. Est-ce qu'un préjugé largement partagé équivaut à un fait? En pratique, quand on parle des signes religieux des enseignants, ne nous faisons pas d'illusion, c'est encore du hidjab qu'il en est question.

• (16 h 50) •

Vous qui soutenez cette opinion, que craignez-vous au juste? Que ces enseignantes fassent du prosélytisme? C'est pourtant bien plus difficile d'en faire quand un drapeau rouge est levé, quand ton hidjab est vu, c'est-à-dire quand un signe religieux visible sert de mise en garde. De fait, il n'y a jamais eu de plainte. En effet, le prosélytisme contre les religions, rarement perçu comme tel, risque bien plus de s'exercer vu qu'aucun indice ne permet de le détecter.

La clause grand-père, qui touchera surtout des enseignantes musulmanes, place ainsi devant un odieux dilemme : trahir une partie intégrante de leur identité ou perdre la carrière à laquelle elles s'étaient préparées. L'enseignante qui conserverait son poste grâce à cette clause saurait qu'on la tolère pour ne pas avoir l'odieux devant la population québécoise de la mettre à la porte. C'est l'autonomie financière qui garantit l'autotomie sociale et psychologique. Imposer une loi discriminatoire à une femme équivaudrait en certains cas à la soumettre au patriarcat, et ultimement aux oppressions fondamentalistes, et par-dessus tout à l'isolement.

Jeter un soutien-gorge par-dessus bord ou porter un hidjab ressort du même principe de liberté, à mon avis. Certains, en particulier certaines femmes qui se prétendent féministes, s'imaginent que toutes les femmes qui portent le foulard y sont obligées par leurs pères, frères ou maris. C'est vraiment choquant que ces prétendues féministes jouent ainsi au matriarcat, alors qu'elles devancent si bien le patriarcat.

Bien sûr qu'une infime minorité ici, au Québec, le porte par soumission, mais celles qui le portent par choix doivent-elles l'enlever par soumission? Est-ce que mon foulard, sa kippa, son turban sont vraiment les plus grands problèmes du Québec? Les problèmes de la pénurie de main-d'oeuvre, en particulier en éducation et en santé, mais aussi en agriculture, en restauration, en somme presque partout, ne sont-ils pas plus criants? Alain Saulnier, dans Le Devoir en avril dernier, écrivait, et je cite : Quelle menace devons-nous contrer? L'immigration? Les religions? N'est-ce pas plutôt les géants du Web, Google, Apple, Facebook, Amazon, Netflix, en somme ce qu'on appelait l'impérialisme culturel américain?

Le rôle du gouvernement, un gouvernement du changement, est d'assurer l'égalité des chances à tous, majorité et minorité, femmes et hommes, anciens arrivés et nouveaux arrivants, parce que c'est comme ça qu'on vit au Québec. Cette égalité des chances est la base de la démocratie.

Pour conclure, M. le Président, les Québécois sont renommés pour leur empathie, c'est-à-dire leur capacité à se mettre à la place de l'autre. Avez-vous une idée des sentiments... en fait, ressentiments éprouvés par des jeunes Québécois musulmans nés ici? Par exemple, l'enseignante ou l'étudiante en pédagogie à qui on dit : Tu n'as qu'à enlever ton foulard le temps de ton travail, c'est-à-dire à se dépouiller d'une partie de son identité. J'ai entendu un journaliste éminent dire que ce n'était pas dramatique, ce qui est, pour moi, dramatique. J'ai aussi lu des lettres dans les journaux disant qu'il n'y avait qu'à demander une dispense à un imam, comme si l'islam fonctionnait avec un pape, comme le catholicisme.

Je vais faire un parallèle avec le droit des médecins de ne pas appliquer eux-mêmes l'aide à mourir si c'est contraire à leurs convictions. Personne ne leur dit qu'ils doivent mettre leurs principes de côté. Nous ne saurions vous dire à quel point nos communautés de confession musulmane ou même seulement de culture se sentent désemparées devant ce revirement de situation. Le message reçu par les musulmans, femmes ou hommes, pratiquants ou non, femmes portant le foulard ou non, c'est qu'ils ne sont pas les bienvenus au Québec. Or, ce n'est sûrement pas le message que le gouvernement désire envoyer.

Pour contrer le fondamentalisme, il faut éviter de refouler les croyants dans la sphère privée, c'est-à-dire dans des communautés fermées, soustraites à la critique et à la confrontation avec l'analyse publique et la culture commune. La liberté de religion, c'est le droit de la pratiquer. Dans les trois religions concernées, donc pour des Juifs, des sikhs ou des musulmans, l'afficher fait partie de la pratique. Attention! Cela n'autorise pas le prosélytisme, en souvenant que faire du prosélytisme antireligieux, c'est aussi du prosélytisme.

Selon la Dre Cécile Rousseau, professeure en psychiatrie et chercheuse, et je la cite : «L'alternative viable à l'intégrisme religieux ou laïque est une laïcité plurielle, où femmes et hommes porteurs de différentes histoires sont libres de suivre leurs propres voies dans le respect des libertés collectives, tout en exprimant symboliquement leurs identités plurielles.»

Et, avant de passer à la période des questions, je tiens à mentionner la présence derrière nous d'une délégation du Centre culturel islamique de Québec, qui n'a pas pu avoir droit au chapitre, qui l'a demandé, mais qui n'ont pas été acceptés pour être entendus. Elles sont là aujourd'hui, présentes avec nous.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup de votre présentation. M. le ministre, s'il vous plaît.

M. Jolin-Barrette : Merci, M. le Président. Bonjour, Mme Laouni, Mme Taylor, de l'Organisme de communication pour l'ouverture et le rapprochement culturel, et au député de Chomedey — je crois qu'il était là tout à l'heure parce qu'il vous a invitées à venir à la consultation — même chose. Bonjour aux gens qui nous accompagnent, du centre islamique de Québec.

Et je tiendrais à dire à Mme Laouni que, dans le cadre des invitations, on discute avec l'ensemble des formations politiques, mais vous comprendrez qu'on entend énormément de groupes, mais que tout le monde peut déposer un mémoire à la commission parlementaire. Alors, j'invite tout citoyen ou toute organisation qui a des commentaires sur le projet de loi n° 21 à pouvoir envoyer au secrétariat de la commission leur opinion, un mémoire ou une lettre, et l'ensemble des membres ici, de cette commission parlementaire là, prendront connaissance des opinions et des correspondances qui seront communiquées.

D'entrée de jeu, je voudrais vous dire : Le projet de loi n° 21 vise toutes les religions. D'ailleurs, l'article 2 du projet de loi, qui vient instaurer la laïcité de l'État, repose sur quatre principes, et notamment ça garantit la liberté de conscience et la liberté de religion. Alors, on ne vise pas une religion en particulier ou une autre, toutes les religions sur le même pied d'égalité.

Le rôle de l'État, par contre, c'est de traiter tous les citoyens de la même façon. L'État doit agir d'une façon neutre sur le plan religieux, mais ce n'est pas uniquement la neutralité, c'est parce qu'auparavant, sous le précédent gouvernement, on avait adopté la loi sur la neutralité religieuse de l'État, mais il manquait des bouts, hein, pour que ça devienne la laïcité. Alors, on rajoute ces bouts-là, et ce qu'on fait aussi, c'est qu'on interdit, dans certaines fonctions particulières de l'État, juges, policiers, agents correctionnels, procureurs, enseignants, directeurs d'école, le fait de porter un signe religieux, et ça s'applique à toutes les religions. Il n'y a aucune distinction entre les différentes religions. C'est le même traitement pour tous et c'est durant un temps qui est limité, c'est uniquement durant la prestation de travail.

Alors, comment vous recevez ça, ces explications-là, que je vous formule en lien avec l'intention du législateur?

Mme Laouni (Samira) : Je n'ai aucun doute, M. le ministre, que vous vouliez légiférer pour toutes les religions et traiter tous les citoyens de la même manière. La seule problématique avec ce projet de loi, c'est qu'il est, dans son applicabilité, problématique, parce que, quand vous parlez de signes religieux, il y en a qui sont... Comme le disait, juste avant nous, M. Lampron, les signes religieux sont très subjectifs. Et c'est qui qui va déterminer : Est-ce que ce signe religieux est plus visible que l'autre? Et, bien entendu, mon hidjab est très visible, ça, ça va de soi. Donc, est-ce que c'est parce qu'il est visible qu'il est plus touché qu'une petite croix qui n'est pas visible? Donc, c'est là, le problème de légiférer dans ce sens-là.

Nous, ce qu'on vient aujourd'hui dire, c'est que le projet de loi n° 21 est discriminatoire, et j'explique pourquoi il l'est. Pour moi, arrêter ou interdire l'accès à des emplois pour des individus, pour des citoyens qui s'y sont préparés, qui ont les compétences et les performances nécessaires, requises pour y accéder, à cause d'un signe religieux, est discriminatoire, pour moi. Refuser à une personne quelconque, qu'elle soit juive, sikhe, musulmane, n'importe quoi, catholique, n'importe quoi, d'avoir une promotion, c'est venir épaissir son plafond de verre.

Nous connaissons très, très bien, toutes et tous ici, dans cette enceinte, le plafond de verre qui existe déjà pour les femmes pour accéder à des postes de direction, à des postes de conseil d'administration, etc. Alors, imaginez quand vous venez dire à des enseignantes ou à des enseignants qu'ils n'ont pas le pouvoir de progresser ou d'avoir une promotion dans leur emploi avec ce projet de loi, quand vous leur dites qu'ils n'ont pas le droit de bouger géographiquement de leur emplacement pour changer... pour une question, je dirais, peut-être de meilleure conciliation famille-travail ou pour une meilleure vie, par exemple, que ces personnes-là n'ont pas le droit de bouger d'un secteur à un autre parce qu'elles vont perdre justement le droit d'exercer, parce qu'elles avaient la clause grand-père, mais là elles ne l'ont plus. Donc, pour nous, le projet de loi n° 21, avec ses dispositions, est discriminatoire.

• (17 heures) •

M. Jolin-Barrette : Est-ce que vous savez s'il y a d'autres États dans le monde qui interdisent le port de signes religieux pour les policiers, pour les juges? Est-ce que vous pensez que le Québec est unique à ce niveau-là?

Mme Laouni (Samira) : M. le ministre, je vais vous dire quelque chose de très ressenti, très personnel. J'ai quitté la France ça fait 21 ans, ça fait pratiquement 22 ans. Je l'ai quittée justement parce que je ne m'y sentais pas citoyenne à part entière telle que j'étais. Et j'ai choisi le Québec pour m'y sentir citoyenne et pour y donner vie à mes enfants, qui sont devenus des citoyens à part entière. C'est pour ça. Donc, comparer le Québec au reste du monde ne m'intéresse pas en tant que tel. Ce qui m'intéresse, c'est ma citoyenneté. En tant que Québécois, Québécoises, qu'est-ce qu'on peut, ensemble, construire pour notre Québec pour qu'il demeure distinct, parce qu'il est distinct?

Le Président (M. Bachand) : M. le ministre.

M. Jolin-Barrette : Je comprends. Mais donc il y a d'autres États dans le monde aussi, des États occidentaux, qui décident aussi que, pour certaines personnes qui exercent une fonction de l'État... qui interdisent le port de signes religieux durant la prestation de travail. Ça existe.

Dans votre mémoire, à la page 5, vous parlez des intégristes de la laïcité. Qu'est-ce que vous voulez dire par les intégristes de la laïcité qui «inoculent le virus de la peur à travers le Québec rural, qui ne connaît de l'islam que les images des actes terroristes par Daesh et al-Qaida»? À travers le Québec rural...

Mme Laouni (Samira) : Alors, j'ai connaissance de certaines personnes, que j'appelle laïcardes, donc des intégristes de la laïcité, qui font le tour du Québec rural pour aller justement... et, je le répète, qui parcourent le Québec rural pour inoculer le virus de la peur, dire que les ayatollahs sont en train d'envahir le Québec : on va être envahis d'ici 2 000 je ne sais pas quoi par les musulmans, etc. Et ça, c'est le pire qui puisse exister dans une société, c'est de tolérer des choses pareilles dans une société, parce que, si on parle toujours... Depuis toujours, depuis que je suis ici, on parle de vivre-ensemble. Ce n'est pas en ayant des individus pareils qui parcourent le Québec... qui va aider notre vivre-ensemble. Au contraire, il vient casser notre vivre-ensemble, sinon l'envenimer davantage.

M. Jolin-Barrette : M. le Président, je suis tout de même curieux. Qui fait ça? Parce que moi, je suis en région, mon comté est en région, mes collègues sont en région aussi, je serais curieux de savoir...

Mme Laouni (Samira) : Je pense qu'il y a des institutions étatiques, comme le CPRMV, qui connaît pas mal les déplacements de certains groupuscules, et qui savent comment ça s'agrandit, et qui connaissent le danger. Et je laisse ça à la sécurité nationale de s'en servir, parce que je suis une simple citoyenne.

M. Jolin-Barrette : Qu'est-ce que le CPRMV?

Mme Laouni (Samira) : C'est le Centre de prévention contre la radicalisation menant à la violence.

M. Jolin-Barrette : O.K. Et là il y a des gens qui circulent au Québec et c'est des intégristes de la laïcité?

Mme Laouni (Samira) : Ah oui!

M. Jolin-Barrette : O.K. Puis pourquoi on dit «Québec rural»? Versus le Québec urbain?

Mme Laouni (Samira) : Bien, parce que c'est là que les gens ne sont pas en contact avec les minorités. C'est là où il n'y a pas vraiment de minorités et c'est là où on peut aller répandre n'importe quoi parce qu'on n'est pas en contact, parce que, dès lors, on le voit, qu'on ait contact avec l'autre dans sa diversité, il n'y a plus de problème, il y a l'acception, il y a le vivre-ensemble.

M. Jolin-Barrette : M. le Président, écoutez, je ne pense pas qu'il s'agit d'une question géographique à savoir si on est pour ou contre la laïcité, si on est pour ou contre l'interdiction du port de signes religieux en fonction de certaines catégories d'emploi limitées qui exercent une fonction particulière au sein de l'État québécois, incluant les enseignants, les directeurs d'école. Il m'apparaît que, sur l'ensemble du territoire québécois, à la fois à Montréal, à la fois à Québec, à la fois à Beloeil, à la fois à Sherbrooke, vous allez retrouver des gens qui sont en faveur d'une interdiction du port de signes religieux. Vous allez retrouver aussi des gens avec l'opinion contraire, qui disent : Bien, écoutez, non, moi, je ne suis pas en faveur de la loi sur le projet de loi n° 21.

Je ne pense pas qu'on doit opposer le Québec urbain, si je peux reprendre les termes qui sont utilisés dans le mémoire, et le Québec rural. Le Québec ne forme qu'un tout, et c'est un Québec qui est ouvert, qui s'exprime aussi. Mais d'opposer les villes aux régions ou à la ruralité, ça m'apparaît vouloir segmenter le Québec. Et moi, quand je me promène au Québec, je vois que la nation québécoise, elle souhaite progresser. Elle souhaite aller de l'avant et elle souhaite que le gouvernement légifère sur la notion de laïcité, de séparer l'État des religions, et que, depuis 10 ans, on parle beaucoup, beaucoup de l'interdiction du port de signes religieux, même chose au niveau des services à visage découvert. Je pense que ça fait consensus dans notre société. Ne croyez-vous pas que c'est le cas à travers le Québec?

Mme Laouni (Samira) : M. le Président, M. le ministre, loin de moi d'opposer le Québec rural au Québec urbain. Ce n'est pas du tout mon intention. Ce que je disais, et les sondages le prouvent, et je vais laisser le soin à ma collègue Miriam de vous expliquer cette différence-là...

M. Jolin-Barrette : Peut-être juste avant, M. le Président, je sais que ma collègue de Bellechasse voulait poser une question. Peut-être qu'on pourra y revenir par la suite.

Le Président (M. Bachand) : Bien, je vais laisser quand même Mme Taylor répondre rapidement, s'il vous plaît.

Mme Taylor (Miriam) : O.K. Alors, à la page 20, vous allez voir un tableau, résultat d'un sondage Léger qui a été fait par l'organisme pour lequel je travaille, l'Institut canadien pour les identités et les migrations, et ce qu'on voit ici, je pense que c'est en partie à ça que Mme Laouni faisait allusion, c'est que plus les gens sont en contact avec les communautés musulmanes, moins ils sont portés à être pour le port... l'interdiction des signes religieux, et l'inverse est vrai également. Donc, si vous regardez le tableau, je pense que la tendance est assez claire, ça va dans les deux sens. Et donc le contact mène à plus d'acceptation, et je crois que c'est à, en partie, ça que Mme Laouni faisait référence. Merci.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Je cède la parole à la députée de Bellechasse, s'il vous plaît.

Mme Lachance : Merci, M. le Président. D'abord, merci, mesdames, d'être là. J'ai une question très brève. En fait, je m'interpelle, je me pose des questions. Vous savez, ça fait plusieurs années, plusieurs, même, dizaines d'années qu'on en parle. En 2011, il y a eu un avis qui a été déposé par le statut de la femme, qui a été produit en février ou mars 2011, si je ne m'abuse, et qui allait un peu plus loin encore que le projet de loi n° 21 à ce qui a trait à l'interdiction de porter des signes religieux. Il y avait, dans ce rapport, l'interdiction pour les agents de l'État et même la recommandation de modifier la charte québécoise pour consacrer la laïcité de l'État. Ce que j'aimerais que vous me disiez, c'est : Que pensez-vous que notre gouvernement devrait faire avec cet avis du conseil de la femme, qui date de quand même pas si longtemps, 2011?

Mme Laouni (Samira) : Alors, pour ce qui est de l'avis du Conseil du statut de la femme, sous la direction de Mme Pelchat en 2011, quand elle avait déposé son avis sur le port des signes religieux, on était en désaccord. Et la FFQ, la Fédération des femmes du Québec, était en désaccord aussi, donc, dont je fais partie, dont je suis membre, donc, et je ne parle pas avec le chapeau de la FFQ, je parle avec le chapeau du COR, de mon organisme. Donc, on avait écrit un communiqué de presse qu'on avait envoyé en disant qu'on était en désaccord avec le Conseil du statut de la femme.

Le Président (M. Bachand) : Mme la députée.

Une voix : ...

Le Président (M. Bachand) : Oui, Mme Taylor?

• (17 h 10) •

Mme Taylor (Miriam) : Le féminisme de ma génération se fondait en partie sur le principe qu'on reconnaît la sagesse de chaque femme de disposer de son propre corps, et, pour moi, c'est très important ici aussi. Et donc c'est en partie pour ça que nous nous opposons, en tant que femmes féministes, au projet de loi n° 21.

Le Président (M. Bachand) : Mme la députée.

Mme Lachance : D'accord. Et je vous remercie.

Le Président (M. Bachand) : Autres interventions du côté gouvernemental? M. le député de Saint-Jean? Mme la députée de Les Plaines, s'il vous plaît.

Mme Lecours (Les Plaines) : Merci beaucoup. Merci, M. le Président. Bonjour, mesdames. Moi aussi, ma question va être brève parce que vous en avez un petit peu parlé, mais j'aimerais peut-être que vous poussiez un peu davantage. Dans le projet de loi, évidemment, il y a une partie qui concerne aussi les enseignantes et les enseignants. Vous en pensez quoi, de cette portion du projet de loi?

Mme Laouni (Samira) : Je n'ai pas très bien compris.

Mme Lecours (Les Plaines) : En fait, il y a une portion du projet de loi, évidemment, qui concerne les enseignants, les enseignantes, donc l'interdiction pour les enseignants, les enseignantes de porter des signes religieux. Moi, ma question, je veux que vous vous mettiez dans la peau des enfants, vous en pensez quoi, le fait que...

Mme Laouni (Samira) : Dans la peau des enfants?

Mme Lecours (Les Plaines) : Oui.

Mme Laouni (Samira) : Je pense que M. Lampron l'a bien expliqué tout à l'heure, et puis même M. Bouchard l'a expliqué avant nous, et hier la CDPDJ l'a expliqué aussi. Je pense que ça prend des études empiriques, des études scientifiques pour démontrer que les enfants sont traumatisés par la vue de signes religieux dans la classe à longueur de jour. Personnellement, j'ai étudié chez les soeurs Notre-Dame-des-Apôtres, au Maroc, et ça ne m'avait pas du tout traumatisée de voir les soeurs. Au contraire, c'étaient, pour moi, les personnes les plus rassurantes, parce que l'enfant est capté par la personnalité de l'enseignant ou de l'enseignante, par ce qu'il va lui inculquer, par l'amour qu'il va lui donner et le temps d'écoute qu'il va lui procurer, et non pas par son foulard, ou pas foulard, ou autre chose, ou tatouage, ou cheveux «pink», ou roses, ou verts. Ce n'est pas ça, le plus important, pour un enfant, je pense.

Mme Taylor (Miriam) : J'ai parlé à des femmes qui seront directement visées par ce projet de loi. C'est des femmes extraordinaires avec vraiment une vocation d'enseigner au Québec. Si j'avais des enfants d'âge scolaire, je serais vraiment heureuse d'avoir ces femmes-là comme enseignantes pour mes enfants. Elles sont très inquiètes. Elles devront faire des choix déchirants parce que... Et je pense que c'est mal compris au Québec, mais il y a certaines religions où le port de signes religieux est requis, et donc ça fait partie de leur identité, de leur personne. On ne dirait pas à un prof de la communauté LGBTQ qu'il devrait paraître moins gai. Ça serait une aberration. Et c'est la même chose pour ces personnes-là. Et elles sont inquiètes en partie parce que les groupes qui les représentent n'ont pas été invités ici pour les défendre.

Mme Lecours (Les Plaines) : Merci.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Je me tourne maintenant vers la députée de Marguerite-Bourgeoys, s'il vous plaît.

Mme David : Oui, merci beaucoup, mesdames. On va rester un peu dans le même axe de discussion. Effectivement, récemment, la Fédération des femmes du Québec a résumé un peu sa position, à laquelle vous faisiez référence tout à l'heure, en parlant de Mon corps, mon choix. Alors, quand vous dites : Une balance le soutien-gorge, puis l'autre porte le hidjab, ce sont chacune, dans chaque cas, un cas très personnel et un choix de la femme, alors, puis on pourrait étendre l'énumération à bien d'autres choses.

Alors, moi, je vais effectivement retourner à cette partie du mémoire, qui est une question difficile, on va se le dire, là, cette question de l'identité, parce qu'il y a quelque chose... Et le ministre, tout à l'heure, encore, aurait dit : Ce n'est pas grave, entre 9 et 5, enlevez-moi tout ça puis vous remettrez ça, comme si, l'identité, on l'enlevait, on la remettait. Et là vous faites référence à d'autres droits et libertés qui sont protégés, comme l'orientation sexuelle, par exemple, ou la couleur de la peau ne doit pas être un objet de discrimination. Et puis ça serait bien embêtant, là, si c'était le cas, d'être obligé de se changer le matin de couleur de peau et revenir le soir.

Mais ce qui est mal compris, puis je voudrais vous entendre là-dessus... Parce que vous avez dit : C'est une partie intégrante de notre identité. Et c'est dur enseigner l'identité, c'est dur en parler. Vous en parlez bien, vous dites : Enlever le hidjab ou d'autres... La croix catholique, on va y venir aussi, et là on sera dans cette croix catholique même invisible à laquelle le ministre et moi faisons référence, mais c'est ingérable parce que c'est invisible. Vous, c'est visible. Alors, évidemment, c'est visible, on va... Je ne suis pas sûre qu'il y aurait eu une loi si ça avait été juste pour la petite croix catholique invisible. On est tombés dans... On a eu la chance, dans la religion catholique, d'avoir des signes moins visibles. Bon, c'est comme ça.

Alors, quand vous parlez de cette identité et que vous dites : C'est comme... afficher sa foi, ce n'est pas du prosélytisme, puis on banalise ça en disant : On enlève et on remet à volonté le signe religieux... Parlez-nous de cette question-là fondamentale de l'identité, la vôtre ou celle d'autres religions.

Mme Laouni (Samira) : Vous l'avez très, très bien dit, l'identité religieuse fait partie d'un ensemble d'identités comme... Je me considère femme, épouse, maman, Canadienne, Québécoise, de confession musulmane, pratiquante, je porte le voile. Tout ça fait partie de mon identité. Est-ce que quelqu'un peut me demander d'enlever une de ces parties-là le temps de travailler? Non, c'est impossible. Et je suis d'origine marocaine. Est-ce que quelqu'un va me dire : Pour cinq minutes, tu ne seras plus Marocaine, tu seras juste Québécoise, tu n'auras rien de marocain? Ce n'est pas vrai. C'est un mélange dans moi, c'est intrinsèque, c'est interne. Je ne peux pas m'en dispenser. Je ne peux pas enlever mon hidjab le temps... Et je ne suis pas pour autant intégriste, parce que je l'ai entendu dans cette enceinte hier, que toutes celles qui ne désirent pas l'enlever étaient intégristes. Je ne le suis pas. Ça fait 22 ans que je suis au Québec, et puis je pense que je suis une très, très bonne citoyenne, et que je n'ai jamais rien fait de mauvais. Je dirai ça comme ça.

Mais, pour revenir à la question de l'identité, je pense que la foi est intrinsèque à chaque individu. Elle est très subjective. C'est un cheminement. Il y a autant de musulmanes — je veux parler de l'islam — il y a autant de musulmanes qui vont avoir la foi et être pratiquantes mais ne pas porter le hidjab. Il y en a d'autres qui vont commencer par porter le hidjab... C'est un cheminement spirituel pour chacune d'entre nous et ça ne veut pas dire que l'une est plus musulmane que l'autre et vice versa. Donc, ça fait partie de l'individu, de la personne, de sa liberté de choix, de sa liberté de conscience et de sa liberté, comment elle, elle détermine son cheminement spirituel. Je pense que c'est très clair et c'est du b.a.-ba. Il faudrait que tout le monde maintenant comprenne cette chose-là au Québec, que c'est intrinsèque, que c'est humain, que c'est individuel, que ça appartient à chaque personne de décider de comment elle se voit et comment elle détermine son identité.

Le Président (M. Bachand) : Mme la députée, s'il vous plaît.

Mme David : Alors, vous seriez... Vous citez d'ailleurs une psychiatre extrêmement intéressante en psychologie interculturelle, hein, une grande psychiatre du Québec, qui s'appelle Dre Cécile Rousseau, qui disait, il y a, quoi, même pas deux semaines : Imposer, donc, le hidjab aussi bien que l'interdire seraient-ils tous deux des gestes liberticides et misogynes? Vous ne dites pas ça pour rien, là.

Mme Laouni (Samira) : Tout à fait.

Mme David : Donc, l'imposer... Parce que ça aussi, ça circule : le mari, la famille vous a imposé... vous êtes soumises.

Mme Laouni (Samira) : Vous avez remarqué que je l'ai mentionné dans ma présentation, qu'il y a une infime minorité qui sont soumises à le porter, et nous combattons cette soumission-là. Nous combattons cette chose-là. Justement, le travail que nous faisons sur le terrain n'est pas seulement de dire le libre choix de le porter, mais nous disons aussi le libre choix de ne pas le porter. Ma position personnelle, et la position du COR, est très claire là-dessus, c'est la liberté de choix de le porter comme la liberté de choix de ne pas le porter. Et je fais personnellement un travail extraordinaire, je pense. Je me lance des fleurs peut-être, mais je fais beaucoup de travail sur le terrain pour justement faire de la sensibilisation pour qu'il n'y ait pas d'obligation que des femmes ou des filles le portent, que ce soit un choix délibéré, réfléchi, ressenti, avec un cheminement individuel spirituel.

Mme David : Qu'est-ce que vous craignez... ou comment vous voyez la suite des choses une fois le... Parce qu'à la page 9 vous parlez du climat ambiant, vous parlez d'aspects sociaux. Comment vous voyez la suite des choses advenant l'adoption presque intégrale de ce projet de loi?

• (17 h 20) •

Mme Laouni (Samira) : Écoutez, nous savons que le gouvernement est majoritaire. Nous savons qu'il a dit qu'il allait aller de l'avant, commission, pas commission, débat ou pas débat, que tous les intervenants avant moi l'ont souligné encore. Donc, oui, le projet de loi va passer. Mais toujours est-il... de constater ce qui se passe sur le terrain. Ce qui se passe sur le terrain est atroce, et c'est une calamité au Québec aujourd'hui, ce qui se passe sur le terrain, voir les réseaux sociaux, comment ils se déferlent, juste le fait de porter un foulard, qu'est-ce que ça fait comme commentaires qu'on reçoit à tous les jours, à toutes les minutes, à toutes les secondes. Il faudrait que les élus se mettent peut-être à lire nos Facebook pour qu'ils voient, pour qu'ils regardent, pour qu'ils ressentent ce que nous vivons à tous les jours comme haine, comme rejet, comme xénophobie et comme racisme. Donc, ce n'est pas rien, ce qui se passe.

Et le Québec, mon choix du Québec, c'est parce qu'il est bienveillant, parce qu'il est empathique. C'est pour ça que j'y ai choisi d'y enraciner mes branches, pour faire mes enfants ici. C'est pour ça que je suis venue au Québec, c'est pour cette empathie et cette bienveillance. Si cette empathie et bienveillance n'existent plus, qu'est-ce qui resterait au Québec? Qu'est-ce qui nous resterait en tant que Québécois? Si on enlève l'humanisme, si on enlève cette notion d'humanité, qu'est-ce qui nous resterait au Québec? C'est la question que je pose à tous les élus et élues, avec un «e».

Mme David : Vous êtes au Québec depuis 22 ans. Vous avez quitté la France. Justement, vous avez expliqué un petit peu... Maintenant, depuis 22 ans, donc, vous avez regardé l'évolution. Vous êtes passée par toutes sortes de projets de loi, effectivement. Et puis 22 ans, c'est... M. Bouchard parlait justement de 20 ans où cette discussion sur la laïcité a commencé. Comment vous voyez que s'est développée, justement, la trame de la discussion nationale, on pourrait dire, autour du sujet de la laïcité? Puis on est où maintenant, là?

Mme Laouni (Samira) : Malheureusement, c'est devenu légitime d'être islamophobe. C'est devenu légitime d'être xénophobe. C'est devenu banalisé, c'est du quotidien. C'est normal faire des propos haineux, émettre des propos haineux, écrire des propos haineux. Certains journalistes, ce qu'ils écrivent des fois, sans aucune preuve concrète, tangible, et qu'ils ne donnent même pas le droit de réplique à leurs textes, c'est très grave dans une démocratie, dans une terre de liberté, dans une terre de justice, dans une terre de démocratie et de droit, parce que c'est ça que les nouveaux arrivants viennent chercher, en fait.

Mme David : Alors, quel serait, disons, votre espoir d'un meilleur vivre-ensemble? Comment on pourrait travailler pour que ça soit moins dramatique que ce que vous décrivez là?

Mme Laouni (Samira) : Je l'ai toujours dit, à chaque fois que je suis passée dans les commissions parlementaires, je l'ai toujours dit, c'est des campagnes de sensibilisation, d'éducation, de rapprochement, d'entreconnaissance, juste qu'on prenne un thé ensemble, et peut-être que ça va complètement démystifier tout. Peut-être, moi, un thé, et puis, vous, une bière. C'est correct, mais ça sera toujours jaune avec une petite mousse au-dessus. Mais l'important, c'est qu'on se parle, l'important, c'est de se parler. Je pense que le Québec, s'il veut garder sa québécitude telle qu'elle a toujours été, c'est qu'il revienne à l'essentiel, et l'essentiel, c'est l'humain. Et, pour l'humain, il faut des séances de sensibilisation, de formation et, je dirais, d'entreconnaissance. Je pense que c'est ça, l'essentiel.

Mme David : Donc, selon votre lecture des choses et votre expérience des 20 dernières années, nous avons collectivement perdu cette communication plutôt que de l'avoir améliorée?

Mme Laouni (Samira) : Tout à fait. On l'a complètement perdue parce que tout ce qui était comme non dit, qu'on ne pouvait pas dire, qu'on ne pouvait pas écrire, avec l'avènement justement des médias sociaux... Parce qu'il y a 22 ans il n'y avait pas les médias sociaux comme ça existe aujourd'hui. Ce n'est pas la même chose. Donc, tout ce qui était non dit et qu'on n'entendait pas, qu'on ne faisait pas circuler, aujourd'hui, est devenu tolérable, sinon même acceptable, et, par-dessus tout, des fois, même avec fierté. Il y en a qui se pètent les bretelles pour dire certaines choses vraiment haineuses, et ça, c'est dangereux pour le Québec.

Le Président (M. Bachand) : Merci. M. le député de Jean-Lesage, s'il vous plaît.

M. Zanetti : Merci beaucoup, M. le Président. Merci énormément pour votre sincérité et votre partage. Je voudrais vous entendre sur une question. Il y a eu des gens qui ont abordé ce thème-là, vous l'avez fait aussi, mais, si le projet de loi était adopté tel quel, on estime qu'il y aura, chez beaucoup de personnes, un sentiment d'exclusion. Quelles seront les conséquences, selon vous, de ce sentiment d'exclusion pour l'unité nationale québécoise?

Mme Laouni (Samira) : Je dirais, il y a plusieurs facteurs. L'économiste en moi, avec un doctorat d'économie de la Sorbonne, je pourrais dire qu'économiquement parlant c'est une perte absolue, mais financièrement, économiquement parlant... Parce que les gens qui vont se sentir exclus, ils auront le choix entre deux choses : ou rester ici et aller sur le bien-être social, parce que c'est ça, leur dernier recours pour vivre, ou aller vivre ailleurs. Dans les deux cas de figure, c'est une perte financière. Ça, c'est du point de vue économique.

D'un point de vue du vivre-ensemble, il est où, notre vivre-ensemble que nous chérissons si fort? Il est complètement disloqué. D'un point de vue égalité femmes-hommes, elle est où, cette égalité femmes-hommes que nous avons inscrite justement dans notre charte québécoise? Elle est où, cette égalité, quand on vient dire à une femme qu'elle n'a pas le droit de travailler parce qu'elle porte un signe religieux? Ou un homme aussi, mais je parle de ma position de féministe. Pour les femmes, c'est encore plus dramatique parce que non seulement elles n'accéderont pas à un rêve, mais elles n'accéderont pas à l'autonomie financière, qui, elle, mène à l'autodétermination des femmes. Et donc, là, on vient, par le fait même, en parlant d'égalité femmes-hommes, la soumettre à un certain patriarcat ou à une dépendance à d'autres personnes qui vont la prendre en charge.

M. Zanetti : Merci. Je pense que ce qui fait peur à beaucoup de gens, de façon tout à fait légitime, c'est la radicalisation, l'intégrisme, qu'il soit musulman, chrétien, juif, de toutes les religions. Et qu'est-ce qui, selon vous, cause la radicalisation et... Quelles sont les vraies causes de la radicalisation, en fait? Parce qu'on a l'impression que les gens qui disent : Ah! il faut mettre des limites quelque part parce que, sinon, il va y avoir la radicalisation, hein, c'est ce qu'il y a... des gens qui disent... Alors, c'est quoi, les vraies causes pour démystifier un peu tout ça?

Le Président (M. Bachand) : Rapidement, parce que je dois passer...

Mme Laouni (Samira) : Je pense que les phénomènes de radicalisation ont été beaucoup déterminés justement par Dre Cécile Rousseau, par le CPRMV. Encore une fois, il y a beaucoup de définitions de la radicalisation. Il y a des chiffres, il y a des études empiriques en ce sens-là, que je n'ai pas avec moi aujourd'hui, mais que je pourrais vous transmettre par la suite avec le plus grand plaisir, M. Zanetti.

Mais juste vous dire que plus on envoie quelqu'un dans l'enfermement, dans la ghettoïsation, plus il est susceptible justement d'être pris par n'importe quel courant, et c'est ça que nous dénonçons. Et, jusqu'à maintenant, il y a plusieurs études, justement, à l'INRS, à Montréal, qui ont démontré que les communautés musulmanes n'étaient pas ghettoïsées, qu'elles étaient partout, partout, partout, qu'elles habitaient partout, qu'il n'y avait pas vraiment une communauté tissée serré qui habitait ensemble et qui restait ensemble. Donc, ça, c'est très important. Ça, c'est un point favorable pour le Québec, contrairement à une comparaison avec la France, parce qu'on veut toujours ressembler à la France, qui, eux, font tout pour ghettoïser les communautés, et on voit les conséquences aujourd'hui.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. M. le député de Matane-Matapédia, s'il vous plaît.

M. Bérubé : Merci, M. le Président. Bonjour, mesdames. Manifestement, vous êtes contre le projet de loi. Ça m'apparaît clair. Vous l'avez bien évoqué. Vous parlez d'ostracisation, de rêves qui ne pouvaient pas être atteints. Je veux juste préciser qu'on parle de la fonction publique, des employés de l'État, l'enseignement et d'autres fonctions, parce que quelqu'un qui nous écouterait aurait l'impression que, nulle part au Québec, quelqu'un pourrait travailler. Je veux le préciser. C'est important de le dire.

Faisons la simulation suivante : Si le gouvernement était arrivé uniquement avec les propositions de la commission Bouchard-Taylor sur les personnes qui ont un rôle coercitif, est-ce que vous auriez été en faveur?

• (17 h 30) •

Mme Laouni (Samira) : Alors, je tiens à mentionner ici aujourd'hui que je suis arrivée ici avec un mémoire et une présentation sur les conséquences du projet. Je ne suis pas arrivée ni avec recommandations... D'ailleurs, vous allez le voir dans notre mémoire, il n'y a pas de recommandation ni dans la présentation ni avec une position est-ce que nous sommes pour ou contre telle ou telle chose parce que...

Une voix : ...

Mme Laouni (Samira) : Non, non, non, je suis désolée. Dans la présentation, on a dit qu'on était pour la laïcité de l'État mais que la laïcité de l'État, elle se posait sur les quatre principes, on était d'accord, on l'a bien énuméré, et qu'on était juste contre le fait qu'on dise que la laïcité de l'État était la laïcité des individus. Pour nous, la laïcité de l'État n'est pas la laïcité des individus. Juste ça.

M. Bérubé : Bon. Ça aurait pu être éclairant parce que peut-être vous auriez pu trouver qu'uniquement les propositions de Bouchard-Taylor étaient suffisantes. J'aurais eu envie de vous poser la question de la loi n° 62. Est-ce que vous étiez en faveur de la loi n° 62, également? Probablement que vous avez fait des représentations à ce moment-là.

Mme Laouni (Samira) : On a fait des représentations.

M. Bérubé : Vous étiez en faveur?

Mme Laouni (Samira) : On était en faveur de la loi n° 62, avec des recommandations très nettes et claires. Malheureusement, elles n'ont pas été prises en compte. Ça, c'est autre chose. Et puis on est passés maintenant à une loi n° 21, donc c'est sur ça que nous sommes là, maintenant. Et entre-temps, depuis la commission Bouchard-Taylor, je veux vous faire remarquer que même les deux grands penseurs... et valeurs de la société ont beaucoup évolué, et donc c'est une évolution de la discussion dans tout le Québec sur ce plan-là.

Le Président (M. Bachand) : M. le député, en terminant, s'il vous plaît.

M. Bérubé : En tout respect, l'argument de M. Taylor n'est pas un argument, pour moi. Je l'ai écouté hier. Donc, même le projet de loi n° 62, qui est un minimum sur le visage découvert, vous avez des réserves?

Mme Laouni (Samira) : Je n'ai pas dit que j'avais des réserves par rapport au visage découvert. J'ai dit...

M. Bérubé : Des conditions.

Mme Laouni (Samira) : M. Bérubé, j'ai dit... Si vous voulez qu'on parle du visage découvert, on en parle, il n'y a pas de problème, je suis prête à répondre. Je suis pour le visage découvert pour recevoir et donner des services et pour l'identification, la sécurité. C'est clair.

M. Bérubé : Très bien. Parfait.

Le Président (M. Bachand) : C'est tout le temps qu'on avait. Mesdames, merci infiniment.

Je vais suspendre les travaux pendant quelques instants pour demander aux représentants de la CSQ de venir s'asseoir, s'il vous plaît. Merci.

(Suspension de la séance à 17 h 32)

(Reprise à 17 h 35)

Le Président (M. Bachand) : À l'ordre, s'il vous plaît! Merci beaucoup. La commission reprend ses travaux. Alors, je tiens à souhaiter la bienvenue à la Centrale des syndicats du Québec. Alors, je vous invite à débuter votre exposé pour une durée de 10 minutes, et après ça nous aurons un échange avec les membres de la commission. Et, en même temps, bienvenue encore. Merci.

Des voix : ...

Le Président (M. Bachand) : S'il vous plaît, à l'arrière! S'il vous plaît! Merci.

Centrale des syndicats du Québec (CSQ)

Mme Éthier (Sonia) : Alors, M. le Président, M. le ministre, membres de la commission, merci beaucoup de nous avoir reçus pour entendre notre point de vue.

D'abord, je voudrais vous présenter les personnes qui m'accompagnent : Mme Nathalie Léger, qui est avocate au Service juridique à la centrale; et Gabriel Danis, qui est conseiller aux dossiers sociopolitiques à la centrale; et moi-même, présidente de la Centrale des syndicats du Québec.

Et juste un petit rappel pour vous présenter la centrale, qui représente plus de 200 000 membres, dont près de 125 000 dans le secteur de l'éducation. Et nous sommes l'organisation syndicale la plus représentative en éducation et en petite enfance.

Alors, M. le Président, dans un premier temps, je voudrais, au nom de la centrale, commencer par un bref rappel de nos positions historiques. Depuis vraiment les années 90, la centrale défend énergiquement la laïcité de l'État, des institutions et des services publics comme étant une condition essentielle à l'exercice des libertés. Elle salue donc la volonté du gouvernement d'enchâsser le principe de la laïcité de l'État au sein de la charte québécoise. Donc, pour nous, c'est excellent.

La CSQ défend également le principe de donner et de recevoir les services de l'État à visage découvert. D'ailleurs, on l'avait déjà mentionné dans le projet de loi précédent. Elle est donc en faveur de cette approche, comme elle est favorable aussi, même si ce n'est pas dans le projet de loi, là, au retrait du symbole ostentatoire que représente le crucifix présent au salon bleu de l'Assemblée nationale.

Donc, la CSQ a toujours défendu le fait que l'école, pour qu'elle puisse être commune, doit être laïque — alors, ça, je pense qu'il faut être clair — ouverte à tous les élèves, indépendamment de leurs croyances ou de leurs origines. De plus, la CSQ a souvent exprimé le souhait que les demandes d'accommodement — parce que ça, c'est un élément quand même important — pour des motifs religieux soient encadrées par des balises claires afin que le personnel des services publics sache comment se gouverner advenant de telles demandes.

Donc, nous prenons note que le gouvernement compte demeurer quand même ferme sur l'ensemble de son projet de loi, mais on pense que c'est quand même important, dans une telle consultation, de prendre le temps de vous exposer nos commentaires puis nos observations.

Alors, la première incompréhension, qui est quand même assez majeure, là, vient de la confusion qu'entretient le gouvernement entre l'autorité coercitive et l'autorité morale. On le sait, que les personnes qui sont visées aux paragraphes 1° à 9° de l'annexe II détiennent toutes une certaine forme d'autorité coercitive ou encore participent à l'administration de la justice au sens large. Et le gouvernement a décidé d'ajouter les enseignantes et enseignants, ce qu'on appelle le consensus Bouchard-Taylor. Selon le gouvernement, les enseignantes et enseignants détiennent une autorité morale auprès des élèves.

Or, selon nous, il y a vraiment une différence majeure entre l'autorité coercitive et une autorité morale. Le fait d'assimiler l'autorité morale des enseignants à l'autorité coercitive qu'exercent les juges, etc., pour nous, ça constitue une approche surprenante parce qu'il n'y a pas d'analyse qui supporte ça, et on voit que c'est plutôt sur la foi de présomptions. On présume que de démontrer que... le port d'un signe religieux serait synonyme de propagande religieuse. Or, pour nous, comme je vous disais, ce sont des présomptions, et on ne peut pas légiférer sur la foi de cela. Donc, en assimilant le pouvoir extraordinaire de coercition, l'autorité pédagogique, hein, que détient le personnel enseignant, pour nous, il y a une confusion qu'il est important de dissiper.

Et, M. le Président, on se demande aussi quel problème le gouvernement cherche à régler dans le milieu de l'éducation, notamment dans les établissements scolaires. Est-ce qu'il y a un problème de prosélytisme religieux dans nos écoles? Quelle en est la nature, l'ampleur? Voilà des questions légitimes auxquelles nous n'avons pas eu de réponse jusqu'à présent.

• (17 h 40) •

Et ce qu'il est important de vous rappeler, c'est vraiment qu'il y a déjà, dans les conventions collectives, dans la Loi de l'instruction publique, etc., un encadrement, qui est très serré, du comportement du personnel enseignant. Ces derniers ne peuvent pas s'adonner à du prosélytisme ou à de la propagande, sous peine de mesures disciplinaires. Alors, c'est déjà encadré, donc, il n'y a pas de souci là-dessus.

Et, là où le bât blesse, c'est qu'on ne recense pas de cas documenté. Et d'ailleurs on a fait, par le biais d'une demande d'accès à l'information auprès des commissions scolaires... pour obtenir le nombre de plaintes reçues par les parents. Et, jusqu'à présent, 49 commissions scolaires ont répondu, et le résultat, c'est que, depuis 2016, une seule plainte a été recensée à travers le Québec, une plainte qui a été réglée en quelques jours, d'ailleurs. Et puis, M. le Président, si vous voulez avoir les documents, nous les avons en main. Donc, pour nous, il y a un principe de droit qui dit qu'on ne peut légiférer inutilement et qu'on le fasse pour régler des problèmes. Puis encore faut-il que le problème existe.

Maintenant, la question des droits acquis. Le projet de loi contient une clause qui permet aux personnes en poste déjà le 27 mars de continuer à porter un signe religieux. Mais on se demande : Est-ce qu'il y a eu une recension qui a été faite pour connaître le portrait des gens qui pourraient porter un signe visible ou invisible en date du 27 mars? Et on a beaucoup de questions quant à l'applicabilité de cette disposition, puisqu'elle fait appel à la notion de fonction. C'est : Qu'est-ce qu'une fonction? Est-ce que le fait d'enseigner au secondaire, de changer pour le primaire, est-ce que le fait, pour une enseignante ou un enseignant, d'aller remplacer un directeur adjoint, et non pas être nommé à ce titre-là, pourra faire perdre le droit acquis à cette personne? Selon nous, la possibilité du retrait d'un droit acquis lors d'un changement de poste ou de fonction pourrait entraîner aussi une perte de mobilité professionnelle des personnes. Et, quand on parle de tant de pénuries dans le monde scolaire, dans le monde de l'éducation, est-ce que cette disposition instaurera deux classes de personnel au sein des écoles, au surplus?

Alors, selon notre lecture, le projet de loi comporte beaucoup d'imprécisions importantes. Et nous n'avons pas eu de réponse sur la façon dont il entend faire respecter la loi. On le sait, la ministre de la Sécurité publique a laissé entendre que ce seraient les policiers qui devraient agir, tandis que la ministre de la Justice a déclaré que ce serait plutôt aux tribunaux d'intervenir. Alors, ça reste imprécis.

Donc, ça nous laisse entrevoir une application à géométrie variable. Ça nous inquiète. Et celle-ci est d'autant plus prévisible qu'aucune définition explicite n'est prévue dans le projet de loi à l'égard de ce qui est considéré comme un signe religieux. M. le ministre, vous l'avez dit, un signe religieux, c'est selon le sens commun d'un signe religieux. Alors, pour nous, on a besoin d'information supplémentaire pour informer les gens pour l'applicabilité de la loi.

Maintenant, j'aimerais aborder notre devoir de représentation syndicale, parce que ça, c'est quand même un élément important pour nous. En tant qu'organisation syndicale, on a non seulement le devoir, mais l'obligation de défendre nos membres en nous assurant que leurs droits soient respectés. C'est notre mission. Alors, en lien avec le recours aux clauses dérogatoires prévu au projet de loi, pour nous, ça soulève un problème de taille parce que deux notions de droit s'opposent. Comment on pourrait plaider le caractère discriminatoire d'une sanction alors que les autres leviers juridiques existants, tels que le droit des conditions de travail justes et raisonnables et le droit à la dignité, par exemple, se heurteraient inévitablement aux clauses dérogatoires? Alors, si jamais une personne était congédiée à la suite de la mise en oeuvre du projet de loi, comment pourrions-nous défendre la personne adéquatement alors que la même loi rendrait impossible le recours aux chartes? Pour nous, c'est une question fondamentale. Alors, en clair, le gouvernement nous empêchera d'exercer notre devoir de représentation.

De plus, le recours à l'avance, pour nous, là... à l'avance aux clauses dérogatoires, ça nous paraît aussi injustifié. Normalement, cela nécessite la démonstration qu'elles répondent à un motif d'intérêt supérieur, et, dans ce cas-ci, on a de la difficulté à identifier le motif. Donc, on pense que le fait d'utiliser ces clauses dérogatoires banalise dangereusement son utilisation. Et, pour nous, dire qu'il y a un débat public, et qu'il faut régler, bien, pour nous, ça ne constitue pas un motif d'intérêt supérieur.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. C'est tout le temps. Je vais passer à la période d'échange. Merci beaucoup, Mme la présidente. M. le ministre, s'il vous plaît.

M. Jolin-Barrette : Merci, M. le Président. Mme Éthier, M. Danis et Me Léger, bonjour. Bienvenue à l'Assemblée nationale. Merci d'être présents ici.

Le Président (M. Bachand) : Oups! Excusez, M. le ministre, je veux juste... j'ai oublié. Pour être certain de ne pas empiéter sur le temps dévolu, j'aurais besoin d'un consentement pour ajouter 20 minutes à l'heure de la séance, s'il vous plaît. Est-ce qu'il y a consentement pour 20 minutes? Oui? Consentement? Merci beaucoup. Désolé, M. le ministre.

M. Jolin-Barrette : Il n'y a aucun problème. Bon, d'entrée de jeu, en lien avec le mémoire, en 2013, alors que le député de Marie-Victorin de l'époque, M. Drainville, allait déposer le projet de loi n° 60, vous aviez fait une consultation auprès de vos membres. Et, dans le mémoire de 2013, ça indiquait que 69 % des répondants, des 14 000 membres que vous aviez sondés, étaient en faveur du projet de loi n° 60, qui visait une interdiction complète des signes religieux de tous les fonctionnaires de l'État québécois, donc incluant les enseignants.

Aujourd'hui, je comprends que la position de la CSQ a changé. Donc, je comprends qu'en raison des délais entre le moment où vous avez été invités et puis aujourd'hui vous n'avez pas eu le temps de faire un sondage auprès de vos membres. Mais par contre votre mémoire, dans le fond, fait état du fait que vous pensez qu'on ne devrait pas aller où on va avec le projet de loi n° 21.

Comment vous expliquez le changement de position que vous avez en lien avec la position de vos membres — et d'ailleurs il doit encore y avoir beaucoup de vos membres qui sont encore membres chez vous, j'imagine — et la réalité d'aujourd'hui, le discours que vous nous livrez aujourd'hui?

Mme Éthier (Sonia) : Bien, vous avez tout à fait raison qu'en 2013... Puis je l'ai dit à plusieurs reprises dans des entrevues qu'on a données sur la question, c'est vrai qu'en 2013 les membres étaient en faveur. Il y a quand même une nuance, c'est que tous les employés de l'État étaient visés à ce moment-là. Et vous avez raison de dire qu'en 2013 on a eu deux mois, d'abord, pour tenir notre instance, qu'on appelle, de conseil général, pour expliquer le projet de loi, et ensuite pour consulter, faire une consultation véritable auprès des membres et avec un retour de consultation. Et ça a donné le résultat que vous nous avez mentionné. Vous avez tout à fait raison.

Et par contre ce qu'on pourrait apporter comme nuance, c'est que ce projet de loi n'a jamais été mis en application. Alors, on n'a jamais pu véritablement évaluer les impacts. Donc, ça, c'est une question quand même importante. Et, d'autre part, on a quand même présenté le projet de loi n° 21 au conseil général, là. Pour nous, c'est l'instance qui gouverne entre les congrès, là, aux trois ans.

Et vous avez vu le titre de notre mémoire, qui dit que le mémoire... c'est-à-dire le projet de loi, il pose plus de questions qu'il n'apporte de réponses. Puis c'est un petit peu ça que j'ai essayé de démontrer, là, dans le court temps. On a beaucoup de questions. Puis, même si on avait eu le temps d'aller consulter les membres, c'est sûr qu'il y aurait eu des questions sur quels sont les signes religieux.

Et aussi, là, ce qui est quand même important pour nous, c'est l'utilisation des clauses dérogatoires. Ça, c'est important parce que... Et aussi toute la question des droits acquis qui font en sorte que, dans le même établissement, le jour 1, il y a quelqu'un qui a un droit, et l'autre qui arrive après ne l'a pas. Et donc, on le dit, ça fait deux classes de... C'est des difficultés d'application qu'on entrevoit réellement.

Mais en même temps, je l'ai démontré tout à l'heure, là, dans les commissions scolaires, là, sur 49 commissions scolaires, un cas. Bien, je pense que ça veut dire que ce n'est pas un problème, là, ce n'est pas un problème dans les établissements scolaires puis que, pour nous, les enseignants... Tel que le projet de loi est constitué, pour nous, on ne pense pas que les enseignants doivent être assimilés... Même si vous dites que c'est un pouvoir moral, bien, quand même, on l'associe un petit peu à un pouvoir plutôt coercitif. Et je pense que les enseignants, je le répète, avec les conventions collectives telles qu'elles sont rédigées puis telles qu'elles sont faites, il y a tout ce qu'il faut là-dedans pour replacer quelqu'un à l'ordre s'il y a un débordement.

Le Président (M. Bachand) : M. le ministre.

• (17 h 50) •

M. Jolin-Barrette : Oui. Ça, je ne doute pas que les contrats de travail sont présents puis qu'il y a certaines dispositions. Mais je veux essayer de réconcilier tout ça. On part de 2013, là. Puis là, 2013, la CSQ vient en commission parlementaire avec le projet de loi de Bernard Drainville et dit : Nous, nos membres, là, ils sont en faveur d'une interdiction complète, partout, du port de signes religieux, pas de clause grand-père. Ça, ça veut dire que, comme organisation syndicale, vous étiez en accord avec le fait que l'État congédie certains de vos membres s'ils portaient des signes religieux. Ça, c'est la réalité.

Moi, ce que je fais dans le cadre du projet de loi n° 21, c'est que je dis : Pour vos membres qui sont actuellement en poste dans les différentes commissions scolaires pour une fonction d'enseignant... Vous avez posé une question tout à l'heure, à savoir : C'est quoi, la fonction? La fonction, c'est enseignant. Que vous soyez au secondaire ou au primaire, c'est une fonction d'enseignant. La même organisation, c'est la même commission scolaire. Donc, pour vos membres qui sont présentement en emploi, eux, ils seraient protégés par une clause de maintien en emploi, clause qui est limitée pour la même fonction, pour la même organisation dans la même commission scolaire.

Alors, vous avez davantage de protection dans le cadre du projet de loi n° 21 pour les membres que vous représentez, et là vous dites : Nous, on est en désaccord. Je comprends que vous avez consulté les instances, mais vos membres, eux, étaient d'accord avec le projet de loi n° 60, puis le projet de loi n° 21 va moins loin que le projet de loi n° 60 quant à l'étendue de l'obligation, et ça donne même davantage de protection du maintien en emploi à vos propres membres.

J'ai de la misère à réconcilier tout ça, en disant que... Vous dites : Bien, écoutez, ça ne devrait pas s'appliquer aux enseignants. Puis il y a une clause de droits acquis, ça fait... le traitement de... ça crée une distinction entre ceux qui vont avoir le droit d'en porter et ceux qui n'auront pas le droit d'en porter. Il me semble que, comme organisation syndicale, à partir du moment où vous avez la position de 2013, il serait beaucoup plus logique de dire : Bien, écoutez, on accueille favorablement la clause de maintien en emploi pour nos employés, pour les gens qui sont directement en emploi. Comment est-ce qu'on réconcilie tout ça?

Le Président (M. Bachand) : Mme Éthier.

Mme Éthier (Sonia) : Oui. Bien, je pense que j'ai quand même expliqué le contexte, là, de 2013, où ça s'appliquait à l'ensemble des employés de l'État et que, dans ce projet de loi, on vise les personnes qui exercent avec un pouvoir coercitif, puis précisément, précisément les enseignants.

Puis je vais vous illustrer quelque chose, là. Par exemple, dans une école, il peut y avoir une technicienne en éducation spécialisée qui accompagne un enfant pendant 25 heures par semaine, qui pourrait porter un signe religieux. Bien, on va le dire comme ça. Et la personne, elle est près de l'enfant aussi, là, ou près de l'adolescent qui est à l'école secondaire.

M. Jolin-Barrette : Mais, M. le Président...

Mme Éthier (Sonia) : Alors, pourquoi...

M. Jolin-Barrette : ...dans le fond, ce qu'on dit, c'est : Bien, parce que la technicienne en éducation spécialisée n'est pas visée, on ne devrait pas viser les enseignants. Dans le fond, c'est de dire : Bien, nous, on ne sera pas visés parce qu'eux autres ne seront pas visés. C'est à peu près ça, parce que ce corps d'emploi là ne sera pas visé. C'est ça, le message que vous nous livrez.

Mme Éthier (Sonia) : La question fondamentale, c'est que, pour nous, de se coller à la question du pouvoir coercitif... Pour nous, les enseignantes et enseignants ne détiennent pas un pouvoir coercitif. Les enseignants détiennent un pouvoir, vous l'avez dit, moral — nous, on dit «d'accompagnement pédagogique» — auprès des élèves, et, pour nous, ils ne devraient pas être visés par le projet de loi. Et les clauses dérogatoires, je le répète, ça cause un problème.

M. Jolin-Barrette : Et ça cause un problème en raison du fait que vous ne croyez pas que le Parlement doit être habilité à légiférer à ce niveau-là? Vous souhaiteriez que ça soit les tribunaux qui tranchent l'organisation de la séparation entre l'État et les religions et que ça n'appartienne pas aux élus du peuple québécois?

Mme Léger(Nathalie) : M. le Président. M. le ministre, en fait, je pense que la question ne se pose pas de cette façon-là. Je pense que la question est beaucoup plus une question de dire, premièrement : Est-ce que la clause dérogatoire telle que rédigée... les clauses dérogatoires, je dois bien préciser, telles que rédigées ne sont pas rédigées de façon beaucoup trop large? On en a contre la façon dont elle est rédigée. Mais on en a aussi contre le fait, et ça, c'est une des distinctions majeures d'avec le projet de loi de 2013, qu'elles ne nous permettront pas d'exercer pleinement notre devoir de représentation lorsque se présentera... Parce qu'inévitablement, avec la façon dont le projet est rédigé, il va se présenter des situations où nous allons devoir défendre nos membres, et la façon dont les clauses dérogatoires sont faites, elle ne nous permettra pas d'invoquer le recours aux chartes, qui est un outil juridique très important dans la défense de nos membres.

M. Jolin-Barrette : M. le Président, je veux juste qu'on m'explique, là, parce que je ne vous suis pas du tout, mais pas du tout, O.K.? En 2013, vous avez des membres, des enseignants et des enseignantes, qui travaillent comme enseignants, qui portent des signes religieux. Vous venez en commission parlementaire, vous dites : On est d'accord, O.K.? Il n'y a pas de clause de droits acquis. Donc, nécessairement, les enseignants qui sont représentés par la CSQ, s'ils n'avaient pas retiré leurs signes religieux, ils n'auraient pas continué à travailler dans le cadre de leur fonction d'enseignant. Là, on met une clause de droits acquis, mais là vous dites : Bien, ça contrevient à la possibilité de les représenter. Sauf qu'on maintient en emploi, il n'y a pas d'enjeu là-dessus. Donc, c'est plus avantageux pour vos membres, sur le plan juridique, que le projet de loi n° 60. J'ai vraiment beaucoup de difficultés à réconcilier tout ça.

Cela étant dit, on a déjà échangé beaucoup en lien avec ce sujet-là. Je veux laisser la parole à mes collègues, M. le Président.

Le Président (M. Bachand) : Merci, M. le ministre. Alors, je cède la parole du côté du gouvernement... Allo! Regardez-moi, s'il vous plaît. Regardez-moi. M. le député de Maskinongé, s'il vous plaît.

M. Allaire : Alors, Mme Éthier, Mme Léger et M. Danis, c'est un plaisir. On s'était croisés lors de l'étude du projet de loi n° 10, donc c'est toujours un plaisir de vous voir. On sait qu'une période de 10 minutes, là, pour faire un résumé de votre mémoire, c'est quand même assez court. On sait aussi que vous êtes en faveur de l'inclusion de la laïcité de l'État au niveau de la charte québécoise. Allez un petit peu plus en détail, là, j'aimerais en savoir plus sur votre raisonnement à ce niveau-là, là.

Mme Éthier (Sonia) : Bien, je peux faire un petit bout, puis Me Léger fera le reste. Mais, comme la Cour suprême l'a indiqué dans la cause de la prière, là, au Saguenay, la laïcité, ça concerne les institutions. Ce n'est pas la... comment je dirais, ce n'est pas les individus, mais les institutions qu'on vise par la laïcité, là. Donc, c'est dans ce sens-là que, pour nous, c'est important. Et on accueille vraiment favorablement cette décision du gouvernement d'enchâsser toute la question de la laïcité dans la charte québécoise, là, parce que c'est une question d'institution.

M. Allaire : Puis, quand on pense aux droits acquis prévus dans la loi, vous en pensez quoi à ce niveau-là?

Mme Éthier (Sonia) : Bien, c'est ce qu'on vous expliquait tout à l'heure, là, toute la question des droits acquis, pour nous, ça pose des... ça nous questionne parce qu'il va y avoir des problèmes d'applicabilité, là, dans les établissements scolaires, là. Et ce sera comme un système à deux façons de faire, à deux vitesses, là, tu sais, les gens qui peuvent porter des signes religieux, d'autres qui ne peuvent pas. Ça va poser des problèmes pour nous.

M. Allaire : Ça va. Je n'ai pas d'autre question.

Le Président (M. Bachand) : Mme la députée de Les Plaines, s'il vous plaît.

Mme Lecours (Les Plaines) : Merci beaucoup, M. le Président. Merci beaucoup, mesdames, merci, monsieur, d'être ici aujourd'hui. En fait, je vais vous amener sur un terrain que... On l'a fait à l'inverse, on a parlé des enseignants, des enseignantes, mais j'aimerais ça qu'on parle des enfants. Parce qu'un enfant, c'est une éponge, il apprend, il est en apprentissage, on l'a dit. On ne parle pas ici de propagande, rien, on parle d'un enfant qui est en état d'apprentissage. Je le redis plus lentement. Et c'est même prouvé que les enfants ont besoin, ils s'identifient, et tout ça. Comment vous voyez ça, du point de vue de l'enfant, le fait qu'un enseignant ou une enseignante pourrait porter un signe religieux?

• (18 heures) •

Mme Éthier (Sonia) : Bien, je peux vous dire que moi-même, je suis enseignante, là, et je pense que les enfants, ils ne s'attardent pas à ça, là. Dans le fond, le rôle de l'enseignante ou de l'enseignant, c'est d'enseigner, c'est d'éduquer, c'est de... Tu sais, la mission de l'école, socialiser, éduquer, instruire, c'est de ça que les enseignantes et les enseignants se préoccupent dans une classe. Donc, les enfants qui sont regroupés dans une classe, l'enseignant s'affaire à faire des activités pédagogiques, les intéresser, les stimuler, faire en sorte qu'ils apprennent, que ce soit au préscolaire, au primaire, au secondaire, l'éducation des adultes, c'est la même chose. Moi, je ne pense pas que les enfants s'attardent à cette question-là, là, du point de vue d'une enseignante, je ne pense pas que les enfants s'attardent à cette question-là. D'autant plus que, les enseignants, leur rôle, comme je vous le disais tout à l'heure, c'est d'éduquer, socialiser, instruire, et c'est ce qu'ils font, là, dans une classe, là. Et on le disait tout à l'heure, s'il y a un débordement... ça ne peut pas exister, tout ça.

Le Président (M. Bachand) : Merci. Mme la députée, oui.

Mme Lecours (Les Plaines) : Vous entendez quoi par «débordement»?

Mme Éthier (Sonia) : Pardon?

Mme Lecours (Les Plaines) : Vous entendez quoi par «débordement»?

Mme Éthier (Sonia) : Bien, écoutez, disons que, s'il y avait un problème, par exemple, qu'un enseignant tenterait de parler ou de convaincre un enfant d'une telle religion, ou quelque chose comme ça, c'est sûr et certain qu'il y aurait une sanction, là, rapidement.

Mme Lecours (Les Plaines) : ...certain pouvoir sur un enfant, c'est ça?

Mme Éthier (Sonia) : C'est-à-dire, «aurait un certain pouvoir»... On le disait tout à l'heure, je le disais, là, tout à l'heure, les enseignants, ils ont un pouvoir pédagogique, ils ont un pouvoir d'accompagnement, ils ont un pouvoir moral, comme le ministre l'a dit. Mais des cas, là, je vous le dis, il n'y en a pas. Alors est-ce qu'on va en inventer? Puis on ne nous a pas fait la démonstration, là, que ça existe présentement, que les enfants seraient influencés, ou que ça a déjà existé. On n'a pas la démonstration de ça.

Le Président (M. Bachand) : M. le ministre. Il reste une minute.

M. Jolin-Barrette : ...rapidement. Vous êtes en faveur que les services publics soient donnés à visage découvert et soient reçus à visage découvert?

Mme Éthier (Sonia) : Absolument.

M. Jolin-Barrette : O.K. Vous savez que la disposition du projet de loi n° 62 est actuellement suspendue, donc ce n'est pas applicable au Québec, et là l'utilisation de la clause dérogatoire permet notamment de s'assurer qu'au Québec c'est donné et reçu à visage découvert. Donc, êtes-vous davantage d'accord avec le fait qu'on utilise la clause dérogatoire?

Mme Léger (Nathalie) : Malheureusement, M. le ministre... M. le Président, M. le ministre, nous ne sommes pas plus d'accord avec ça, parce qu'il faut bien comprendre que les tribunaux ont aussi un rôle à jouer dans une démocratie, notamment quant au respect des droits fondamentaux. Les tribunaux sont en train... Je vais juste terminer mon intervention, si vous...

M. Jolin-Barrette : ...reste pas beaucoup de temps. Ça veut dire que, si les tribunaux disaient : C'est correct de recevoir et de donner des services à visage couvert, vous seriez à l'aise avec ça dans le domaine de l'éducation? Vous seriez d'accord avec ça dans notre société?

Mme Léger (Nathalie) : Je serais très surprise que les tribunaux arrivent à ça, mais, si les tribunaux...

M. Jolin-Barrette : Non, non, non, c'est la question. C'est la question.

Mme Léger (Nathalie) : Comme juriste, je vais vous répondre comme juriste, moi, et non pas...

M. Jolin-Barrette : ...

Mme Léger (Nathalie) : Bien, ça, malheureusement, on ne peut pas vous répondre à ça.

M. Jolin-Barrette : O.K.

Le Président (M. Bachand) : Merci. Mme la députée de Marguerite-Bourgeoys, s'il vous plaît.

Mme David : Merci beaucoup, mesdames, d'être ici, d'apporter un éclairage extrêmement terrain et concret. Parce qu'on parle beaucoup, beaucoup, beaucoup d'enseignantes et d'enseignants, mais plus enseignantes parce que je pense... et là vous arrivez avez 125 000 membres de la CSQ qui sont en éducation, dans le secteur éducation. Ça ne veut pas dire qu'ils sont tous enseignants ou enseignantes, mais quand même.

Et vous-même, madame, si je comprends bien, vous êtes enseignante ou vous avez été enseignante. Peut-être que, là, vous avez un peu de gestion à faire de vos troupes, mais vous avez quand même enseigné beaucoup. Et donc vous arrivez avec une étude qui est fort intéressante. Et, si vous pouviez déposer quelque chose ici, ça serait formidable. Vous avez dit : On a fait une demande d'accès à l'information, 49 commissions scolaires, une plainte. Une plainte depuis 2016. Est-ce que c'est possible de la déposer? Est-ce que vous avez...

Le Président (M. Bachand) : ...ça va être déposé.

Mme David : Ça va être déposé?

Le Président (M. Bachand) : Oui.

Mme David : Bon. Parfait. On sait que les parents sont habituellement extrêmement vigilants, portent plainte pour toutes sortes de choses, sont très actifs dans l'éducation des enfants... et de ce qui se passe à l'école. Alors, j'imagine, je vous pose la question, qu'une plainte, ça vous apparaît comme assez peu significatif, donc qu'il n'y aurait pas... Vous avez commencé en disant : Quel problème veut-on régler? Est-ce que ça donne un peu la réponse à votre question, que, s'il n'y a pas de plainte, ça veut dire qu'il n'y a vraiment pas de problème pour les parents qui pourraient s'inquiéter énormément du prosélytisme, ou d'endoctrinement, ou je ne sais trop?

Mme Éthier (Sonia) : C'est exactement ce qu'on prétend. C'est que des problèmes, il n'y en a pas. Et, vous le dites, les parents sont extrêmement vigilants, s'il fallait qu'il y ait... D'abord, premièrement, dans l'école, il y a des collègues autour, il y a la direction, c'est vivant, une école, hein, il y a beaucoup, beaucoup, beaucoup de gens qui sont en contact les uns avec les autres. Donc, je ne crois pas que ça irait très loin, là.

Mme David : Donc, 49 commissions scolaires, depuis 2016, une seule plainte sur des milliers, et des milliers, et des milliers de parents, probablement, concernés et de professeurs, etc. Et là-dessus on met, donc, une interdiction sur un problème qui n'existerait pas, en plus de mettre une clause dérogatoire, pour être sûr qu'il n'y a pas de contestation, puis en plus probablement un bâillon pour boucler le tout, et des consultations assez rapides merci. Donc, je ne sais pas, est-ce que ça vous inquiète ou ça vous frappe, cette situation-là?

Mme Éthier (Sonia) : C'est l'objet de notre mémoire, là, c'est vraiment... Pour nous, l'utilisation des clauses dérogatoires, on l'a dit, c'est inquiétant parce que ça nous enlève notre devoir de... notre pouvoir de représentation auprès de nos membres, effectivement.

Mme David : ...de ce côté-là parce que vous êtes sur le terrain, je le répète, et vous parlez beaucoup d'applicabilité ou de non-applicabilité, puis ça vous pose des problèmes. Admettons, là, le projet de loi passe, bon, et là il faut que vous évaluiez les signes visibles et les signes invisibles. Comment vous faites ça dans une école?

Mme Éthier (Sonia) : Ça sera à la commission scolaire qui... Et plusieurs ont dit que ça va être très difficile, là, parce qu'à un moment donné, comme vous le savez, dans une école, il y a beaucoup, beaucoup de choses à faire, hein, du début, le matin, jusqu'à la fin des classes et même après. Comment les commissions scolaires vont réaliser ça? Ça reste un mystère. Parce qu'un signe invisible, là, c'est difficile à détecter, puis aussi le fait que le 27 mars, c'était la date où les gens... s'ils portaient avant. Est-ce qu'on a fait une recension? On le disait tout à l'heure, comment les établissements scolaires vont être capables de gérer tout ça?

Puis, nous, ce qu'on dit aussi, c'est qu'il y a vraiment d'autres problèmes en éducation, et nos membres ne nous parlent pas de ça, là. Quand on discute, les membres nous parlent qu'il manque des services dans l'école, qu'ils portent l'école à bout de bras, qu'il manque de personnel de soutien, de personnel professionnel pour faire leur travail. C'est ça qui est important. C'est ça, leur mission, au personnel enseignant, là, puis c'est ce qu'ils font avec coeur. Alors, le projet de loi n'a pas beaucoup de signification, là, pour...

Mme David : Puis, une autre question qui me semble très importante, c'est que vous dites : Nous, on a déjà toute l'armature déontologique, éthique pour intervenir, alors que l'équation qui nous est proposée dans le projet de loi, c'est : enseignant égale autorité, égale port de signe de religieux, égale danger d'endoctrinement, prosélytisme, etc. Comment votre armature... Vous dites : Elle est déjà existante, puis que le prof, il ne pourrait pas faire du prosélytisme bien longtemps. Dites-nous un peu comment ça marche.

Mme Éthier (Sonia) : Bien, écoutez, dans les conventions collectives, il y a des dispositions qui encadrent, là, le travail, le comportement du personnel. Puis là on parle du personnel enseignant, mais c'est pareil pour tous les personnels. Et, quand les gens font des choses qui ne respectent pas l'encadrement, bien, il y a un dossier disciplinaire, là, il y a un dossier disciplinaire qui...

Mme David : C'est ça, qui suit l'enseignant.

Mme Éthier (Sonia) : Puis il y a aussi la question du devoir de réserve, hein, qui est important, là.

Mme David : O.K. M. le Président, je passerais la parole à...

Le Président (M. Bachand) : Oui. Mme la députée de Bourassa-Sauvé, s'il vous plaît.

Mme Robitaille : Oui. Donc, si je comprends bien, vous nous rappelez le principe de droit qu'on ne peut légiférer inutilement. Or, vous nous dites qu'en effet, dans votre cas, il n'y en a pas vraiment, de problème. En fait, je lisais le mémoire de la commission scolaire Pointe-de-l'Île, et le président de la commission, les gens qui ont rédigé le mémoire demandent au gouvernement que... Parce qu'eux sont vraiment... ils ont les mains dedans, là. Il y a des femmes qui sont voilées, qui enseignent là-bas, il y a d'autres... Puis, dans le secteur, bien, il y a peut-être justement des enseignantes stagiaires qui deviendraient enseignantes et il y a une pénurie d'enseignants. Et ils demandent, en fait, au gouvernement d'être exclus de la loi, que la loi ne s'applique pas à eux. Qu'est-ce que vous en pensez, vous, de ce rapport-là? Je ne sais pas si vous avez consulté le rapport, mais qu'est-ce que vous pensez de cette demande-là?

• (18 h 10) •

Mme Éthier (Sonia) : Je n'ai pas lu le mémoire. Là, je comprends que la commission scolaire Pointe-de-l'Île demande d'être exclue de la loi, mais uniquement leur commission scolaire, là. C'est ce que je comprends?

Mme Robitaille : Oui, parce que ça cause beaucoup de problèmes. Oui, parce que ça cause beaucoup de problèmes, et, en fait, il n'y en a pas, de problème, justement. Et l'appliquer, ça serait extrêmement compliqué.

Mme Éthier (Sonia) : Ça serait compliqué partout. Puis c'est sûr qu'à Pointe-de-l'Île c'est une réalité, on va dire, plus concentrée, peut-être, là, que, par exemple, à Sorel-Tracy. Mais je pense qu'une loi doit s'appliquer partout, là, et pas... Remarquez que je n'ai pas lu, là, je ne l'ai pas lu en entier, mais je vois mal comment le gouvernement pourrait légiférer, permettre quelque chose à une commission scolaire et que ce soit différent ailleurs, parce qu'on pourrait... C'est en évolution, on pourrait retrouver les mêmes problèmes ailleurs, à un moment donné, ou la même situation, j'entends. Donc, pour moi, c'est...

Mme Robitaille : Dans le contexte scolaire, donc, ce que vous dites, c'est qu'il y aurait des professeurs qui ne pourraient pas porter le voile. Mais en même temps il y a des gens qui s'occupent du service de garde, puis il y a d'autres éléments où là il y aurait le voile. Donc, c'est un peu asymétrique ou contradictoire, si je puis dire.

Mme Éthier (Sonia) : C'est questionnant. C'est pour ça qu'on pose la question et qu'on émet des réserves dans notre mémoire.

Le Président (M. Bachand) : Mme la députée.

Mme Robitaille : Merci. Oui. Bien, est-ce que... Ah! Quelles seraient les conséquences, justement, quand ça va être en application, cette loi-là? Bien, ça semble être... qu'on s'en va vers ça. Alors, comment vous voyez l'atmosphère au sein des écoles? Comment ça va se transformer, selon vous?

Mme Éthier (Sonia) : C'est ce qu'on disait, là, la question de l'applicabilité nous inquiète. Par contre, on est capables de démontrer qu'il n'y a pas eu de plainte. Une plainte depuis 2016, donc, on peut penser que, de ce côté-là, ça sera correct. Mais il reste que, point de vue de l'application dans les établissements, comment les commissions scolaires vont gérer ça? Ça va être difficile. C'est clair que ça va être difficile, là. On ne peut pas... Là, on est avant, là, on peut difficilement se projeter dans le futur.

Puis on peut penser aussi que l'ensemble des intervenantes et intervenants qui viennent ici, en commission parlementaire, exposer leurs points de vue, ça pourra peut-être faire fléchir certaines positions du gouvernement, parce que je pense qu'on est quand même en mesure de démontrer que les problèmes, il n'y en a pas. Et puis, sur certains leviers juridiques, il y a quand même de l'inquiétude. Donc, on espère que, la loi qui sera adoptée, on y verra des modifications.

Mme Robitaille : Merci. Je vais donner... Oui.

Le Président (M. Bachand) : Merci. M. le député de Jean-Lesage, s'il vous plaît.

M. Zanetti : Merci. Est-ce que vous vous êtes posé la question... Parce qu'on a entendu, là, plusieurs avocats nous dire que cette loi-là, elle allait être contestée devant les tribunaux, même s'il y avait une clause, une disposition de dérogation, tout ça, puis qu'il y a des moyens de le faire. Bon. Je ne suis pas expert moi-même en la matière, mais, si jamais c'était le cas, est-ce que vous vous êtes posé la question à savoir si vous alliez soutenir vos membres dans de pareilles contestations judiciaires devant les tribunaux? Je demande juste... pas si vous allez le faire, si vous vous êtes posé la question.

Mme Léger (Nathalie) : En fait, honnêtement, non, on ne s'est pas encore posé la question. On avait tellement d'inconnus dans le projet de loi, à l'heure actuelle, qu'on en était, là, à l'étape de l'analyse. La question se posera éventuellement, mais pour l'instant on n'a pas de réponse à cette question-là.

M. Zanetti : Merci. Je n'ai pas d'autre question, mais je peux donner mon temps au député de Matane-Matapédia s'il le souhaite.

Le Président (M. Bachand) : Est-ce qu'il y a consentement? Il n'y a pas de question? Oui.

M. Bérubé : Je commence maintenant?

Le Président (M. Bachand) : Oui. Allez-y, M. le député, oui.

M. Bérubé : Bonjour. Bienvenue. On évoque souvent l'argument de liberté de conscience pour les enfants et pour les parents. C'est quand même un argument important. Alors, qu'est-ce que vous pensez de cet argument?

Mme Léger (Nathalie) : Bien, en fait, pour moi, la liberté de conscience des parents et des enfants n'est pas brimée, d'aucune façon, par le fait que d'autres portent leurs signes religieux dans le milieu scolaire, pas plus qu'elle ne l'est dans la société en général, là. Ces enfants-là ne vivent pas en vase clos, ils vivent dans la société, où tout le monde... Et c'est d'ailleurs un des principes qui est reconnu par le projet de loi actuel, c'est-à-dire qu'on doit permettre à tous une pleine liberté de conscience et de religion. Ça fait partie de ce que c'est la laïcité de l'État.

M. Bérubé : D'accord. Deuxième question, elle n'est pas liée directement au projet de loi, mais elle est liée au thème, et ça a été abordé précédemment. Il existe une formation qui est donnée par vos membres, qui s'appelle Éthique et culture religieuse, et il y a un volet enseignement religieux, et plusieurs évoquent qu'on a une représentation stéréotypée des religions qui va à l'encontre de cette liberté de conscience des enfants et des parents. Est-ce que vous avez déjà réfléchi à cette question?

Mme Éthier (Sonia) : Honnêtement, non.

M. Bérubé : O.K. Je vous invite à le faire parce que c'est un débat qui a eu lieu à l'Assemblée nationale. Le ministre s'est même indiqué ouvert à modifier le programme, peut-être même dès l'automne prochain. Donc, je vous en informe parce que c'est une question que j'ai posée et c'est la réponse qu'il m'a donnée.

En terminant, je suis moi-même enseignant de formation, fils d'enseignant dans le réseau public, ne croyez-vous pas... Parce que la loi, elle va être votée, hein? Je ne veux pas créer de faux suspense, là, la loi va être votée, et je ne crois pas que le gouvernement recule sur les enseignants. Je présume de la réponse, mais je la pose quand même : Croyez-vous que ça devrait être appliqué au réseau privé également, si c'est appliqué?

Mme Éthier (Sonia) : C'est une question qui... Écoutez, nous, on a toujours, depuis longtemps, eu la position qu'en vertu de toute cette question de laïcité on devrait cesser les subventions aux établissements privés, là. Dans l'état du projet de loi déposé actuellement, nous avons des réserves. Nous exprimons, pour nous, que l'autorité morale dont les enseignants disposent fait en sorte qu'ils ne devraient pas être dans ce projet de loi. Donc, les enseignants, c'est, partout en général, là, que ce soit dans le réseau privé ou public, pour nous, le même pouvoir moral pédagogique d'accompagnement, c'est le même.

M. Bérubé : Vous ne considérez pas qu'un enseignant qui peut donner des sanctions est une personne significative dans la vie d'un enfant?

Mme Éthier (Sonia) : L'enseignant, c'est une personne qui est très significative dans la vie d'un enfant, effectivement. L'enseignant ne peut pas enlever la liberté à un enfant de la même façon qu'un juge, ou qu'un policier, ou qu'un gardien de prison. On la voit, la différence, au niveau... Il y a quand même une distinction assez nette, là.

M. Bérubé : ...peut offrir une sanction, une retenue, envoyer chez le directeur, une pénalité quelconque, retirer un objet...

Mme Éthier (Sonia) : Selon le code de vie qui est prévu, qui est voté par le conseil d'établissement. C'est dans cette sphère-là que le pouvoir de l'enseignant se situe.

M. Bérubé : Vous convenez avec moi que l'enseignant ou l'enseignante est en autorité dans sa classe?

Mme Éthier (Sonia) : Il est en autorité pédagogique, d'encadrement, d'on va dire maintien disciplinaire, travail pour...

M. Bérubé : Ne dit-on pas souvent qu'un prof doit être en mesure de faire la discipline dans sa classe? Ce n'est pas sans raison. Il a une autorité.

Mme Éthier (Sonia) : Effectivement, il...

Le Président (M. Bachand) : En terminant.

M. Bérubé : Pas d'autre question, M. le Président.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Avant d'ajourner les travaux, avec votre accord, Mme Éthier... On a regardé le document, il y a beaucoup d'informations, de courriels personnels. Alors, avec votre accord, on va déposer le tableau, simplement, alors donc le tableau résume très bien les plaintes, pour éviter que toutes les informations et les données personnelles soient rendues publiques. Alors, si vous êtes d'accord...

Mme Éthier (Sonia) : Parfait. D'accord. Merci.

Document déposé

Le Président (M. Bachand) : Le document est déposé. Sur ce, je vous remercie beaucoup de votre contribution.

Et la commission ajourne ses travaux. Merci beaucoup.

(Fin de la séance à 18 h 19)

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