(Treize heures une minute)
M. Jolin-Barrette : Alors,
bonjour à toutes et à tous. Très heureux d'être avec vous en compagnie de mes
collègues Véronique, Isabelle et Christine. Et ce n'est pas à négliger pourquoi
est-ce qu'on fait le point de presse aujourd'hui, conjointement, avec l'adoption
finale du projet de loi n° 92 sur le tribunal spécialisé, c'est pour
envoyer un message d'unité notamment et le fait de dire que ce projet de loi
là, il a été travaillé en collaboration avec tout le monde, avec les
oppositions. Et je tiens à les remercier sincèrement, mes collègues, pour leur
contribution dans le cadre du projet de loi, ça nous a permis d'avoir un
meilleur projet de loi et de faire en sorte également de penser aux personnes
victimes, qui ont été victimes d'agression sexuelle, de violence conjugale, de
violence sexuelle.
C'est un dossier qui est tellement
sensible, depuis plusieurs années, que les personnes victimes, parfois, ont
hésité à dénoncer, ont hésité à utiliser les recours judiciaires à leur portée.
Et moi, comme ministre de la Justice, bien, je ne peux pas accepter ça. Puis on
a le devoir, tous ensemble, de faire en sorte de mieux accompagner, de mieux
soutenir les personnes victimes, et c'est ce qu'on a fait avec le tribunal
spécialisé, parce qu'il s'agit d'une des recommandations les plus importantes
du rapport Rebâtir la confiance.
Donc, aujourd'hui, on arrive à ce terme-là,
le gouvernement avait dit : On va donner suite aux 190 recommandations,
notamment celles de mettre en place un tribunal spécialisé, et c'est ce que
nous faisons aujourd'hui. Alors, je peux vous dire que, pour les personnes
victimes, on vous a entendues et surtout n'hésitez pas à dénoncer. J'ai un
message pour elles : il y a du soutien à travers le processus judiciaire,
et vous n'êtes pas obligées de, tout de suite, aller voir la police pour
dénoncer les infractions que vous avez commises. Vous pouvez vous adresser notamment
à l'IVAC où il y a du soutien psychologique, du soutien financier, il y a les
CAVAC qui sont disponibles, il y a plusieurs organismes. Alors, vous n'êtes pas
seules. Et surtout il faut redonner confiance aux personnes victimes dans le
système de justice, aux Québécois et aux Québécoises, et on amorce un
changement de culture dans le système de justice, et le tribunal spécialisé y
participe.
Donc, un mot pour remercier mes collègues
de la partie gouvernementale également, le premier ministre, le ministre des
Finances, qui nous ont permis d'aller de l'avant avec le tribunal spécialisé.
Et, en terminant, remercier à nouveau mes collègues pour leur immense
contribution dans le cadre de ce projet de loi. Et je pense que c'est une
démonstration que, peu importent les partis politiques, peu importe d'où on
provient, tout le monde a travaillé dans l'intérêt des personnes victimes pour
les mettre au coeur du processus judiciaire. Alors, merci à vous toutes.
Mme Melançon : Eh bien, on y
est, on y est, adoption de cet important projet de loi. Puis la journée tombe
pile-poil parce qu'on est quand même... aujourd'hui est lancé les 12 jours
d'action contre la violence faite aux femmes. Donc, c'est une belle façon, je
pense, d'amorcer ces 12 jours d'action.
Un mot pour les victimes : non
seulement nous vous avons entendues, lorsqu'on a travaillé sur le rapport Rebâtir
la confiance, mais on a agi. Et je tiens à mon tour à remercier le ministre
pour son ouverture, parce qu'on est allés beaucoup plus loin que ce qu'on nous
avait proposé au départ comme pièce législative. Je pense que la députée de Sherbrooke
et la députée de Joliette seront d'accord, je pense qu'on se sentait comme les
gardiennes de ce rapport important et on voulait, justement, pouvoir arriver en
droite ligne avec les objectifs et les principes que nous nous étions donnés
avec cet important rapport dans l'évocation d'arriver avec un tribunal
spécialisé, et c'est chose faite.
Ça a été un véritable plaisir, on l'a
travaillé en solidarité. Je pense que le travail des oppositions plus que
jamais aura démontré toute son importance. Mais, l'autre côté de la table, ça
prenait quelqu'un pour recevoir, recevoir ce qu'on avait, dans le fond, à
demander, parfois avec... parfois, ça a été plus corsé, on doit se le dire aujourd'hui,
là, on est tous, là, très heureux de la collaboration, parfois, ça a été plus
corsé, mais l'important, l'important dans ce travail transpartisan, là, c'est
qu'on est arrivé à nos fins pour les victimes. Et ça, aujourd'hui, j'ai un
sentiment de devoir accompli en pensant aux victimes. Merci. Je vais céder la
parole, donc, à la députée de Sherbrooke.
Mme Labrie : Merci, Isabelle.
C'est un changement de culture important qui s'amorce aujourd'hui avec
l'adoption de ce projet de loi là, un changement de culture qui a commencé par
les dénonciations des victimes, il y a quelques années déjà. Donc, ce sont
elles que je veux remercier en premier aujourd'hui parce que c'est grâce à leur
courage de briser le silence, malgré toute la douleur que ça leur apportait,
malgré tous les inconvénients d'exposer publiquement d'avoir été victime de violence
sexuelle, les personnes qui l'ont fait, ça a été vraiment l'élément déclencheur
pour tout le travail transpartisan qui a été fait sur ce dossier-là, la
formation du comité d'élus, d'abord, avec mes collègues, avec une ministre,
l'ancienne ministre de la Justice, puis ensuite la formation du comité
d'experts, la rédaction du rapport. Donc, ça a vraiment été un travail qui
s'est fait en gardant toujours à l'esprit ce que les victimes nous disaient, le
fait qu'elles se sentaient revictimisées à travers le système de justice, on a
gardé ça en tête tout au long du processus pour répondre à leurs demandes, puis
ça a été un travail extraordinairement constructif de faire ça.
Depuis le jour 1, où on s'est assises
avec Véronique, avec Hélène David, à ce moment-là, puis Sonia LeBel, la
première fois qu'on s'est assises ensemble, ça a commencé déjà à bien
fonctionner, puis c'est un travail remarquable qui a été fait. Ce projet de loi
là, on l'a écrit ensemble, vraiment, c'est un projet de loi qu'on a écrit ensemble.
Moi, je suis très fière de ça. Je trouve que c'est cohérent avec ce qu'il y
avait dans le rapport Rebâtir la confiance. Et puis je trouve ça
important que les victimes l'entendent qu'on est confiantes, en ce moment, que
les changements s'amorcent, que les changements nécessaires s'amorcent. Et
puis, évidemment, il va rester d'autres recommandations à mettre en oeuvre,
mais c'est un geste très, très important, là, qu'on fait aujourd'hui. Je cède
la parole à ma collègue la députée de Joliette.
Mme
Hivon
:
Bonjour, tout le monde. Alors, écoutez, aujourd'hui, je pense que c'est
l'aboutissement d'une démarche formidable, d'abord et avant tout, au nom des
victimes, qui a débuté, dans mon cas, en mars 2018. Et donc de voir que, trois
ans et demi plus tard, on est ici toutes et tous ensemble réunis pour montrer
aux victimes qu'on a eu en tête leur vécu, leurs souffrances, leur perte de
confiance tout au long de ces travaux-là qui se sont amorcés il y a plus de
trois ans, c'est un message puissant qu'on veut envoyer comme quoi, enfin, le
système va s'adapter à leur réalité, la réalité si intime, si complexe, si
difficile et traumatisante des personnes qui sont victimes de violence sexuelle
et conjugale, qu'on va arrêter de leur demander de rentrer dans toutes les
petites cases d'un système qui n'a pas été conçu pour elles et, évidemment,
encore moins par elles.
Ce n'est pas vrai qu'une violence
sexuelle, une violence conjugale, c'est la même chose qu'un vol ou qu'une
fraude. C'est quelque chose qui fait référence à l'intimité la plus profonde, à
la perte d'intégrité la plus profonde d'une personne. Et c'était de prendre nos
responsabilités, tout simplement, dans la foulée du mouvement #moiaussi, de se
creuser les méninges ensemble pour se dire comment on peut agir pour que le
Québec devienne à l'avant-garde, qu'il prenne acte de cette perte de confiance
et qu'il s'inspire des meilleures pratiques. Et une de ces meilleures pratiques
là, qui est fondamentale, c'est l'instauration d'un tribunal spécialisé qui
est, oui, une instance, mais qui est une philosophie d'accompagnement, avant
même le dépôt d'une plainte, de pouvoir être accompagné, et tout au long du
processus, et de savoir qu'on va faire face à des gens formés et spécialisés.
Alors, aujourd'hui, selon moi, selon nous,
ce n'est rien de moins, oui, d'un changement de culture, mais d'une
minirévolution à laquelle on assiste dans notre système. Et ça, ça n'aurait été
pas possible sans l'histoire qu'on finit d'écrire, mais qui commence un nouveau
chapitre, qu'on va suivre de près, c'est celui de l'implantation du tribunal
spécialisé. Et, si on a été capables de le faire, c'est qu'on a travaillé pour
l'intérêt supérieur des personnes survivantes et survivants, des personnes
victimes, au-delà des lignes partisanes.
Donc, je veux vraiment rendre hommage et
témoigner vraiment de toute, toute ma sincère admiration pour mes collègues des
oppositions avec qui on travaille depuis des années et aussi pour le ministre
qui nous a accueillies à bras ouverts avec notre rapport Rebâtir la
confiance sous le bras et qui a dit qu'il allait agir, qui a agi et qui a
été ouvert vraiment à ce qu'on coconstruise le meilleur des projets de loi pour
les victimes. Je pense qu'aujourd'hui on peut se dire : Mission accomplie
pour cette première étape, et vivement la suite. Merci beaucoup.
M. Carabin (François) :
M. Jolin-Barrette, l'épée de Damoclès, depuis le début de l'étude de ce
projet de loi, c'est la réaction de la Cour du Québec. Bon, évidemment, vous
avez apporté plusieurs modifications au projet de loi durant l'étude article
par article, mais, en ce moment, quelles sont vos indications sur les volontés
de la Cour du Québec de poursuivre ou de contester le gouvernement du… le
projet de loi n° 92?
M. Jolin-Barrette : Bien,
écoutez, lors de l'étude du projet de loi, on a pu enlever les quelques
irritants qu'il y avait. Et moi, je suis fort confiant, avec l'adoption du
projet de loi aujourd'hui, qu'on va réussir à aller de l'avant. Et je sais que
les canaux sont ouverts, et tous les intervenants du système de justice doivent
contribuer. Et très certainement les irritants qu'il y avait, maintenant, ils
ne sont plus là. Et je réitère que la présomption d'innocence est maintenue
pour les personnes qui sont accusées, le principe de défense pleine et entière,
les garanties procédurales, l'indépendance institutionnelle aussi, du tribunal,
est présente. Et on a fait les ajustements qu'il était nécessaire de faire pour
diminuer les craintes, éliminer les craintes, les irritants qu'il y avait dans
le cadre du projet de loi.
M. Larin (Vincent) : Est-ce
que vous avez obtenu une garantie de la part de la juge en chef Rondeau que le
projet de loi ne serait pas contesté?
M. Jolin-Barrette : Bien, écoutez,
il y a des discussions qui ont cours entre le ministère de la Justice, entre la
magistrature, tout ça. Puis notamment, dans le cadre du projet de loi, et je
crois que c'était un amendement de ma collègue de Joliette, pour
l'établissement notamment des districts judiciaires, on va consulter également
la Cour du Québec.
Alors, moi, je suis vraiment dans une
approche de collaboration pour faire en sorte que ça fonctionne, le tribunal
spécialisé. Puis aujourd'hui la démonstration, c'est que l'ensemble de
l'Assemblée nationale, avec un vote à l'unanimité, dit : On est d'accord
avec le projet de loi, ça nous prend un projet de loi au Québec... ça nous
prend un tribunal spécialisé. Premier État dans le monde à avoir un tribunal
spécialisé en matière de violence sexuelle et de violence conjugale, et ça, c'est
les 125 parlementaires des quatre formations politiques, en plus des
indépendants ici. Alors, pour moi, c'est un message très fort.
Puis honnêtement je suis en mode solution,
je suis persuadé que ça va fonctionner puis qu'on va réussir à déployer très
rapidement, parce que c'est l'objectif qu'on a tous, de déployer rapidement les
projets pilotes et, par la suite, de permanentiser à la grandeur du Québec. Les
mesures d'accompagnement vont être là, déjà, ça a commencé même, procureurs, on
va avoir des rôles dédiés également, alors, le soutien également, service
juridique téléphonique gratuit quatre heures. Alors, il y a une kyrielle de
mesures qu'on a mises en place, puis ça va fonctionner.
M. Poinlane (Pascal) : On
comprend que ça facilite le chemin ardu pour les victimes, mais qu'est-ce que
ça change pour les accusés? Est-ce qu'il y a quelque chose pour les accusés
dans ces tribunaux?
M. Jolin-Barrette : Bien, le
tribunal spécialisé vise à accompagner et à soutenir les personnes victimes.
Parce que, ce qu'il faut comprendre, c'est que notre système de justice, de la
façon dont il était construit, là, les personnes victimes, c'étaient les
dernières considérées. Que ça soit dans les espaces physiques des palais de
justice... je donne l'exemple du palais de justice de Québec, là. Désormais, j'ai
demandé que la salle des victimes soit réaménagée, puis on a descendu ça à la
salle des mariages pour qu'il y ait un espace suffisant pour les personnes
victimes, pour leurs familles. Donc, l'aménagement des lieux, le soutien aussi
avec les différents intervenants. Je crois que c'est la députée de Sherbrooke
qui nous a proposé que, dès le premier contact avec le corps de police, avant
même qu'une plainte soit formulée, les gens vont être formés également. Alors,
c'est l'ensemble du continuum de services qui est offert.
Pour ce qui est des accusés, les droits et
les garanties procédurales sont là. Bien entendu, il faut s'occuper également
des accusés, mais la plus grande lacune qui existait, c'est vraiment le soutien
aux personnes victimes. Puis comme société, puis ça, je l'ai dit à plusieurs
reprises, il ne faut pas que les gens hésitent à dénoncer, qu'ils se disent :
Je ne veux pas subir le parcours du combattant. Puis nous, ce qu'on leur dit
aujourd'hui, c'est : Ça va changer, puis vous allez être accompagnés du
début à la fin et au moment où vous le souhaiterez, et vos besoins particuliers
en tant que victimes vont être considérés, et on va y répondre également à
toutes les étapes du processus judiciaire et même au-delà.
M. Bellerose (Patrick) :
...pas s'attendre à avoir plus ou un plus grand pourcentage de condamnations,
mais vous espérez un plus grand nombre de dénonciations.
M. Jolin-Barrette : Bien,
l'objectif du tribunal spécialisé... Parce qu'il faut le dire, c'est un
continuum de services, donc c'est dès les premiers contacts avec la police
jusqu'à la représentation sur sentence et même au-delà. L'objectif de la mise
en place, ce n'est pas un plus grand nombre de condamnations. Ça, c'est très
clair. Mais par contre, lorsque vous êtes une victime, supposons, d'agression
sexuelle... Il y a à peu près 5 % des infractions de nature sexuelle qui
sont dénoncées, pour de multiples raisons, mais notamment parfois un bris de
confiance envers le processus judiciaire. Alors, nous, on s'attaque à ça, on
dit aux personnes victimes : N'hésitez pas à aller à l'IVAC, vous n'avez
pas besoin de faire de plainte, mais au moment où vous serez prêts, il y a des
gens qui sont disponibles pour vous accueillir dans le processus judiciaire.
Donc, nécessairement, plus il y aura de dénonciations, plus les gens iront voir
les enquêteurs spécialisés, le DPCP, le volume de dossiers risque probablement
d'augmenter.
M. Bellerose (Patrick) : La
semaine dernière, on vous a vu très ému au moment de conclure les travaux en commission
parlementaire, qu'est-ce qui est venu vous chercher dans la conclusion de cette
réussite-là d'avoir créé un tribunal spécialisé?
M. Jolin-Barrette : Bien, dans
un premier temps, moi, je pense aux personnes victimes. Puis on connaît tous
des personnes victimes, de près ou de loin, qui ont été victimes d'agression
sexuelle. Alors, c'est un sujet qui est très émotif, très prenant. Puis je l'ai
dit, lorsqu'il y a des gens qui viennent dans votre bureau de circonscription notamment,
qui viennent se confier et qui viennent également mettre leur confiance en vous
puis en disant : Pouvez-vous nous aider? C'est le sentiment, puis, vous
savez, c'est quelque chose de très collaboratif qu'on a fait, mais de très
émotif, très sensible, tu sais.
Tout le monde qui est l'Assemblée
nationale, lorsqu'on se présente, peu importe la formation politique pour
laquelle on se présente, on y va pour les bonnes raisons, pour servir le
public, servir ses concitoyens. Puis le fait de pouvoir accomplir ça, une
modernisation importante du système de justice, je pense que c'est une belle
chose qu'on a faite en politique, puis je pense qu'on est tous et toutes fiers
de ce projet de loi là parce que ça va changer la vie des personnes victimes de
violence sexuelle et de violence conjugale, ça a un impact concret. Parfois, on
peut percevoir que la politique est plus loin des gens, plus loin de la population,
mais là, concrètement, on a quelque chose qui va avoir un impact dans la vie
des gens, puis ça, je pense qu'on peut en être très fiers collectivement.
M. Carabin (François) : Vous
disiez plus tôt, dans vos remarques finales, que le train est en marche. Est-ce
qu'on parle d'un train Via Rail ou d'un train grande vitesse? C'est-à-dire,
quand est-ce qu'on peut s'attendre à voir le tribunal implanté dans son
entièreté au Québec?
M. Jolin-Barrette : Bien, écoutez,
moi, je vous dirais, c'est un TGV, puis il est parti, puis mes collègues vont
me surveiller notamment pour l'implantation, très certainement. Et il y a les
garanties, dans le projet de loi également, que le tribunal permanent va être
déployé à courte échéance. Donc, on prévoit deux ans de projet pilote avec un
minimum de cinq projets pilotes. Notre objectif, c'est d'aller entre cinq et 10,
plus 10, rapidement, et de tout de suite les transformer en tribunal permanent.
Et aussi, ce qu'il faut dire, c'est que l'évaluation qui va être faite et les
ajustements relativement aux projets pilotes seront faits en cours de route. On
ne donne pas le mandat, à la fin, de dire : Bon, bien, qu'est-ce qui s'est
passé les deux dernières années? Non. On va regarder qu'est-ce qui fonctionne
dans telle région, qu'est-ce qui ne fonctionne pas, tout ça, puis on va faire
un ajustement en continu.
M. Larin (Vincent) : J'aimerais
entendre parler les partis d'opposition là-dessus, parce que je me souviens de
votre demande commune à l'effet que les projets pilotes se fassent dans toutes
les régions. On n'est pas... ça n'a visiblement pas abouti, cette demande-là, qu'est-ce
qui fait que vous appuyez quand même le projet de loi, mettons?
Mme Melançon : Bien, il y a
différentes choses. Au départ, on n'avait pas un nombre de projets pilotes, on
s'était dit : Projets pilotes, le ministre vient d'en faire mention, justement.
On a été capables d'aller faire inscrire au moins cinq projets pilotes, mais le
ministre a déjà envoyé le signal que c'était plus vers 10 qu'il souhaitait
aller. Il n'y avait pas de durée non plus pour les projets pilotes. Maintenant,
c'est deux ans plus une année, là, justement, donc c'est de trois ans dont il
est question. Alors, pour nous, on a été rassurés d'avoir, dans le temps,
justement, une durée de vie des projets pilotes.
Je veux vous rappeler une chose. Quand on
a fait la sortie commune, il y avait encore des points où ça achoppait, je vais
le dire comme ça, et on a été capables d'aller, justement, chercher la
souplesse que nous souhaitions voir apparaître dans le projet de loi pour nous
permettre d'aller plus loin puis d'avoir des garanties. Et là on a des
garanties écrites noir sur blanc dans le projet de loi. Alors, moi, je peux
vous dire, là, je suis très, très fière de ce projet de loi là puis je pense
qu'il en va de même de toutes les collègues.
M. Poinlane (Pascal) : Mme
Hivon, on vous a sentie émotive tout à l'heure, parce que vous disiez,
justement, que ça a été un combat de longue haleine, vous y teniez, puis, pour
les victimes, ça va changer quelque chose concrètement. Alors, concrètement, ça
change quoi, pour les victimes?
Mme
Hivon
:
Bien, concrètement, ça change d'abord symboliquement, et je pense que c'était
important qu'il y ait, symboliquement, le terme «tribunal spécialisé», qu'on
leur dise que, là, pour une fois, le système s'adapte à elles, parce qu'on a
compris leur réalité, on a compris que ça ne marchait pas dans le cadre actuel,
on a compris qu'elles étaient revictimisées, on a compris qu'elles n'étaient
pas accompagnées, on a compris qu'on les traitait comme des témoins parmi tant
d'autres, alors que leur traumatisme est au coeur du processus judiciaire et
que, souvent, trop souvent, on n'en tient pas compte. On se dit : Comment
ça qu'il y a une perte de mémoire? Comme si le trauma profond qu'une victime
vivait n'allait pas avoir d'impact sur sa mémoire. Là, on est en train de leur
dire : Tout ça, on va le prendre en compte. Pourquoi? Parce qu'il va y
avoir des gens, et on vous donne cette garantie-là qu'on va avoir des gens qui
sont formés, qui sont spécialisés. Donc, quand vous allez arriver devant les
tribunaux, mais, bien avant, quand vous allez penser à peut-être porter
plainte, on va vous accompagner, il va y avoir des services juridiques, il va y
avoir des intervenants psychosociaux formés par rapport à votre réalité.
Donc, oui, c'est… ça fait tellement
longtemps qu'on se dit qu'il faut faire quelque chose, puis on ne le sait pas,
ça va être quoi, la trajectoire. Puis, quand on regarde toute la trajectoire,
moi, dans mon cas, depuis le mouvement #moiaussi, depuis mars 2018, le rapport Rebâtir
la confiance, le pèlerinage auprès du ministre, qui a montré beaucoup d'ouverture,
le dépôt du projet de loi, les moments un petit peu plus corsés, puis que,
finalement, on a réussi à aboutir, pour les victimes, j'espère qu'elles voient
là-dedans, aujourd'hui même, un message d'espoir, parce qu'on les a entendues.
Donc, j'espère que ça, en soi, ça va faire qu'elles vont recommencer à écouter
comment on peut être là pour elles, alors que, de toute évidence, on n'était
pas à la hauteur de leur confiance.
M. Carabin (François) : …le
tribunal, pour vous, est-ce que c'est l'aboutissement de #moiaussi? Vous l'avez
mentionné.
Mme
Hivon
:
C'est un… selon moi, c'est vraiment une conséquence directe du #moiaussi. C'est
pour ça que tantôt ma collègue de Sherbrooke le disait, on l'a dit tantôt en
Chambre, il faut remercier les victimes qui ont eu cette force-là, ce
courage-là de livrer publiquement des cris du coeur, parce que, sans elles, on
n'en serait pas là. Et je veux juste… j'espère qu'il y a un petit baume aujourd'hui
pour toutes ces souffrances-là qui ont été vécues. Plusieurs de ces victimes-là
n'auront pas la chance de bénéficier du tribunal spécialisé. Elles ont eu des
déceptions avec le système ou n'ont même pas eu cette confiance-là. Bien, moi,
je veux leur dire aujourd'hui, j'espère qu'il y a un petit baume parce que leur
souffrance n'aura pas été vaine, leurs cris du coeur n'auront pas été vains, il
y a un changement majeur qui s'amorce au Québec.
M. Bellerose (Patrick) : Une
des plaintes de #moiaussi, c'est aussi de dire : Pourquoi faire tout ce
parcours-là si l'agresseur est reconnu non coupable, au final, ou… pas reconnu
coupable? Donc, qu'est-ce que ça change pour les victimes qui voient le
parcours et qui se disent : Bien, il y a des Rozon, il y a d'autres
personnes qui finalement ne sont pas condamnées au bout de tout ça quand même?
Mme
Hivon
: Moi,
je suis convaincue que du seul fait d'être accompagné juridiquement et de
manière psychosociale va faire toute la différence, d'abord pour l'idée d'aller
porter plainte, le ministre en parlait, pour la qualité aussi du témoignage,
parce que tu sais dans quoi tu t'embarques. Et on a entendu beaucoup de
victimes, notamment Mme Charette, dans le procès Rozon, dire à quel point elle
avait le sentiment que c'était sa déposition initiale qui était au banc des
accusés, à quel point, si elle avait su ce qu'il en était, elle serait arrivée
dans un autre état d'esprit. Ça, c'est important de dire aux victimes : On
vous encourage à dénoncer, mais on ne vous laissera pas tomber, on va être là
pour vous accompagner puis vous dire vraiment ce qu'il en est, est-ce que c'est
le bon processus pour vous. Donc, moi, je pense qu'il y a des objectifs très
clairs, d'ailleurs c'est une avancée du projet de loi, on a mis les objectifs
très clairs de ne pas avoir de revictimisation, d'avoir un accompagnement,
d'avoir… et donc on va être capables de mesurer si on les a atteints aussi.
M. Bellerose (Patrick) : Une
meilleure qualité du témoignage, juste vous entendre là-dessus.
Mme
Hivon
: Oui.
M. Bellerose (Patrick) :
Comment est-ce qu'on va avoir une meilleure qualité de témoignage?
Mme
Hivon
: En
fait, c'est que si ta déposition initiale, tu sais vraiment qu'elle va te
suivre tout au long… Il y a des tonnes de victimes qui nous ont dit : Moi,
je ne le savais pas qu'en allant frapper à la porte de la police, ça, ça
m'embarquait dans tout, et que, dans le fond, on reviendrait tout le temps à ma
déposition initiale. Je me serais assise, j'aurais pensé à tous les détails.
Donc, c'est ça qu'on veut dire. Quand tu es accompagné de manière juridique et
psychosociale avant même, tout peut en bénéficier. C'est Julie Desrosiers, la
coprésidente du rapport, qui l'exprimait très bien aussi. C'est la qualité même
de la preuve qui va s'en trouver rehaussée. Puis la preuve, elle porte
uniquement sur les épaules d'une personne, généralement c'est la victime.
Mme Labrie : Évidemment,
j'adhère à tout ce que ma collègue vient de dire, mais j'aimerais peut-être
juste rappeler aussi que les victimes ne nous ont pas demandé de lever la
présomption d'innocence, les victimes nous ont demandé d'être mieux
accompagnées dans le processus, de se sentir respectées. C'est ça qu'elles
voulaient, c'est ça qu'elles vont avoir avec le tribunal spécialisé. Le
sentiment de satisfaction, quand tu as l'impression, pendant tout le long du processus,
que les gens avec qui tu as interagi étaient conscients, pouvaient comprendre
ta réalité, étaient sensibles à ça, ça change tout dans l'expérience des
victimes. Donc, le taux de satisfaction des victimes, ce serait erroné de
croire qu'il dépend seulement du taux de condamnation. Ce que les victimes nous
disent, c'est qu'elles veulent qu'on écoute leur réalité, qu'on comprenne
comment elles se sentent comme victimes tout au long du processus. Puis ça, on
le fait, ça, on réussit à le faire avec le projet de loi.
Des voix
: Merci.
La Modératrice
: Donc,
merci à tous.
(Fin à 13 h 25)