(Douze heures trente-quatre minutes)
Le Modérateur
:
Bienvenue à cette conférence de presse du ministre de la Justice, Simon
Jolin-Barrette, accompagné de Patrick-Thierry Grenier, qui est sous-ministre
associé, orientation accès à la justice et performance, au ministère de la
Justice. À vous, messieurs.
M. Jolin-Barrette : Bonjour,
tout le monde. Je suis accompagné effectivement de Me Patrick-Thierry
Grenier, qui est sous-ministre associé au ministère de la Justice.
Et aujourd'hui c'est avec une immense
fierté, après plusieurs mois de travail et de consultations, que je me présente
devant vous afin d'annoncer que le gouvernement a déposé ce matin à l'Assemblée
nationale un projet de loi majeur visant à réformer les services d'aide et
d'indemnisation offerts aux personnes… d'infraction criminelle.
Au cours des dernières années, des
derniers mois, nous avons tous été émus et choqués par les nombreuses histoires
bouleversantes. Ces événements vécus par des personnes victimes d'infractions
criminelles reflètent bien tristement les nombreuses lacunes du système de
l'IVAC. Nous ne pouvons plus tolérer que de telles situations se perpétuent.
Nous devons agir, et cette action doit être guidée par un profond sentiment de
solidarité et de compassion.
Le régime actuel de l'IVAC, qui,
rappelons-le, n'a pas été réformé en profondeur depuis sa création, en 1972, ne
permet pas de répondre aux besoins des personnes victimes, en plus de ne pas
être adapté aux nouvelles réalités qu'elles peuvent vivre. Ces constats, notre
gouvernement n'est pas le premier à les faire. Plusieurs autres avant nous,
depuis plus de 25 ans, ont tenté en vain de remédier aux insuffisances de
l'IVAC. Le plus récent projet de réforme majeure remonte d'ailleurs à 1993,
mais il n'est jamais entré en vigueur.
Très tôt, notre gouvernement s'est montré
déterminé à effectuer enfin les changements qui s'imposent et que nous
réclamions déjà dans l'opposition. Nous nous étions engagés formellement à ce
qu'une réforme de l'IVAC soit réalisée au cours de notre mandat, et ce que nous
promettons, nous le livrons. Vous en avez la preuve aujourd'hui.
Déjà, l'an dernier, un montant de
87 millions de dollars sur cinq ans avait été octroyé pour procéder à la
réforme. Au cours des derniers mois, pour s'assurer que le projet de réforme
réponde aux besoins des personnes victimes et qu'il soit conforme à nos engagements,
nous avons décidé d'augmenter ce budget. Ainsi, le montant a plus que doublé,
et c'est une somme de 193 millions de dollars sur cinq ans qui sera
investie pour la réforme de l'IVAC.
Nous pouvons aujourd'hui nous réjouir de
franchir un pas important vers un soutien plus adéquat, plus cohérent et plus
équitable des personnes victimes. La nécessité de cette réforme en profondeur,
très attendue par les personnes victimes, par les organismes partenaires ainsi
que par la population québécoise, n'est plus à démontrer.
La Loi sur l'IVAC devrait permettre aux
personnes victimes de s'engager sur la voie de la guérison, mais, trop souvent,
elle leur a fait plutôt subir une autre douloureuse épreuve. Quel message
envoie-t-on à un proche endeuillé, à une Québécoise ou à un Québécois agressé à
l'étranger, à un individu victime d'exploitation sexuelle, victime de menaces
de mort ou de harcèlement, quand l'État s'oppose à les reconnaître comme des
victimes? Il est primordial de rectifier cette injustice pour l'avenir, car,
aussi simple soit ce geste de reconnaissance, il est fondamental dans le processus
de guérison des personnes victimes.
La liste des crimes admissibles, qui n'a
pratiquement pas évolué depuis 1972, sera donc abolie afin que tous les crimes
contre la personne puissent être indemnisables. La réforme que nous déposons aujourd'hui
favorisera une conception plus humaine de l'indemnisation, orientée vers cet objectif
de guérison et fondée sur l'idée d'accompagnement. Les personnes victimes
doivent pouvoir compter sur l'aide nécessaire afin de reprendre le cours de
leur vie, si possible... lorsque possible.
Cette aide doit être immédiate et, en cas
d'urgence, elle doit permettre aux victimes de subvenir à leurs besoins de
base, que les blessures soient physiques ou psychologiques. Nous devons
favoriser leur réadaptation, leur réinsertion sociale et professionnelle. Nous
devons faciliter leur rétablissement.
Il nous faudra aussi élargir l'accès à l'indemnisation
pour le traitement post-traumatique et le suivi psychologique. Nous souhaitons
envoyer un message clair aux familles et aux proches des victimes d'actes
criminels : Le gouvernement du Québec vous voit, le gouvernement du Québec
vous entend. Non seulement l'aide psychologique sera plus accessible, mais le
soutien de l'IVAC sera renforcé afin que d'autres soins psychothérapeutiques
soient également remboursés.
Notre gouvernement est déterminé à
améliorer le sort des personnes victimes, une volonté que nous partageons, j'en
suis sûr, avec les différents partis d'opposition. Je les invite donc à travailler
avec nous afin de le faire cheminer rapidement. Combien d'histoires tragiques
pourrons-nous éviter si nous nous entendons rapidement? Les personnes victimes
ont assez attendu.
La Loi sur l'indemnisation des victimes
d'actes criminels est parfois un régime injuste, très dur pour ceux et celles
qui ne cadrent pas dans la définition stricte et étroite de victime. Aujourd'hui,
je veux saluer le courage de tous les survivants et toutes les survivantes qui
se battent depuis plus de 30 ans pour un IVAC plus humain. Votre combat
n'a pas été vain, et c'est en raison de votre force et de votre ténacité que l'État
québécois amorce aujourd'hui une transformation de son approche vis-à-vis des
personnes victimes.
Je vais vous présenter maintenant les
différents changements qu'il y a. Vous pourrez les voir sur le téléviseur qui
nous accompagne juste ici, au niveau de l'indemnisation des victimes d'actes
criminels.
Donc, dans un premier temps, le régime
actuel du service d'aide et d'indemnisation. Actuellement, il y avait deux lois
qui existaient, une sur l'indemnisation, la Loi sur l'indemnisation des
victimes d'actes criminels, et une autre loi, sur l'aide à apporter aux victimes
d'actes criminels. La définition des victimes n'était pas la même. Dans la Loi
sur l'indemnisation des victimes d'actes criminels, c'était une définition qui
était assez stricte et qui n'était pas aussi large que dans celle sur l'aide
aux victimes d'actes criminels. Et, en 2019‑2020 on a consacré
155 millions de dollars à l'indemnisation et 126 millions au niveau
de l'aide, pour un total de 281 millions.
Au niveau de l'historique des projets de
réforme, la loi a été adoptée, la Loi sur l'indemnisation des victimes d'actes
criminels, en 1972. En 1993, le Parti libéral avait adopté un projet de loi,
mais il n'est jamais rentré en vigueur. En raison des difficultés et des
contraintes budgétaires, le gouvernement libéral n'avait pas mis l'argent.
Ensuite, en 2006 et en 2013, il y a eu des projets de réforme mineurs. Quelques
ajustements ont été apportés à la loi sur l'indemnisation, mais rien qui ne
permettait de répondre globalement aux demandes des victimes et des différents
groupes.
Alors, avec l'objectif de la réforme que
nous proposons aujourd'hui, ça cadre sur trois éléments, le premier, favoriser
le rétablissement des personnes victimes afin qu'elles puissent disposer du
soutien nécessaire pour reprendre le cours de leur vie. Donc, on veut s'assurer
que le régime, maintenant, d'indemnisation des victimes d'actes criminels donne
tous les outils aux personnes victimes pour retrouver leur vie pour faire en
sorte de les amener et de les accompagner à ce que cette blessure-là qui est la
leur, dont elles ont été victimes, ne fasse pas en sorte qu'elles ne puissent
pas retrouver le cours normal de leur vie.
On veut également offrir de l'aide de
façon cohérente et équitable, chercher à ce que toute personne victime ait
accès aux services dont elle a besoin. Donc, on va élargir les services offerts
aux personnes victimes d'une infraction criminelle et on va également offrir
des services accessibles et efficients, de faire en sorte que des services de
qualité soient offerts rapidement.
Dès le début de la dénonciation, dès le
moment où la personne va s'adresser à l'IVAC, on veut que les premiers services
lui soient donnés et que les services lui soient donnés rapidement, notamment
en matière de soutien psychologique. Et on intègre également un programme
d'aide d'urgence pour faire en sorte qu'une personne qui se retrouverait dans
une situation de dangerosité, de difficulté pour sa sécurité, elle puisse, dès
le départ, avoir un programme temporaire d'urgence qui va pouvoir l'aider, notamment
en matière de violence conjugale.
Au niveau de la définition de victime,
nous élargissons la notion de victime. On est passé d'une interprétation
restrictive au niveau de la définition de victime à une interprétation qui dira
que toute personne physique qui, en raison de la perpétration d'une infraction
criminelle, subit une atteinte à son intégrité ou une perte matérielle… que
l'auteur de cette infraction ou non… identifiée, arrêtée, poursuivie ou
déclarée coupable.
Donc, lorsqu'une personne est victime
d'une infraction criminelle, ses parents, ses enfants et ses proches sont eux
aussi victimes du crime perpétré, ce qui signifie qu'on a une interprétation maintenant
beaucoup plus large parce que, lorsqu'on a une personne qui est victime, c'est
l'ensemble du noyau familial qui est victime de l'infraction criminelle. Donc,
les personnes qui accompagnent, qui sont dans l'entourage de la personne
victime de l'infraction elle-même, elles aussi, seront considérées désormais
comme des victimes d'une infraction criminelle.
L'autre élément majeur de la réforme
concerne l'admissibilité. Une des grandes critiques qu'il y avait par rapport
au régime de l'IVAC était le fait qu'il y avait seulement une liste fermée, qui
avait environ une quarantaine d'infractions criminelles qui étaient
indemnisables. Désormais, tous les crimes contre la personne seront couverts,
ce qui signifie que le leurre d'enfant, que l'exploitation sexuelle, que le
harcèlement criminel seront désormais couverts. Et ça, c'est une demande qui
était réclamée par les groupes.
Deuxièmement, le délai pour le dépôt. On
passe d'une durée de deux ans à trois ans pour déposer sa demande à partir du
moment où la personne a connaissance du préjudice qu'elle subit. Ça signifie
que cette augmentation-là est désormais reliée à la prescription normale du
Code civil du Québec. Donc, on augmente de deux à trois ans. Et, pour toutes
les infractions criminelles qui sont liées à la violence sexuelle, à la violence
conjugale et à la violence subie pendant l'enfance, ces infractions criminelles
là sont désormais imprescriptibles, ce qui signifie qu'une personne qui aurait
été victime d'une agression sexuelle en 1985, en 2000, en 1995 ou en 2010,
désormais, elle peut s'adresser à l'IVAC parce que l'infraction criminelle est
désormais imprescriptible, à l'image de ce que nous avons fait dans le projet
de loi n° 55 qui a été déposé par ma collègue.
Et, autre élément extrêmement important,
pour les victimes d'agression sexuelle qui se seraient fait dire par l'IVAC, au
cours des années, que leur demande était hors délai, on prévoit une
réactivation de leurs droits pendant trois ans, ce qui signifie qu'une personne
qui se serait fait refuser uniquement par l'écoulement du temps, parce qu'elle
n'était pas dans l'année à l'époque de la demande… ou qui n'était pas dans les
deux ans, bien, désormais la personne va pouvoir redemander une indemnisation
et du soutien de l'IVAC si elle a été victime d'une agression sexuelle dans le
passé.
Au niveau du soutien pour les familles,
donc on élargit la notion de personne victime pour faire en sorte que le noyau
familial, le noyau de la personne qui a été victime d'une infraction
criminelle, soit... puisse bénéficier de davantage de services, et surtout d'accompagnement
et de soutien. Donc, pour un enfant d'un parent mineur blessé, il y aura de
l'aide pour la réhabilitation psychothérapique. Il y aura de l'aide pour
pallier à la perte de revenus, de l'aide également pour la réinsertion
professionnelle, parce que, lorsqu'on a enfant qui est victime d'une infraction
criminelle, bien, c'est le parent qui s'en occupe. C'est le parent qui subit,
entre autres, les contrecoups et qui accompagne son enfant à travers ce
processus de guérison là, et lui-même, aussi, ce parent-là, est une personne
victime. Donc, désormais, on va aider le parent, qui est une personne victime
également dû à la blessure d'un enfant.
Pour le parent d'un enfant mineur décédé,
il y aura de l'aide pour la réhabilitation psychothérapique, de l'aide pour une
indemnité de décès, de l'aide palliant à la perte de revenus, de l'aide pour la
réinsertion sociale et professionnelle, de l'aide pour la réadaptation
physique, de l'aide pour l'assistance médicale et un remboursement des frais
liés au crime et autres frais. Ce qui est important de souligner, c'est
qu'actuellement les parents n'étaient pas considérés comme des personnes
victimes, à moins que le crime ait été commis par l'ex-conjoint. Donc,
désormais, tous les parents d'enfants mineurs seront considérés comme des
personnes victimes si leur enfant est victime d'un homicide.
Pour les parents d'un enfant majeur
blessé, il y aura désormais de l'aide pour la réhabilitation psychothérapique.
Pour les parents d'un enfant majeur décédé, il y aura de l'aide pour la
réhabilitation psychothérapique et l'indemnité de décès, sous certaines
conditions.
Pour les familles encore, pour les
enfants, de l'aide pour la réhabilitation psychothérapique, une indemnité de
décès, et pour tous les enfants, et pas seulement ceux à charge, ce qui
signifie que, si votre parent... vous êtes un enfant majeur et que votre parent
décède, donc un individu qui aurait, supposons, 50 ans, et l'enfant a une
trentaine d'années, il y aura des services pour l'enfant de cette personne
majeure là.
Pour les conjoints, également, de l'aide
pour la réhabilitation psychothérapique, une indemnité de décès. Et, pour les
autres proches, lorsqu'on parle du frère ou de la soeur, du grand-parent, du
petit-enfant, de l'enfant du conjoint de la personne victime, le conjoint du
parent de la personne victime ou l'enfant du conjoint du parent, il y aura de
l'aide pour la réhabilitation psychothérapique et de l'aide disponible pour les
autres personnes significatives. Donc, on permet aussi de faire en sorte qu'il
y ait une personne qui n'a pas nécessairement de liens de sang, mais qu'en
raison du noyau familial c'est une personne qui est proche, cette personne-là
aussi pourra être soutenue par l'État et recevoir du soutien psychologique,
notamment.
Donc, on met en place de l'aide pour
répondre aux besoins des victimes, notamment sur le terrain, en offrant une
aide financière d'urgence. On va conclure des ententes de service avec des
organismes pour soutenir les personnes victimes.
À l'IVAC elle-même, on va améliorer les
services au niveau des intervenants de l'IVAC. On s'est souvent fait dire qu'il
y avait parfois certaines insensibilités. On veut un IVAC beaucoup plus humain.
Donc, il y aura des démarches qui seront faites à ce niveau-là. On va adapter
les services de l'IVAC pour les personnes autochtones également. Il y avait des
demandes à ce niveau-là, donc on va avoir un programme particulier pour les
personnes autochtones. Et, au tribunal, on va mieux aménager les palais de justice
au bénéfice des personnes victimes et on va favoriser les mesures facilitant le
témoignage des personnes victimes.
Donc, essentiellement, la réforme, ce
qu'elle fait, c'est qu'elle amène une vraie reconnaissance du statut, des
besoins de toutes les personnes victimes. On amène davantage de soutien
psychologique, plus accessible et beaucoup plus rapidement. Dès le départ où la
personne contacte l'IVAC, on va lui offrir du soutien psychologique, et la
personne n'aura pas à attendre des mois avant que son dossier soit traité. On
veut vraiment faire en sorte que dès le départ la personne soit accompagnée par
l'État, soit soutenue, qu'elle ait accès au panier de services pour s'assurer
qu'elle ne soit pas seule et surtout faire en sorte qu'elle soit accompagnée à
travers toutes les étapes de son processus de guérison. Nous avons également
une indemnisation plus efficace des victimes et un processus beaucoup plus
humain.
Donc, en terminant, je tiens à prendre un
moment pour remercier l'ensemble des personnes victimes, des experts et des
organismes que nous avons rencontrés tout au long du processus d'élaboration de
cette réforme. Je tiens également à souligner le travail colossal des
différentes équipes du ministère de la Justice, sans qui cette réforme n'aurait
pu vous être présentée aujourd'hui. Un grand merci aux équipes du ministère de
la Justice. Je vous remercie.
Le Modérateur
: Donc,
nous en sommes à la période de questions. Nous commençons avec Mylène Crête, Le Devoir.
Mme Crête (Mylène) :
Bonjour. J'aimerais savoir… Vous avez dit que les victimes d'agression sexuelle
qui se sont fait dire qu'elles étaient hors délai vont pouvoir présenter une
nouvelle demande. Qu'arrive-t-il des victimes dont le crime n'était pas sur la
fameuse liste? Est-ce que ces gens-là pourraient présenter une demande aussi
après l'adoption du projet de loi?
M. Jolin-Barrette : En fait,
les personnes, dans... Ce qu'on doit distinguer entre les deux, c'est que les
personnes qui ont été victimes d'une agression sexuelle avant l'entrée en
vigueur de la loi, désormais, le crime, il est imprescriptible, donc celles-ci
vont pouvoir représenter une demande. Même chose pour les violences subies
pendant l'enfance ou les violences conjugales, effectivement, c'est rétroactif.
Alors, les personnes pourront demander une... durant une période de trois ans
que... Si elles s'étaient fait dire non par l'IVAC parce qu'elles étaient hors
délai, on va leur laisser un trois ans pour réactiver leur demande.
Une fois cela dit, toutes les infractions
de nature criminelle résultant d'une infraction à caractère sexuel, de violence
pendant l'enfance et de violence conjugale seront désormais imprescriptibles. Ça
signifie qu'elles seront imprescriptibles pour le passé et pour le futur. Donc,
une personne qui aurait subi une agression sexuelle en 1990 et qui ne se serait
jamais adressée à l'IVAC pourrait, à partir du moment de la sanction de la loi,
être considérée comme une personne victime. Donc, c'est ça,
l'imprescriptibilité qu'on amène relativement à la disposition.
Mme Crête (Mylène) :
Est-ce que vous considérez que l'argent que vous mettez… là, je pense que… si
j'ai bien compris, c'était 193 millions de dollars sur cinq ans?
M. Jolin-Barrette : Oui,
supplémentaire, sur cinq ans.
Mme Crête (Mylène) :Est-ce que ça sera suffisant pour couvrir les demandes accrues,
là, qui pourraient survenir après l'adoption du projet de loi?
M. Jolin-Barrette : Oui.
Bien, en fait, nous avons estimé le nombre de demandes que nous pourrions
avoir. Ce qui est important de dire, c'est qu'avec l'élargissement que nous
faisons on prévoit qu'il pourrait y avoir jusqu'à 4 000 personnes
supplémentaires par année qui pourraient bénéficier du régime d'indemnisation
de l'IVAC. Donc, on parle notamment des Québécois qui se font agresser à
l'étranger, qui subissent que ce soit une infraction criminelle, un homicide ou
toute autre infraction prévue à la liste. Désormais, on va les reconnaître, et
ça, je pense que c'est important. On élargit le bassin de personnes victimes.
Et, nous, notre objectif est de faire en
sorte vraiment d'élargir la notion de victime, de reconnaître le plus de
victimes possible et d'offrir surtout du soutien à ces personnes victimes là
pour faire en sorte qu'elles puissent recouvrer leur vie. Et surtout il faut
s'assurer d'offrir les services dès le départ, dès le moment où la personne est
en situation... où elle contacte l'IVAC. Et d'ailleurs, aussi, on a des
partenariats et on aura davantage de partenariats avec les CAVAC pour s'assurer
d'offrir du soutien dès le départ avec les personnes victimes.
Mme Crête (Mylène) :
Qu'est-ce qui vous fait croire que vous allez réussir là où les autres
gouvernements précédents ont échoué?
M. Jolin-Barrette : Bien,
dans un premier temps, l'argent est là, 193 millions supplémentaires sur
cinq ans, pour procéder à la réforme. Ça a toujours été le nerf de la guerre.
Je tiens d'ailleurs à remercier mes collègues aux Finances et au Trésor d'avoir
accordé ce montant. C'est un montant qui est significatif et ça démontre toute
l'importance que le gouvernement du Québec consacre aux personnes victimes. On
le sait, à quel point c'est une épreuve de passer à travers une infraction
criminelle, à quel point votre vie est chamboulée, à quel point la vie de vos
proches également est chamboulée. Et c'est pour ça que le gouvernement du
Québec met l'argent, 193 millions sur cinq ans, supplémentaire pour faire
en sorte de moderniser le régime, mais surtout d'élargir la notion de victime
et la liste des infractions qui sont admissibles désormais.
Le Modérateur
: Charles
Lecavalier, Journal de Québec.
M. Lecavalier (Charles) :
Bonjour, M. le ministre. Qu'est-ce que vous dites aux victimes, aux familles de
victimes de crimes qui n'étaient pas dans cette liste-là, donc qui ont subi un
préjudice, là, avant l'adoption du projet de loi? Donc, ça ne sera pas
rétroactif. Qu'est-ce que vous leur dites, à eux?
M. Jolin-Barrette : Ce que je
leur dis, c'est que je ne peux pas réparer le passé. Je sais que c'étaient des
situations très difficiles qu'elles ont vécues, ces personnes victimes. Je sais
que, durant des années, elles se sont battues pour avoir des indemnisations. Ce
que je peux leur dire, c'est que plus jamais ça ne va arriver parce qu'on fait
en sorte d'abolir la liste des infractions criminelles. On fait en sorte aussi
que le noyau de personnes qui vont avoir accès à de l'aide, à du soutien sera
élargi. Mais malheureusement je ne peux pas refaire le passé.
Et, pour ce qui est du volet d'agression
sexuelle, de violence subie pendant l'enfance, bien, ça, on l'a couvert notamment
par le fait que, souvent, ça prend des années avant qu'une personne qui est
victime d'une agression sexuelle puisse le dénoncer. Donc, c'est important, à
partir du moment où elle le dénonce, de la soutenir, et c'est en cohérence avec
le projet de loi n° 55 qu'on a adopté.
M. Lecavalier (Charles) : Peut-être
juste une petite question technique, là. Les gens qui vont être... on ne le
souhaite pas, là, mais qui vont être victimes d'un acte criminel, à quel moment
ça va s'appliquer? Est-ce que c'est à l'adoption du projet de loi ou c'est dès maintenant,
au dépôt du projet de loi?
M. Jolin-Barrette : Non, ce
sera à partir du moment où la loi sera adoptée. C'est prévu qu'au plus tard
cinq mois après l'adoption de la loi le régime entre en vigueur. Donc, ce sera
entre le moment de la sanction de la loi, de l'adoption de la loi et cinq mois
plus tard parce que les règlements doivent entrer en vigueur. Donc, on va
essayer de faire ça le plus court possible, mais, au plus tard, c'est
l'adoption de la loi plus cinq mois.
M. Lecavalier (Charles) : Et,
juste sur le budget, vous nous avez dit d'entrée de jeu, bon,
193 millions, vous avez dit que ça doublait le budget. Mais juste pour
comprendre, parce que tantôt, les chiffres que vous avez montrés, c'est à peu
près 190 millions par an... Non? Je me trompe? Je veux juste que vous
m'expliquiez ça.
M. Jolin-Barrette : Bien, en
fait, au départ, actuellement, l'aide que nous offrons relativement au régime
actuel, donc, dans le cadre des deux lois, c'est un montant d'à peu près 280 millions.
Mais ce qu'on fait, c'est qu'on rajoute 193 millions. Dans le dernier
budget, on avait mis une somme de 87 millions supplémentaire, mais ce 87 millions
là, il est doublé à 193 millions. Plus que doublé, on rajoute, dans le
fond, 106 millions de dollars, pour les cinq prochaines années, sur ce qui
avait été annoncé dans le dernier budget, pour s'assurer de couvrir le plus largement
possible les personnes victimes.
M. Lecavalier (Charles) :
Donc, ce qui est doublé, c'était votre intention?
M. Jolin-Barrette : Exactement.
M. Lecavalier (Charles) : O.K.,
O.K., je comprends.
M. Bergeron (Patrice) : Une
petite question, maintenant, que je m'accorde. Patrice Bergeron, LaPresse
canadienne. Vous avez parlé à de nombreuses reprises de la question des
soins psychothérapeutiques ou thérapiques, comme vous dites. Est-ce que ça
comprend un nombre d'heures limitées ou de séances limitées, par exemple?
M. Jolin-Barrette : Bien, en
fait, exemple, pour la personne victime elle-même, non, il n'y a pas de séances
limitées. Pour ce qui est de certains proches, il y a certaines séances. Je
vous donne, à titre d'exemple, le parent d'un enfant mineur décédé, lui, aurait
30 séances de soutien par parent. Actuellement, ce n'était qu'un seul
parent qui avait des séances. Et c'est à hauteur de 25 séances. Donc, on
fait plus que doubler parce que maintenant les deux parents vont avoir
30 séances chacun.
M. Bergeron (Patrice) : Vous
avez également évoqué des indemnités de décès. À quoi ça pourrait ressembler, dans
une fourchette, là, par exemple?
M. Jolin-Barrette : Bien, exemple,
je donne l'indemnité d'un parent d'un enfant mineur décédé, ça serait
environ... autour de 60 000 $, 57 000 $.
Le Modérateur
: Nous
reprenons la tournée des questions si Mylène Crête en a d'autres.
Mme Crête (Mylène) :
...j'en ai d'autres. Je voulais savoir, M. Jolin-Barrette, puisque vous
êtes leader parlementaire, sur le projet de loi n° 66,
est-ce qu'il sera adopté demain sans aucune mesure d'exception?
M. Jolin-Barrette : Bien, en
fait, l'étude détaillée est terminée. Aujourd'hui, on prévoit faire la prise en
considération et probablement l'adoption finale aujourd'hui. Alors...
Une voix
: ...
M. Jolin-Barrette : Oui, même
aujourd'hui... Bien, en fait, on va laisser les parlementaires débattre au
salon bleu, mais, selon toute vraisemblance, le projet de loi n° 66
sera adopté de façon régulière d'ici demain, 13 heures.
Mme Crête (Mylène) :
Et je pense qu'aujourd'hui aussi il y a beaucoup de restaurateurs qui attendent
après l'adoption du projet de loi n° 72, là, qui
contient toutes sortes de mesures, mais dont celle sur la livraison d'alcool.
Est-ce que, ça, vous avez bon espoir que ça soit adopté d'ici la fin des
travaux demain?
M. Jolin-Barrette : Bien,
écoutez, moi, je le souhaite profondément. D'ailleurs, Québec solidaire a
présenté une motion que nous avons appuyée aujourd'hui, qui a été bloquée par
le député de Chomedey, qui demandait aux parlementaires d'adopter le projet de
loi d'ici demain, 13 heures.
Alors, moi, bien entendu, je suis
favorable à ce que le projet de loi n° 72 soit adopté
parce que c'est un projet de loi qui permettrait d'aider les restaurateurs.
Donc, nous, on est disponibles pour siéger et même dépasser 13 heures,
demain, si on est en mesure d'adopter le projet de loi n° 72.
Il n'y a aucun problème pour nous. Vous savez, de consentement, on peut tout
faire à l'Assemblée. Alors, si c'est le souhait des oppositions, nous, on va
être disponibles.
Mme Crête (Mylène) :
Pourquoi avoir choisi d'ajouter cette mesure-là dans un projet de loi omnibus?
C'était le cas avec le n° 61 en juin. C'est le cas
avec le n° 72. Est-ce qu'il n'y avait pas une autre
avenue peut-être plus rapide pour changer ces dispositions-là?
M. Jolin-Barrette : Bien, en
fait, le projet de loi n° 72 a quand même été déposé
rapidement. Vous savez, il y a des consultations. Là, il y a l'étude détaillée,
tout ça. Je ne peux pas aller plus vite que le Parlement. Moi, je souhaiterais
aider les restaurateurs vraiment rapidement. C'est une mesure qui est dans le
projet de loi, et, comme on dit, je ne peux pas aller plus vite que les
parlementaires.
Mme Crête (Mylène) :
...d'autres mesures sur d'autres choses qui ne font pas l'unanimité.
M. Jolin-Barrette : Bien, en
fait, vous savez, c'est un projet de loi mené par la ministre de la Sécurité
publique. Alors, c'est dans le cadre du... Ce n'est pas la première fois que
dans un projet de loi il y a plusieurs mesures. Alors, je pense que la ministre
de la Sécurité publique travaille fort et rondement, et elle veut aider les
restaurateurs, notamment. L'ensemble du gouvernement veut le faire. Alors,
c'est un véhicule législatif approprié.
Le Modérateur
: Charles
Lecavalier, Journal de Québec.
M. Lecavalier (Charles) :
Oui, bien, je rebondis sur ce que vous venez de dire, là. Vous dites : Je
ne peux pas aller plus vite que le Parlement. Est-ce que ça a avancé, votre
réforme parlementaire que vous avez présentée l'an passé? Est-ce qu'il y a
des... Vers quoi on se dirige?
M. Jolin-Barrette : Bien, le
ministre des Affaires autochtones a fait voter une motion à l'Assemblée qui a
repris un élément de la réforme parlementaire que j'ai présentée relativement
au fait pour les parlementaires de suivre une formation sur les réalités
autochtones. Ça, ça verra le jour d'ici une année. Il y a des discussions, il y
a eu une première rencontre entre leaders avec la présidence. Nous, le
gouvernement, on a présenté, dès février 2020, notre projet de réforme
parlementaire. Nous sommes prêts, et je suis disponible, pour moderniser et
améliorer le Parlement. Donc, c'est dans les mains du président présentement.
Mais moi, je suis disponible et le gouvernement est disponible pour améliorer
l'efficacité du Parlement, et surtout nos façons de faire, au bénéfice des
citoyens.
M. Lecavalier (Charles) :
Changer le code d'éthique, ça, est-ce que ça va dans la réforme parlementaire?
M. Jolin-Barrette : Non, changer
le code d'éthique, ça ne relève pas du ministre responsable de la Réforme
parlementaire, ça relève de la ministre responsable de la Réforme des
institutions démocratiques.
M. Bergeron (Patrice) : Vous
avez aussi évoqué tout à l'heure, dans votre allocution, la question de l'aide
financière d'urgence. Ça, ça ressemble à quoi, au juste, comme montant, là?
M. Jolin-Barrette : Oui.
Bien, en fait, ma collègue la ministre responsable de la Condition féminine en
a annoncé une partie la semaine dernière. Donc, pour la première année, c'est
financé par Condition féminine, et par la suite ça sera financé par le régime
d'indemnisation de l'IVAC. Alors, on parle d'aide d'urgence, on parle d'aide au
logement temporaire, on parle de nourriture, on parle de transport,
d'hébergement, des soins de première nécessité. Vraiment, l'idée, là, c'est de
faire en sorte que, lorsqu'une personne est en situation de détresse ou sa
sécurité est menacée, prenons le cas d'une personne qui subit de la violence
conjugale, on ne souhaite pas que la personne reste dans son milieu, et il faut
qu'elle ait tous les outils pour se sortir de ce milieu-là.
Alors, le programme, justement, d'urgence
va servir à ça, de faire en sorte de donner les outils, où on pourra déjà
avancer l'argent, et la personne, très, très rapidement, pourra se retrouver un
logement temporaire, que ça soit à l'hôtel, que ça soit un appartement,
rapidement. C'est vraiment une mesure de transition avant d'arriver sur le
régime de l'IVAC comme victime, comme personne victime d'infraction criminelle.
C'est un régime qui est avant et qui a beaucoup de souplesse, beaucoup
d'agilité, justement, pour répondre aux cas, notamment, de femmes qui subissent
de la violence conjugale.
M. Bergeron (Patrice) : Et,
quant à l'adoption de ce projet de loi là, quel est votre... quelles sont vos
attentes, en fait? Quand espérez-vous que puisse se terminer le processus
législatif? D'ici juin, par exemple, la prochaine session parlementaire?
M. Jolin-Barrette : Bien,
écoutez, ça fait des années et des années que les personnes victimes attendent
une réforme de l'IVAC. Et, surtout, le projet de loi va permettre en moyenne
environ à 4 000 personnes par année de bénéficier de davantage de
soutien de l'État en termes de soutien financier ou de soutien psychologique.
Alors, je vous dirais, le plus rapidement sera le mieux. Il faut bien faire les
choses. Il y aura des consultations publiques pour entendre les différentes
personnes victimes, les différents groupes. Mais je suis à la disposition des
oppositions rapidement pour étudier le projet de loi, pour l'adopter aussi.
M. Lecavalier (Charles) :
Juste une précision. Sur les... Ça a piqué mon attention quand vous dites que
les échanges de l'IVAC avec les victimes, ça soit plus humain. J'imagine qu'il
y a eu des plaintes, que vous avez entendu... de plaintes à ce sujet-là.
J'aimerais ça vous entendre. Puis comment est-ce que vous voulez changer
l'attitude des gens qui travaillent à l'IVAC? Ça va être des formations?
M. Jolin-Barrette :
Bien, en fait, dans un premier temps, de la façon que le régime, actuellement,
était constitué, la responsabilité du régime, dans le fond, était sous la
CNESST. Alors, dans le cadre du projet de loi, maintenant, on rapatrie cette
responsabilité-là, et c'est désormais le ministère de la Justice qui va gérer
les réclamations.
Et donc on pourra donner des ententes de
services, supposons, avec la CNESST, mais ça va donner le levier et les outils
au ministère de la Justice pour s'assurer que la prestation qui est offerte aux
bénéficiaires de l'IVAC soit une prestation de qualité et qu'on s'assure qu'il
n'y ait pas de cas où, si vous appelez... et qu'on vous dise : Bien, vous
ne rentrez pas dans la définition ou vous ne rentrez pas comme victime.
L'idée, là, que nous souhaitons avec le
projet de loi, c'est vraiment de faire en sorte de s'assurer que chaque
victime, chaque personne victime soit considérée, qu'on soit empathique avec
elle, et qu'on s'assure de bien l'outiller, et qu'on la dirige vers des
services, qu'on lui donne les ressources appropriées.
Alors, les groupes de victimes ont souvent
parlé de la rigidité de l'IVAC. Entre autres, c'était dû notamment au fait de
la loi actuelle parce que la définition était très, très, très restrictive,
donc les personnes ne pouvaient pas aller au-delà de la loi. Mais, en amenant
une réforme de la loi, ça va faire en sorte que ça va donner de la latitude,
entre autres, aux personnes qui administrent la loi.
Mais moi, je tiens à confirmer mon désir
qu'on accompagne et que le soutien soit humain. Parce que, lorsqu'une personne
lève la main pour demander de l'aide, il faut savoir tout le courage que ça
prend parce qu'elle-même, il ne faut pas qu'elle revive un parcours du
combattant pour qu'on puisse l'aider puis pour qu'elle puisse être indemnisée
financièrement. Alors, c'est le sens de la réforme que je présente, un IVAC
plus humain.
Le Modérateur
: Bien,
c'est ce qui met fin à la conférence de presse. Alors, merci, M. le ministre.
M. Jolin-Barrette :
Merci beaucoup.
(Fin à 13 h 5)