(Quinze heures vingt et une minutes)
Mme Melançon : Alors, vous le
savez, depuis plusieurs semaines, plusieurs mois, je parle de l'importance de l'information
locale et régionale. Et aujourd'hui, c'est encore plus vrai, je vais dire ça
ainsi. J'ai écouté ce que la ministre et le ministre ont annoncé. Ce qu'ils ont
annoncé, ni plus ni moins, ce sont des mesurettes, loin de faire exactement le
pas dans la bonne direction. Et je vais m'expliquer.
Ce que les gens demandaient en commission
parlementaire, notamment, c'était qu'on puisse travailler pour l'ensemble des
journalistes du Québec. Et ce n'est pas ce qui a été présenté aujourd'hui. Bien
entendu, je comprends que c'est pour faire un plan, pour avoir un plan pour
vendre ou acheter les journaux de Groupe Capitales Médias. Cependant,
avec ce qui a été annoncé, on tente de soigner un symptôme sans jamais
s'attaquer à la maladie.
Alors, le symptôme, c'est la perte des
revenus publicitaires, et la maladie, ça s'appelle les Facebook et les Google
de ce monde, qui vivent actuellement dans une situation tellement favorable
face à nos médias québécois. Donc, actuellement, Google et Facebook partent
avec 80 % des revenus publicitaires, alors que nos médias paient des taxes
et des impôts au Québec, et eux pas. Alors, tant et aussi longtemps qu'on ne va
pas s'attaquer aux GAFAM, donc aux Google et Facebook de ce monde, on
n'arrivera jamais à régler la situation.
Et ce n'est tellement pas important
actuellement, pour le gouvernement, que même François Legault, dans sa
liste de demandes qu'il a faites auprès des partis politiques fédéraux, n'a pas
cru bon de faire cette demande-là. Alors, je suis extrêmement déçue en ce
sens-là. Ce qu'on voit, donc, c'est un premier ministre qui a décidé de se
mettre à genoux devant la Californie. Google, Facebook, là, doivent rire dans
leurs salons. Chaque semaine de perdue, c'est de l'argent en moins pour nos
médias locaux, régionaux, québécois.
Je vous le répète, j'ai fait une motion,
j'ai déposé une motion, le 2 mai dernier, motion dans laquelle je
demandais à ce qu'on puisse revoir, notamment, les investissements
publicitaires qui sont faits par le gouvernement du Québec. Moi, je pensais que
le 3 mai, le lendemain, la ministre était pour annoncer une directive
claire. Sept mois plus tard, il n'y a rien de fait, puis elle dit qu'elle va
encore y réfléchir? Non, mais, c'est une blague? C'est désastreux.
Je ne sais pas s'il y a des gens qui sont
soulagés. Je ne sais pas si vous, comme journalistes, vous êtes soulagés. Moi,
en tout cas, je ne le suis pas. Et je ne le suis pas parce que ce n'est pas sur
l'ensemble des journalistes... Quand on parle d'information de qualité, il faut
que ça vienne de journalistes. Et, quand on parle des journalistes, on peut
parler des agences de presse comme on peut parler aussi des médias qui sont
dans le petit écran ou encore à la radio et, bien sûr, à l'écrit aussi. Mais,
pour moi, c'est l'ensemble des journalistes qui doivent être couverts par des
mesures fiscales. Et c'est ce qui a été demandé pendant une semaine en commission
parlementaire.
Je vais juste terminer sur, justement, les
agences de presse avant de passer la parole à mon distingué collègue. Souvent,
lorsque les médias... et ils nous l'ont expliqué et j'ai posé beaucoup de
questions, lorsqu'un journal, prenons l'exemple, doit faire des coupures, ce
n'est pas très bien de couper dans nos journalistes. Souvent, on va couper chez
les agences de presse. Ça paraît moins. Ça fait déjà un certain temps qu'il y a
des agences de presse qui en arrachent, qui ont de la difficulté. Aujourd'hui,
en ne voyant pas cette problématique-là, je pense que la ministre fait de
l'aveuglement volontaire, et je trouve ça triste. Carlos.
M. Leitão : Qu'est-ce que je
peux dire de plus? Je dirais seulement que, quand on adresse cette question du point
de vue fiscal, deux choses. Pas plus tard qu'hier on a eu une discussion au
salon bleu avec le ministre des Finances qui nous disait que, non,
non, non, on ne peut pas imposer une taxe temporaire sur les revenus de ces
géants du Web. Oui, on peut. Ce ne sera pas simple, bien sûr, mais, oui, on
peut le faire. Et, surtout, le signal que cela enverrait serait très, très puissant.
Donc, ça, ils abdiquent de le faire. On m'avait dit aussi souvent, quand nous,
on pensait à la fameuse taxe Netflix, que c'était impossible, et pourtant on
l'a fait. Alors, oui, ça peut se faire. Ce n'est pas simple, mais ça peut se
faire.
Deuxièmement, je comprends aussi que le ministre
des Finances a mentionné que, bon, il y aura toute une série de
crédits d'impôt pour les salaires. Bien, connaissant les crédits d'impôt, le
diable est toujours dans les détails. Les crédits d'impôt, comme vous le savez,
doivent être très, très structurés, très, très formalisés. Donc, les
définitions doivent être très claires. Alors, qui va administrer ça? Est-ce que
c'est Revenu Québec? Probablement que oui. Alors, quelles seront les
directives envoyées à Revenu Québec pour encadrer les crédits d'impôt?
On aimerait bien voir ça. Mais ce n'est pas simple. Un crédit d'impôt, c'est un
outil lourd, et donc il me semble que ça n'a pas aidé les médias aussi
rapidement que ça.
Et finalement je crois aussi que le ministre
des Finances a mentionné en conférence de presse que la question
concernant le fonds de pension du Groupe Capitales Médias n'était pas
si préoccupante que ça. Ça m'a surpris un peu qu'il ait dit ça parce que c'est
préoccupant. Et non, ça ne va pas s'améliorer. Si l'entreprise est en faillite
technique, comment ça peut s'améliorer, tout ça? Ça ne va pas s'améliorer.
Alors, ça me surprend qu'il ait dit ça.
Mme Richer (Jocelyne) :
Au sujet des crédits d'impôt, justement, on a senti beaucoup de flou dans les
critères de sélection, les critères d'admissibilité. Qu'est-ce que vous retenez
de tout ça? Est-ce qu'il y a un peu d'improvisation? Est-ce qu'on sait vraiment
où est-ce qu'on s'en va? Qu'est-ce que vous comprenez du raisonnement, aussi,
des ministres à ce sujet-là, à savoir qui est admis puis qui ne l'est pas?
M. Leitão : Je vais juste dire
une chose. Un crédit d'impôt, il ne peut pas être flou. Le crédit d'impôt doit
être très, très bien structuré. Donc, si ça a l'air flou, et je n'ai pas encore
regardé les détails, ça, c'est une très mauvaise nouvelle. Ça veut dire qu'ils
ne sont pas du tout prêts à le déployer.
Mme Richer (Jocelyne) :
Est-ce que c'est l'impression que vous avez eue?
M. Leitão : Je n'ai pas vu
tous les détails, mais je vous crois, là, d'après ce que vous me dites, que ça
a l'air flou. Donc, si ça a l'air flou, ça ne peut pas être déployé, ça va être
déployé seulement quand ça va être très clair.
M. Cormier (François) :
Mme Melançon, vous réclamez une aide pour tous les médias, la radio, la télé,
etc., mais n'admettez-vous pas qu'il y a davantage péril en la demeure pour les
médias écrits, alors qu'il y a des médias écrits qui font face à la fermeture,
que c'est très difficile pour certaines publications locales? On en a d'ailleurs
perdu plusieurs. Donc, est-ce que ce n'est pas... s'il y avait une aide à
apporter, est-ce que l'aide d'urgence, elle ne devrait pas être apportée là d'abord,
puis on verra pour la suite?
Mme Melançon : Bien, il y a plusieurs
aspects dans votre question. Tout d'abord, le comité d'urgence qui avait été
formé par le gouvernement, donc, avec la ministre de la Culture, le ministre
de l'Économie, le ministre des Finances et quelqu'un du
bureau du premier ministre, c'était en avril dernier, ça. Moi, j'ai toujours
été de... celle qui a dit : Bien, si on peut sauver des emplois, si on
peut sauver des journaux, bien, qu'on aille puis qu'on n'attende même pas après
la commission parlementaire, hein, qui n'a toujours pas fini ses travaux, je
tiens à le rappeler. Mais avoir attendu sept mois pour annoncer ça, je trouve
que c'est triste, je le répète, je trouve ça faible.
Et ma première pensée, moi, va envers les
gens qui travaillent pour le Groupe Capitales Médias. Ma première
pensée va à ces gens-là aujourd'hui, que je ne pense pas qu'ils soient
soulagés, vraiment pas, et avec les commentaires sur le fonds de pension et sur
ce qu'on voit actuellement. Cela étant dit, je ne peux pas décrier le fait
qu'on veuille agir. Moi, ce que je décrie, c'est qu'on ait pris tout ce
temps-là pour arriver à ça.
M. Cormier (François) :
Vous ne pensez pas que ça va sauver Capitales Médias ou aider à sauver
Capitales Médias ou d'autres publications?
Mme Melançon : Bien, ce que je
trouve déplorable... Puis vous le savez, depuis un an, j'arrive avec des
propositions, j'essaie de proposer, je ne veux pas m'opposer, comme opposition,
là. Souvent, on se fait trop dire ça : On sait bien, vous êtes dans
l'opposition, vous vous opposez. Moi, je veux faire des propositions. Mais, il
y a sept mois, on en avait fait, des propositions, et on a attendu que le
Groupe Capitales Médias, en août dernier, soit sur le bord du gouffre.
Moi, je pensais, quand ils sont sortis et
Nathalie Roy et Pierre Fitzgibbon, qu'ils étaient pour annoncer une aide, à ce
moment-là, puisque le groupe d'urgence était formé depuis plusieurs mois. Là,
on arrive, sept mois après, avec à peu près rien. Je ne suis pas certaine que
c'est ce qui va sauver un groupe comme celui-là. Ce que j'espère, c'est qu'il
va y avoir des acheteurs qui vont vouloir aller dans la relance. Mais pour
relancer véritablement, il va falloir qu'on s'attaque à l'iniquité fiscale.
C'est là, le problème. Elle est là la maladie. Elle est là la source du
problème.
Mme Gamache (Valérie) :
...vous dites que ça se fait, imposer les GAFAM, mais c'est compliqué. Sans
rentrer dans un cours d'actuariat, là, qu'est-ce qui peut être fait?
M. Leitão : Comme ce qui a été
proposé en France. Le gouvernement du Québec pourrait agir avec une taxe
temporaire sur les revenus bruts, dans ce cas-ci, les revenus provenant des
publicités. Parce qu'on peut savoir, Revenu Québec peut savoir quel est le
revenu que ces entreprises-là génèrent, revenus de publicité, et on pourrait
imposer une taxe temporaire, je ne sais pas, 3 %, quel que soit le
chiffre, sur ces revenus-là.
Quand je dis que ce n'est pas simple, ce
n'est pas simple dans le sens où on s'ouvrirait à peut-être des contestations
non seulement de la part de ces entreprises, mais peut-être de la part aussi de
nos partenaires et de nos voisins. Ça pourrait arriver. Mais ça ne devrait pas
nous empêcher non plus d'aller de l'avant, comme les Français l'ont fait, aller
de l'avant. Quitte à éventuellement, plus tard, en 2020, oui, dans le cadre de
la réforme de l'OCDE, d'avoir une solution plus globale, bien sûr. Mais, avant
d'y arriver, il y a des choses qu'on pourrait essayer tout de suite.
Et ce qui serait important, surtout, c'est
le signal que ça envoie. Le signal qui envoie que le gouvernement du Québec est
sérieux, et que le gouvernement du Québec peut mettre en place des mesures, et
on est déterminé à le faire.
Mme Melançon : Et il ne le
dira pas, mais le leadership a été amorcé sous Carlos Leitao, donc, avec
Netflix. On a décidé, hein, de prendre le taureau par les cornes, on l'a
fait...
M. Leitão : Et il y a une
quarantaine d'entreprises maintenant, ce n'est pas seulement Netflix, mais une
quarantaine d'entreprises.
M. Bélair-Cirino
(Marco) : ...les GAFAM, aviez-vous initié quelque chose
lorsque vous étiez sous-ministre des Finances?
M. Leitão : C'était la
prochaine étape...
M. Bélair-Cirino
(Marco) : Mais il n'y avait rien d'initié, là...
M. Leitão : Non. Il n'y avait
rien d'initié parce qu'encore là ce n'est pas simple, là, d'encadrer la TVQ. Mais
on l'a fait. Mais on était très clair qu'il y avait deux étapes suivantes, une
deuxième, une troisième. La deuxième étape aurait été le commerce électronique
pour les biens tangibles et puis la troisième étape aurait été l'imposition du
revenu.
Journaliste
: ...
M. Leitão : Pardon?
Mme Lajoie (Geneviève) :
Vous l'auriez fait?
M. Leitão : Oui, oui parce
que...
Mme Lajoie (Geneviève) :
C'était prévu que vous...
M. Leitão : C'était prévu, et
c'est essentiel.
M. Bélair-Cirino
(Marco) : ...donc, les fonctionnaires ont commencé à
travailler là-dessus.
M. Leitão : Ça, je ne peux pas
vous le garantir, sur quoi ils travaillaient là-dessus. Mais, sur le n° 2, oui, pour ce qui est de la taxation du commerce
électronique des biens tangibles, oui. Ça, ils travaillaient déjà sur des projets
pilotes très spécifiques. Et pour ce qui est de l'emploi sur le revenu, on
regardait des moyens de le faire. À ce moment-là, la France n'avait pas encore
ouvert cette porte-là. Ça, c'est arrivé après. Alors, voilà.
M. Bélair-Cirino
(Marco) : Mme Melançon, je ne veux pas vous faire
répéter votre point de presse au grand complet, mais... Parce que sur les
GAFAM, j'ai bien compris, la taxation des revenus, ça, mais qu'est-ce
que la ministre Roy et le ministre Girard auraient dû annoncer aujourd'hui de
différent? Est-ce que le crédit d'impôt, vous êtes quand même d'accord, mais il
aurait dû s'appliquer également aux journalistes électroniques et... oui,
électroniques, donc, de la radio et de la télévision? Et vous auriez souhaité
d'autres mesures comme lesquelles aujourd'hui?
Mme Melançon : C'est dommage,
je ne les ai pas avec moi, mais à la suite, aux sorties, donc, de la semaine de
commission parlementaire que nous avons eue, on a fait la liste, j'ai sept
pages de recommandations qui nous ont été proposées, sept pages de recommandations
qui ont été proposées à la commission. Le crédit d'impôt, là, je vous le dis,
je suis d'accord, je ne suis pas contre.
Moi, où j'ai un immense malaise, c'est que
la ministre ferme la porte aux autres journalistes. Et elle l'a fermé, la
porte. Donc, pour moi, c'est un problème parce que, clairement, la Fédération
professionnelle des journalistes du Québec, les journalistes
indépendants, tous ceux qu'on a entendus sont venus nous dire qu'il fallait que
ça s'applique à l'ensemble des journalistes. Parce que l'information, je le
répète et je l'ai souvent dit, l'information, c'est le savoir, le savoir, c'est
la liberté, puis la liberté, bien, c'est la démocratie. Et c'est ce que représente
pour moi le journalisme.
Aujourd'hui, on a rendu hommage à
M. Nadeau, au salon bleu, et, lorsque j'ai écrit le texte pour
M. Nadeau, j'ai mesuré vraiment toute l'importance de cette profession. Et
cette profession-là, là... Ça ne s'invente pas être journaliste, on ne peut pas
faire semblant d'être un journaliste. Alors, c'est en ce sens-là où, pour moi,
l'information qui est nécessaire dans toutes les régions du Québec, partout sur
le territoire... Parce qu'on n'est pas à peu près Québécois, si on est en
région, là, on est Québécois, on a le droit d'avoir de l'information de qualité,
puis ça commence avec les journalistes.
M. Bélair-Cirino
(Marco) : Une question : Est-ce que vous demandez, comme
Québec solidaire, que les chroniqueurs soient exclus du crédit d'impôt?
Mme Melançon : Écoutez, bien,
c'est assez intéressant. Bien là, vous avez vécu ce moment qu'on a eu au salon
rouge, donc, avec la présence de Pierre Karl Péladeau. Pour moi, là, justement,
si, aujourd'hui, on avait annoncé un crédit d'impôt en disant : Pour le
moment, on va aller avec ça, puis il y a encore des discussions qui ont à voir
avec la commission parlementaire, j'aurais été la première à applaudir. Malheureusement,
ils ont fait une annonce, une annonce qui semble se faire vraiment dans
l'urgence. Tantôt, il y a quelqu'un qui parlait d'improvisation. Ça a été long
avant qu'on improvise à la CAQ. Ça fait sept mois qu'on attend une petite
partie d'improvisation, mais là ils nous ont servi la totale, aujourd'hui.
Donc, moi, s'ils nous avaient dit :
Bien, voici, on commence avec ceci, puis c'est pour régler une situation qui
est celle du Groupe Capitales Médias, par exemple, mais où on est vraiment
prêts à élargir, on veut regarder le tout dans son ensemble... Nathalie Roy a déjà
dit, puis là je vais la citer de mémoire, là, mais qu'elle ne voulait pas aller
à la pièce. Aujourd'hui, ce n'est pas la démonstration qu'elle nous a faite.
Merci, tout le monde.
Des voix
: Merci.
(Fin à 15 h 37)