(Quinze heures trente minutes)
M. Routhier (Jean-François) :
Bonjour, mesdames et messieurs. Je tiens d'abord à vous remercier de vous être
déplacés pour assister à cette conférence de presse. D'emblée, puisqu'il s'agit
de mon premier exercice de la sorte, je vous prie d'être indulgents car je m'en
remettrai à mon allocution pour cette première portion.
C'est un plaisir pour moi, à titre de Commissaire
au lobbyisme du Québec, de vous présenter le rapport que mon équipe et moi
avons soumis aujourd'hui aux membres de l'Assemblée nationale.
Comme je m'y suis engagé au printemps
dernier, ce rapport fait état du diagnostic que nous avons posé à l'égard de la
Loi sur la transparence et l'éthique en matière de lobbyisme ainsi que d'un
énoncé de principe qui propose une réflexion en profondeur sur cette loi.
Ultimement, ce rapport vise à soutenir les
parlementaires dans leurs réflexions et travaux en vue d'établir une nouvelle législation
qui devrait évoluer en fonction des priorités et des enjeux de la société
québécoise et favoriser davantage la confiance des citoyens dans les
institutions publiques.
Fruit du travail de recherches, de
consultations et de rédactions menées depuis plus d'un an par mon équipe et par
des experts externes, les deux portions distinctes de ce rapport sont
complémentaires et dressent un portait honnête du passé de la loi et de ce que
nous estimons essentiel pour son futur.
En première partie de notre rapport, le
diagnostic propose une vue d'ensemble des nombreux enjeux qui ont été soulevés
dans l'application de la loi depuis son adoption, autant sur le plan
contextuel, conceptuel, coopérationnel et technique. Ce diagnostic, rédigé dans
un style télégraphique franc et direct, condense, à l'intérieur d'une vingtaine
de pages, plus de 17 années d'expérience du commissaire mais aussi celle
des parties prenantes aux activités de lobbyisme — titulaires de
charge publique, entités et citoyens.
D'abord, le diagnostic présente les enjeux
contextuels liés à l'élaboration et à l'adoption du projet de loi en 2002. Le
contexte de crise de son adoption a nourri le climat de méfiance des citoyens à
l'égard du lobbyisme et de ceux qui l'exercent auprès des institutions
publiques. Ensuite, il fait état des enjeux liés aux concepts intégrés dans
cette loi, notamment, en lien avec les responsabilités des individus en matière
de lobbyisme. Il est aussi question d'un certain clivage entre des lobbyistes
perçus comme légitimes et d'autres qu'on a jugé nécessaire d'encadrer. Enfin,
il énonce des problématiques très concrètes sur le plan des opérations, dont
les difficultés liées aux définitions employées, à la notion de parties
importantes, au mode d'opération du registre des lobbyistes ainsi qu'au délai
de prescription.
Quant à ces deux derniers éléments, c'est
avec une grande satisfaction que nous accueillons l'adoption du projet de loi n° 6, la semaine dernière, qui vise à allonger le délai de
prescription applicable à notre loi ainsi qu'à permettre au commissaire de
créer puis d'administrer une nouvelle plateforme de divulgation des activités
de lobbyisme que nous souhaiterons moderne et efficace.
D'ailleurs, il est rare qu'une loi prévoie à
son premier article l'obligation de mettre à la disposition des utilisateurs un
registre simple et efficace. Et c'est avec beaucoup d'enthousiasme que nous
allons relever ce défi au cours des 30 prochains mois.
En plus d'aborder plusieurs enjeux
entravant l'application de la loi, notre diagnostic pose plusieurs constats
globaux sur la perception du lobbyisme au Québec et de son encadrement.
Ainsi, même si les principes de légitimité
et de transparence de la loi adoptée en 2002 n'ont jamais été remis en
question, de lourds problèmes de compréhension et d'application entravent
l'atteinte pleine et entière des objectifs démocratiques de la loi.
Le diagnostic conclut notamment que les
lobbyistes qui respectent la loi demeurent stigmatisés par la perception du
public, qui associe trop souvent leurs activités à des actes illicites. Il
constate aussi que les élus et membres du personnel des institutions publiques
sont demeurés plus ou moins engagés pendant trop longtemps face au rôle qu'ils
ont à jouer pour assurer le respect de la loi. Quant aux citoyens, ils sont généralement
confus face à la loi et ses objectifs. À cet égard, le Registre des lobbyistes
n'est pas l'outil qu'il devrait être pour concrétiser pleinement la transparence
et leur fournir une information pertinente pour interpeller les décideurs
publics au moment opportun.
Ce diagnostic fait donc état des
principaux éléments qui nous ont menés vers une réflexion en profondeur,
incarnée par l'énoncé de principe.
La seconde partie de notre rapport
présente donc notre énoncé de principe. Il constitue une étude que nous jugeons
complète, objective et cohérente des meilleures pratiques nationales et internationales
en matière d'encadrement du lobbyisme et adaptées au contexte québécois. Je
suis très fier de ce travail réalisé par mon équipe et je suis heureux
aujourd'hui d'avoir pu le déposer aux parlementaires, à qui il est destiné.
L'énoncé déploie un argumentaire de 34 principes
pour établir un cadre de transparence des activités de lobbyisme fondé sur la
simplicité et la clarté des règles applicables, la pertinence de l'information
pour le citoyen et l'efficacité pour les usagers.
Au cours de la dernière année, nous avons
rencontré beaucoup d'élus, de fonctionnaires et de représentants d'entreprise
et d'organisation. Nous avons voulu non seulement connaître les enjeux qu'ils
ont vécus ou perçus à l'égard de la loi actuelle, mais également sonder leur vision
sur ce que devrait être un cadre législatif adapté à notre société
d'aujourd'hui.
À travers toutes nos recherches et
entrevues, un élément essentiel s'est démarqué. La pertinence est une
composante essentielle de ce futur encadrement. C'est à ce grand concept que
nous avons pu rattacher la majorité des 34 principes proposés. Ces
principes s'inspirent des lignes directrices émises par les grandes
organisations telles que l'OCDE, Transparency International ou la Sunlight Foundation,
aussi inspirés de lois modernes en matière de lobbyisme ou d'écrits d'auteurs
experts en la matière.
La pertinence de l'information pour le
public est donc au coeur de la réflexion que nous proposons aux élus. Qu'est-ce
qui est pertinent pour que le public soit en mesure de connaître les
représentations effectuées auprès des institutions publiques et lui permettre
d'agir en temps opportun et de façon éclairée? Il n'y a pas de réponse toute
faite à cette question. C'est pourquoi nous croyons essentiel d'engager la
discussion et d'inviter tous les intéressés à se prononcer sur cette question.
D'ailleurs, Mathieu Ouimet, un chercheur
de la Chaire de recherche sur la démocratie et les institutions parlementaires
de l'Université Laval devrait publier d'ici quelques semaines les résultats
d'une étude indépendante réalisée auprès de lobbyistes québécois, d'organismes
de surveillance canadiens et d'experts internationaux en matière de lobbyisme.
Cette étude apportera un point de vue indépendant sur l'enjeu de la pertinence,
tout en procurant un éclairage supplémentaire. Nous attendons ces résultats
avec beaucoup d'intérêt.
Bien entendu, le seul concept de
pertinence de l'information, au même titre que celui de la légitimité des
activités de lobbyisme, doit être appuyé par les devoirs, pouvoirs et outils
appropriés pour atteindre l'objectif de transparence d'un régime d'encadrement
du lobbyisme.
Sur le plan pratique, notre énoncé
comprend des résumés de nos recommandations, un argumentaire pour chacun des
principes ainsi qu'un sommaire pour guider le lecteur. Il a été conçu comme un
outil de travail et de discussion, car c'est véritablement dans cet esprit de
dialogue que nous souhaitons aborder l'étude des principes proposés avec les
parlementaires et le public.
Notre démarche a été inspirée par le
principe d'élaboration d'un livre blanc, où des consultations sont tenues pour
déterminer les grandes orientations d'une loi avant de définir plus précisément
son contenu. Cette démarche ouvre la voie aux discussions, et nous souhaitons
véritablement que ce soit le cas.
Il introduit aussi une nouvelle
terminologie mais surtout une nouvelle philosophie d'encadrement. Il propose,
entre autres : de fonder le régime d'encadrement et la définition des
activités de lobbyisme sur la pertinence, pour le public, de connaître ces
activités afin de pouvoir y réagir; de favoriser un espace de dialogue
équitable et accessible entre l'État et ses citoyens, et, à cette fin, de ne
pas indûment restreindre l'accès aux institutions publiques; d'encadrer toutes
les personnes qui exercent des activités de lobbyisme pour le compte d'un
individu, d'une entreprise, d'une organisation ou d'un regroupement, peu
importe leur statut corporatif, la nature ou l'orientation des activités de ces
entités, mais en excluant toutefois les organismes
communautaires qui offrent des services de soutien
directement au public; de prévoir la responsabilité partagée de toutes les
parties prenantes aux activités de lobbyisme, entreprises, organisations,
institutions publiques et leurs représentants pour assurer la transparence au
bénéfice du public; d'attribuer à l'entité pour laquelle des activités de
lobbyisme sont accomplies la responsabilité première d'inscrire ses
représentants, de divulguer leurs activités et d'assurer la véracité, la
fiabilité et le suivi de ces dernières; enfin, d'établir un système de
divulgation obligatoire, efficace et ouvert qui donne accès en temps opportun à
toute l'information pertinente et vérifiable reliée aux activités de lobbyisme
accomplies, afin de permettre à toute personne de comprendre cette information
et d'y réagir efficacement.
Les quelques éléments énoncés plus tôt
résument les principales orientations déclinées dans l'ensemble des 34 principes,
mais tous les principes proposés sont complémentaires et devraient donc être
analysés globalement et non isolément. Et toutes les orientations que ces
principes visent à mettre en oeuvre sont orientées vers un régime simple,
clair, pertinent et efficace.
Nous souhaitons offrir aux parlementaires
cet outil de travail qui expose une vision éclairée et moderne des solutions
identifiées comme les plus porteuses pour notre régime québécois. À cet effet,
notre rapport recommande à l'Assemblée nationale de mandater une commission
afin d'étudier notre proposition dans le but de formuler des recommandations au
gouvernement et d'amorcer une refonte globale du régime d'encadrement des
activités de lobbyisme. Ce rapport suscitera, nous le souhaitons, un dialogue
fondamental et constructif au sein des membres de l'Assemblée nationale et des
acteurs de notre société civile.
Nous sommes confiants que les échanges
seront respectueux des visions de tous et toutes. Nous espérons qu'ils seront
tenus le plus rapidement possible et permettront d'atteindre un consensus
menant à une refonte complète de la loi. Ce dialogue et cette refonte, nous les
croyons essentiels pour atteindre l'objectif de transparence des activités de
lobbyisme en vue de favoriser et maintenir la confiance du public envers les
institutions, fondement même de la mission confiée au Commissaire au lobbyisme
à titre de personne désignée de l'Assemblée nationale depuis 2002.
En terminant, je tiens à remercier Me
Pierre B. Meunier et Me Delphine Pittet pour leurs apports à ce volumineux
travail de recherche ainsi que pour leurs conseils dans le recensement des
meilleures pratiques.
Je remercie spécialement mon équipe et
toutes les personnes qui nous ont assistés dans ce travail de longue haleine,
incluant ceux et celles qui ont accepté de nous rencontrer pour nous faire part
de leur vécu et de leur vision en lien avec l'encadrement du lobbyisme au Québec.
Je vous remercie de votre attention et
demeure à votre disposition pour toute question.
Le Modérateur
: Merci,
M. Routhier. Alors, nous allons amorcer la période des questions avec les
questions de Geneviève Lajoie, du Journal de Québec.
Mme Lajoie (Geneviève) :
Bonjour.
M. Routhier (Jean-François) :
Bonjour.
Mme Lajoie (Ginette) : Vous
écrivez que les lobbyistes qui respectent la loi demeurent stigmatisés par la
perception du public, qui associe toujours à tort leur pratique à de la
malversation. Expliquez-moi ce que vous voulez dire par là.
M. Routhier (Jean-François) :
Bien, dans les faits, ce qu'on a constaté, le diagnostic qu'on a posé, c'est
que, malgré tous les efforts, malgré toute la sensibilisation qui a été
effectuée, malgré le fait que la loi existe depuis maintenant 17 ans,
l'étiquette de lobbyiste demeure une étiquette péjorative. Et on associe, en
fait, les lobbyistes, beaucoup, aux lobbyistes professionnels, si vous voulez,
aux lobbyistes-conseils. Mais, dans les faits, plus de 80 % des activités
sont effectuées par des entreprises, et donc, en mettant cette étiquette de
lobbyiste sur les individus, en mettant toute la responsabilité aussi sur les
individus, je pense qu'on a amené les gens à avoir une perception qui est bien
souvent négative des activités de lobbyisme, alors que celles-ci ne constituent
qu'une forme de communication qui est inévitable dans toute société
démocratique.
Alors, c'est un peu dans cet esprit qu'on
dit qu'encore aujourd'hui, 17 ans plus tard, les lobbyistes sont encore,
malheureusement, affublés d'une étiquette négative. Bien sûr qu'il y a des
erreurs. Bien sûr qu'il y a des enjeux qui peuvent se poser et qui sont bien
souvent exposés par la presse, mais c'est justement peut-être uniquement dans
ces cas-là où on a véritablement entendu parler de lobbyisme, alors que c'est
une activité démocratique.
Mme Lajoie (Geneviève) : O.K.
Vous dites aussi que certains élus et membres du personnel des institutions
publiques demeurent plus ou moins engagés face au rôle qu'ils ont à jouer pour
assurer le respect de la loi. Est-ce que nos élus, ce n'est pas eux, le
problème, justement, qui fait en sorte que la perception à l'égard des
lobbyistes est plutôt négative?
M. Routhier (Jean-François) :
En fait, je ne dirais pas qu'ils sont le problème, mais ils font partie d'un
écosystème. Et, quand je mentionnais dans les principes que toutes les parties
prenantes aux activités de lobbyisme doivent y contribuer et partager les
responsabilités, bien, effectivement, la loi, en 2002, ce qu'elle a fait, elle
a imputé toutes les responsabilités aux individus, même pas aux entreprises,
même pas aux bénéficiaires des activités de lobbyisme, aux individus qui les
accomplissaient. Et, ce faisant, on n'a créé aucune obligation pour les élus,
pour les titulaires de charge publique.
Ça a pris beaucoup de temps avant que les
élus et les titulaires de charge publique se rendent compte que cette loi-là,
d'une certaine façon, est un mécanisme de protection et de gestion de leurs
risques dans les processus décisionnels qu'ils emploient. Et je crois qu'on
sent... en fait, on voit un vent de changement, on sent que les parlementaires
et les institutions publiques ont compris, d'une certaine façon, qu'il y avait
un bénéfice réel à ce que la loi soit appliquée et à ce qu'elle soit
transparente.
Je pense que le projet de loi n° 6
qui a été adopté et les débats qui l'ont précédé ont montré l'intérêt des parlementaires
pour revoir les façons de faire, revoir l'outil, oui, qu'on utilise, augmenter
la prescription. Donc, je crois très honnêtement qu'on est sur la bonne voie
pour intéresser les parlementaires et, en fait, tous les titulaires de charge
publique. Mais, pendant longtemps, effectivement, on a eu des réactions qui
étaient peut-être un peu de refus ou simplement de dire : Moi, je n'ai pas
d'obligation en vertu de cette loi-là, ce qui, en fait...
Mme Lajoie (Geneviève) :
Donc, tout le fardeau est sur le conseiller, le lobbyiste, finalement?
M. Routhier (Jean-François) :
Bien, effectivement. Ce que la loi prévoit actuellement, c'est que c'est le
lobbyiste qui a la totalité des obligations qui doivent être accomplies en
vertu de la loi, ou encore son principal dirigeant dans l'entreprise. Mais ce
sont quand même des responsabilités qui sont limitées du côté de l'entreprise
et complètes du côté du lobbyiste. Donc, effectivement, je pense que c'est un
élément.
Et, dans les meilleures pratiques qu'on a
pu identifier, on le voit beaucoup en Europe, on le voit beaucoup dans les
nouvelles législations en matière de lobbyisme, les titulaires de charge
publique ont une responsabilité. L'OCDE, dans ses lignes directrices,
Transparency International et la Sunlight Foundation ont fait ce genre de
commentaire là aussi, en fait, dans les suggestions, dans les recommandations :
Il faut que les parlementaires, que les titulaires de charge publique, en fait,
réalisent qu'ils ont une responsabilité face au public.
Mme Lajoie (Geneviève) : Il y
a des sanctions prévues à la loi sur le lobbyisme. Est-ce que c'est souvent
appliqué, les sanctions?
M. Routhier (Jean-François) :
Différents enjeux... En fait, est-ce qu'il y a souvent des sanctions? Il y en
a, oui. Si vous avez suivi les travaux de la commission sur le projet de loi
n° 6, on a indiqué à certains moments puis on l'a dit publiquement,
60 % de nos enquêtes tombaient en raison du délai de prescription d'un an
prévu par la loi actuelle. Alors, à partir du moment où la loi va être
sanctionnée, ce délai-là va passer de trois... en fait, de trois à sept ans,
plutôt que d'un an. Ça devrait changer quand même une partie des éléments.
On a aussi, en 2002, fait une loi qui
était strictement ou principalement orientée vers les sanctions pénales. Alors,
quand je disais qu'on a créé, si vous voulez, un écosystème négatif à l'égard
des lobbyistes, je pense que ça y contribue aussi. Parce qu'il y a beaucoup des
infractions qui sont commises en vertu de la loi qui sont davantage des
infractions de nature administrative. D'avoir déposé un formulaire en retard,
c'est davantage le genre de choses qu'on va voir. Si vous allez voir dans
d'autres régimes, valeurs mobilières, assurances, environnement, quand on fait
ce genre d'erreur, on est beaucoup plus dans un régime de sanctions
administratives qu'un sanctions pénales. Et évidemment le fardeau de la
sanction pénale est énorme parce qu'on implique le DPCP, un juge, etc.
Donc, on pense qu'il faut évoluer vers un
autre régime complémentaire pour s'assurer de ne sanctionner que véritablement
les personnes qui doivent être sanctionnées au pénal par cette voie.
Mme Lajoie (Geneviève) :
Parlez-moi justement du cas de M. Fitzgibbon. Je sais qu'il y a des
questions qui ont été posées à son cabinet et aussi au lobbyiste Luc
Laperrière. Quelle enquête vous faites exactement là-dessus? Qu'est-ce qui vous
préoccupe?
M. Routhier (Jean-François) :
Dans les faits, je ne commenterai pas publiquement aucune enquête qui peut être
en cours ou aucune vérification qui peut être en cours. Oui, le Commissaire au
lobbyisme reste à l'affût de toutes les situations qui peuvent se présenter,
que ce soit à l'égard d'un ministre ou que ce soit à l'égard de toute autre
institution publique, et, lorsque c'est nécessaire, lorsqu'on a une validation
à faire, des vérifications à faire, on va les faire. La loi ne nous permet pas,
en fait, de donner beaucoup d'information à l'égard de nos enquêtes en cours.
On n'a pas cette permission-là spécifique, en vertu de la loi, que d'autres
ont.
Et il est aussi de l'habitude du
commissaire de ne jamais commenter les enquêtes en cours parce qu'évidemment il
y a aussi des questions de réputation, et, si l'enquête ne mène à rien, en bout
de piste, ce qui arrive, hein, qu'on ne trouve pas d'élément, bien, honnêtement,
on va s'être retrouvé avec quelqu'un en première page du journal, et la
rectification ne sera peut-être faite. Je pense que c'est important aussi de
sauvegarder la réputation des gens, et c'est pour cette raison qu'on attend
toujours qu'une sanction soit décidée ou, à tout le moins, qu'un constat ait
été émis pour parler publiquement ou discuter publiquement des dossiers.
Mme Lajoie (Geneviève) : ...au
lobbyisme ne fait pas une enquête sans fondement, là.
M. Routhier (Jean-François) :
Bien sûr que non. Encore faut-il avoir des motifs raisonnables de faire une
enquête qui peuvent nous arriver soit par une dénonciation soit par notre
propre initiative, en effectuant des vérifications, donc, et selon le niveau
d'information qu'on peut avoir. Mais ça peut prendre un certain temps faire ce
genre de vérification là. Quand on apprend les faits quatre mois plus tard, par
exemple, et qu'on a un délai de prescription d'un an, ça nous limite énormément
dans les actions qu'on peut poser.
Mme Lajoie (Geneviève) :
Qu'est-ce que vous demandez aujourd'hui aux élus de l'Assemblée nationale?
M. Routhier (Jean-François) :
En fait, aujourd'hui, ce qu'on demande aux élus de l'Assemblée nationale, c'est
de lire notre rapport, évidemment, pour y déceler les pistes d'une réforme. Ce
qu'on souhaite, dans les faits, c'est moderniser la loi actuelle. On a réussi, je
pense, une première étape, avec le projet de loi n° 6, il est temps de
passer à autre chose, il est temps d'engager la discussion.
On n'a pas voulu déposer un projet de loi,
comme ça s'est fait avec le projet de loi n° 56, parce qu'on souhaitait vraiment
avoir une discussion, on souhaitait que les gens, les parties prenantes soient
consultées, qu'elles puissent émettre leurs points de vue et qu'éventuellement
on puisse avoir des orientations claires. Une fois que les orientations claires
vont avoir été données, que le gouvernement va avoir déterminé ces orientations-là,
la rédaction d'un projet de loi va pouvoir procéder beaucoup plus rapidement.
Mais il y a quand même des débats de fond
à faire, que ce soit la responsabilité des entreprises, que ce soit quel type
d'activité de lobbyisme, qu'est-ce qui est pertinent pour le public. Je pense
que tous ces enjeux-là doivent être discutés. Alors, ce qu'on demande aujourd'hui,
essentiellement, c'est qu'une commission parlementaire soit mandatée pour
étudier notre rapport le plus rapidement possible et qu'on puisse justement
entamer ce dialogue-là avec toutes les parties prenantes.
M. Bélair-Cirino (Marco) :
Mais afin d'épauler... donc, donner des indices un peu plus clairs aux
législateurs qui s'empareront de votre rapport, quelles sont les modifications
législatives qui apparaissent nécessaires, disons, à court terme ou à moyen
terme, selon vous?
M. Routhier (Jean-François) :
Dans les faits, les modifications législatives qui étaient les plus urgentes
ont été apportées par le projet de loi n° 6 parce que le registre, c'est,
pour nous, une des façons de convaincre l'ensemble de la population que c'est
simple, que c'est facile de divulguer les activités de lobbyisme. Je pense que
cette modification-là était fondamentale. Évidemment, on en a pour plusieurs
mois à construire cette nouvelle plateforme, mais on croit que le registre
lui-même a été un frein important aux activités... en fait, à l'inscription des
activités.
Et j'ai donné souvent l'exemple du fait
que le jour où une personne représentant d'intérêts, comme on les nomme dans
notre énoncé de principe, va sortir son téléphone intelligent et inscrire un
mandat de lobbyisme en deux minutes, on ne sera plus du tout au même endroit et
qu'on pourra amener une culture de la divulgation. Il ne faut pas oublier que
c'est une loi d'accès à l'information. La Loi sur la transparence et l'éthique
en matière de lobbyisme n'est pas une loi pénale et ne devrait pas être une loi
de contrôle nécessairement. C'est principalement une loi d'accès à
l'information pour le citoyen. Alors, je pense que c'est important de se tourner
vers ce regard-là et de ramener la loi vers son objectif.
Dans les modifications qui sont les plus
essentielles, ce qu'on peut voir, c'est un peu les éléments dont je vous ai
fait état tout à l'heure, c'est-à-dire la responsabilité partagée de toutes les
parties prenantes, une implication beaucoup plus importante des entreprises,
des entités, des organisations dans la responsabilité des activités de
lobbyisme. Alors, les activités de lobbyisme sont toujours accomplies pour quelqu'un
d'autre. Je pense que les bénéficiaires de ces activités-là devraient, à tout
le moins, en être responsables.
Il y a différents autres éléments. Je
pense que l'élément le plus important, c'est de revoir la loi en fonction de la
pertinence de l'information pour le citoyen. Aujourd'hui, la loi n'est pas
ainsi faite. On a défini que les personnes devaient faire des activités... en
fait, devaient s'inscrire ou non selon qu'elles font partie d'un groupe ou d'un
autre. Et on a mis aussi des barrières importantes, comme la partie importante,
qui est déterminée dans notre loi, qui fait en sorte que, bien,
essentiellement, peut-être 15 % à 20 % des activités de lobbyisme qui
sont effectuées ne sont jamais divulguées. Or, je pense que ça prend une seule
activité très pertinente pour qu'on ait l'obligation de la divulguer si on veut
que le citoyen soit pleinement informé.
Donc, ce ne sont pas des modifications
législatives à très court terme qu'on demande, mais c'est vraiment cette
réflexion-là et ces orientations qu'on avance et qu'on appuie de façon étoffée
dans notre énoncé de principe pour tenter de mener à une réforme complète du
régime.
M. Bélair-Cirino (Marco) : Je
sens percevoir une prudence ou même des réticences de la part de votre équipe à
entamer, disons, des recours devant les tribunaux, dans la mesure où vous savez
que la sanction qui est assortie à la loi, c'est des sanctions pénales et non
administratives. Vous estimez que les sanctions sont peut-être
disproportionnées. Est-ce que j'ai raison de... est-ce qu'on peut décoder ça?
M. Routhier (Jean-François) :
Non, vous n'avez pas raison. En fait, la véritable réponse, c'est :
Lorsqu'il y a des infractions qui sont commises en vertu de la loi et qu'on est
capables de les démontrer hors de tout doute raisonnable, parce que c'est ce
que la preuve pénale nous exige, elles seront intentées.
En fait, c'est le Directeur des poursuites
criminelles et pénales qui prend la décision en bout de piste. Nous, ce qu'on
fait, on fait une enquête, on fait une enquête étoffée, on monte la preuve en
fonction de... justement de cette preuve hors de tout doute raisonnable, on
envoie notre rapport au Directeur des poursuites criminelles et pénales, et lui
ou elle, en fait, peut décider d'entreprendre un recours ou pas. Il est arrivé
à quelques reprises que des recours ont été refusés par le Directeur des
poursuites criminelles et pénales, notamment parce que le défendeur pouvait
avoir une défense qui était raisonnable à opposer. Et ce n'est pas la décision
du commissaire dans ces cas-là.
Dans d'autres cas, effectivement, si on
n'est pas capables de démontrer hors de tout doute raisonnable qu'il y a une
infraction qui est commise, bien, évidemment, on ne pourra pas poursuivre.
Alors, c'est vraiment cette... je pense que la nuance est importante.
Évidemment, le régime de sanctions disciplinaires qui est prévu dans la loi n'a
pas été non plus beaucoup utilisé, mais c'est un régime qui est d'une autre
nature. Mais, si vous posez la question : Est-ce que c'est véritablement
approprié de sanctionner au pénal quelqu'un qui a déposé son avis en retard?,
la réponse est dans notre énoncé de principes.
M. Bélair-Cirino (Marco) :
Mais le faites-vous? Ah! théoriquement, vous avez le devoir de le faire. Mais
les statistiques, justement, pour quelqu'un qui omet de remplir adéquatement ou
dans les délais requis son formulaire, c'est quoi, les dossiers qui se sont
retrouvés sur le bureau de la DPCP?
M. Routhier (Jean-François) :
Écoutez, je n'ai malheureusement pas ce type de statistique là avec moi.
M. Bélair-Cirino (Marco) : Il
y en a eu?
M. Routhier (Jean-François) :
Il y en a eu, des dossiers de déclaration tardive, il y en a régulièrement.
Malheureusement, ce que je signe depuis un an et demi, c'est souvent des
lettres qui sont une procédure administrative qu'on a mise en place parce qu'on
est hors délai, on excède le un an de la prescription pénale. Et on n'a pas
d'autre moyen. Donc, ce qu'on vient dire, c'est écrire une lettre qui tape un
peu sur les doigts de la personne en disant : Vous auriez dû inscrire,
vous étiez en infraction, on va vous surveiller ou portez une attention
particulière au respect de la loi.
Il y a aussi le fait que parfois, dans
certains cas et en raison de la nature du registre, en raison de la procédure
aussi d'inscription au registre qui fait une prévalidation de l'information, ça
allonge énormément les délais. Et, dans bien des cas... et je ne mets pas la
faute sur les gens du registre, mais, dans bien des cas, les échanges entre le
registre et les lobbyistes ont fait en sorte que les délais ont été dépassés.
Mais on ne peut pas véritablement toujours imputer la faute aux lobbyistes.
Mme Lajoie (Geneviève) : ....responsabilité
partagée, vous aimeriez que, donc, les élus aient davantage de responsabilités.
Est-ce que les élus ne devraient pas aussi être visés par des sanctions?
M. Routhier (Jean-François) :
Je pense que ce sera aux élus de déterminer, en fait, si un régime de sanctions
devrait s'appliquer. Moi, je préconise davantage l'information et l'éducation.
Je pense que ce qu'on propose dans notre énoncé de principes, d'avoir un
répondant institutionnel au même titre que ça existe en matière d'accès à l'information,
en matière de développement durable, d'avoir quelqu'un qui est véritablement
responsable de l'application de la loi au sein de l'institution publique et
même au sein d'un cabinet politique, parce que ce sont aussi des institutions
publiques au sens de la définition, je pense que ça va conscientiser davantage
les gens.
L'autre élément aussi, c'est qu'on
souhaite véritablement que la plateforme de divulgation des activités de
lobbyisme qu'on va mettre en place, qu'on va développer puisse informer en
temps réel les élus ou les titulaires de charge publique d'un nouveau mandat
qui est inscrit. Alors, dès lors qu'ils sont informés... Parce qu'aujourd'hui
on leur disait : Vous devriez aller consulter le registre, vous ne le
faites pas. Mais, dès lors qu'ils sont informés automatiquement, ils ne
pourront pas non plus nier qu'ils sont au courant de l'activité qui est faite
ou qui est planifiée à leur égard.
Il y a différents autres éléments. Je
pense que des formations aux élus autant qu'aux titulaires de charges publiques
sont tous des éléments. Donc, il y a différentes choses qu'on devrait mettre en
place minimalement pour en arriver à conscientiser à l'importance de cette
responsabilité-là partagée entre toutes les parties prenantes.
M. Bélair-Cirino (Marco) :
Vous avez mentionné que le délai de prescription, suite à l'adoption du projet
de loi n° 6, va passer d'un à trois à sept ans?
M. Routhier (Jean-François) :
Exact.
M. Bélair-Cirino (Marco) :
Donc, nécessairement, il va y avoir davantage de dossiers sur votre bureau.
Est-ce que vous avez des ressources nécessaires pour mener toutes les enquêtes?
M. Routhier (Jean-François) :
C'est très, très difficile de répondre à cette question-là. Je pourrais, en
fait, répondre : Non, c'est certain qu'on n'a pas les ressources. Mais je
ne peux pas vous répondre, en fait, aujourd'hui, non. En fait, on n'a pas fait
cette évaluation-là. À ce jour, c'est très difficile d'évaluer les résultats de
l'extension de la prescription, à ce jour. Mais, oui, c'est possible. Parce que,
si on se dit qu'on perdait 60 % des enquêtes en raison des délais de
prescription, on va peut-être récupérer ce 60 % là ou, on peut présumer, à
tout le moins, un minimum à l'intérieur de ça. On a présentement une équipe
d'enquêteurs et de personnes en surveillance qui est en mesure d'effectuer le
travail, mais c'est certain que ça pourrait... on pourrait en arriver à manquer
de ressources là-dessus. Et, comme vous le savez, les ressources sont
difficiles à trouver.
Mme Lajoie (Geneviève) : Il y
a combien d'enquêteurs et de...
M. Routhier (Jean-François) :
C'est une dizaine de personnes qui travaillent en surveillance et en enquête.
Mme Lajoie (Geneviève) : Puis
il y a combien de lobbyistes d'inscrits au registre, là?
M. Routhier (Jean-François) :
Ma foi, c'est 13 000 quelques, oui.
M. Bélair-Cirino (Marco) :
Oui. Une dernière question plus générale pour boucler la boucle, parce que
c'était une des premières questions que vous a posées Geneviève, puis vous en
avez parlé, durant votre allocution, de la perception de la population à
l'égard des lobbyistes. Mais pourquoi c'est un sujet de préoccupation pour
vous?
M. Routhier (Jean-François) :
En fait, c'est un sujet de préoccupation parce que, quand vous allez lire le
diagnostic, vous allez voir que le fait que les lobbyistes aient, si vous
voulez, cette aura négative... ou le lobbyisme, je ne parlerais pas simplement
des lobbyistes, mais le lobbyisme ait cette aura négative a fait en sorte que
parler de lobbyisme, refaire la loi sur le lobbyisme, donner des pouvoirs
additionnels au Commissaire au lobbyisme, tous ces éléments-là ont été, je
crois, repoussés dans le temps parce que ce n'est pas un sujet populaire, ce
n'est pas un sujet très vendeur de discuter de l'encadrement du lobbyisme.
Et ça a eu un impact, nécessairement. Écoutez,
ça fait 17 ans que la loi existe. Après les cinq premières années, un
rapport quinquennal a été déposé qui proposait quand même des modifications
quand même importantes, dont le transfert du registre, dès cette époque; ça
n'est pas arrivé. Il y a eu un autre rapport, en 2012, qui a fait état aussi de
changements nécessaires; ça n'est pas arrivé. Le projet de loi n° 56 a été
déposé; malheureusement, il est mort au feuilleton. Et c'est pour ça
qu'aujourd'hui on revient avec cet énoncé de principe là mais avec une vision
beaucoup plus positive. Et on pense que c'est nécessaire de redresser cette
situation-là, de parler des vraies choses.
Le lobbyisme, certains disent que ça ne
devrait pas exister. Malheureusement, ou heureusement, je pense que ça fait
partie du dialogue démocratique et que, dans toutes les démocraties, il y a
toujours quelqu'un qui va tenter d'influencer quelqu'un d'autre ou un dirigeant
pour favoriser ses propres projets. Je pense que ça fait partie de la nature
humaine, et on doit reconnaître cet état de fait là et un peu passer à autre
chose, c'est-à-dire de se dire : Oui, d'accord, on a un vécu de 17 ans
avec cette loi-là, on a certaines étiquettes négatives qui ont été apposées; pouvons-nous
regarder autrement les choses?
C'est une des raisons pour lesquelles, en
Europe, ils ont décidé de ne plus les appeler lobbyistes, mais les appeler
représentants d'intérêts. Pourquoi? Parce que c'est clairement ce qu'ils font
et c'est un peu la proposition qu'on fait aussi.
Mme Lajoie (Geneviève) : Oui,
vous souhaitez changer le mot«lobbyiste» pour «représentant d'intérêts»?
M. Routhier (Jean-François) :
En fait, on verra, dans une éventuelle loi, ce qui demeurera. Parce que, oui,
on peut appeler les choses telles qu'elles sont. On a maintenu les activités de
lobbyisme. Par contre, on trouvait que l'étiquette de lobbyiste était nettement
désavantageuse et n'exprimait pas non plus la réalité pour toutes les organisations
qui font des représentations d'intérêts. Et donc c'est pour ça qu'on a opté
pour l'utilisation de nouveaux termes et aussi pour clarifier certains éléments.
Parce que les expressions «titulaires de charge publique» n'étaient pas claires
pour tout le monde non plus. Donc, on a favorisé, je pense, un vocabulaire qui
est plus accessible et plus facile à comprendre, peut-être, pour le citoyen,
sans être entaché, justement, de cet historique un peu négatif.
Le Modérateur
: Merci
beaucoup. Merci, M. Routhier.
M. Routhier (Jean-François) :
Merci à vous. Au revoir.
(Fin à 16 h 6)