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Conférence de presse de M. Jean-François Routhier, commissaire au lobbyisme

Énoncé de principes pour la modernisation de la Loi sur le lobbyisme

Version finale

Tuesday, June 11, 2019, 15 h 30

Salle Evelyn-Dumas (1.30), édifice Pamphile-Le May

(Quinze heures trente minutes)

M. Routhier (Jean-François) : Bonjour, mesdames et messieurs. Je tiens d'abord à vous remercier de vous être déplacés pour assister à cette conférence de presse. D'emblée, puisqu'il s'agit de mon premier exercice de la sorte, je vous prie d'être indulgents car je m'en remettrai à mon allocution pour cette première portion.

C'est un plaisir pour moi, à titre de Commissaire au lobbyisme du Québec, de vous présenter le rapport que mon équipe et moi avons soumis aujourd'hui aux membres de l'Assemblée nationale.

Comme je m'y suis engagé au printemps dernier, ce rapport fait état du diagnostic que nous avons posé à l'égard de la Loi sur la transparence et l'éthique en matière de lobbyisme ainsi que d'un énoncé de principe qui propose une réflexion en profondeur sur cette loi.

Ultimement, ce rapport vise à soutenir les parlementaires dans leurs réflexions et travaux en vue d'établir une nouvelle législation qui devrait évoluer en fonction des priorités et des enjeux de la société québécoise et favoriser davantage la confiance des citoyens dans les institutions publiques.

Fruit du travail de recherches, de consultations et de rédactions menées depuis plus d'un an par mon équipe et par des experts externes, les deux portions distinctes de ce rapport sont complémentaires et dressent un portait honnête du passé de la loi et de ce que nous estimons essentiel pour son futur.

En première partie de notre rapport, le diagnostic propose une vue d'ensemble des nombreux enjeux qui ont été soulevés dans l'application de la loi depuis son adoption, autant sur le plan contextuel, conceptuel, coopérationnel et technique. Ce diagnostic, rédigé dans un style télégraphique franc et direct, condense, à l'intérieur d'une vingtaine de pages, plus de 17 années d'expérience du commissaire mais aussi celle des parties prenantes aux activités de lobbyisme — titulaires de charge publique, entités et citoyens.

D'abord, le diagnostic présente les enjeux contextuels liés à l'élaboration et à l'adoption du projet de loi en 2002. Le contexte de crise de son adoption a nourri le climat de méfiance des citoyens à l'égard du lobbyisme et de ceux qui l'exercent auprès des institutions publiques. Ensuite, il fait état des enjeux liés aux concepts intégrés dans cette loi, notamment, en lien avec les responsabilités des individus en matière de lobbyisme. Il est aussi question d'un certain clivage entre des lobbyistes perçus comme légitimes et d'autres qu'on a jugé nécessaire d'encadrer. Enfin, il énonce des problématiques très concrètes sur le plan des opérations, dont les difficultés liées aux définitions employées, à la notion de parties importantes, au mode d'opération du registre des lobbyistes ainsi qu'au délai de prescription.

Quant à ces deux derniers éléments, c'est avec une grande satisfaction que nous accueillons l'adoption du projet de loi n° 6, la semaine dernière, qui vise à allonger le délai de prescription applicable à notre loi ainsi qu'à permettre au commissaire de créer puis d'administrer une nouvelle plateforme de divulgation des activités de lobbyisme que nous souhaiterons moderne et efficace.

D'ailleurs, il est rare qu'une loi prévoie à son premier article l'obligation de mettre à la disposition des utilisateurs un registre simple et efficace. Et c'est avec beaucoup d'enthousiasme que nous allons relever ce défi au cours des 30 prochains mois.

En plus d'aborder plusieurs enjeux entravant l'application de la loi, notre diagnostic pose plusieurs constats globaux sur la perception du lobbyisme au Québec et de son encadrement.

Ainsi, même si les principes de légitimité et de transparence de la loi adoptée en 2002 n'ont jamais été remis en question, de lourds problèmes de compréhension et d'application entravent l'atteinte pleine et entière des objectifs démocratiques de la loi.

Le diagnostic conclut notamment que les lobbyistes qui respectent la loi demeurent stigmatisés par la perception du public, qui associe trop souvent leurs activités à des actes illicites. Il constate aussi que les élus et membres du personnel des institutions publiques sont demeurés plus ou moins engagés pendant trop longtemps face au rôle qu'ils ont à jouer pour assurer le respect de la loi. Quant aux citoyens, ils sont généralement confus face à la loi et ses objectifs. À cet égard, le Registre des lobbyistes n'est pas l'outil qu'il devrait être pour concrétiser pleinement la transparence et leur fournir une information pertinente pour interpeller les décideurs publics au moment opportun.

Ce diagnostic fait donc état des principaux éléments qui nous ont menés vers une réflexion en profondeur, incarnée par l'énoncé de principe.

La seconde partie de notre rapport présente donc notre énoncé de principe. Il constitue une étude que nous jugeons complète, objective et cohérente des meilleures pratiques nationales et internationales en matière d'encadrement du lobbyisme et adaptées au contexte québécois. Je suis très fier de ce travail réalisé par mon équipe et je suis heureux aujourd'hui d'avoir pu le déposer aux parlementaires, à qui il est destiné.

L'énoncé déploie un argumentaire de 34 principes pour établir un cadre de transparence des activités de lobbyisme fondé sur la simplicité et la clarté des règles applicables, la pertinence de l'information pour le citoyen et l'efficacité pour les usagers.

Au cours de la dernière année, nous avons rencontré beaucoup d'élus, de fonctionnaires et de représentants d'entreprise et d'organisation. Nous avons voulu non seulement connaître les enjeux qu'ils ont vécus ou perçus à l'égard de la loi actuelle, mais également sonder leur vision sur ce que devrait être un cadre législatif adapté à notre société d'aujourd'hui.

À travers toutes nos recherches et entrevues, un élément essentiel s'est démarqué. La pertinence est une composante essentielle de ce futur encadrement. C'est à ce grand concept que nous avons pu rattacher la majorité des 34 principes proposés. Ces principes s'inspirent des lignes directrices émises par les grandes organisations telles que l'OCDE, Transparency International ou la Sunlight Foundation, aussi inspirés de lois modernes en matière de lobbyisme ou d'écrits d'auteurs experts en la matière.

La pertinence de l'information pour le public est donc au coeur de la réflexion que nous proposons aux élus. Qu'est-ce qui est pertinent pour que le public soit en mesure de connaître les représentations effectuées auprès des institutions publiques et lui permettre d'agir en temps opportun et de façon éclairée? Il n'y a pas de réponse toute faite à cette question. C'est pourquoi nous croyons essentiel d'engager la discussion et d'inviter tous les intéressés à se prononcer sur cette question.

D'ailleurs, Mathieu Ouimet, un chercheur de la Chaire de recherche sur la démocratie et les institutions parlementaires de l'Université Laval devrait publier d'ici quelques semaines les résultats d'une étude indépendante réalisée auprès de lobbyistes québécois, d'organismes de surveillance canadiens et d'experts internationaux en matière de lobbyisme. Cette étude apportera un point de vue indépendant sur l'enjeu de la pertinence, tout en procurant un éclairage supplémentaire. Nous attendons ces résultats avec beaucoup d'intérêt.

Bien entendu, le seul concept de pertinence de l'information, au même titre que celui de la légitimité des activités de lobbyisme, doit être appuyé par les devoirs, pouvoirs et outils appropriés pour atteindre l'objectif de transparence d'un régime d'encadrement du lobbyisme.

Sur le plan pratique, notre énoncé comprend des résumés de nos recommandations, un argumentaire pour chacun des principes ainsi qu'un sommaire pour guider le lecteur. Il a été conçu comme un outil de travail et de discussion, car c'est véritablement dans cet esprit de dialogue que nous souhaitons aborder l'étude des principes proposés avec les parlementaires et le public.

Notre démarche a été inspirée par le principe d'élaboration d'un livre blanc, où des consultations sont tenues pour déterminer les grandes orientations d'une loi avant de définir plus précisément son contenu. Cette démarche ouvre la voie aux discussions, et nous souhaitons véritablement que ce soit le cas.

Il introduit aussi une nouvelle terminologie mais surtout une nouvelle philosophie d'encadrement. Il propose, entre autres : de fonder le régime d'encadrement et la définition des activités de lobbyisme sur la pertinence, pour le public, de connaître ces activités afin de pouvoir y réagir; de favoriser un espace de dialogue équitable et accessible entre l'État et ses citoyens, et, à cette fin, de ne pas indûment restreindre l'accès aux institutions publiques; d'encadrer toutes les personnes qui exercent des activités de lobbyisme pour le compte d'un individu, d'une entreprise, d'une organisation ou d'un regroupement, peu importe leur statut corporatif, la nature ou l'orientation des activités de ces entités, mais en excluant toutefois les organismes

communautaires qui offrent des services de soutien directement au public; de prévoir la responsabilité partagée de toutes les parties prenantes aux activités de lobbyisme, entreprises, organisations, institutions publiques et leurs représentants pour assurer la transparence au bénéfice du public; d'attribuer à l'entité pour laquelle des activités de lobbyisme sont accomplies la responsabilité première d'inscrire ses représentants, de divulguer leurs activités et d'assurer la véracité, la fiabilité et le suivi de ces dernières; enfin, d'établir un système de divulgation obligatoire, efficace et ouvert qui donne accès en temps opportun à toute l'information pertinente et vérifiable reliée aux activités de lobbyisme accomplies, afin de permettre à toute personne de comprendre cette information et d'y réagir efficacement.

Les quelques éléments énoncés plus tôt résument les principales orientations déclinées dans l'ensemble des 34 principes, mais tous les principes proposés sont complémentaires et devraient donc être analysés globalement et non isolément. Et toutes les orientations que ces principes visent à mettre en oeuvre sont orientées vers un régime simple, clair, pertinent et efficace.

Nous souhaitons offrir aux parlementaires cet outil de travail qui expose une vision éclairée et moderne des solutions identifiées comme les plus porteuses pour notre régime québécois. À cet effet, notre rapport recommande à l'Assemblée nationale de mandater une commission afin d'étudier notre proposition dans le but de formuler des recommandations au gouvernement et d'amorcer une refonte globale du régime d'encadrement des activités de lobbyisme. Ce rapport suscitera, nous le souhaitons, un dialogue fondamental et constructif au sein des membres de l'Assemblée nationale et des acteurs de notre société civile.

Nous sommes confiants que les échanges seront respectueux des visions de tous et toutes. Nous espérons qu'ils seront tenus le plus rapidement possible et permettront d'atteindre un consensus menant à une refonte complète de la loi. Ce dialogue et cette refonte, nous les croyons essentiels pour atteindre l'objectif de transparence des activités de lobbyisme en vue de favoriser et maintenir la confiance du public envers les institutions, fondement même de la mission confiée au Commissaire au lobbyisme à titre de personne désignée de l'Assemblée nationale depuis 2002.

En terminant, je tiens à remercier Me Pierre B. Meunier et Me Delphine Pittet pour leurs apports à ce volumineux travail de recherche ainsi que pour leurs conseils dans le recensement des meilleures pratiques.

Je remercie spécialement mon équipe et toutes les personnes qui nous ont assistés dans ce travail de longue haleine, incluant ceux et celles qui ont accepté de nous rencontrer pour nous faire part de leur vécu et de leur vision en lien avec l'encadrement du lobbyisme au Québec.

Je vous remercie de votre attention et demeure à votre disposition pour toute question.

Le Modérateur : Merci, M. Routhier. Alors, nous allons amorcer la période des questions avec les questions de Geneviève Lajoie, du Journal de Québec.

Mme Lajoie (Geneviève) : Bonjour.

M. Routhier (Jean-François) : Bonjour.

Mme Lajoie (Ginette) : Vous écrivez que les lobbyistes qui respectent la loi demeurent stigmatisés par la perception du public, qui associe toujours à tort leur pratique à de la malversation. Expliquez-moi ce que vous voulez dire par là.

M. Routhier (Jean-François) : Bien, dans les faits, ce qu'on a constaté, le diagnostic qu'on a posé, c'est que, malgré tous les efforts, malgré toute la sensibilisation qui a été effectuée, malgré le fait que la loi existe depuis maintenant 17 ans, l'étiquette de lobbyiste demeure une étiquette péjorative. Et on associe, en fait, les lobbyistes, beaucoup, aux lobbyistes professionnels, si vous voulez, aux lobbyistes-conseils. Mais, dans les faits, plus de 80 % des activités sont effectuées par des entreprises, et donc, en mettant cette étiquette de lobbyiste sur les individus, en mettant toute la responsabilité aussi sur les individus, je pense qu'on a amené les gens à avoir une perception qui est bien souvent négative des activités de lobbyisme, alors que celles-ci ne constituent qu'une forme de communication qui est inévitable dans toute société démocratique.

Alors, c'est un peu dans cet esprit qu'on dit qu'encore aujourd'hui, 17 ans plus tard, les lobbyistes sont encore, malheureusement, affublés d'une étiquette négative. Bien sûr qu'il y a des erreurs. Bien sûr qu'il y a des enjeux qui peuvent se poser et qui sont bien souvent exposés par la presse, mais c'est justement peut-être uniquement dans ces cas-là où on a véritablement entendu parler de lobbyisme, alors que c'est une activité démocratique.

Mme Lajoie (Geneviève) : O.K. Vous dites aussi que certains élus et membres du personnel des institutions publiques demeurent plus ou moins engagés face au rôle qu'ils ont à jouer pour assurer le respect de la loi. Est-ce que nos élus, ce n'est pas eux, le problème, justement, qui fait en sorte que la perception à l'égard des lobbyistes est plutôt négative?

M. Routhier (Jean-François) : En fait, je ne dirais pas qu'ils sont le problème, mais ils font partie d'un écosystème. Et, quand je mentionnais dans les principes que toutes les parties prenantes aux activités de lobbyisme doivent y contribuer et partager les responsabilités, bien, effectivement, la loi, en 2002, ce qu'elle a fait, elle a imputé toutes les responsabilités aux individus, même pas aux entreprises, même pas aux bénéficiaires des activités de lobbyisme, aux individus qui les accomplissaient. Et, ce faisant, on n'a créé aucune obligation pour les élus, pour les titulaires de charge publique.

Ça a pris beaucoup de temps avant que les élus et les titulaires de charge publique se rendent compte que cette loi-là, d'une certaine façon, est un mécanisme de protection et de gestion de leurs risques dans les processus décisionnels qu'ils emploient. Et je crois qu'on sent... en fait, on voit un vent de changement, on sent que les parlementaires et les institutions publiques ont compris, d'une certaine façon, qu'il y avait un bénéfice réel à ce que la loi soit appliquée et à ce qu'elle soit transparente.

Je pense que le projet de loi n° 6 qui a été adopté et les débats qui l'ont précédé ont montré l'intérêt des parlementaires pour revoir les façons de faire, revoir l'outil, oui, qu'on utilise, augmenter la prescription. Donc, je crois très honnêtement qu'on est sur la bonne voie pour intéresser les parlementaires et, en fait, tous les titulaires de charge publique. Mais, pendant longtemps, effectivement, on a eu des réactions qui étaient peut-être un peu de refus ou simplement de dire : Moi, je n'ai pas d'obligation en vertu de cette loi-là, ce qui, en fait...

Mme Lajoie (Geneviève) : Donc, tout le fardeau est sur le conseiller, le lobbyiste, finalement?

M. Routhier (Jean-François) : Bien, effectivement. Ce que la loi prévoit actuellement, c'est que c'est le lobbyiste qui a la totalité des obligations qui doivent être accomplies en vertu de la loi, ou encore son principal dirigeant dans l'entreprise. Mais ce sont quand même des responsabilités qui sont limitées du côté de l'entreprise et complètes du côté du lobbyiste. Donc, effectivement, je pense que c'est un élément.

Et, dans les meilleures pratiques qu'on a pu identifier, on le voit beaucoup en Europe, on le voit beaucoup dans les nouvelles législations en matière de lobbyisme, les titulaires de charge publique ont une responsabilité. L'OCDE, dans ses lignes directrices, Transparency International et la Sunlight Foundation ont fait ce genre de commentaire là aussi, en fait, dans les suggestions, dans les recommandations : Il faut que les parlementaires, que les titulaires de charge publique, en fait, réalisent qu'ils ont une responsabilité face au public.

Mme Lajoie (Geneviève) : Il y a des sanctions prévues à la loi sur le lobbyisme. Est-ce que c'est souvent appliqué, les sanctions?

M. Routhier (Jean-François) : Différents enjeux... En fait, est-ce qu'il y a souvent des sanctions? Il y en a, oui. Si vous avez suivi les travaux de la commission sur le projet de loi n° 6, on a indiqué à certains moments puis on l'a dit publiquement, 60 % de nos enquêtes tombaient en raison du délai de prescription d'un an prévu par la loi actuelle. Alors, à partir du moment où la loi va être sanctionnée, ce délai-là va passer de trois... en fait, de trois à sept ans, plutôt que d'un an. Ça devrait changer quand même une partie des éléments.

On a aussi, en 2002, fait une loi qui était strictement ou principalement orientée vers les sanctions pénales. Alors, quand je disais qu'on a créé, si vous voulez, un écosystème négatif à l'égard des lobbyistes, je pense que ça y contribue aussi. Parce qu'il y a beaucoup des infractions qui sont commises en vertu de la loi qui sont davantage des infractions de nature administrative. D'avoir déposé un formulaire en retard, c'est davantage le genre de choses qu'on va voir. Si vous allez voir dans d'autres régimes, valeurs mobilières, assurances, environnement, quand on fait ce genre d'erreur, on est beaucoup plus dans un régime de sanctions administratives qu'un sanctions pénales. Et évidemment le fardeau de la sanction pénale est énorme parce qu'on implique le DPCP, un juge, etc.

Donc, on pense qu'il faut évoluer vers un autre régime complémentaire pour s'assurer de ne sanctionner que véritablement les personnes qui doivent être sanctionnées au pénal par cette voie.

Mme Lajoie (Geneviève) : Parlez-moi justement du cas de M. Fitzgibbon. Je sais qu'il y a des questions qui ont été posées à son cabinet et aussi au lobbyiste Luc Laperrière. Quelle enquête vous faites exactement là-dessus? Qu'est-ce qui vous préoccupe?

M. Routhier (Jean-François) : Dans les faits, je ne commenterai pas publiquement aucune enquête qui peut être en cours ou aucune vérification qui peut être en cours. Oui, le Commissaire au lobbyisme reste à l'affût de toutes les situations qui peuvent se présenter, que ce soit à l'égard d'un ministre ou que ce soit à l'égard de toute autre institution publique, et, lorsque c'est nécessaire, lorsqu'on a une validation à faire, des vérifications à faire, on va les faire. La loi ne nous permet pas, en fait, de donner beaucoup d'information à l'égard de nos enquêtes en cours. On n'a pas cette permission-là spécifique, en vertu de la loi, que d'autres ont.

Et il est aussi de l'habitude du commissaire de ne jamais commenter les enquêtes en cours parce qu'évidemment il y a aussi des questions de réputation, et, si l'enquête ne mène à rien, en bout de piste, ce qui arrive, hein, qu'on ne trouve pas d'élément, bien, honnêtement, on va s'être retrouvé avec quelqu'un en première page du journal, et la rectification ne sera peut-être faite. Je pense que c'est important aussi de sauvegarder la réputation des gens, et c'est pour cette raison qu'on attend toujours qu'une sanction soit décidée ou, à tout le moins, qu'un constat ait été émis pour parler publiquement ou discuter publiquement des dossiers.

Mme Lajoie (Geneviève) : ...au lobbyisme ne fait pas une enquête sans fondement, là.

M. Routhier (Jean-François) : Bien sûr que non. Encore faut-il avoir des motifs raisonnables de faire une enquête qui peuvent nous arriver soit par une dénonciation soit par notre propre initiative, en effectuant des vérifications, donc, et selon le niveau d'information qu'on peut avoir. Mais ça peut prendre un certain temps faire ce genre de vérification là. Quand on apprend les faits quatre mois plus tard, par exemple, et qu'on a un délai de prescription d'un an, ça nous limite énormément dans les actions qu'on peut poser.

Mme Lajoie (Geneviève) : Qu'est-ce que vous demandez aujourd'hui aux élus de l'Assemblée nationale?

M. Routhier (Jean-François) : En fait, aujourd'hui, ce qu'on demande aux élus de l'Assemblée nationale, c'est de lire notre rapport, évidemment, pour y déceler les pistes d'une réforme. Ce qu'on souhaite, dans les faits, c'est moderniser la loi actuelle. On a réussi, je pense, une première étape, avec le projet de loi n° 6, il est temps de passer à autre chose, il est temps d'engager la discussion.

On n'a pas voulu déposer un projet de loi, comme ça s'est fait avec le projet de loi n° 56, parce qu'on souhaitait vraiment avoir une discussion, on souhaitait que les gens, les parties prenantes soient consultées, qu'elles puissent émettre leurs points de vue et qu'éventuellement on puisse avoir des orientations claires. Une fois que les orientations claires vont avoir été données, que le gouvernement va avoir déterminé ces orientations-là, la rédaction d'un projet de loi va pouvoir procéder beaucoup plus rapidement.

Mais il y a quand même des débats de fond à faire, que ce soit la responsabilité des entreprises, que ce soit quel type d'activité de lobbyisme, qu'est-ce qui est pertinent pour le public. Je pense que tous ces enjeux-là doivent être discutés. Alors, ce qu'on demande aujourd'hui, essentiellement, c'est qu'une commission parlementaire soit mandatée pour étudier notre rapport le plus rapidement possible et qu'on puisse justement entamer ce dialogue-là avec toutes les parties prenantes.

M. Bélair-Cirino (Marco) : Mais afin d'épauler... donc, donner des indices un peu plus clairs aux législateurs qui s'empareront de votre rapport, quelles sont les modifications législatives qui apparaissent nécessaires, disons, à court terme ou à moyen terme, selon vous?

M. Routhier (Jean-François) : Dans les faits, les modifications législatives qui étaient les plus urgentes ont été apportées par le projet de loi n° 6 parce que le registre, c'est, pour nous, une des façons de convaincre l'ensemble de la population que c'est simple, que c'est facile de divulguer les activités de lobbyisme. Je pense que cette modification-là était fondamentale. Évidemment, on en a pour plusieurs mois à construire cette nouvelle plateforme, mais on croit que le registre lui-même a été un frein important aux activités... en fait, à l'inscription des activités.

Et j'ai donné souvent l'exemple du fait que le jour où une personne représentant d'intérêts, comme on les nomme dans notre énoncé de principe, va sortir son téléphone intelligent et inscrire un mandat de lobbyisme en deux minutes, on ne sera plus du tout au même endroit et qu'on pourra amener une culture de la divulgation. Il ne faut pas oublier que c'est une loi d'accès à l'information. La Loi sur la transparence et l'éthique en matière de lobbyisme n'est pas une loi pénale et ne devrait pas être une loi de contrôle nécessairement. C'est principalement une loi d'accès à l'information pour le citoyen. Alors, je pense que c'est important de se tourner vers ce regard-là et de ramener la loi vers son objectif.

Dans les modifications qui sont les plus essentielles, ce qu'on peut voir, c'est un peu les éléments dont je vous ai fait état tout à l'heure, c'est-à-dire la responsabilité partagée de toutes les parties prenantes, une implication beaucoup plus importante des entreprises, des entités, des organisations dans la responsabilité des activités de lobbyisme. Alors, les activités de lobbyisme sont toujours accomplies pour quelqu'un d'autre. Je pense que les bénéficiaires de ces activités-là devraient, à tout le moins, en être responsables.

Il y a différents autres éléments. Je pense que l'élément le plus important, c'est de revoir la loi en fonction de la pertinence de l'information pour le citoyen. Aujourd'hui, la loi n'est pas ainsi faite. On a défini que les personnes devaient faire des activités... en fait, devaient s'inscrire ou non selon qu'elles font partie d'un groupe ou d'un autre. Et on a mis aussi des barrières importantes, comme la partie importante, qui est déterminée dans notre loi, qui fait en sorte que, bien, essentiellement, peut-être 15 % à 20 % des activités de lobbyisme qui sont effectuées ne sont jamais divulguées. Or, je pense que ça prend une seule activité très pertinente pour qu'on ait l'obligation de la divulguer si on veut que le citoyen soit pleinement informé.

Donc, ce ne sont pas des modifications législatives à très court terme qu'on demande, mais c'est vraiment cette réflexion-là et ces orientations qu'on avance et qu'on appuie de façon étoffée dans notre énoncé de principe pour tenter de mener à une réforme complète du régime.

M. Bélair-Cirino (Marco) : Je sens percevoir une prudence ou même des réticences de la part de votre équipe à entamer, disons, des recours devant les tribunaux, dans la mesure où vous savez que la sanction qui est assortie à la loi, c'est des sanctions pénales et non administratives. Vous estimez que les sanctions sont peut-être disproportionnées. Est-ce que j'ai raison de... est-ce qu'on peut décoder ça?

M. Routhier (Jean-François) : Non, vous n'avez pas raison. En fait, la véritable réponse, c'est : Lorsqu'il y a des infractions qui sont commises en vertu de la loi et qu'on est capables de les démontrer hors de tout doute raisonnable, parce que c'est ce que la preuve pénale nous exige, elles seront intentées.

En fait, c'est le Directeur des poursuites criminelles et pénales qui prend la décision en bout de piste. Nous, ce qu'on fait, on fait une enquête, on fait une enquête étoffée, on monte la preuve en fonction de... justement de cette preuve hors de tout doute raisonnable, on envoie notre rapport au Directeur des poursuites criminelles et pénales, et lui ou elle, en fait, peut décider d'entreprendre un recours ou pas. Il est arrivé à quelques reprises que des recours ont été refusés par le Directeur des poursuites criminelles et pénales, notamment parce que le défendeur pouvait avoir une défense qui était raisonnable à opposer. Et ce n'est pas la décision du commissaire dans ces cas-là.

Dans d'autres cas, effectivement, si on n'est pas capables de démontrer hors de tout doute raisonnable qu'il y a une infraction qui est commise, bien, évidemment, on ne pourra pas poursuivre. Alors, c'est vraiment cette... je pense que la nuance est importante. Évidemment, le régime de sanctions disciplinaires qui est prévu dans la loi n'a pas été non plus beaucoup utilisé, mais c'est un régime qui est d'une autre nature. Mais, si vous posez la question : Est-ce que c'est véritablement approprié de sanctionner au pénal quelqu'un qui a déposé son avis en retard?, la réponse est dans notre énoncé de principes.

M. Bélair-Cirino (Marco) : Mais le faites-vous? Ah! théoriquement, vous avez le devoir de le faire. Mais les statistiques, justement, pour quelqu'un qui omet de remplir adéquatement ou dans les délais requis son formulaire, c'est quoi, les dossiers qui se sont retrouvés sur le bureau de la DPCP?

M. Routhier (Jean-François) : Écoutez, je n'ai malheureusement pas ce type de statistique là avec moi.

M. Bélair-Cirino (Marco) : Il y en a eu?

M. Routhier (Jean-François) : Il y en a eu, des dossiers de déclaration tardive, il y en a régulièrement. Malheureusement, ce que je signe depuis un an et demi, c'est souvent des lettres qui sont une procédure administrative qu'on a mise en place parce qu'on est hors délai, on excède le un an de la prescription pénale. Et on n'a pas d'autre moyen. Donc, ce qu'on vient dire, c'est écrire une lettre qui tape un peu sur les doigts de la personne en disant : Vous auriez dû inscrire, vous étiez en infraction, on va vous surveiller ou portez une attention particulière au respect de la loi.

Il y a aussi le fait que parfois, dans certains cas et en raison de la nature du registre, en raison de la procédure aussi d'inscription au registre qui fait une prévalidation de l'information, ça allonge énormément les délais. Et, dans bien des cas... et je ne mets pas la faute sur les gens du registre, mais, dans bien des cas, les échanges entre le registre et les lobbyistes ont fait en sorte que les délais ont été dépassés. Mais on ne peut pas véritablement toujours imputer la faute aux lobbyistes.

Mme Lajoie (Geneviève) : ....responsabilité partagée, vous aimeriez que, donc, les élus aient davantage de responsabilités. Est-ce que les élus ne devraient pas aussi être visés par des sanctions?

M. Routhier (Jean-François) : Je pense que ce sera aux élus de déterminer, en fait, si un régime de sanctions devrait s'appliquer. Moi, je préconise davantage l'information et l'éducation. Je pense que ce qu'on propose dans notre énoncé de principes, d'avoir un répondant institutionnel au même titre que ça existe en matière d'accès à l'information, en matière de développement durable, d'avoir quelqu'un qui est véritablement responsable de l'application de la loi au sein de l'institution publique et même au sein d'un cabinet politique, parce que ce sont aussi des institutions publiques au sens de la définition, je pense que ça va conscientiser davantage les gens.

L'autre élément aussi, c'est qu'on souhaite véritablement que la plateforme de divulgation des activités de lobbyisme qu'on va mettre en place, qu'on va développer puisse informer en temps réel les élus ou les titulaires de charge publique d'un nouveau mandat qui est inscrit. Alors, dès lors qu'ils sont informés... Parce qu'aujourd'hui on leur disait : Vous devriez aller consulter le registre, vous ne le faites pas. Mais, dès lors qu'ils sont informés automatiquement, ils ne pourront pas non plus nier qu'ils sont au courant de l'activité qui est faite ou qui est planifiée à leur égard.

Il y a différents autres éléments. Je pense que des formations aux élus autant qu'aux titulaires de charges publiques sont tous des éléments. Donc, il y a différentes choses qu'on devrait mettre en place minimalement pour en arriver à conscientiser à l'importance de cette responsabilité-là partagée entre toutes les parties prenantes.

M. Bélair-Cirino (Marco) : Vous avez mentionné que le délai de prescription, suite à l'adoption du projet de loi n° 6, va passer d'un à trois à sept ans?

M. Routhier (Jean-François) : Exact.

M. Bélair-Cirino (Marco) : Donc, nécessairement, il va y avoir davantage de dossiers sur votre bureau. Est-ce que vous avez des ressources nécessaires pour mener toutes les enquêtes?

M. Routhier (Jean-François) : C'est très, très difficile de répondre à cette question-là. Je pourrais, en fait, répondre : Non, c'est certain qu'on n'a pas les ressources. Mais je ne peux pas vous répondre, en fait, aujourd'hui, non. En fait, on n'a pas fait cette évaluation-là. À ce jour, c'est très difficile d'évaluer les résultats de l'extension de la prescription, à ce jour. Mais, oui, c'est possible. Parce que, si on se dit qu'on perdait 60 % des enquêtes en raison des délais de prescription, on va peut-être récupérer ce 60 % là ou, on peut présumer, à tout le moins, un minimum à l'intérieur de ça. On a présentement une équipe d'enquêteurs et de personnes en surveillance qui est en mesure d'effectuer le travail, mais c'est certain que ça pourrait... on pourrait en arriver à manquer de ressources là-dessus. Et, comme vous le savez, les ressources sont difficiles à trouver.

Mme Lajoie (Geneviève) : Il y a combien d'enquêteurs et de...

M. Routhier (Jean-François) : C'est une dizaine de personnes qui travaillent en surveillance et en enquête.

Mme Lajoie (Geneviève) : Puis il y a combien de lobbyistes d'inscrits au registre, là?

M. Routhier (Jean-François) : Ma foi, c'est 13 000 quelques, oui.

M. Bélair-Cirino (Marco) : Oui. Une dernière question plus générale pour boucler la boucle, parce que c'était une des premières questions que vous a posées Geneviève, puis vous en avez parlé, durant votre allocution, de la perception de la population à l'égard des lobbyistes. Mais pourquoi c'est un sujet de préoccupation pour vous?

M. Routhier (Jean-François) : En fait, c'est un sujet de préoccupation parce que, quand vous allez lire le diagnostic, vous allez voir que le fait que les lobbyistes aient, si vous voulez, cette aura négative... ou le lobbyisme, je ne parlerais pas simplement des lobbyistes, mais le lobbyisme ait cette aura négative a fait en sorte que parler de lobbyisme, refaire la loi sur le lobbyisme, donner des pouvoirs additionnels au Commissaire au lobbyisme, tous ces éléments-là ont été, je crois, repoussés dans le temps parce que ce n'est pas un sujet populaire, ce n'est pas un sujet très vendeur de discuter de l'encadrement du lobbyisme.

Et ça a eu un impact, nécessairement. Écoutez, ça fait 17 ans que la loi existe. Après les cinq premières années, un rapport quinquennal a été déposé qui proposait quand même des modifications quand même importantes, dont le transfert du registre, dès cette époque; ça n'est pas arrivé. Il y a eu un autre rapport, en 2012, qui a fait état aussi de changements nécessaires; ça n'est pas arrivé. Le projet de loi n° 56 a été déposé; malheureusement, il est mort au feuilleton. Et c'est pour ça qu'aujourd'hui on revient avec cet énoncé de principe là mais avec une vision beaucoup plus positive. Et on pense que c'est nécessaire de redresser cette situation-là, de parler des vraies choses.

Le lobbyisme, certains disent que ça ne devrait pas exister. Malheureusement, ou heureusement, je pense que ça fait partie du dialogue démocratique et que, dans toutes les démocraties, il y a toujours quelqu'un qui va tenter d'influencer quelqu'un d'autre ou un dirigeant pour favoriser ses propres projets. Je pense que ça fait partie de la nature humaine, et on doit reconnaître cet état de fait là et un peu passer à autre chose, c'est-à-dire de se dire : Oui, d'accord, on a un vécu de 17 ans avec cette loi-là, on a certaines étiquettes négatives qui ont été apposées; pouvons-nous regarder autrement les choses?

C'est une des raisons pour lesquelles, en Europe, ils ont décidé de ne plus les appeler lobbyistes, mais les appeler représentants d'intérêts. Pourquoi? Parce que c'est clairement ce qu'ils font et c'est un peu la proposition qu'on fait aussi.

Mme Lajoie (Geneviève) : Oui, vous souhaitez changer le mot«lobbyiste» pour «représentant d'intérêts»?

M. Routhier (Jean-François) : En fait, on verra, dans une éventuelle loi, ce qui demeurera. Parce que, oui, on peut appeler les choses telles qu'elles sont. On a maintenu les activités de lobbyisme. Par contre, on trouvait que l'étiquette de lobbyiste était nettement désavantageuse et n'exprimait pas non plus la réalité pour toutes les organisations qui font des représentations d'intérêts. Et donc c'est pour ça qu'on a opté pour l'utilisation de nouveaux termes et aussi pour clarifier certains éléments. Parce que les expressions «titulaires de charge publique» n'étaient pas claires pour tout le monde non plus. Donc, on a favorisé, je pense, un vocabulaire qui est plus accessible et plus facile à comprendre, peut-être, pour le citoyen, sans être entaché, justement, de cet historique un peu négatif.

Le Modérateur : Merci beaucoup. Merci, M. Routhier.

M. Routhier (Jean-François) : Merci à vous. Au revoir.

(Fin à 16 h 6)

Participants

  • Routhier, Jean-François

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