(Neuf heures seize minutes)
M. Nadeau-Dubois : Bonjour. Aujourd'hui
va s'écrire une nouvelle page d'une triste histoire en commission parlementaire.
Encore une fois, les députés de trois des quatre partis politiques au Québec
vont étudier une loi pour augmenter leur propre rémunération.
Ça fait 40 ans maintenant, à l'Assemblée
nationale, qu'on débat de cette question-là. Ça fait une quarantaine d'années
que tout le monde sait que c'est problématique, le fait que les députés votent
sur leur propre rémunération. On a eu des comités de travail, des comités
extraparlementaires, il y a eu des recommandations pendant des années pour
régler cette situation de conflit d'intérêts, et on n'y est jamais arrivé parce
qu'il y a eu historiquement un manque de courage politique. Et malheureusement
aujourd'hui, si la tendance se maintient, on se dirige vers un nouveau chapitre
de cette histoire.
À Québec solidaire, on va tenter une
dernière fois, je dirais, de rallier les autres partis politiques à un
compromis. On va tenter une dernière fois de les convaincre de l'importance de
remettre la question de la rémunération des députés entre les mains d'un comité
indépendant et décisionnel qui mettrait fin, donc, à la situation de conflit
d'intérêts dans laquelle on est depuis longtemps au Québec.
Je rappelle que le Québec est la dernière
province au Canada où il y a des allocations non imposables pour les députés.
Je rappelle qu'il y a eu, dans le rapport L'Heureux-Dubé en 2013, des
recommandations à l'effet qu'il fallait mettre fin à cette pratique-là. Je
rappelle que Québec solidaire a tenté jusqu'à la dernière minute de convaincre
les partis politiques qu'on pouvait, oui, bonifier temporairement les
allocations mais à condition de mettre sur pied ce comité indépendant et décisionnel
et qu'on se retrouve aujourd'hui devant une situation où, malheureusement,
trois des quatre partis vont de l'avant, et, si la tendance se maintient, on va
aller vers une adoption du projet de loi.
Je veux rappeler aussi que le processus
auquel on assiste actuellement, il est profondément dérangeant. Les
travailleurs et les travailleuses ordinaires, là, quand l'impôt augmente, là,
bien, ils ne peuvent pas refiler la facture à quelqu'un d'autre, ils ne peuvent
pas augmenter leurs salaires en conséquence. Les gens qui nous écoutent, là,
quand l'impôt augmente, ils subissent l'effet de l'impôt.
La seule raison pour laquelle les députés, aujourd'hui,
sont capables de compenser un changement dans l'impôt fédéral, c'est parce
qu'ils sont juge et partie de leur rémunération. Cette situation-là, elle ne
peut plus durer, elle ne doit plus durer. Et on va déposer aujourd'hui, en commission
parlementaire, une série d'amendements pour tenter de convaincre le gouvernement
et les deux autres oppositions de mettre sur pied ce comité indépendant qui
nous permettrait enfin d'en finir avec cette situation de conflit d'intérêts.
M. Cormier (François) :
Jusqu'à maintenant quelle réception est-ce que vous avez, de la part des autres
partis politiques, sur vos amendements?
M. Nadeau-Dubois : Bien, je
vous dirais, de la part du gouvernement, on ne sent aucune ouverture, ils sont d'ailleurs
même... ils ne se sont même pas présentés au salon bleu pour défendre leur projet
de loi. C'est quand même préoccupant. Je vous rappelle qu'on <a
demandé... on >est le seul parti à avoir demandé des auditions publiques
sur ce projet de loi là. Le gouvernement a refusé. On s'attendait, au moins, à
ce que le gouvernement vienne défendre sa position au salon bleu. Ça n'a même
pas été le cas.
Je vous dirais qu'on sent un peu
d'ouverture du côté du Parti québécois, c'est déjà ça de pris; du côté du Parti
libéral, pas pour le moment. Nous, on ne perd pas espoir, même si je vous avoue
que c'est tristement familier, là, ce à quoi on assiste ces jours-ci, là. C'est
ce à quoi on a assisté, il y a à peu près un an et demi, lorsqu'il y a eu une
tentative d'aller de l'avant avec les recommandations du rapport L'Heureux-Dubé.
C'est encore la même pièce de théâtre, là. Les personnages ont changé, mais
c'est le même scénario, là.
Donc, on va faire tout ce qu'on peut pour
convaincre les autres partis politiques. Je ne désespère pas encore, mais
disons que je commence à me rendre compte que la situation est très familière.
M. Cormier (François) : Vous
avez fait sensiblement le même point de presse il y a quelques semaines — trois
semaines, deux semaines, je ne sais plus; j'ai l'impression que ça n'a pas
suscité de l'indignation non plus dans la population, que ce sujet-là. Est-ce
que vous pensez que les gens sont désabusés ou ils sont maintenant habitués de
voir des députés se voter leur propre augmentation? Est-ce que vous auriez aimé
que ça suscite, comme sujet, un engouement plus important?
M. Nadeau-Dubois : Peut-être
qu'en effet les gens sont habitués à ça, et, si c'est le cas, c'est triste
parce que ça veut dire qu'ils ont lancé la serviette. Nous, à Québec solidaire,
on y croit encore, on pense que c'est encore possible de mettre fin à la situation
de conflit d'intérêts et on va continuer à travailler, on va continuer à se
battre fin pour qu'on mette fin à cette situation-là.
Les autres partis nous disent : On
n'est pas contre un comité indépendant, mais on ne veut pas le mettre dans la
loi. Ça, c'est dire une chose et son contraire, Si on est pour le fait que ce
comité indépendant là existe, bien, il faut l'inscrire noir sur blanc dans la
loi. C'est ce qu'on va faire.
Je le rappelle, là, et, je veux dire,
c'est sûr que la situation, elle est technique, hein, c'est un enjeu qui est
complexe, on parle d'une augmentation d'une allocation en particulier pour
compenser les effets de la fiscalité fédérale. Ce n'est pas comme si les
députés étaient en train de se voter une augmentation exorbitante de leur
salaire, là. Donc, c'est sûr que c'est technique comme enjeu, j'en conviens.
Mais, sur le plan des principes, c'est dérangeant.
Les travailleurs ordinaires ne peuvent pas
augmenter leur salaire, quand l'impôt augmente, pour compenser. Il y a une
seule catégorie de citoyens au Québec qui peut faire ça, c'est les députés de
l'Assemblée nationale. Ça, c'est dérangeant, ça ne devrait pas se passer, et je
ne comprends pas que Québec solidaire soit le seul parti politique à le dire.
Quand on fait ça, on est en conflit d'intérêts. Il faut mettre fin à ce conflit
d'intérêts là, et la solution pour mettre fin au conflit d'intérêts, tout le
monde la connaît et tout le monde la connaît depuis des décennies. Pourquoi on
n'est pas capables d'avoir le courage de la mettre sur pied? Ça me dépasse.
M. Cormier (François) :
Est-ce que, le compromis, si jamais on ne met pas ça dans les mains d'un comité
externe, ce ne serait pas de dire : Bien, vous votez pour une augmentation
de salaire mais qui s'applique seulement à la prochaine législature, vous ne
pouvez pas voter des augmentations de salaire qui s'appliquent à la présente
législature ou des modifications salariales qui s'appliquent à la présente
législature? Est-ce qu'il ne faudrait pas un mécanisme qui fait en sorte que,
bon, oui, les députés, puisque l'Assemblée nationale, c'est l'autorité presque
suprême, peuvent se pencher sur ce sujet-là, mais dire : Ça ne touche
jamais les députés en place, ça ne s'applique qu'après les prochaines
élections?
M. Nadeau-Dubois : Quand on
regarde ce qui se passe à l'extérieur du Québec, dans d'autres Parlements
canadiens, il y a des modèles, là, qui existent. C'est ça aussi, moi, qui me
dépasse, c'est qu'on n'a pas à réinventer la roue. Il y a des modèles ailleurs
au Canada. Je pense notamment à la Nouvelle-Écosse, à l'Île-du-Prince-Édouard,
où il y a des mécanismes qui permettent un examen régulier, périodique des
salaires des députés. Il y a un rapport qui est produit, et les députés peuvent
approuver ou rejeter le rapport. Donc, il y a différents modèles, là, qui sont
possibles.
Mais le fond de la question, là, c'est
qu'il y a un conflit d'intérêts fondamental à se voter nos propres salaires. Et
ça, je le répète, ce n'est pas l'opinion de Québec solidaire, là, seulement.
C'est la Commissaire à l'éthique qui le disait. C'est
Jean-Marc Fournier, en 2018, dans une lettre ouverte, qui le disait, là.
Jean-Marc Fournier, ce n'est pas le parangon de la vertu en politique
québécoise, et même lui disait : S'il y a un conflit d'intérêts, il faut y
mettre fin. Donc, c'est comme si tout le monde sait qu'il y a un problème, tout
le monde connaît la solution, mais personne n'ose agir. C'est ça, la situation
dans laquelle on est actuellement.
M. Cormier (François) : Sur
Lac-Mégantic. 280 millions que ça coûte aux contribuables, puis Ottawa qui,
visiblement, n'assumera pas la facture, c'est Québec qui va l'assumer.
Qu'est-ce que vous pensez de ça?
M. Nadeau-Dubois : Très
dérangeant. Si vous voulez mon avis, et l'avis de Québec solidaire, quant à
nous, là, c'est le fédéral qui aurait dû prendre l'ensemble de la facture.
La tragédie de Lac-Mégantic, c'est le
résultat de décennies de déréglementation du secteur ferroviaire. Le gouvernement
fédéral et les gouvernements libéraux comme conservateurs, au fédéral, n'ont
pas arrêté de donner des cadeaux à l'industrie des chemins de fer, ont
déréglementé l'industrie pendant qu'en parallèle explosait le transport de
produits dangereux. Ce qui fait qu'on s'est retrouvés dans une situation où les
compagnies ferroviaires s'autorégulent, s'auto-inspectent, que des compagnies
broche à foin comme MMA ont pu opérer en toute liberté sur le réseau public, et
ça nous a menés à des catastrophes comme Lac-Mégantic.
Donc, non seulement ils doivent assumer
leur part de la facture, en vertu de l'entente Québec-Canada, mais, quant à
nous, là, ils auraient dû prendre l'entièreté de la facture parce que la responsabilité
politique de ce désastre, elle est à Ottawa.
M. Cormier (François) : Merci
beaucoup.
M. Nadeau-Dubois : Merci
beaucoup.
(Fin à 9 h 25)